Rome, où nous atterrissons à trois, Yaara,
Marianne et moi ce vendredi 1 février, par temps frais mais ensoleillé, est
habillée d'ocre, de jaune et de marron-gris,
pavée de gris, pierrée de gris
foncé,
dallée de noir, de texture plus ou moins régulière selon l'ancienneté du
sol, mais en continuité les uns par rapport aux autres. Comme si Rome l'antique
était fondue parmi Rome la nouvelle, l'antique via Appia proche de
César Balbo, peu éloignée de Pierre de Coubertin, le palais des
expositions d'art moderne à cinq minutes du Colosseum, le temple et les statues
de Castor et Pollux jouxtant le palais de Venise, érigé en l'honneur du roi de
l'Italie moderne Victor Emmanuel.
Les églises sont en nombre
incalculable, et chacune possède comme des dépendances sous la forme de tel
collège épiscopal, telle université pontificale, installés juste en face ou
dans la rue voisine. Et les pizzeria et les gelateria rivalisent en nombre avec
les églises.
Les styles sont entièrement
imbriqués, parfois sur un même bâtiment, les obélisques donnant la réplique
aux colonnes romaines ou grecques, Jules César et Trajan aux côtés de la cour
de cassation.
Face au forum de Trajan, compté
jadis parmi les merveilles du monde, deux moines tibétains en ostensible
lévitation semblent donner la réplique pèle mêle à l'hypothèse herculéenne, à
Newton ainsi qu'à Copernic, sur les lois de l'équilibre et de la gravitation.
Côté vie juive, Il n'y aurait pas
ainsi d'"ancien ghetto". Il y a le ghetto, comme si rien ne devenait
ancien à Rome, où les modernes ferrari croisent sans morgue les antiques fiat
"cinquecento". Le ghetto où le judaïsme est affiché au grand jour, où
les restaurants cachères le crient bien haut, où viennent acheter et se
cotoyer, semble-t-il, juifs et non juifs.
La lecture ou même l'étude du plan
de Rome ne laissent en rien prévoir l'effet que fera le lieu quand on y
parviendra. La via corso figure ainsi sur la carte comme une large avenue,
apparemment eu égard à son statut de rue reliant la place centrale, piazza Del
poppulo, au palais majestueux de Venise, alors qu'elle est étroite comme
la rue Saint Sulpice à Paris. La rue des quatre fontaines monte ainsi
presque comme un funiculaire depuis le rue du Triton alors que ceci est
insoupçonnable sur le papier.
Les romains - ainsi que les romaines
- sont esthétiques, aux traits fins et rectilignes, à la peau mate, le front
haut et dégagé, le sourcil fourni, le regard incisif et vif. Ils sont
élégamment habillés, pas de gros, même les clochards n'ont aucun pan de
vętement qui sorte du pantalon. Les entendre parler est un vrai plaisir tant la
langue chante et tant elle est ponctuée d'intonation, d'intention, de
caractère. Leur contact est agréable, ils répondent avec le sourire, ont toutes
les explications prêtes à être fournies à la plus discrète demande.
A la synagogue, les juifs sont
incontestablement romains, typés comme eux, chantant comme eux, leur tefila
pourtant rigoureusement authentique rappelant un peu la messe en particulier du
fait de cette prononciation si particulière de l'hébreu, selon laquelle Israël
devient Israëlle, et Yerouchalaïm devient Yerouchalaïmme, comme cela s'écrit en
romain, Gerusalemme.
La synagogue de la rue César Balbo
n'a probablement rien à envier à l'église moyenne locale....toutes proportions
gardées, et à condition de ne pas porter ses yeux sur les dites églises, dont
la plus modeste doit être au minimum dix fois plus enjolivée et ornée que notre
modeste lieu de prières. Couverte de peintures murales, éclairée de jolis
vitraux, elle n'atteint pas le niveau du musée italien de la rehov Hillel à
Jérusalem, mais peu s'en faut. La tefila du shabbat matin se clot sur une
cérémonie inattendue : un couple de la communauté célèbre en grande émotion et
devant le Aron hakodesh ouvert...ses 40 ans de mariage au chant de kol khatan
vekol kala entamé par le rav Arviv, suivi par le choeur.
Eu égard au détail piquant de notre
présence à Rome précisément shabbat Yithro, où se trouve écrit en toutes
lettres "tu ne te feras aucune statue ni image...", il parait encore
plus compliqué de rentrer dans ces églises et d'en observer les ornements comme
si de rien n'était. Observer les statues, voir le culte qui leur est rendu, et se
souvenir que l'Eglise se prétend(ait?) "verus Israël"...
Les italiens sont ainsi bel et bien
les descendants des romains. Il serait impossible de leur nier ceci, cela se
voit à leur visage, cela s'entend à leur langage, cela se sent à leur façon de
manifester leur rapport au monde, monde des choses, monde de la création. Victor
Emmanuelle, Garibaldi ont ainsi des statues que n'aurait reniées aucun empereur
romain. Les compagnons de Garibaldi, qui réalisèrent avec lui la révolution ont
chacun leur buste de marbre, dans le parfait prolongement de la façon dont
chaque sénateur était gratifié d'une telle mise en valeur.

L'Eglise a donc repris ce que
faisait la Grèce et l'a augmenté de la tendance naturelle héritée de Rome. L'arc
de Constantin est énorme, ainsi que sont gigantesques le Vatican, la place Saint
Pierre et les statues des personnages que le catholicisme a sanctifiés. Les
peintures de Raphaël, Michel Ange et consors, dans leur surabondance de détails
et de couleurs, ne sont que la conversion au pinceau de ce que font les autres
au marteau et au ciseau.
Ce gigantisme habite aussi les
palais du Quirinal,
de l'Assemblée nationale et de la cour de cassation. Non
que l'Elysée, l'assemblée nationale ou le palais de justice à Paris soient
mesquins, mais leur taille parait plus proportionnelle. C'est la disproportion
qui est ici l'élément principal,
La disproportion mais aussi un
certain professionnalisme. Il y a visiblement en Italie encore aujourd'hui de
nombreux sculpteurs sur pierre, c'est en effet ici que s'étudient la lutherie,
la mosaïque, et peut-être d'encore autres artisanats qui ne seront peut-être
pas exterminés par le globalisme et la Chine.
Circuler en kipa à Rome est tout à
fait possible. On voit que les gens remarquent mais on ne sent d'hostilité à
aucun moment. En outre, le port de la kipa donne aux juifs le prétexte à se
manifester. Cela nous permet par exemple de parler hébreu avec le marchanf de
vêtements chez qui Yaara achète un manteau, cela nous permet, détail plus
piquant, de nous faire accoster deux fois aux alentours du Vatican par deux
tenanciers de stand de colifichets pour touristes- où on vend fausses pierres,
fausses antiquités, petites statuettes en tout genre, attrape touristes et
avoda zara de tiroir. Le deuxième ne nous donne qu'un joyeux salut entendu mais
le premier engage avec nous une longue conversation en hébreu, me convie à la
tefila de minha, nous donne son avis (que nous ne suivons pas) sur ce qu'il est
opportun ou non de continuer à visiter. Le garde de l'entrée de l'accès à la
basilique Saint Pierre nous gratifie d'un retentissant et joyeux chalom, alors
qu'il arbore une croix grande comme une horloge jurassienne.
On va donc - à pied et non en
autobus, et donc à l'encontre des conseils d'un autre individu questionné dans
la rue - depuis le Vatican au parc Gianicolo, d'où Matan nous a conseillé de
jeter un regard d'ensemble sur Rome. Il fait ce jour un ciel entièrement dégagé
et une température très agréablement tempérée par un jour entier de grand
soleil. La balade est fort agréable ét surtout la vue est au rendez-vous :
d'ici, on surplombe et on voit tout Rome jusqu'aux montagnes appeninnes.

Cette quatrième journée s'achève au
restaurant végétarien lequel parait beaucoup plus adapté au quartier dans
lequel il se trouve qu'à la sorte d'alimentation dont il est l'ambassadeur. Bien
que pratiquant des prix assez supportables, il est "designé" de
façon très moderne, et surtout occupé par un monde de grande classe, habillé
chic, coiffé et brushé, des clients aux garçons, qui parlent, apportent les
plats , et nous servent notre eau gazeuse façon grand hôtel la main gauche
cérémonieusement gardée derrière le dos.
Ce n'est pas de cet endroit qu'il nous
restera le souvenir de la pasta la plus typique, et ce n'est pas non plus là
bas que nous mangerons la vraie pizza romaine, mais c'est là-bas que l'on
croira l'espace de quelques heures avoir mangé les fameux artichauts frits
"à la juive" comme ils sont communément appelés, c'est là-bas que
l'on découvrira le vrai tiramissu, ou tel que le comprennent les romains.
Le climat de février nous vaut que
le colosseum aura été visité par nous par temps gris et très froid, mais, grâce
au progrès, munis d'un audio-vidéoguide qui nous dispense d'avoir à nous
joindre à un groupe. Ce n'est pas ici que risque de s'atténuer l'impression de
gigantisme dominant : avoir conçu et réalisé il y a presque deux mille ans un
lieu de spectacle permettant d'installer près de 50000 personnes, selon un
système d'accès finalement plus perfectionné que n'est aujourd'hui
l'embarquement à bord d'un avion, laisse admiratif. Entendre qu'avant que ne
soient aménagés les espaces sous l'arène aient été donnés ici des spectacles sur
l'eau indique que le système comprenait la possibilité de mise en place d'une
véritable et immense piscine, ce qui rajoute encore des points aux ingénieurs
et aux artisans de l'époque.

Ce colosseum à en juger par les
peintures du 18ème siècle aura été à plusieurs reprises en bien plus mauvais état
qu'il n'est donné aujourd'hui de le voir. Le lieu n'est pas seulement
apparemment en ruines, il a vécu semble-t-il de nombreuses tribulations,
pillages, incendies, tremblements de terre, et j'en passe. La lecture de
l'histoire du fameux arc de Titus installé non loin, enseigne que ce dernier a
une histoire riche en pérégrinations comprenant d'avoir été déplacé, intégré à
une muraille, modifié, puis détruit avant d'avoir été re-bâti. C'est finalement
le naturel sort de ce qui peut advenir à quelque chose qui traverse ainsi tant
de siècles. C'est sur cet arc que se trouve le développement en toutes lettres
du fameux et éternel logo SPQR, sigle jusqu'à aujourd'hui de ce qui est réalisé
au nom de Rome, au nom de son peuple et de son sénat réunis : Senatus
Populusque Romanus.

Jusqu'à la traduction en italien d'Asterix, où le terme est
expliqué comme indiquant que Sone pazzi quale romani (ils sont fous ces
romains), voila bien un logo qui aura déjà eu une plus longue vie que ceux de
Levi's ou de Marlboro, et qui aura été signe de gloire et signal de frayeur
chez bien des gens.
La suite de la journée de ce mardi
puvieux et froid et gris est tristement marqué par deux expériences tièdes. La
première est gracieusement offerte à partir des exigences de la cacheroute, qui
nous font préférer une adresse juive à une autre pour manger une vraie pizza
italienne. Dans ce restaurant Yotvata, cacher lamehadrin, on mange de
l'authentique pizza, on trouve les véritables artichauts à la juive, mais on découvre
aussi sur la note une plus value de plus de 20% par rapport au prix annoncé sur
la carte. A la queston posée au serveur, on nous explique, en réponse, que
c'est la loi à Rome et le cas dans tous les restaurants. Malheureusement, la
veille au soir, dans un restaurant de très bon niveau - mais dépourvu de
téoudat cacherout - , la même "loi" n'apparaissait pas...La deuxième
mauvaise expérience consiste à se faire faire les poches dans un de ces autobus
surpeuplés de Rome, dans lesquels la population est loin de paraître
ressemblante à celle qui se promène bien habillée, bien maquillée dans les
quartiers touristiques. La technique est apparemment très au point puisque le
fait d'avoir des poches fermées ne suffit pas à mettre à l'abri. Dans notre
cas, un homme demande à descendre et est apparemment obligé pour ce faire de
pousser le passager visé contre une femme qui semble n'avoir aucun lien avec
lui, mais qui se charge d'opérer rapidement pendant le passage de l'ndividu,
ouvre habilement la poche la mieux fermée et la vide prestement.
Le suite du séjour à Rome se fait
donc à pied. Dans un premier temps pour continuer notre chemin vers la villa
Borghese et la galerie nationale des arts modernes....pour y constater à
l'arrivée que l'achat des billets n'est possible qu'en liquide, chose que
l'épisode sus mentionné a rendu impossible. On en est donc de rentrer
bredouilles et relativement dépités, non sans avoir cependant pu voir la très
belle vue sur la piazza del populo que l'on surplombe depuis ce pincio, en
pointe sud de la villa Borghese. Le moral revient quand même petit à petit, la
marche à pied aidant, et nous permet de goûter ces fleurs de courgettes
achetées la veille et que l'on prépare en accompagnement de purée, dans notre appartement pompeusement - mais justement - nommé Bella vista.
Nos essais de terminer la journée par
le visionnement du film Gladiateur se soldent par un échec et l'alternative est
donc la lecture et l'extinction précoce des feux.
C'est donc naturellement vers cette
galerie que nous portent nos pas le lendemain matin, pour passer une excellente
matinée dans un très beau musée de peintures et sculpures des 19ème et 20ème
siècles, qu'il aurait été très dommage d'avoir manqué.
Un passage à pied par la via
Ripetta, où se trouve l'institut des beaux arts apporte ainsi au touriste
curieux la confirmation de ce qui était écrit plus haut, que la sculpture ne
fait pas seulement partie du paysage romain, elle parait une base de la culture
romaine puis italienne. Le bois est aussi travaillé, pour les volets, les
portes et quelques décorations
mais le penchant pour la sculpture -
principalement sur marbre - parait ici largement dépasser la peinture, même en
prenant en compte des personnages comme Raphaël, Michel Ange, Léonard de Vinci,
le Caravage, et consorts, qui paraissent n'avoir tous été peintres qu'en second
choix, quand on ne leur commandait pas assez de sculpture à réaliser. Et ce
n'est pourtant pas qu'il en manque, mais combien est-il possible d'en mettre
?
La majestueuse fontaine Trevi est le
parfait exemple de la place que requiert une sculpture, place qu'elle ne trouve
pas sur cette minuscule place sur laquelle elle a été tassée, et qu'elle écrase
en conséquence complètement.
Et pourtant, alors que tous y ont
été représentés, les dieux, les déesses, les anges, les tritons et babouins, les saints, les empereurs,
les savants, les hommes politiques et les révolutionnaires, on ne trouve pas à
Rome de sculpture à l'effigie de Galilée. Un panneau, non loin de la villa
Medici dans la villa Borghese, raconte bien qu'il a été jugé puis réhabilité,
mais le Vatican ne semble cependant pas encore prêt à lui rendre hommage en
trois dimensions, ayant encore une fois en 2009 annulé le projet.
Le même Vatican, à en croire
l'encyclopédie la plus répandue de nos jours, essaie régulièrement, mais sans y
parvenir, de faire disparaitre du campo di fiori la statue érigée en l'honneur
du nommé Bruno, autre scientifique - mais à qui l'Inquisition ne laissa pas le
temps de montrer s'il pouvait égaler ou dépasser Galilée - executé par l'Eglise
de 1600, pour avoir eu des opinions qui n'étaient pas de son impérial goût.
Les artisans sont à l'honneur dans
la petite via de capelleri qui sort du campo di fiori, et dans laquelle se
succèdent les petites échoppes qui d'ébéniste, qui d'artisan tisserand, qui de
chapelier ( c'est bien le moins). C'est encore une de ces ruelles pavées il y a
au moins cent ans, qui serpente entre de hautes et ocres maisons aux contours
de fenêtres travaillés, et au long de laquelle le soleil jette ses rayons.
Rome n'est pas le moindre fleurie en
ce tout début de février où on ne trouve qu'un seul arbuste paré de rouge,
et
les gigantesques platanes dont les avenues sont bordées sont entièrement
dénudés, occupés qu'ils sont pourtant déjà à se préparer un nouveau manteau
d'été. On imagine qu'une fois tous ces bourgeons ouverts et déployés, les bords
du Tibre, pourtant très honorables même en février, ainsi que de nombreuses rues ont un tout autre aspect.
Il n'y a que
chez les fleuristes, sur le campo di fiori ou dans les mains des vendeurs de
roses au long des restaurants que l'on peut voir à quoi le paysage ressemble
quand il est fleuri.
Le café pris à la terrasse, ou la
glace consommée sur haut tabouret ou en flânant dans les rues sont quand même
au rendez vous et comprennent tout le charme local, quelque soit le climat,
même celui du mois de février.
La patisserie cachère bougonnement
tenue par les deux petites vieilles permet de goûter de ces patisseries
traditionnelles, aux fruits confits et aux amandes, et il n'y a que la
mortadelle et tout ce dont elle est le symbole qui doit impérativement demeurer
hors champ au visiteur tenu à la cacheroute.
Et pourtant, quelques petites
déceptions, comme par exemple au chapitre du papier et de la cartographie. Rome
n'est certainement pas unique en son genre en ces débuts de 21ème siècle où
l'utilisation du stylo et du beau papier sont complètement out, où même le
scribouillard compulsif que je suis s'est aussi mis au clavier et à la tablette
pour raconter mes souvenirs de voyage, mais je m'attendais quand même à trouver
quelques papiers vénitiens ou florentins, ne serait-ce que ceux de la marque
tassoti dont je suis pourtant client depuis de bonnes années, mais il me faut
me résigner à la constatation que les papeteries romaines sont exactement les
mêmes que celles de Tel Aviv, de Paris, de Jérusalem ou de New York, on n'y
trouve aucune production locale, c'est l'empire de la mondialisation qui pris
la place - ici tout au moins - de l'empire romain.