humeurs


Humeurs

Table des matières :


1. Un outil bien affûté
2. Quoi de neuf en Europe? et en psychiatrie de l'enfant ?
3. Parlons donc de ces "chroniques"
4. Livres d'histoire
5. Petite réflexion - sur la précipitation
6. Sur la veille de Pâque, et des Pâques.
7. La leçon de Rav Eliyahou
8. Chacun sa retraite, ses manifestations.
9. Le sortir du trou !
10. La réapparition de la pensée
11. Au sujet de la maturité identitaire
12. Yom haatsmaout 2010
13. Poulbot, Dosh et mes enfants
14. Du juif à l'hébreu
15. Drame ou tragédie
16. La onzième épreuve d'Abraham
17. Hanouka. Pour Annie
18. Le judaïsme de la 621ème mitzva
19. Le moulin
20. La fête du 40 ème jour de l'omer
21. Il faut que les choses soient dites.
22. Contre l'uniformisation de la pensée

1. Un outil bien affuté.


L'affûtage est d'une pratique difficile. Beaucoup ont les instruments pour, et même la technique, et cela ne garantit pas encore le résultat.

Cette phrase s'applique au sens propre comme au figuré semble-t-il. Quand on aiguise, on fait le geste, on croit faire le geste et le couteau ne devient pas forcément plus aiguisé. Le plus difficile est de dominer la situation, c'est-à-dire de réussir à ce que le geste produise effectivement les résultats, ceci alors qu'on ne sent pas sur le moment si le geste est bon ou non. On ne sent pas si l'angle imprimé à la lame au contact de la pierre à affûter est le bon, reste constant malgré le déplacement de la main.
Cela exige de la concentration, de la conscience profonde de ses gestes. Cela exige du lien entre le cerveau et le corps, cela exige de savoir écouter son corps, de fonctionner en harmonie avec  lui, afin qu'il répercute ce que l'esprit vit, afin que le corps et l'esprit fonctionnent en phase.

On semble s'être éloignés du couteau et de la pierre à affûter. Pourtant, le parallélisme demeure et il serait loisible de parler de l'individu et de son clivage ou son harmonie interne à travers la métaphore du couteau et de son affûtage.

L'individu est parfois conscient, parfois moins conscient de ce qui se produit au niveau de son corps. Il est parfois conscient de ce que voient les autres de ce qu'il montre, il en est parfois inconscient.
La page 84a du traité "baba metsia" du talmud de Babylone nous offre l'anecdote (très très connue) suivante :

Rabbi Yohanan qui se baigne dans le Jourdain probablement dévêtu au moins en partie n'a ainsi pas conscience qu'il pourrait représenter un attrait sexuel. Il est beau et il le sait, mais tout entier à ses réflexions et à son étude, il ne pense pas à la bagatelle. Il ne comprend ainsi pas ce qui fait que se tient soudain face à lui un solide gaillard qui a plongé et a traversé le cours d'eau pour venir à sa rencontre.
Ce gaillard exprime sa déception haut et fort. Il a reconnu le Rav. Non seulement du fait de sa renommée,  mais aussi du fait qu’enfants, ils jouaient ensemble. Ils ont grandi ensemble avant que Rech Lakish ne quitte le monde de la Torah pour celui de la force physique. Devenu gladiateur, Rech Lakish est passé maître dans l'art des armes. Il sait les utiliser et il sait probablement les aiguiser. Il en connait l'utilité, il a souvent fait couler le sang. En parallèle, il est un individu pulsionnel et la vue d'une jolie femme lui fait faire un détour.
Le dialogue entre les deux amis d'enfance est bref, ressemble à une passe d'armes. Une phrase sévère jetée par l'un, une phrase défi lancée par l'autre : « ta vigueur devrait être consacrée à la Torah » rappelle sentencieusement Rabbi Yokhanan, « ta beauté devrait être consacrée aux femmes » réplique insolemment Rech Lakish, semble-t-il dépité de non seulement n'avoir pas trouvé une femme mais aussi de se faire sermonner.

Rabbi Yokhanan poursuit cependant et avance une nouvelle carte : « je peux te proposer non seulement la Torah plutôt que les pulsions, je te propose les deux dans le même achat. Tu reviens à la Torah et tu peux épouser ma sœur ».

Rech Lakish accepte et le texte souligne l'accord conclu par une phrase énigmatique : « il voulut revenir mais n'en trouva pas la force ». Vers où voulut-il revenir ? vers la rive pour y reprendre ses vêtements ? pour y reprendre son épée ? vers la nouvelle vie, c'est-à-dire une vie de torah pour laquelle il abandonnerait ses armes ? le texte nous laisse sur cette sentence qui deviendra lourde de sens quelques lignes plus loin.
Il voulut revenir et ne put pas. Dans un contexte de bouleversement de vie, de retour à un comportement orienté vers l'étude et non plus vers le maniement des armes, la phrase a beaucoup d'importance.

La suite est de l’histoire est raccourcie par le texte. Comme s'il s'agissait d'une pièce de théâtre, le rideau qui s'était baissé se relève sur une autre scène qui réunit une seconde fois les deux mêmes protagonistes. Se sont écoulées plusieurs années. Rech Lakish est devenu aussi rabbinique d’aspect que son compagnon. On suppose qu’il est marié à la sœur de Rabbi Yokhanan, qu’ils ont des enfants. Ils étudient ensemble la Torah et sont profondément plongés dans un thème fondamental, mais un thème qui n'est fondamental que pour le registre de la pratique du judaïsme. Qui d'autre que des rabbins ou des étudiants en yeshiva serait ainsi préoccupé des questions de pureté et d'impureté ? ce sont des valeurs internes au monde de la pratique du judaïsme.  Ne concernant que les gens pieux aux yeux desquels pureté ou impureté ont tant d’importance.

La scène nous montre Rabbi Yokhanan et Rech Lakish en profond désaccord sur la pureté ou l'impureté ou plutôt sur l'accès au registre de la pureté ou de l'impureté concernant quelques ustensiles : quand on fabrique un couteau, ou une épée, ou une faux, à partir de quel stade le fer devient-il véritablement outil ? question affûtée s'il en est. Le profane n'a pas beaucoup de chance de comprendre tout seul la finesse de la discussion. Son esprit n'est probablement pas aiguisé suffisamment sur la pierre de la Torah. A partir de quel stade de son étude pourra le profane accéder au registre de la pureté et de l'impureté ? est-ce une question de temps ou au contraire d'adhésion ? de changement radical de son être ? le changement se produira-t-il après l'échauffement ou après le trempage ? échauffement avant duel sur questions de halakha ? trempage dans le Jourdain ? 

L'ustensile en fer doit couper. D’après les concepts de pureté et impureté, concepts définis par la Torah et inusites en dehors des contextes de la Torah, le fer en lui-même ne prend pas l’impureté, seul le fer devenu ustensile la prend. On est en droit de se demander combien leur discussion est métaphorique du trajet de l’individu. Tant qu’il est en dehors du domaine de la Torah, il ne connaît pas l’impureté. Par contre, devenu pratiquant, ces questions le concernent au plus haut degré.  L’individu est-il passé  d’un premier stade – matière première - à un stade plus abouti ? On se plait à accepter cette idée et à considérer la Torah comme de nature à faire devenir l’individu plus grave. Lévinas exprime que le peuple élu ne l’est nullement par une quelconque notion d’élitisme d’un peuple, notion raciste, mais que le peuple qui prend sur lui le poids des lois de la torah est comme l’humanité devenue adulte, ce qui lui confère d’être comme élue.

Mais y a-t-il pour l’esprit comme pour le fer un seul affûtage ou n’y en aurait-il pas plusieurs  parallèles ? Le fer n'a que le seul but de couper. L'esprit humain aussi doit être aiguisé mais les axes sont multiples. L'individu doit avoir le discernement intellectuel affûté par exemple pour se mesurer avec les sciences exactes ou la loi. Emmanuel Lévinas disait qu'il ne faisait de leçons talmudiques que dans le domaine de la hagadah, et évitait de se mesurer avec le domaine de la halakha, n'ayant pas selon lui "la musculature de l'esprit" requise. Comme si Lévinas se savait l'esprit philosophique aiguisé mais une certaine incapacité de s'affûter l'esprit mathématique.

Mais on peut aussi penser à d'autres axes. La sensibilité aussi semble pouvoir s'aiguiser. La sensibilité au monde extérieur et au monde intérieur, la sensibilité à ce qui va être bon pour notre corps ou lui nuire. Les animaux ont l'instinct par exemple de ne manger qu'à leur faim tandis que nous pouvons nous créer des soucis sinon des dommages en mangeant au-delà de notre faim, ou encore en mangeant des aliments qui nous ont attiré alors que notre corps ne les supporte pas. L’acuité de cette sensibilité semble répartie inégalement entre les individus et il n'est pas impossible qu'il soit possible de l'affûter. Existe aussi la sensibilité interpersonnelle. Certains individus paraissent ainsi plus au fait que d’autres de ce qu'ils ressentent en diverses situations interpersonnelles. Ou encore pourrait-on dire qu'au fil de l'existence (une formule verbale qui tient compte semble-t-il de la possibilité de voir l'expérience ou simplement le temps comme un des outils d'affûtage de l'individu) cette sensibilité passe par différentes phases.

Le retour, la techouva en hébreu, qui est l'élément central des fêtes du mois de Tichré, concerne-t-elle un seul axe, celui de la repentance ou du retour vers la pratique ?

La mini pièce de théatre mettant en scène Rabbi Yokhanan et Rech Lakish à diverses phases de leur existence parait avoir comme but de faire réfléchir sur cette question.

On voit que pour Rabbi Yokhanan, il est urgent avant tout de revenir vers la Torah, vers la moralité, vers la maison d'études. Le judaïsme ne prône pas l'abstinence et ainsi l'individu consacré à la Torah est aussi marié et a des enfants mais ils lui sont secondaires. La Torah passe avant tout, a priorité absolue. Rabbi Yokhanan est un rabbin israélien du deuxième siècle et il semble qu'à cette époque comme aujourd'hui, certains rabbins d'Israël considéraient qu'il faut se consacrer entièrement à la Torah, quitte à ne pas travailler.

Rech Lakish parait un personnage bien moins monolithique. Il est allé acquérir une expérience de la vie et du monde non juif tandis que Rabbi Yokhanan ne quitta la yeshiva à aucune phase de son existence (ceci est attesté par une anecdote citée par le talmud racontant comment Rabbi Yokhanan, sur le point de se lancer dans les affaires, se reprend au dernier moment).

La controverse entre eux tourne au vinaigre. Rabbi Yokhanan parait à court d'arguments, s'échauffe, se vexe et blesse en retour. Comme s'ils ne discutaient pas mais se livraient un véritable duel. Comme si, alors qu'ils parlent d'affûtage de couteaux, ils se livraient en parallèle à une véritable joute, ayant à cœur d'avoir les arguments les plus aiguisés, transformés eux-mêmes en épées ou en poignards. Comme si l'affûtage de Rabbi Yokhanan était doublement moins bon que celui de Rech Lakish : il ne parvient pas à le convaincre et de plus il se sent blessé intellectuellement.

Rabbi Yokhanan sort alors une carte maitresse, porte un coup de Jarnac. « Je ne suis pas étonné qu'un ancien bandit s'y connaisse en armes » lui lance-t-il. Rech Lakish encaisse le coup de la façon la plus douloureuse  : «  j'ai fait tout ce chemin pour cela ? que m'as-tu finalement apporté? » demande-t-il à Rabbi Yokhanan. Rabbi Yokhanan  blesse ainsi – verbalement – tellement son adversaire, que ce dernier - nous raconte le texte -  en tombe malade au point que sa vie est en danger. Tout à sa rage, Rabbi Yokhanan est comme aveuglé. Il ne se doit qu'à la vérité. Il ne connait aucune demi-mesure. Il est insensible aux arguments et aux supplications de sa propre sœur, et Rech Lakish finit par mourir.

Ce n'est semble-t-il qu'à ce moment que Rabbi Yokhana prend conscience qu'il vient de perdre non seulement un partenaire en étude mais aussi un ami. Prend-il aussi conscience qu'il vient de le tuer ? le texte ne nous le dit pas. Prend-il aussi conscience qu'alors que Rech Lakish a fait un retour sur soi radical dans le Jourdain et a mit fin à son activité assassine, ceci n'est nullement le cas de Rabbi Yokhanan ? (le talmud raconte comment Rabbi Yokhanan était un individu tellement entier et tellement fort en halakha qu'il en était dangereux. Il fallait que son regard ne se porte pas sur quelqu'un de peur que ceci ne cause sa mort. cf Baba kama 117 a et b).

Ce texte ne vise-t-il pas à nous faire réfléchir sur ce qu'il convient d'appeler la techouva ?

La techouva selon Rabbi Yokhanan est avant tout un retour vers le droit chemin. Mais tout le décor obligeamment fourni par le talmud dans la mini pièce de théâtre qui nous est ici montrée semble indiquer autre chose. La techouva ne  consisterait pas moins à aider l'individu à aiguiser son instrument semble-t-il. La techouva serait propice à permettre à l'individu de s'améliorer, et de ce fait  utiliser son esprit, sa vie, ses capacités, son arme à bon escient. Mais suffit-il pour cela de verser dans l'étude de la Torah ? en tout cas c'est à condition que ce ne soit pas de façon "aveugle" ou déconnectée de ce qu'est la vie en dehors du bet hamidrach. Ce texte semble donner une réponse catégoriquement négative à ce sujet. (Les notes de bas de page de la guemara "enfoncent" encore un peu plus le clou du texte en apportant la précision que la halakha est comme pensait Rech Lakish et non comme pensait Rabbi Yokhanan, comme pour indiquer que ce n’estpas l’avis du plus extrémiste des deux, eut-il potentiellement raison, qui est retenu).

Dans un article sur cette même page du talmud, obligeamment fourni par Danny et Hanna Brunschwig, on trouve des arguments en faveur de Rabbi Yokhanan. D'après Ido Hevroni, auteur de l'article publié en anglais dans "Azure"  summer 2008, pp. 93-112, « A tale of two sinners », il ne faut pas juger Rabbi Yokhanan sur sa rigueur mais il faudrait le voir comme ayant une conception différente de la techouva de celle ressentie par Rach Lakish (à la page 89 du même traité, on trouve des précisions très intéressantes sur ce point). Il aurait été blessé de constater que Rech Lakish, resté fondamentalement compétent dans l'affûtage des objets, apporte en cela la preuve que sa techouva n'a été que superficielle : il n'a pas fait le changement total et radical que Rabbi Yokhanan souhaitait qu'il fasse, il n'a pas rompu avec sa vie antérieure et ses écueils. Tandis qu'aux yeux de Rech Lakish pour qui la techouva est ce qui permet de transformer les fautes en mérites, il est indispensable de rester en contact avec son propre et précédent champ d'action.
Je crains cependant que l'argument en faveur de Rabbi Yokhanan – dont je reconnais qu'il sort un peu "esquinté" de notre texte – « ne tienne pas l'eau » comme on dit en hébreu : qui est Rabbi Yokhanan pour juger de l'ampleur et surtout de la valeur du changement d'autrui ? qui est Rabbi Yokhanan, lui que l'anecdote montre précisément comme un individu clivé, un individu au service du vertical mais pratiquement infirme sur l'axe horizontal, axe de l'interpersonnel ?

Est-ce que le texte ne serait-pas plutôt ambassadeur d'une autre opinion, selon laquelle il n'y aurait de techouva non au niveau quantitatif (partielle ou totale) qu'au niveau qualitatif : l'individu est invité à "revenir", à se reprendre (et la petite phrase du début du texte prend ici toute sa valeur : combien l'individu peut véritablement revenir ? combien en est-il capable et combien cela est-il souhaitable ?) mais combien doit-il faire cela au détriment de lui-même ? combien est-il souhaitable que cette techouva renforce le clivage en lui ?

La réponse est négative. La techouva ne doit pas encourager un processus mental nuisible. L'individu doit être entier mais non clivé, aussi difficile – et aussi étranger à la dialectique rabbinique -  que cela soit à atteindre.  Rabbi Yokhanan meurt lui aussi à la fin de notre micro passage talmudique, passage qui pourrait bien être qualifié de tragédie si on ne l'étudiait pas en profondeur.

C'est un passage sur la techouva et il parait en ressortir que ne fait pas mieux techouva celui qui parait en être le spécialiste que celui qui en parait le plus éloigné. L'impression est que Rabbi Yokhanan "loupe le coche", est aveuglé par son propre extrémisme, ne peut prendre à temps en compte qu'à lui aussi incombe de faire techouva.

En notre période de recrudescence du fondamentalisme, d'abord au cours des trente dernières années du côté de l'islam, mais ces derniers temps non moins (quoique selon une autre forme, bien moins meurtrière)de notre côté, il parait important de réfléchir en profondeur autant qu'en largeur à l'anecdote de Rabbi Yokhanan et Rech Lakish et à la question de l'affûtage des outils.        



2. Quoi de neuf en Europe ? et en psychiatrie de l'enfant ?

Un congrès international fut le motif de mon dernier déplacement international ce dernier mois de juillet.

Un déplacement dans lequel j'inclus Prague où je fis mon premier tour, ma première prise d'empreinte.

Est-ce subjectif ? Schizo-paranoïde ? De tels déplacements évoquent à leur approche un peu d'anxiété en l'israélien que je suis. Je ne sais pas si me promenant dans une capitale européenne ou assis sur les chaises parisiennes d'un congrès, affublé dans ces deux situations d'une barbe et d'un petit rond de tissu sur le haut du crâne, j'ai le loisir d'être au premier regard simplement moi-même, un tranquille cinquantenaire anonyme, ou si ces détails infimes ne font pas instantanément de moi le catalysateur de tensions, le représentant de causes, causes parfois perdues d'entrée de jeu, l'ambassadeur d'un peuple et d'un pays coupables ou au moins soupçonnés de culpabilités anciennes et actuelles.

Je m'étais mis dès la seconde moitié des années 1970 à porter la kipa en permanence, encore du temps de ma période française. 

À la fac, dans le Paris de ces années-là, je m'étais mis en fait à la casquette, mais elle m'a toujours été inconfortable, me paraissant être un raté dès son commencement : en Europe, ces dernières 40 années, l'homme de la rue ne porte rien sur la tête.  Celui qui a la tête couverte est rarement un marin, un ouvrier, un anonyme, c'est le plus souvent un juif et kipa ou casquette ne font que peu de différence.

Arrivé en Israël , je me mis avec soulagement à la kipa, mais pour découvrir qu'ici aussi, une kipa désigne celui qui la porte. Ici cependant, la kipa n'éveille pas l'antisémitisme. 

On sent tout de suite quand quelqu'un vous regarde. En Inde, portez ce que vous voudrez personne ne vous regardera. Dans une certaine mesure, c'est la même chose à Londres ou à New York. 

En France, mon feeling peut être très différent d'une visite à l'autre. Il m'est arrivé de ne pas circuler en kipa, sans même avoir essayé. Il m'est arrivé de commencer en kipa puis de poursuivre sans, après m'être senti mal à l'aise ou après avoir essuyé regard ou remarque désagréables.

Ce n'est pourtant qu'en Roumanie que j'ai été accusé d'avoir personnellement tué Jésus, ce n'est qu'en Egypte que j'ai ouvertement été traité de sale juif, mais j'ai dû plusieurs fois en France regagner un plus prudent anonymat, reprendre un visage moins ostensiblement marqué, adopter un aspect moins ouvertement affilié.

Cette fois, j'ai circulé en permanence kipa sur la tête, au point même de l'oublier la plupart du temps, même dans la rue ou le métro, même dans le métro la nuit.

Et c'est en fait au congrès que j'ai été non anonyme, que ma condition d'israélien m'a interpellé.

Un congrès international de psychiatrrie de l'enfant et de l'adolescent, dont le thème est : "cerveau, psyché et développement".

Que dans ce thème renvoie à la politique ? 

Ne va-t-il pas être question de l'enfant et la particularité de son développement ? Le thème n'indique-t-il pas qu'il va avant tout être question de neurologie et de ses relations à la psychologie et à la psychiatrie au cours du développement de l'individu ? 

C'est compter sans l'épigénétique, qui est aujourd'hui à la pointe de la génétique, qui examine l'impact des conditions extérieures sur le phénotype, et sur le génotype.

C'est compter sans la notion de trauma, tellement importante, tant reliée aux facteurs extérieurs.

Et ainsi, il était prévisible, sinon souhaitable qu'un tel congrès traite des éléments du monde extérieur.

Et ainsi grande place fut faite à l'impact du printemps arabe sur l'avenir des petits libyens, beaucoup de temps fut consacré aux enfants qui grandissent dans des régimes dictatoriaux, on se demanda  si grandir dans le contexte de Fukushima ou Tchernobyl va influer sur le psychisme, sur le développement mental, on passa du temps à débattre de l'impact des conflits des adultes sur l'esprit des petits, conflits internationaux, conflits conjugaux. Le Darfour, les guerres du Soudan, la famine, la recrudescence de l'idéologie néo nazie, l'impact de la xénophobie des parents sur le développement de l'éthique chez les enfants.

Vous y croyez vraiment ?

Vous croyez qu'un seul de ces sujets a été abordé ?

Vous rigolez.  Un seul a été abordé. Celui de l'impact de la colonisation israélienne  sur les enfants palestiniens et l'impact des frappes israéliennes sur les enfants libanais.

Parce que quand même,  les israéliens causent beaucoup de tort aux enfants. Ils causent plus de tort aux pauvres enfants libanais que n'ont certainement causé 15 ans de guerre civile intra libanaise, et que n'est susceptible d'en causer la dictature hizballienne. Les israéliens sont aussi responsables des malheurs de toute la communauté palestinienne du monde, cela va de soi. Aucune politique de victimisation n'a jamais été menée par aucun de leurs dirigeants, ils ne subissent aucun endoctrinement à la violence, puisque leurs livres d'école sont financės -et donc certainement contrôlés en conséquence - par les européens. Assad est en train de tuer en un an énormément plus de syriens que les israéliens et les palestiniens réunis au cours d'un conflit qui aura bientôt cent ans, mais ce qui reste la préoccupation médiatique internationale c'est combien les israéliens sont d'infâmes colonisateurs.

Ceci n'est pas facile à supporter mais il est à craindre que cela doive être considéré comme un état de fait, que nous nous garderons bien de qualifier de l'odieux terme antisémitisme. 

Il faut donc relativiser et se rappeler que circuler dans Paris en étant ostensiblement juif ne m'a valu aucun inconfort. Il me faut souligner que j'y ai des gens qui me sont chers, qui savent le manifester, et qui ont à coeur de m'accueillir chaque fois avec chaleur - et même avec beau temps ce qui est un véritable effort de leur part!. Il faut se rappeler que le fait de parler des sujets fait parfois plus de bien que de mal, se rappeler qu'une accusation proférée dans un cadre où la réplique est possible permettra peut-être plus de faire avancer le problème que si le sujet était resté dans la tête des protagonistes.

C'est finalement ce que nous professons, nous autres gens de parole, que la parole permet de diluer les conflits, les angoisses, permet d'atténuer l'impact des traumatismes. Ceci aura beaucoup été dit à ce congrès, et c'est un message d'importance.

Il me faut en dernier lieu souligner combien la naissance de la neuropsychanalyse, ces dernières années est d’un apport considérable à la poursuite de l’œuvre de déchiffrage de la machine humaine. Un apport qui permettra de franchir plusieurs paliers à la fois. Je m’en expliquerai plus longuement prochainement.


3. Parlons donc de ces chroniques

J'avais lu en hiver dernier ces "Chroniques de Jérusalem". Elles m'avaient fait plutôt bon effet, comme si elles étaient assez neutres, assez impartiales, montrant la réalité telle que peut la voir un européen se trouvant ici par hasard et n'ayant aucune implication émotionnelle dans ce qui se joue. Et puis voilà qu'Annie, de passage chez nous, me demande l'autre jour ce que j'en ai pensé, me rajoûtant au passage comment elle n'avait pas réussi à supporter de tout lire, me racontant la colère de l'un ou de l'autre.

Je les ai donc relues.

Sur fond de dépèches de presse titrant "épidémie d'actes antisémites en France", il est difficile de ne pas être animé d'un regard plus incisif.

J'ai relu et j'ai compris la colère. 

Émane principalement de ces Chroniques ce qui fournit la toile de fond sur laquelle est en train de refleurir l'antisémitisme : les personnages qui y sont représentés sont comme le bon citoyen lambda, celui qui a appris l'humanisme à l'école, qui n'a pas a priori de parti pris, celui qui a même assez de fibre sociale pour se retrouver en train de faire du volontariat à l'étranger. Ce bon citoyen est ici comme le miroir de ce terreau d'où repoussent les agressions antisémites. Des agressions ponctuées d'une banalisation de l'insulte pluricentenaire "sale juif", ou "qu'il crève" ou encore " Hitler n'a pas bien fait le travail" ou encore comme cela s'est entendu souvent après les meurtres commis par Merah : "les juifs méritent cela".

Ces Chroniques décrivent surtout une incompréhension fondamentale autant de ce qui se passe que des véritables tenants et aboûtissants de la situation ici, et puis surtout elles nous montrent des observateurs étrangers surtout fatigués, effrayés. Ce conflit leur parait interminable, leur parait se reproduire encore et encore, comme quand la presse française nous ressert le " redémarrage des cycles ou des spirales de violence". 

Nous le vivons, nous, au quotidien ce quotidien, c'est chez nous que les enfants de Sdérot retournent périodiquement dans les abris, c'est nous qui devons perpétuellement nous protêger contre la  menace d'attentat, c'est nous que frappent ces attentats quand nous ne parvenons pas à les éviter, et ce sont les habitants palestiniens pas forcément politisés qui sont étouffés de mesures de précautions, mais c'est eux, ces européens,  que cela fatigue, et ils nous reprochent de continuer à nous chamailler, comme le pion de la récréation qui n'est pas là pour faire de  l'éducation mais pour boucler ses fins de mois, et qui donc se moque de ce qui agite ces enfants, qui est las de leurs disputes, et qui souhaite avant tout qu'elles se terminent. Tant qu'elles ne se terminent pas, il n'a, le pauvre, aucune chance de boire tranquillement son café.

Ces Chroniques distillent ainsi en filigrane des remarques désabusées sur le comportement abusif des soldats, ou les bombardements des israéliens. "tiens ! Encore des avions de chasse . Ils n'ont pas encore fini ?" Ou bien, dans un contexte de barrage et de contrôle : "ils nous font faire la queue, apparemment ça les amuse" peut-on lire au détour des pages du livre.

Les soldats, pour l'européen qui ne connait plus le service national, les soldats sont par définition des têtes brûlées, des crétins du niveau de ceux qui se saoulent la veille de la quille. Les soldats ne sont pas les enfants de la population, d'un peuple tout entier, ne sont pas les jeunes étudiants ou pères de famille qui retournent faire un service annuel un mois par an jusqu'à plus d'âge. Les pilotes israéliens n'ont pas d’identité, ou de famille, et ne seraient pour ces observateurs que l'instrument de la violence aveugle des forts contre les faibles. La radio "galé tsahal" ainsi n'est que l'organe de l'armée d'occupation, organe de propagande dictatoriale comme ne peut que l’être une radio militaire. Les habitants des territoires, et même des parties controversées - mais habitées, et intégrées à la ville de Jérusalem depuis plus de 45 ans, sont sempiternellement les colons, ceux qui portent le même nom que les  européens allés en Asie, en Afrique ou en Indonésie  prendre la place des indigènes  aux 17-19ème siècle, ils sont assimilés par le même terme aux  américains qui massacrèrent les indiens pour édifier des villes sur leurs territoires. 

Et en fait, pour qui n'approfondit pas la question, pourquoi les israéliens seraient-ils autre chose ? Après que la propagande palestinienne nourrisse sans répit le monde occidental de l'image du pauvre palestinien exproprié et maltraité par ces méchants israéliens ? L'européen ne peut voir l'abus qui se dissimule derrière une telle présentation de la réalité qu'au prix d'un effort qu'il n'a pas la disponibilité de fournir. Parce que la réalité israélienne est ramifiée. Cent ans après la première vague d'alyah, et avec près de huit millions d'israéliens, c'est une situation tellement plus compliquée qu'une horde de colons qu'il est impossible de résumer la question. Mais surtout, c'est fatigant.

C'est donc le phénomène de l'incompréhension de la base même de ce qui se joue ici qui est au centre de ces Chroniques, mais c'est d'une incompréhension qui "sonne" comme à la limite de la malveillance qu'il s'agit. C’est d'une incompréhension née du refus de nous accorder le droit d'être différents du colonisateur qu'a été le père de cet européen (ou ce canadien dans le cas des chroniques) , du refus de nous tolérer de ne pas avoir digéré ni la shoah ni l'antisémitisme, qu’il s’agit.

Les européens voient continuellement en nous ce « peuple sûr de soi et dominateur », et colonisateur, et ils refusent d'admettre que ceci est une vision scandaleuse des choses. Appliqué aux guerres c'est tout bonnement intolérable. Nous n'avons aucun problème à être fiers de nos réussites scientifiques, ainsi que d'avoir construit une telle société en si peu de temps, mais nous continuons de vivre une réalité qui ne nous laisse la possibilité de ne perdre aucune guerre. Et il est intolérable de nous reléguer au rang d'armée d'occupation insensible et meurtrière.

Et quand l'auteur des Chroniques fait parler tel ou tel personnage et imputer à travers lui aux soldats telle ou telle attitude, en fait calquée sur ce que lui sait d'une réalité coloniale, alors je comprends comment ces Chroniques deviennent indigestes, et je constate comment elles me deviennent aussi indigestes..

Elles me restent lisibles tant que je réfléchis à cette question de notre relation aux palestiniens, elles sont illisibles et intolérables quand le peuple israélien y est décrit avec tellement peu de discernement et de sensibilité.

Mais il est impossible de ne pas rajouter à cette critique d'autrui que nous n'aurons le droit de nous offusquer du regard et des critiques de ceux qui nous entourent que si nous consacrons plus d'énergie à museler nos extrêmes et notre extrémisme que nous voulons bien le faire, que si nous veillons plus scrupuleusement qu'aujourd'hui à éviter les bavures d'usage de la force et d'oppression qui se multiplient plus qu'elles ne devraient, que si , enfin, nous faisons passer nos préoccupations de niveau moral de nos enfants avant celles de leur niveau en mathématique.

Nous n'aurons le droit à rester et à prospérer sur cette terre qu'au prix d'une - plus scrupuleuse qu'aujourd'hui  - rigueur de comportement tant avec les nôtres qu'avec nos ennemis, ou qu'avec ceux que la situation internationale continue à nous contraindre de devoir contrôler.

Est sorti au festival du film de Jérusalem cette semaine le premier volet d'une série télévisée consacrée à Ishayahou Leibovitz. Voir cette série est obligatoire et incontournable pour les israéliens, sûrement riche d'enseignements pour ceux qui vivent en dehors d'Israël.
Ishayahou Leibovitz était vraiment un personnage hors du commun, autant par la violence de son attitude que par l’acuité de sa vision, et surtout par la rigueur de son exigence de moralité. Dans le film, alors que le journaliste-politicien Tommy Lapid (qui ne s’est jamais illustré ni par sa délicatesse ni par sa modération) lui suggère de renoncer au Prix Israël pour ne pas créer trop de déshonneur à ceux qui devraient le lui remettre en main propre, Ishayahou Leibovitz lui répond sur un ton cinglant qu’il le dispense de se préoccuper de son honneur, et il l’envoie balayer devant sa propre porte. Mais ici se tient peut-être la clé de voûte de ce pourquoi milita toujours  Leibovitz : nous ne sommes pas responsables de ce que verra autrui quand il nous regardera, parce que nous ne savons pas avec quels yeux il nous observe. Par contre, nous sommes inéluctablement responsables de notre comportement et de ce que nous donnons à voir.

Et il est probable qu’il nous reste encore beaucoup à améliorer pour que ce que nous montrons ne soit pas parfois embarrassant



4. Livres d'Histoire

Autour de cette semaine, en Israël, se déroule la semaine du livre hébraïque. Après avoir entendu la radio quelques minutes seulement, à quelques heures d’intervalle et avoir constaté qu’on ne parle que de cela, on devient persuadé que c’est l’évènement de la semaine.
Mais cela va plus loin, parce que c’est en fait l’évènement de l’année, à en croire ses oreilles. Plus que vécu comme tel, c’est aussi qualifié comme tel.
Un évènement annuel, fêté sur toutes les places de toutes les villes d’Israël depuis près de 50 ans, où se presse la populace, où cela grouille de monde jour après jour du début à la fin de cette semaine, un évènement qui n’a été annulé par aucune intifada, par aucune menace d’attentats …et D. sait s’il y en eut.
Dire « il y en eut ?  Et s’il n’y en avait plus ?
Vraiment ?
Hier, Yaara était avec des copines à Ashkelon. C’est une ville israélienne. Normale. Pas même frontalière. Pas même une colonie. Dans la Bible, elle est la ville où vivait Samson. Yaara me raconte au passage, même un peu en rigolant, qu’il y a eu une alerte. -  - Je sais, réponds-je, il y avait un exercice. Ici aussi les sirènes ont retenti à 17H30. (il y a encore des exercices en europe ?)
- Non, me répond-elle, une véritable alerte. On est allées à l’abri. C’était marrant, on y a trouvé un couple de petits vieux, recroquevillés, en train d’attendre. Ils nous ont gentiment dit d’entrer, nous ont expliqué qu’ils attendaient que ça se passe. Ils n’étaient pas du tout angoissés. Au bout de deux ou trois minutes, le vieux est sorti et est parti en trottinant vers sa maison.
C’est tombé ? c’est pas tombé ?
Finis les attentats ? finies les alertes ?
Probablement pas à Ashkelon, à Ashdod, encore moins à Sdérot où ça peut tomber, et même tuer. Tandis que personne à Jérusalem ou à Afula, et encore moins à Tel Aviv n’en a encore le souvenir.
Tandis que personne en Europe n’en a même conscience.
Tandis que les beaux parleurs sont encore capables de discourir pompeusement sur le droit aux palestiniens à l’autodétermination, que ne leur accordent pas les israéliens, contre le blocus de Gaza, contre l’impérialisme israélien. L’impérialisme israélien que certains seraient encore capables de prétendre téléguidé et monté de toutes pièces par le satan américain, alors que n’existait auparavant aucune trace réelle de vie du peuple juif sur sa terre…combien les foules de l’europe moderne comptent-elles d’ânes capables de gober cela encore aujourd’hui?
« L’impérialisme israélien » qui a créé encore en 1902 à Moscou l’édition Moriah de livres hébraïques. « L’impérialisme israélien » qui n’avait de ferveur nationale plus grande que la résurrection de l’hébreu, au-delà de toute politique, de toute religion, de tout fanatisme interculturel.
Y a-t-il vraiment eu un impérialisme ? un colonialisme ? notre nation est-elle coupable au  tribunal international d’avoir commis des crimes internationaux ? contre l’humanité ? en sortant de la bande de Gaza ? à moins que ça n’ait été en s’y étant précédemment installé ? en arrêtant la flotille du Marmara ? en tuant ( Tsahal ou des snipers palestiniens à de seules fins de propagande ? ) le petit Mouhamad dont tout le monde a probablement oublié l’existence tant celle-ci était secondaire, reléguée en arrière plan, loin derrière la propagande politique ?
Nous israéliens avons probablement beaucoup à faire au plan social, pour lutter contre les inégalités que nous avons créées et que nous continuons à créer entre nous, au plan éthique, au plan relationnel, entre nous et vis-à-vis des palestiniens, vis-à-vis des réfugiés.
Nous avons ce devoir prioritairement face à nous-mêmes, au nom de notre mémoire et des livres dont nous continuons à nous nourrir – même si l’application « on your way »  permet de télécharger en moins d’une minute pratiquement toute la bibliothèque juive de tous les âges, sans une reliure, sans détruire un seul arbre..-, nous avons ce devoir de ne pas seulement fêter les parutions des livres contemporains mais de trouver le moyen de continuer à maintenir vivante notre sagesse multimillénaire, et pas seulement sur notre smartphone ou notre tablette. Et nous avons peut-être ce devoir aussi face au monde puisque le droit international n’a finalement pas moins de valeur que le droit national, encore qu’il n’hésite pas à se discréditer le droit international, encore que ceux qui continuent à nous condamner jour après jour sans jeter un œil ni même imaginer d’envoyer une toute petite flotille, d’entamer une action contre ce que commet le président syrien ne me paraissent pas très crédibles, ne me paraissent pas vraiment mériter une réponse, ni même un regard.

Que sera-t-il écrit dans les livres de l’histoire de ce pays qui n’a que 64 ans et qui a déjà réalisé tant de choses, survécu à tant de guerres et à tant d’hostilité ? quel souvenir restera de ce peuple ? celui d’avoir été le peuple du livre reconverti en assassin colonialiste ? je suis certain que non. Je suis certain que les livres israéliens d’aujourd’hui ne contiennent pas moins de richesse que les précieux livres de la Tradition. Ce pays continue à faire fructifier son bagage, et l’hébreu en pleine expansion est une langue que le monde se devait de voir ressuscitée. Une langue belle, extraordinairement belle


5. Petite réflexion - Sur la précipitation. 

 La Torah enseigne que les enfants d’Israël reçurent la consigne de manger le sacrifice de Pessah’ « bekhipazon », c’est à dire dans la précipitation, et s’en suit un débat entre les commentateurs de différentes époques, des plus anciennes aux plus récentes, sur l’applicabilité de cette consigne à nos générations.
Devons-nous perpétuer cette précipitation ?
Le débat inclut le regard sur la notion de précipitation elle-même, en introduisant trois notions, en jouant sur trois notions : précipitation égyptienne, précipitation juive ou précipitation divine.
La première au sens strict du terme est celle dont auraient été atteints les égyptiens au moment même de la sortie d’Egypte, frappés de stupeur du fait de la plaie des premiers nés. Au sens élargi, la précipitation égyptienne incluerait la précipitation due aux égyptiens, c'est-à-dire trouvant son origine dans la peur des égyptiens, dans la contagion de leur peur ou plutôt dans la peur qu’ils ne laissent pas vraiment sortir les hébreux.
La précipitation des hébreux au contraire consiste à chercher à sortir d’Egypte sans perdre de temps, étant entendu que les hébreux sont tenus pour n’avoir pas subi la plaie des premiers nés. Historiquement ces hébreux n’auraient été dans la précipitation que relativement à la sortie d’Egypte, ce qui fit que les matzot furent des matzot, non levées par manque de temps. Au sens élargi, se pose la question du lien entre le symbole de la fête de Pessah’ et cette notion de précipitation.
C’est bien entendu ce dernier point qui est actuel. Comment devons-nous regarder cette précipitation ? l’intégrer ou au contraire la repousser, par exemple en vertu de la célèbre expression en hébreu selon laquelle « la précipitation provient du diable ».
Le gaon de Vilna au sujet des trois précipitations mentionnées plus haut situe la précipitation d’Israël à mi-chemin entre la précipitation égyptienne, négative entre autres parce que relative à la panique, et la précipitation divine, désignant l’empressement lié à l’amour et au désir d’envelopper au maximum l’objet d’amour de sollicitation et de bons soins.
Cela rejoint un peu ce que l’on attribue à Rabbi Lévi Itsh’aq de Berditchev, selon lequel la Torah qualifie notre fête de Hag Hamatzot, c'est-à-dire désignant notre précipitation humaine, tandis que les rabbins ont pris l’habitude de la nommer Hag haPessah’ c'est-à-dire désignant la précipitation divine. Chaque côté attribuant la précipitation à l’autre.
Il y a ambiguïté autour de ce que doit être la place que nous accordons en nous à la précipitation, c'est-à-dire en fait à l’émotion, à l’emprise de nos affects sur notre intellect. D’un côté, nous ne supportons pas cette emprise, la jugeons négative. Elle nous déborde, elle peut déclencher notre colère, des disputes, de l’emportement et du zèle, elle nous inquiète, nous montre sous un mauvais jour, nous fait nous sentir faibles, vulnérables, attributs que nous nous efforçons de cacher dans la vie courante.
Rav Shimshon Raphaël Hirsch, selon son habitude, traite parfois les sujets en remontant aux sources du langage. En hébreu, les mots sont le résultat de déclinaison à base de racines trilitères. Le mot précipitation – khipazon – provient ainsi de la racine kh-p-z. Et Rav Shimshon Raphaël Hirsch joue sur les particularités de la langue, faisant remarquer qu’il y a parfois en hébreu, glissements d’une lettre à l’autre, juxtapositions de sens. En accord avec ceci, la racine kh-p-z peut être proche sinon interchangeable avec la racine kh-p-s, ou encore kh-p-sh (en hébreu, s et sh sont la même lettre), ou avec la racine kh-p-ts. Cela crée une communion de sens, ou une continuité de sens entre précipitation, recherche, désir et même liberté.
En vertu de ce regard, on peut analyser la précipitation non uniquement comme l’expression malsaine d’émotions mal contenues, mais aussi comme expression, peut-être plus saine, du désir, expression des forces motrices de l’humain.
La précipitation égyptienne (exprimant la panique) serait ainsi un peu comme le négatif de la précipitation divine (exprimant le désir), et notre rôle, à l’échelle individuelle mais aussi à l’échelle collective, serait de chercher à trouver le juste milieu entre l’emportement et le zèle d’un côté, mauvaises conseillères, et le désir, qualité éminemment positive, outil de la créativité et de la libération de l'autre.
Il y aurait ainsi la liberté à l’état pur, celle qui n’apporte pas grand chose si ce n’est une variation sur le theme de l’aliénation, et la liberté « autre », dirait Lévinas.
Cette autre liberté, cette difficile liberté serait un dépassement de nous-mêmes, l’atteinte d’un au-delà de ce que nous nous savons capables d’être et de faire.
La fête de Pessah’ avec l'exigence d’enseignement à son enfant placée en son centre, vient nous indiquer que c’est probablement dans notre prise de responsabilité vis-à-vis de la génération montante, de qui nous avons la charge, que peut se dévoiler cet au-delà de la précipitation. Nousdevons être en éveil, vigilants quant à l’interprétation du passé, du présent et de nos actes, que seront tentés de donner nos enfants. Cela doit être le principal moteur de notre souci de transmission, de notre tâche d’éducation. Nous devons être mobilisés quant au juste degré de rigueur, de zèle, de méfiance, d’agressivité à adopter vis à vis des situations que nous côtoyons et rencontrons, et la juste dose n’est indiquée dans aucune recette de cuisine ou de conduite.
La juste dose se trouve dans la préoccupation du regard d’autrui. Exprimée par exemple dans de sages formules comme celle d’Avraham Eschel qui disait que ce qui le travaillait principalement dans la question juive c’était le fait qu’aujourd’hui c’est à lui que ça tient. C’est de la façon dont il vivra son judaïsme que dépend ce qui se trouvera transmis à la génération suivante.
La dose adéquate se trouve dans la formule attribuée je crois au Rav Steinzalz selon laquelle la bonne réponse à la question « qui est juif ? » n’est pas dans la halakha qui répond : « celui dont la mère est juive », mais dans la sagesse qui répond : « celui dont le fils – ou la fille – est juif/ve ».
Il faut, pour garantir cela, une certaine mobilisation, dont l’extrémisme et le zèle sont une triste caricature et dont cependant le juste dosage est très certainement individuel et très délicat à obtenir.
Fasse le ciel que nous réussissions à doser correctement notre énergie vitale, à en convertir les éléments inadaptés en force positive, et que je ne sois pas le dernier à réussir à accomplir cela, moi qui me considère né avec un certain handicap en la matière.







  1. 6. Humeurs d'une veille de Pâque et des Pâques. 




Le texte ci-dessous m’est obligeamment relayé par Nicolas Merlet, assorti au passage de quelques commentaires avisés. Je vous livre la source et sous les pointillés, mes propres commentaires :
« …Conclusion du docte rapport de monsieur Herve Biausser, directeur de l Ecole Centrale suite à la requête relative à la difficulté suscitée par la fixation de l’examen d’entrée à son école pour le jour de Pessah’, un jour où les juifs religieux n’ont pas le droit de plancher :
La troisième solution envisagée est que les candidats concernés soient "relevés" de leurs obligations par les autorités de la communauté juive. "Cela suppose une intervention de l'Etat au plus haut niveau auprès de ces autorités, est-il précisé. Cette solution est évidemment, et de très loin, la meilleure et la plus simple à mettre en oeuvre."
commentaire de Nicolas : betise crasse d un monsieur supposé former les élites de la « France de demain » - ça vaut la peine de lire. Son rapport ignore la seule « meilleure solution » : commencer par ne pas « oublier » Pessah dans la liste des fêtes religieuses du ministère de l éducation de France.
........................
Cette phrase du respectable directeur n’est à mon humble avis pas une anecdote, ni même une nouvelle alarmante (en effet, rien de nouveau ici), mais une leçon. Une leçon pluridisciplinaire.
Elle vient préparer les candidats,
A l’épreuve d’histoire en venant rappeler que les phénomènes et les mentalités durent, et ont même en général longue vie, c’est la mémoire qui s’émousse,
A l’épreuve de philosophie, en leur enseignant que l’existentialisme et « les chemins de la liberté » ne sont pas l’alternative à la totalité et à l’obscurantisme,
A l’épreuve de mathématique en leur enseignant – à la suite de René Thom qui s’était acharné à représenter les courbes des sentiments – que la courbe de l’esprit réactionnaire est toute en ordonnée, d’abscisse nulle : on s’y cogne comme à un mur,
A l’épreuve de français, leur rappelant que la réplique « mais que diable allait-il faire dans cette galère ? » s’applique aussi en dehors du contexte de la pièce de Molière,
A l’épreuve de physique, en venant rappeler au candidat que la physique ne s’apprend pas seulement, elle existe aussi dans la réalité, il faut peut-être apprendre à devenir funambule si on s’entête à demeurer dans certaines situations,
A l’épreuve de chimie, en leur rappelant que la connerie (du coq gaulois d’un côté, mais aussi du ver qui reste dans le raifort de l’autre) n’est pas soluble dans l’excellence scolaire,
A l’épreuve de géographie, en leur indiquant la direction à suivre ?
Quant à mes enfants, je ne les aurai probablement pas préparés à être des candidats aux grandes et prestigieuses écoles que sont les Mines et Centrale, mais je les aurai dispensés d’avoir à se trouver confrontés à ce genre de situation qui me rappelle plus Charybde et Scylla qu’autre chose. Vous savez bien ? les situations empoisonnées d’un côté, pourries de l’autre, celles où on vous dit les jours pairs : « retournez dans votre pays » ou comme le montraient les murs de Paris dans les années 30 « les juifs en Palestine !», et les jours impairs « vous avez volé la terre des palestiniens !». L’Atlandide, terre des juifs (et encore, si on oublie que c’est à cause d’eux probablement que ce continent a coulé). Le directeur de la prestigieuse école dans le rôle du gardien de la république : "on ne va quand même pas plier nos institutions aux exigences d'une culture multi millénaire ! Il y a l'essentiel et le secondaire. Cocorico !".
Ce n’est pas qu’Israël soit un paradis, qu’on n'y trouve que de la probité, de la grandeur d’âme, de la noblesse de sentiments, que la vie y est incontestablement plus facile, et ce n’est même pas l’endroit où les valeurs de la Torah sont forcément le mieux exposées, mais c’est un endroit tout simplement où il est possible d’être juif sans avoir à mener éternellement ce genre de combats contre l'étroitesse et l'esprit borné…et on peut même y faire des études de très bon niveau…
Cette leçon, enfin, est peut-être tout bonnement une leçon d’histoire juive (qui ne leur sera probablement pas utile pour l’examen), qui vient leur rappeler que la Pâque, la fête de Pessah’, est la fête de la sortie d’Egypte. Le jour où année après année, on doit se sentir comme sortant d’Egypte : sortant des lieux où la vie rappelle ce qui se dissimule dans le mot Egypte (mitsraïm en hébreu), "Egypte" ou le lieu de l’angoisse, le lieu de l’étroitesse.
Bonne chance quand même aux candidats.
Bonnes fêtes pour tout le monde

7. La leçon de Rav Elihaou


De passage éclair à Strasbourg, pour une visite d’amitié, un passage qui tomba sur Pourim (ou sur lequel tomba Pourim ?), un passage sur lequel tomba (par hasard ? un hasard à Pourim ?!!) mon retour chez rav Eliahou, après quelques 34 ans.
Rav Eliahou, à part le fait qu'il est passé de l'état de fumeur forcené à celui de marathonien (aucune métaphore ici, je décris des faits), rav Eliahou n'a pas changé. Le même ton, les mêmes attitudes, la même voix, le même accent. La maison n'a pas changé !
Comme à notre précédente rencontre, il y a deux ans et demi, rien ne le préparait aujourd’hui à notre rencontre, et il me reconnait pourtant au premier coup d'oeil. Il m'accueille même d'un tel cri que sa femme accourt aussitôt demandant :"qui fait ainsi crier mon mari ?" d'un ton amusé faussement teinté de reproche.
Après les effusions, après m'avoir servi un verre de framboise (Pourim oblige - nous sommes en visite de michloakh manot), Eliahou m'introduit : « nous étions en train de réfléchir sur la difficile question de l'acte de Shaül tel qu'il est décrit dans le texte du livre de Shmuel I chapitre 15 » .
La question ? Comment D. peut-il lui donner l'ordre d'exterminer Amalec ? D'exterminer tout un peuple, hommes, femmes, vieillards, nourrissons, et jusqu'au bétail ?
Le rythme de son discours non plus n'a pas changé. Il réfléchit plus qu'il ne parle, plus qu'il n'enseigne. Comme s'il enseignait autant à réfléchir que le contenu de sa réflexion. Il parle, et réfléchit, et se caresse la barbe, et se lève, et se rassoit, et en filigrane de la réflexion, je me remémore les lieux, je me repasse le film de ce soir d'il y a 34 ans où nous nous étions joints Marianne et moi à Emilie et Claude, et à l'auditoire d'élèves réguliers qui assistaient à ce cours hebdomadaire.
Comme aujourd'hui, nous étions de passage. Comme aujourd'hui le passage par chez lui est incontournable.
Rav Eliahou parle, et réfléchit, et interrompt d'un coup son interlocuteur qui essaie d'objecter :"attends ! Tu vas trop vite. Ce sont des choses très profondes, il faut aller lentement !".
A mes oreilles ébahies, je constate qu’Eliahou soudain semble avoir changé de sujet. Ce n'est plus sur le roi Shaül qu'il réfléchit mais sur ce qu'il a annoncé comme étant la référence à laquelle il s'impose de retourner : le sacrifice d'Isaac.
Le problème fondamental est ici. Comment Avraham, qui pour ainsi dire a découvert la divinité, après un long cheminement intellectuel des plus profonds, le menant à faire émerger la conception monothéiste en contre-pied d’un univers polythéiste, comment Avraham qui finit par recevoir un enfant alors qu'il a déjà 100 ans, comment accepte-t-il sans un mot de sacrifier cet enfant à D. ? Comment accepte-t-il cela sur fond de culte au dieu Moloch, culte qui exigeait quotidiennement des sacrifices humains, des sacrifices d'enfants contre lesquels Avraham s'insurgeait ? Comment peut-il accepter un tel ordre ? Comment peut-il s'exécuter ? Montrer allégeance à un tel dieu ? N'est-ce pas une gigantesque contradiction ? Une gigantesque régression ? Le monde aurait découvert le monothéisme pour re-sombrer aussitôt après dans les pires écueils de ce que ce dernier combat ?
Captivé par le tout, par l’ambiance, par le personnage, par le lieu, par le sujet, je suis non moins quasiment en état de choc : ce sujet, du sacrifice d’Isaac, de cette question fondamentale, est celui qu'Eliahou avait traité ce même soir d'il y a 34 ans!!
Comme si l'intervalle de temps venait de disparaître comme par enchantement, comme si le cours était hier soir !
Dire que je me souviens des enseignements, des raisonnements, des développements du cours serait un mensonge. Je n'avais pris aucune note, nous étions en vacances.
Mais, alors comme aujourd'hui, ce ne sont pas les conclusions, les développements du raisonnement ou les réponses qui sont l'essentiel. Ce sont les questions qui sont l'essentiel. C'est la sensation d'être assis à la table d'un maître d'Israël qui est l'essentiel, c'est la conviction que ce qui est en train de se déverser dans mon esprit par oreilles, yeux, framboise et atmosphère interposés, est une expérience fondamentale de judaïsme. Ca n'est pas "encore un cours", c'est s'être assis en toute innocence, pour se réjouir, et se retrouver en train de réfléchir aux fondements de l'expérience humaine, aux fondements de l'univers.
La pire question, dit finalement Eliahou, est celle du soupçon. C'est celle-là qu'il faut lever. C'est cela qui est fondamental. Le bélier tenu prisonnier par les cornes qu'Avraham aperçoit soudain et qui est l'animal qu'il offre en sacrifice, est là pour apporter la preuve que là est la véritable question. Avraham est celui qui jusqu'à la découverte du bélier est persuadé que ce qu'il doit, c'est égorger son fils pour satisfaire D.
Ce qu'attend D. est autre chose.
Pas de soupçon à avoir.
Ce D. n'exige aucun sacrifice humain, aucun infanticide. Il doit être lavé de ce soupçon, et il l'est par la chute de l'épisode. C'est ça qui est l'élément fondamental sur lequel s'appuyer pour commencer à réfléchir à l'épisode du roi Shaül. Le reste est secondaire, comme la réponse qu’on donnera à cette dernière question.
Rav Eliahou aurait pu continuer. A la vérité, il continua. C’est nous qui partîmes continuer à distribuer nos présents de Pourim.
Il continua, et je reste quant à moi avec la leçon, et l’expérience, et l’émotion, et le souvenir. Les batteries rechargées pour 34 ans.











  1. 8. Chacun sa retraite, ses manifestations


Parti pour une sorte de ce qui s'appelle en anglais "retreat", mais vraiment une sorte, je me retrouve en fait à participer à une sorte de grande manifestation, elle aussi d'une assez différente forme que celles qui sont le quotidien français de ces derniers jours.
Une retreat donc, pas exactement du mode vipassana où on se replie sur soi-même, en méditation et en silence plusieurs jours durant, mais avec quand même quelques similitudes.
On pédale à 100, si ce n'est à 400 si on prend en compte les autres trajets parallèles, si ce n'est à 600 si on regarde seulement la journée de jeudi prochain, ce qui n'est pas vraiment de la randonnée solitaire…et pourtant. Passées les quelques minutes du départ, on se retrouve rapidement seul, seul avec soi-même et le paysage, le soleil, la soif, la difficulté, seul avec ses pensées, en phase assez potentiellement méditative.
Certes, parfois on rattrape, ou on se fait rattraper, par quelqu'un, et se déclenche – ou non – un bout d'échange , de conversation.
Certes, à la fin de chaque 30 kms environ, on s'arrête et on retrouve le troupeau, mais c'est un bien différent troupeau de celui auquel on participe tous les matins et après midi dans les embouteillages, c'est un troupeau non motorisé, où dans l'ensemble on ne se bouscule pas, on ne scande aucun slogan, on ne s'insulte pas, on semble très peu se maudire mutuellement, et au contraire, les échanges verbaux sont d'une autre nature. Une nature qui parfois pourrait plus rappeler le silence que le dialogue. On retrouve l'usage de certains vocables que l'on a tendance à oublier "attention", "pardon", "sur votre gauche", "ralentir". Les seuls cris que l'on entend sont de l'ordre de : "car back " ou "truck back", "keep right", cris d'avertissement, cris de sollicitude. Quelqu'un veille sur vous, sur votre confort, sur votre sécurité.
Donc, une retreat, qui peut-être prépare à une meilleure retraite, une retraite qui ne se jauge pas à la somme que l'on touche chaque mois ou que l’on aura péniblement et patiemment amassée, mais que l'on prépare par une autre forme d'investissement, investissement en effort physique, individuel, et, non moins, en effort collectif.
Cette sortie Alyn est une vraie « autre » manifestation. Autre au sens où l'entendait peut-être Lévinas, lui qui était préoccupé de société éthique et morale, lui qui voyait dans l'altérologie la vraie prophylaxie sociale. Atteindre des résultats pour soi-même par l'intermédiaire de la relation à autrui, par le biais de l'être-pour-l'autre.
Ce n'est pas une manifestation sportive, même si elle se fait par le sport, même si elle est – à mon humble avis de cinquantenaire et demi – bel et bien du sport. C'est une manifestation de soutien, non seulement des 600 cyclistes aux quelques centaines de malades traités à Alyn, c'est la manifestation des quelques 12000 personnes impliquées en coulisse dans l'effort .
C'est une manifestation dont certains diraient qu'elle est démobilisatrice. En effet, plutôt que de contraindre le gouvernement et les caisses de maladie à mettre l'argent requis à disposition des malades, et par l'intermédiaire du contribuable, voici que ces donateurs "prennent" (à moins qu'ils ne donnent ?) un raccourci, si ce n'est brisent une grève encore avant qu'elle n'ait été imaginée ou programmée.
Les donateurs ne cherchent pas à entrer en négociation avec qui que ce soit, "trésor" ou caisse de maladie ou d'assurance, à qui ils diraient :"un contre un" par exemple (je donne 1 si vous aussi donnez 1). Les donateurs donnent au vu des besoins et non en tant que revendication sociale.
Cela n'annule en rien les devoirs de la fonction gouvernementale, mais c'est une des richesses de l'éthique.
C'est aussi un des devoirs sociaux dictés à l'individu par la Torah.
Allez, je vous laisse. Le désert m’appelle. Je raconterai


9. Le sortir du trou!!!

Et comment on fait quand on a un copain de toujours qui se retrouve à pédaler dans la choucroute, lui qui habite sur les lieux mais qu’on a plutôt été habitués à voir fréquenter la bière ?
Même si le registre s’était un peu noircisé ces dernières années, même si en particulier les 17 dernières n’avaient pas été que teintées de rose, on pouvait voir de loin – et une fois l’an environ de près – que la route était tenue, que ça assurait. L’humour n’est pas toujours le signe que quelqu’un va bien, mais de quoi plus d’humour est-il le signe sinon du fait que c’est l’heure du branle-bas de combat, l’heure de sonner le clairon ???
Ce sont des situations où l’élément déclenchant se retrouve propulsé bien loin en arrière de la scène. C’est du présent, du tangage et du roulis qu’il s’agit !!
Qui va tenir la barre ? qui va assurer ?
Faudrait-il faire des tours de garde ? de réveil en douceur ? de conversation ? une collecte ?
Faudrait-il un combiné du tout ?
Je veux pas te savoir ainsi, au fond du trou. Je l’écris ici pour que ça s’entende –ou que ça se lise….dans l’espoir que toi aussi tu lises, dans l’espoir qu’on me réponde – que tu répondes ? - , et que, va savoir, ceci déclenche peut-être une dynamique ?
Ouvrir ici une chronique hebdomadaire ? crier jour après jour jusqu’à ce que quelque chose n’en sorte ? jeûner ?
J’appelle !



10. La réapparition de la pensée - une soirée à Jérusalem





Ecouter ce soir le professeur Moshe Halbertal était un véritable régal.
Enfin de la pensée de haut niveau, enfin un intellectuel qui est capable de s’élever au dessus du discours polémique et prédicateur, enfin quelqu’un qui réfléchit, quelqu’un qui sait mettre en mots la philosophie, quelqu’un qui explique comment le véritable enjeu des conflits intra-israéliens porte sur non uniquement l’avenir de la société israélienne mais sur l’avenir de l’identité juive, quelqu’un qui sait expliquer que le conflit international dans notre région est passé au niveau de guerre de religions.
Quelqu’un qui sait conceptualiser que dans une telle situation, au lieu de faire passer le dialogue du niveau relatif au niveau absolu : « c’est à moi parce que c’est la terre sainte, c’est à moi parce que c’est la vérité absolue du Tout puissant », ce qu’il faut c’est au contraire de faire passer le conflit du niveau absolu où il se trouve au niveau relatif, le niveau où on saura dire : « ce n’est pas parce que c’est saint que cela doit obligatoirement être à moi », celui où on saura se rappeler que la Terre n’appartient qu’au Créateur comme les Textes eux-mêmes le disent, celui où on saura se rappeler que la terre ne nous est pas donnée comme don absolu mais comme héritage de peuples qu’elle aura vomis, et que le moyen de ne pas se faire vomir nous mêmes par elle une troisième fois (la première fois en -586, la deuxième en +70 ) n’est pas de proclamer inlassablement ses droits à des assemblées de sourds, mais d’y faire régner la vraie justice.
Parlait quelqu’un qui sait comprendre et expliquer que la lutte à laquelle se livrent le peuple israélien juif contre le peuple palestinien ressemble au culte du dieu Molech, celui à qui on sacrifiait les enfants dans l’Antiquité, celui à qui on est en train de sacrifier plusieurs générations d’enfants des deux mêmes peuples.
Parlait quelqu’un qui sait redonner de l’espoir au citoyen, qui lui montre que son pays n’est pas seulement peuplé de beaufs brutaux et vindicatifs, chauffards et arrogants, mais aussi d’individus qui sont pleinement identifiés à la volonté de mettre la Torah et surtout ses valeurs au fondement de la société, individus dont on sent qu'ils ont la capacité d'amener la société au plus haut niveau d’éthique où il pourra se trouver et nous donner par cela l'espoir que nous ne serons pas vomis par cette terre.
La soirée avait pourtant commencé sur une note pessimiste, quand l’orateur, Pinhas Leiser, celui qui édite le livre (en compagnie de Tsvi Mazeh, et en souvenir de Gerald Cromer) en l’honneur duquel avait lieu la soirée, avait dit : « quand on me demande ces derniers temps comment je vais, je réponds : au niveau personnel, D. soit loué, au niveau collectif « que D. ait pitié de nous ».
En fait, rapidement il s’avéra que la soirée pouvait plus facilement ressembler à un enterrement qu’à la célébration d’une naissance ou d’une renaissance.
Ce n’était pas la fête de la réhabilitation de la pensée comme quand le Roi Osias, de mémoire tellement chère à Levinas avait organisé la renaissance de la Torah, c’était l’enterrement posthume du mouvement politique « Netivot Chalom », ce mouvement d’intellectuels religieux, la frange religieuse de Chalom Akhchav, qui s’était dressé au nom de l’éthique lors de la première guerre du Liban, cette guerre dont le triste tableau serait peint impitoyablement 27 ans plus tard par un film en forme de valse.
Ce soir là, malgré tout, on fêtait la publication d’un livre important, de très haute qualité intellectuelle. Un livre qui devra être traduit en français, un livre dont le titre en hébreu est à lui tout seul un poème : « drichat chalom », qui est un jeu de mots signifiant tout à la fois « bien le bonjour », « meilleurs vœux de paix » et « exigence de paix », sermons orientés vers la paix. Le livre est la compilation d’articles écrits à la petite semaine pendant 13 ans par des intellectuels religieux de gauche pour une feuille de chou synagogale au titre non moins évocateur : « chabbat chalom », autre jeu de mot, évoquant qu’ainsi on se souhaite un bon shabbat dans la communauté juive, mais qu’ainsi aussi on devrait considérer le shabbat : comme la valeur d’où peut et doit émaner la paix pour la région, la paix pour le monde.
Le deuxième orateur, Professeur Menahem Lorberbaum, à la tête de l’éminente école de philosophie de l’université de Tel Aviv, s’évertua à expliquer comment notre jeune société se comporte anachroniquement, comme une société qui n’a pas encore assimilé qu’elle n’est pas une communauté juive provinciale, qu’elle se doit de se gérer comme un pays, et non comme une synagogue, qu’elle doit se doter d’une constitution, chercher le pluralisme et non le monisme, se mesurer aux impératifs et non les éluder.
Que de beaux discours ! que de belles paroles qui faisaient se lécher les babines aux vivants comme aux morts, au professeur Ouriel Simon, dans la salle, et parmi les piliers de la création du mouvement il y a 30 ans, et à des Levinas ensevelis depuis bientôt 20 ans dans leur dernière demeure !
On parla ici – mais sans se référer à l’auteur de la formule - de « terre promise et non terre permise », on parla de « peuple élu non comme héritage et/ou distinction de noblesse mais comme tâche. On cita le chapitre 7 du prophète Jérémie dans lequel il admoneste le peuple de faire régner la justice avant les privilèges, on cita les passages de la Bible où elle rappelle qu’il faut respecter l’étranger qui est dans nos murs, on rappela que le pays d’Israël n’est plus l'asile d'une bande de refugiés menacés de disparition, mais une super puissance, une super puissance qui ne se comporte qu'à moitié joliment, et par exemple en méconnaissance de la notion de frontières à tous les sens du terme, frontières du droit international, et de limites du comportement et du discours, peut-être par perpétuation maladive d’un traumatisme éternel de la sensation de menace existentielle.
Devant combien en parla-t-on ?
Devant les 70 personnes de ce pays capables aujourd’hui d’être concernées par ce discours…les autres se partageant entre le judaïsme ultra-orthodoxe , l'ultra-nationalisme confinant parfois à la paranoïa, la pêche à la ligne, le judaïsme laïque séculaire et intéressé avant tout à l'aisance économique, au développement du high tech et des techniques d’armement les plus sophistiquées, et le « panem et circenses »....ou encore juifs religieux, modernes, progressistes, et cependant indifferents a de tels discours ou trop desabuses.
Lisez ce livre vous qui lisez l’hébreu, attendez patiemment la traduction vous les francophones. Lisez et réfléchissez. Vous y constaterez que vous n’êtes pas les seuls, que la pensée n’a pas quitté la région. Il ne reste plus qu'a lui retrouver un public.



11. Au sujet de la maturité identitaire



L'identité est une vaste question, que l'on ne saurait traiter en quelques lignes – et d'autant plus qu'existe pléthore d'ouvrages sur le sujet – mais en cette nouvelle flambée internationale autour du problème israélo-palestinien, il me parait indispensable de revenir sur cet aspect du problème.
Le mot identité renvoie à identique et il qualifie la capacité (ou l'incapacité, ou le mouvement vers la capacité) à savoir à quoi on est identique, de quoi/de qui on veut être semblable, à qui on souhaite ressembler, ou de qui on souhaite être différencié.
La route vers la maturité identitaire comprend de nombreuses étapes, depuis les plus primaires où l'enfant a tout d'abord à faire la distinction entre "moi et non-moi", en passant par l'adolescence où il devient capital de faire savoir qui nous sommes, qui nous ne sommes pas (avec relations à telle ou telle musique, tel ou tel groupe social et y compris pour le positionnement sur le spectre politique – plus vers la gauche ou la droite, pour telle ou telle forme de pouvoir, de résistance au pouvoir).
C'est l'occasion de la rencontre avec les questions de "double allégeance", juif d'abord français d'abord?, c'est au fondement de célèbres slogans tels "nous sommes tous des juifs allemands", ou dans le rattachement à telle cause internationale (lutte contre apartheid ou autre).
Pour les juifs depuis la création de l'état d'Israël, cela comprend – au point d'emplir la tête presque à ras bord, le cœur presque à la nausée, l'esprit presque à l'insomnie – la question israélo-palestinienne. Qui sommes-nous ? qui sont-ils ? sommes-nous ici par héritage? sont-ils à nos côtés? nos ennemis?
Où est la maturité?
L'adolescent considère ses définitions identitaires sociale et politique comme le sommet de la courbe, comme ce qu'il doit atteindre, et il les exprime à grands renforts d'affirmation et parfois d'agressivité, et les adultes savent que l'adolescence est une étape, et que la vie comprend d'autres étapes.
S'identifier consiste à reconnaître notre égal, et il est on ne peut plus naturel que cela passe par la reconnaissance de notre rival, parfois notre ennemi.
La phase de maturité consiste à dépasser le stade de l'affirmation réactionnelle, de l'agressivité. La phase de maturité consiste parfois à revenir vers celui en marge de qui on se définit, à dépasser le stade de son ostracisation, et à devenir capable de ne plus uniquement le fustiger ou le menacer.
La première phase de cet aboutissement de la maturité consiste à réussir à le reconnaître différent sans pour autant être obligé de le définir ennemi, et peut-être y a-t-il encore une autre phase qui doit être celle de la capacité à le reconnaître ennemi sans pour autant perdre les acquis de la phase précédente.
Ces acquis relèvent du chapitre incontournable de l'éthique. Si on a ainsi défini l'éthique, comme vouée à la réponse à la question que m'adresse mon interlocuteur (à la différence de la philosophie vouée à la réponse à la question que je me pose moi-même), si on définit l'éthique comme la discipline par laquelle je tente de perfectionner ma relation à l'existence d'autrui (par contraste avec la philosophie qui est la discipline qui doit m'aider à perfectionner la réponse aux questions existentielles que je me pose), alors le stade ultime de la maturité identitaire consiste à prendre sur soi la responsabilité de la relation à autrui.
A ce chapitre, il importe de maîtriser son langage et ses impulsions. Les juifs, israéliens en particulier, ont un examen très difficile à passer dans l'application de ceci à leur relation aux arabes, face auxquels ils sont encore situés, contre lesquels ils se sont habitués à se définir.
De qui va dépendre l'issue? L'issue d'une relation duelle repose sur les deux parties, mais l'éthique me commande de prendre mes responsabilités quant à la relation.
Les arabes ont ainsi essayé de s'opposer par de nombreuses voies à l'établissement et à la création de l'état d'Israël, parmi elles le terrorisme.
Le terrorisme consiste à utiliser la violence et à l'adresser de façon aveugle contre des populations civiles, et l'israélien moyen n'a pas besoin d'illustrations, sa mémoire peut lui fournir une longue liste d'exemples et de plaies non encore cicatrisées.
Par contre, quand une population s'oppose à des représentants de l'ordre ou à des soldats, il devient grave – ou au moins inexact, si ce n'est peut-être immature - de qualifier la situation de terrorisme. Même si les militants embarqués sur la flotille en route vers Gaza et arraisonnée par l'armée israélienne n'étaient pas tous des pacifistes, même si certains étaient montés sur les bateaux avec l'intention préalable d'en découdre, même si certains étaient animés de l'intention extrémiste de mourir en chahids, cela ne fait pas d'eux des terroristes, et les assimiler à des terroristes peut causer énormément de tort au niveau d'humanité auquel Israël a pour vocation éternelle de s'élever.
Un arabe qui vient faire exploser une bombe ou même poignarder aveuglément dans un autobus est un terroriste. Un arabe qui tente d'agresser un soldat israélien qui l'arrête à un barrage n'est pas un terroriste. Il s'identifie peut-être au terrorisme, et il est peut-être même identifié à l'islamisme, mais en l'espèce, il est un résistant aux forces de l'ordre. Si nous représentons la force en question, la responsabilité de la considération de cette force par celui qui la subit nous incombe à nous, en premier comme en dernier lieu.
Nous avons ainsi apporté à l'humanité le thème du respect de l'étranger, de l'individu différent qui vit dans nos murs, étranger que nous aurions appris à respecter du fait de notre expérience d'esclavage en Egypte.
Nous n'avons été, au cours des 2000 dernières années, que nous-mêmes les étrangers, les minoritaires, et nous avons acquis de nouveaux – malheureux - titres du fait de la souffrance que cela nous a occasionné.
Aujourd'hui, il est impératif que nous prenions tous conscience que la situation a changé. Il y a bientôt 8 millions d'habitants en Israël, il n'y a plus de "petit état" à ses premiers balbutiements. Nous avons le lourd privilège de ne plus être étrangers mais au contraire d'avoir la responsabilité, d'être aux commandes. Nous sommes un état fort aux plans économique, technique, scientifique, médical, intellectuel – et certains ont même récemment loué publiquement notre démocratie - et il est indispensable que nous ne demeurions pas en reste au plan éthique, plan qui est la pierre d'angle de notre identité.
Faut-il rappeler qu'Avraham n'est pas tant notre ancêtre génétique que celui dont le comportement est le fondement de l'identité juive?
Nous sommes passés de la situation du David berger au roi David, au David chef d'état. A nous de ne pas devenir Goliath. C'est notre identité, notre maturité identitaire qui est en jeu. C'est celle que nous lèguerons, l'image que nous laisserons de nous.


12. Yom Haatsmaout 2010





D'où me viennent ces démangeaisons ? de l'allergie saisonnière ? en somatisation réactionnelle de la lèpre qui est au centre de la paracha lue avant-hier dans la Torah ? de l'échéance annuelle ?
J'écarterais immédiatement l'allergie saisonnière. Les troubles somatisés sont à mon avis accompagnés d'une intense charge émotionnelle, ce qui les rend plus difficiles à supporter et à calmer, et ils sont aussi plus naturellement conceptualisables.
Donc, le lien entre Yom Haatsmaout et la lèpre est notre sujet.
Il faudrait peut-être interroger les habitants de pays récemment créés sur le sujet. Est-ce qu'eux aussi vivent chaque anniversaire de la naissance de leur pays comme un examen de conscience collective ? est-ce qu’aussi chez eux, on ne peut allumer la radio, la télé, ou ouvrir un quelconque média sans entendre questions, interviews ou opinion sur ce sujet ?
Les causes de ceci seraient-elles la politique internationale ?
Pas comme cause première en ce qui me concerne. Je suis bien conscient que le regard des nations sur Israël et en particulier sur la légitimité de son existence est loin de me laisser indifférent, et cependant, je ne crois pas que ce soit ce regard, ces déclarations de dirigeants, de journalistes, ou ces talkbacks des médias français qui me replongent ainsi année après année pendant quelques semaines dans ces pensées récurrentes relevant comme écrit plus haut de l'examen de conscience collective.
Le primum movens est chez moi ailleurs. Je ne me pose aucune question quant à ma décision de m'installer en Israël, surtout en relation à ses alternatives. J'ai déjà écrit à plusieurs reprises quela France est pour mon identité personnelle et familiale au pire un accident de parcours, au mieux un bilan non entièrement négatif du fait de l'enfance et de l'adolescence que j'ai eues et du fait de la culture de laquelle cela m'a permis d'être imprégné (même si je déplore que cela ait été au détriment d'autres éléments – de la culture juive - que j'aurais préféré pouvoir avoir intégré dès la prime enfance).
Je suis attaché aux amis avec lesquels cette enfance et cette adolescence m'ont permis de me lier, j'ai toujours vécu en parallèle de cela qu'être juif en France me confinait à la sensation perpétuelle d'être semi-étranger, d'être décalé, et il était impératif pour moi de rectifier la situation.
Je ne suis aucunement venu en Israël dans l'idée d'en découdre, dans la conviction qu'il fallait reprendre cette terre qui nous appartient, qui serait plus à nous qu'aux arabes qui s'y trouvent.
Je suis venu m'installer dans la conviction que cette terre est la terre du peuple juif, comme en attestent quelques 1300 années de présence sur elle, et que si les circonstances historiques ont mis une interruption de 2000 ans à cette situation, ma chance est d'être venu au monde à une époque où le rétablissement de cela est possible.
Je sais que le retour à Israël a toujours été comme partie intégrale du vécu dans ma famille polonaise : mes grands parents maternels sont partis en 1924 de Pologne dans l'intention de s'installer ici. Ils étaient mus par le courant sioniste dans le sillage de Hertzl mais qui ne venait – pour eux en tout cas – qu'apporter la possibilité de concrétiser le vœu ancestral, répété de Pessah en Pessah avec semble-t-il une foi inébranlable : l'an prochain à Jérusalem.
Ce rabbin Moshé Ben Haïm Pisanté, auteur de quatre ouvrages qui ont traversé les siècles, qui vivait à Jérusalem en 1520, était vraisemblablement arrivé ici suite à l'expulsion des juifs d'Espagne, peut-être lui aussi mû par le même esprit. J'ignore si j'ai un quelconque lien familial avec lui, mais je me sens paradoxalement plus dans la continuité de son histoire que dans celle du peuple français, quelque soit l'admiration que je puisse avoir pour la révolution française et les droits de l'homme, pour les courants intellectuels que cette mouvance historique a originés ou soutenus.
Son histoire, telle qu'elle apparaît au travers de ses écrits est celle d'un individu hautement mobilisé par la concrétisation de ce message véhiculé depuis l'Antiquité par la Bible, le talmud, le midrach et leurs commentateurs.
Pour moi, Lévinas vivait à Paris, était imprégné de culture européenne et française reçues aux sources les plus prestigieuses de l'Europe, mais ne vivait, n'oeuvrait et n'écrivait que dans l'axe décrit plus haut. Sa préoccupation majeure était la mise en application du programme de société prôné par la Torah – écrite puis modulé par la tradition orale - , programme qu'il considérait, à la suite de grands personnages tels Avraham, Moïse, Ezra, Yohkanan Ben Zakkaï, Maïmonide ou le Rav Kook, comme le mieux inspiré, le plus avisé qui ait été prôné jusqu'à aujourd'hui pour l'humanité.
Il est par ailleurs malheureusement une sorte de triste réalité que le décalage soit de tous temps resté énorme entre les intentions et leur réalisation. Les rois David et Salomon, Ezéchias et Osias, ont-ils été ceux qui se sont le plus mesurés à cela ? on serait poussé à en être convaincus à la lecture des textes traditionnels, on serait poussé au contraire par les brillants analystes historiens de notre siècle, consciencieusement animés par l'esprit critique et la remise en question. Selon certains d'entre eux, rien de tout cela n'aurait existé. Le roi Salomon n'aurait pas plus régné que le roi Mathias 1er de Janus Korczak et la sortie d'Egypte n'aurait eu une réalité que du jour où Cecil B. de Mille en fit un film. Jusqu'alors, mythes et légendes.
C'est d'ailleurs ainsi que cette histoire était véhiculée lors de mon enfance par l'éducation nationale française. Les hébreux étaient un peuple de l'antiquité, à considérer au même chapitre que la mythologie grecque ou égyptienne. Pour la conscience collective européenne, ces hébreux étaient morts et enterrés, et venir se réclamer de leur héritage était absurde. Les juifs venaient de se faire exterminer par millions mais les éléments étaient comme dissociés. Le français moyen n'a aucune conscience de cette pérennité du message dans la conscience juive. Cette pérennité semble contraire à toute logique. Qu'elle provoque quelques mouvements collectifs comme le retour des habitants de Belmonte au Portugal au judaïsme n'entame nullement cette conscience collective. Les français eux-mêmes possesseurs d'habitudes ancestrales beaucoup plus locales que religieuses ou enracinées dans un quelconque texte, les français pour la plupart catholiques, c'est-à-dire rattachés à une religion essentiellement spirituelle et dépourvue de rite de vie autre que ce qui est directement religieux ou relatif à l'église, sont apparemment pour beaucoup d'entre eux incapables de concevoir que tel attachement existe. Les habitants de Belmonte, et avec eux s'avère-t-il, énormément de portugais, maintenaient des rites domestiques marranes-clandestins depuis l'Inquisition, c'est-à-dire depuis 500 ans.
Les juifs d'Europe, ou des autres pays du monde où l'antisémitisme avait été moins féroce que l'Inquisition, avaient gardé, outre les pratiques, les livres et la capacité de les lire et de les étudier. Les européens ou autres peuples qui ont assisté à la re-naissance de l'hébreu n'ont pas conscience que cette langue n'était jamais devenue une langue morte, n'ont aucune conscience que les commentaires de Rachi sur le texte biblique avaient pu être rédigés à Troyes en 1080 en hébreu, que la littérature – considérable de par sa taille – de questions-réponses adressées aux rabbins de toutes les époques et de tous les lieux du monde ait été constamment écrite en hébreu.
Eliezer Ben Yehouda a réinstauré la langue dans le jeune état juif mais il ne l'a nullement ressuscitée. Les 7 millions d'habitants de ce pays qui la parlent, l'écrivent, la lisent, la chantent, l'enrichissent au jour le jour, ne la vivent pas comme une option. C'est leur langue.
Le problème est de la suite du programme. Combien possèdent aussi le contenu et non uniquement l’emballage ?
Combien d'habitants de l'Israël de 2010 voient en cette dernière un pays que la richesse de la Torah puisse ne serait-ce qu'inspirer ? combien ont conscience de cette richesse ? combien sont portés par la possibilité de puiser dans les textes de la tradition matière à mettre en place une société meilleure au plan de la justice ou de la morale ?
Très peu si on parle en pourcentages, mais énormément plus qu'à toute époque de l'humanité si on parle en chiffres. Il existe en Israël aujourd'hui grand nombre de situations problématiques, énormément de problèmes sociaux et politiques, il ne manque pas d'exemples qui soient de nature à inquiéter. En parallèle, le pays fourmille d'individus, pour certains organisés en associations, pour d'autres seulement affiliés ou sensibilisés à des courants dont cette préoccupation est la raison d'être.
Ce dernier phénomène tant par son existence que dans son ampleur n'a jamais existé. Ce n'est que depuis qu'existe l'état d'Israël que des groupes d'individus ont un programme de vie concrètement rattaché à ces questions de la moralité du pays, de l'actualisation à tous les plans de la société des thèmes contenus dans la Torah. Compte tenu de l'Histoire et de la démographie, jamais le peuple juif n'a pu avoir autant de gens auxquels ces sujets sont importants, dont ces sujets sont le quotidien ou même l'hebdomadaire.
Lévinas enseignait la paracha de la lèpre dans cette optique. Il ne s'attardait pas à se poser la question de la similitude ou de la différence entre cette maladie depuis longtemps éradiquée en Europe et ce que décrit la Torah. Il ne voyait pas le texte qui mentionne la lèpre des vêtements ou des maisons comme le signe qu'il faut le reléguer au rang des croyances primitives, il ne supposait pas un instant qu'il puisse être dans ces textes question d'un quelconque tabou que notre modernisme aurait dépassé depuis longtemps. Il s'autorisait, comme ceci le caractérisait d'un bout à l'autre de son apport, à se confronter au texte, étant entendu qu'il ne pouvait le prendre qu'au sérieux. Un texte qui traverse ainsi les millénaires, que l'on lit, etudie et interprete semaine après semaine n'est pas un texte enfoui dans une jarre qui refait soudain surface après avoir été enterré mille ans. Ce n'est pas un texte qui a été ânonné sans être compris, ayant été écrit dans une langue morte et inaccessible au peuple. C'est un texte qui a non seulement été compris, mais aussi longuement et constamment étudié, et non au titre de document archéologique.
La tradition orale ne voit aucun lien entre la lèpre de la Torah et la maladie soignée par mère Théresa. Il ne fait aucun doute parmi les étudiants de la tradition que la lèpre des vêtements et la lèpre de maisons ne sont pas un archaïsme ou une preuve du primitivisme de la Torah, mais qu'elles sont une sorte de somatisation sociale. Elles sont l'expression d'une conviction – probablement concrétisée à outrance et pour des motifs à être développés – que le mal social s'exprime et se voit.
La lèpre de la Torah est l'expression du niveau de santé de la société en tant que société. La Torah véhicule une conviction d'indissociabilité entre le niveau moral des individus de la société et la phénoménologie de celle-ci.
Il est souhaitable que l'approche de Yom Haatsmaout "démange". Il est impératif que nous continuions à être préoccupés et que la santé de la société israélienne s'améliore, soit encore meilleure que ce qu'elle est aujourd'hui. Cela doit nous démanger parce que cette préoccupation ne peut pas n'être qu'optionnelle, et en ce sens Yom Haatsmaout est un examen de conscience collectif. Il appartient à chacun de nous, qui vivons ici, de réussir cet examen, année après année.


13. Poulbot, Dosh et mes enfants - texte rappatrié de la page copains d'avant





Voici que poussé dans mes retranchements par mes nombreux lecteurs, je suis sommé d'expliquer les positions pour le moins tièdes que j'ai exprimées vis-à-vis de la France. Comme si ce texte aurait dû avoir pour titre "la France et moi".
Un titre intéressant ? un sujet intéressant ? un sujet conflictuel ça oui. Comme je l'annonce déjà sur la page de garde de ma fiche copainsd'avant, je me qualifie plus comme ayant quitté la France que comme y étant rattaché.
Par ailleurs, bien qu'étant pratiquement parfaitement bilingue, mon accent français – même s'il n'est pas si prononcé que cela – me trahit invariablement dans toute situation sociale où c'est l'hébreu qui est de mise.
Je suis arrivé en Israël et n'ai pas hébraïsé mon prénom, alors que beaucoup le font, alors que cela m'aurait été d'autant plus facile que je sais depuis la plus tendre enfance que je n'ai été nommé Jean qu'en traduction française du véritable prénom qui avait été choisi par mes parents. Seulement voilà, je ne me retourne pas dans la rue à l'appel de Yokhananne. J'y ai "gagné" qu'après avoir été Jean pendant les 26 ans de ma vie en France, je suis devenu Jeanne depuis : l'israélien moyen ne sait pas prononcer les diphtongues, il a donc à son registre Jo – quand il fait beaucoup d'efforts – et Djeanne dans la situation la plus courante.
L'immersion dans une culture est un long processus et même quand on se sent déjà "dedans", on ne l'est pas encore forcément, et surtout au regard des autres. Ceci fait que cet état d'immigrant nous colle encore à la peau, mais de façon très évolutive, beaucoup moins qu'il y a 20 ans, de moins en moins au fil des jours et des expériences.
C'est précisément ce dernier paragraphe si ce n'est ce dernier mot qui est la clé de l'ensemble. Notre vécu est de plus en plus israélien, par les expériences, par le quotidien, et par l'assimilation lente de la culture. Expériences violentes telles que service militaire (j'ai été mobilisé par l'armée plusieurs jours chaque année entre 1983 et 2005, notre quatrième enfant en est actuellement à 7 mois des trois ans qu'il va passer à l'armée, et les trois autres ont eux aussi été soldats : avoir des enfants soldats conscrits – avec tout ce que cela implique vu le conflit interminable au sein duquel nous sommes immergés – pendant plus de 16 ans jusqu'à ce que nous ayons bouclé la boucle ; ils feront eux aussi ensuite des périodes militaires chaque année…jusqu'à l'âge de 40-45 ans). Expériences passives telles que savoir au quotidien que la ville de Sdérot est sous le feu des roquettes du hamas, expériences semi passives telles que la seconde guerre du Liban en 2006 ou la guerre du golfe en 1991 où nous ne sommes pas directement bombardés mais où nous vivons à ce rythme le temps que cela dure, expériences plus proches de tel ou tel proche ou semi proche dont la guerre touche la vie – cueille la vie de plein fouet..Expériences plus actives encore, d'implication politique dans tel ou tel mouvement, dans tel ou tel effort d'intégration de juifs russes ou ethiopiens ou dans telle ou telle opposition à un processus ou à un autre (désengagement de 2005 par exemple), enfin, non moins importantes, expériences de vécu affectif très marquant, telle que l'élection de tel ou tel parti, ou encore le vécu de telle ou telle manifestation politique ou culturelle.
Et le quotidien, qui n'est pas seulement formateur au rythme de l'actualité locale (les roquettes de Sdérot !!!…), mais qui l'est aussi par l'écoute des informations et des émissions de la radio et de la télévision israélienne, des sites internet israéliens, par les rencontres, que ce soit à l'épicerie (y a-t-il encore des épiceries ?), au travail, ou dans des quelconques situations de parents d'élèves, rencontres qui sont avant tout en hébreu, au rythme et au mode israélien, quotidien formateur encore par la découverte progressive de toute une culture, chanteurs, écrivains, comiques, réalisateurs, acteurs, peintres, poètes.
En parallèle de cela, même si la langue spontanée d'appréhension, de métabolisation et de digestion de tout cela reste le français, l'éloignement de la source produit ses effets. On ne parle pas et n'écrit pas encore le français de la Louisiane, mais les expressions nouvelles du français nous parviennent avec un certain retard, doivent dans un premier temps nous être presque "traduites" pour que nous les absorbions, et nous parlons le françbreu sans effort depuis déjà longtemps. Hébraïsmes, insertions constantes d'un mot par-ci par-là.
Nous devons faire des efforts pour savoir qui est en poste de tel ou tel ministère français, nous sommes depuis déjà très longtemps exclus de facto de la lecture du "canard enchaîné", le journal qui exige le plus de dominer l'actualité pour en comprendre les différents articles et dessins. Plus encore, toute cette actualité nous concerne de moins en moins. Ça a été progressif. Au départ c'est tributaire d'un choix, mais les années se succédant aux années, ça devient surtout une réalité. Il y a peu, nos amis français nous engageaient à participer aux élections présidentielles françaises. Outre le réflexe d'une réponse lapidaire comme : "si je suis dispensé d'avoir à choisir entre le Charybde de Chirac et le Scylla de Le Pen, pourquoi voudriez-vous que je vote ?", c'était bien de réalité qu'il s'agissait. Quelle logique y a-t-il à ce que je participe à l'élection de l'un plutôt que l'autre ? Leur impact sur moi est tellement mineur, et mon implication est tellement ailleurs que ceci n'a pas vraiment de sens.
Il reste deux chapitres majeurs à cette réflexion. L'un est l'amitié l'autre la culture.
On va traiter de l'amitié en premier, elle le mérite par tous les aspects ( y compris l'ordre alphabétique dirait Le Chat). Qu'aucun de mes amis-amies, anciens élèves, membres de ma famille ne soit blessé de ce que j'écris ici ou de ce que j'ai écrit dans "google et moi"( c'est le premier texte que m'a censuré copains d'avant. Et le pire est que je ne l'ai plus nulle part...) . Plus que les aimer, je les calcule comme on dit chez eux. Ils comptent pour moi, et on pourrait même ici utiliser l'adverbe énormément. Je garde contact avec les uns, fantasme avec certains autres, nostalgise beaucoup de lieux, de souvenirs, mais tous ceux-ci ne sont pas "la France". Ils sont mes amis et mes souvenirs et ils le restent inconditionnellement. Ils sont la principale raison de la place que conserve le français dans mon cerveau, dans mon quotidien.
La seconde raison de la place occupée par cette langue est la zone frontale du même cerveau. L'hébreu s'écrit de droite à gauche, et un cerveau qui s'est formé et formaté dans l'autre sens met plusieurs décennies à équilibrer. Je parcours aujourd'hui beaucoup plus facilement une page en hébreu en diagonale qu'il y a encore dix ans, mais je continue à faire ceci en français ou en anglais ou même en espagnol beaucoup plus rapidement. La lecture d'un livre, d'un journal n'exige ainsi pas seulement de dominer le vocabulaire et la syntaxe de la langue, elle exige aussi la capacité de balayer. Pour l'hébreu, c'est balayer à l'envers. Celle-ci s'instaure petit à petit et les progrès sont constants, mais comme je l'ai dit c'est un processus qui se compte en décennies. Encore aujourd'hui je n'ai besoin d'aucune énergie pour parcourir un magazine écrit en français, dont la lecture m'est naturelle sinon "osmotique", et j'ai par contre l'impression de consommer quand ce n'est pas de brûler des calories quand je fais la même chose en hébreu.
Et la culture. Les écrivains français, les dates de l'histoire française me sont incomparablement plus familières que ceux ou celles de quelque culture que ce soit…et d'une certaine manière, je le déplore. Ai-je aimé Léo Ferré, Brassens, Boris Vian, Maurice Leblanc, Goscinny, Brétécher et même Zola, Victor Hugo, Molière, Larousse et encore de nombreux autres ? énormément. Me sont-ils importants aujourd'hui ? Voyons plus loin. Ai-je besoin de Rabelais, de Boileau, de Montesquieu, de Houellebecq ou même de Léo Mallet - y compris dessiné par Tardi ? probablement peu. Ai-je besoin de Robespierre, de Gide, de Céline, de Marcuse ? encore moins. Comme d'une guigne, plutôt. Ai-je un quelconque bénéfice à savoir même à 2 H du matin, extrait du plus profond sommeil, en quelle année François Ier a combattu à Marignan ? Nullement.
Et par contre j'ai un immense retard à rattraper en matière de la culture israélienne et de la culture juive. J'ai beau avoir étudié les textes bibliques, les textes de la loi orale et même des textes de littérature hébraïque moderne depuis mon plus jeune âge, il me reste dans ce domaine les lacunes les plus étendues que je puisse ressentir aujourd'hui. C'est vis-à-vis de cette culture que je ressens le plus énorme passif et un non moins grand retard à rattraper (j'y travaille mais la tâche est lourde et le fromage blanc gagne de plus en plus sur la matière grise). Si je dis que j'ai été formaté chez Jules ferry, cela n'est ni plus ni moins qu'un état de fait. Je ne me sens aucune dette par rapport à cela vis-à-vis de qui que ce soit, et je crains n'avoir aucune dette de cela vis à vis de personne. Je me suis acquitté de ma dette. Au prix fort. Si je considère que mes sources sont plus turques ou plus polonaises que françaises, c'est aussi un état de fait. Et c'est un état de fait historique et culturel. Historiquement, ma famille a passé énormément moins de temps en France que dans ces deux autres pays, et même qu'en Israël.
Et l'espèce humaine étant ce qu'elle est, la xénophobie la caractérisant généreusement, les français ont une main qui accueille, au nom de la générosité et de la gentillesse, au nom des droits de l'homme et de l'idéologie de terre d'accueil, mais aussi une main qui repousse ou qui dénonce. Le bilan global reste bon, meilleur que beaucoup d'autres pays où la xénophobie, où l'antisémitisme sont plus forts, mais la main qui dénonce, qui n'accueille pas, le regard de travers jeté à qui porte la kippa sont des données, non des hypothèses. Chez moi, elles comptent aussi. Il ne manque pas en Israël non plus de xénophobie. Notre voisine du rez de chaussée exprime ouvertement du profond de sa cervelle d'oiseau que les juifs de France devraient y retourner. Les étudiants et les professeurs de mon année en 1981-1985 à la noble université hébraïque de Jérusalem n'ont pas fait un geste pour m'accueillir et m'intégrer, et ceci probablement du fait d'un regard plutôt circonspect qu'encourageant sur cette démarche sioniste et bizarre dont j'étais l'anachronique représentant à leurs yeux. Et donc, ce n'est pas la France que j'assimile à cette tendance universelle, mais c'est cette tendance qui me fait adopter la position que j'ai vis-à-vis de la France. Car si ma démarche d'alyah a paru étrange à certains, elle ne remet en question que chez ma voisine – et encore – la légitimité indiscutable pour l'écrasante majorité des israéliens reconnue à tout juif à recevoir automatiquement sa nationalité israélienne.
Un poème israélien exprime que "nous n'avons pas d'autre terre", et cela a été porté au niveau de devise presque nationale, parce que c'est bel et bien une réalité. Dans les années 20 les murs européens étaient couverts des graffiti "les juifs en Palestine" et ceux qui les écrivaient étaient les grands parents de ceux qui écrivent aujourd'hui "les juifs hors de Palestine" et qui pensent "mais à condition qu'ils ne reviennent surtout pas chez nous". Les uns comme les autres s'entendent sur le fait que la France appartient aux français et que les juifs ne comptent pas parmi cette catégorie. La loi n'est pas de cet avis et je suis français ainsi que le sont devenus mes parents et mes grands parents, mais le message implicite de trop de français n'est en rien équivoque, et probablement à juste titre.
Le judaïsme exige de l'individu et de l'entourage de l'individu beaucoup d'actes, dont de nombreux qui entrent en collision avec la laïcité française, et encore plus avec la chrétienté qui reste très prégnante en France.
Les arabes ne reconnaissent pas tous - loin s'en faut – aux juifs le droit d'avoir re-créé un état juif en Israël, mais outre cette question de la légitimité et des racines bibliques, il n'existe aujourd'hui aucun pays à part Israël dans lequel pratiquer entièrement son judaïsme ne provoque aucune collision essentielle et existentielle.
La France ne peut ainsi être qu'une période, qu'une étape pour quiconque a décidé de mettre son judaïsme en tête des valeurs auxquelles il est identifié. Elle est une formidable terre de villégiature, de loisirs, d'accueil, de vacances, de séjour.
Me revendiquant de la France, je ressemblerais au vacancier qui s'est petit à petit acheté son "home sweet home" à Palavas les flots et qui se sent entièrement autochtone lors de ses séjours estivaux. Il feint d'ignorer ce que l'on pense de lui le citadin, le "pointu", et surtout la réalité qui est que sa présence n'est que temporelle, partielle. S'étant rallié au camp de ceux qui s'imaginent que la possession est déterminante, il fonde son identité sur son vécu immédiat et au prix des oeillères qu'il s'impose de porter.
Mais si j'adhère à beaucoup des valeurs que j'ai reçues en France, ce n'est pas elles qui constituent mon identité. Ce ne sont ni celles qui en sont au fondement ni celles sur lesquelles je souhaite faire reposer cette identité. Par contre, ce sont Avraham, Moïse, Salomon, Rabbi Yokhanan Ben Zakkaï, Rabbi Ishmaël, Ben Azzaï, Lévinas, Monsieur Chouchani, Manitou qui sont aux fondements de mon identité. Et j'ai des choses à faire pour que les écrivains, les poètes, les réalisateurs israéliens soient encore plus enracinés dans cet énorme – à tous les sens du mot – bagage culturel qu'est la bibliothèque du peuple du livre. J'ai appris chez Chouchani transmis par Lévinas que c'est en soufflant sur les parchemins poussiéreux que l'on fait se rallumer les braises et dans la foulée les flammes du texte qu'ils recèlent, j'ai appris aux mêmes sources à déceler la pertinence actuelle et séculaire de textes millénaires, j'ai appris chez Manitou que l'homme (et la femme) hébreu a effectué un détour par l'identité de juif durant 2000 ans d'exil et qu'il a énormément de valeurs à faire revivre, à renouveler, à répandre lors de sa métamorphose de retour. C'est un extraordinaire challenge que de redonner à quelques rites issus de volumes poussiéreux illisibles pour le commun des mortels la dimension de fondements d'une société, d'une constitution et d'une identité au sens le moins étriqué du terme qui soit. C'est ainsi que je le ressens, et c'est ainsi que je le souhaite pour moi et pour mes descendants.
Je pense que nous devons chercher profondément les racines de notre identification et cela relègue la position réactive au second voire au troisième plan. Notre identification doit découler du vécu et de ce qui alliera ce vécu à la tradition, au souvenir, au futur.
Ai-je un futur à Palavas les flots ? y aurait-il quelque chose à construire pour moi au chapitre identitaire dans le creuset français ? Plus je creuse, plus je risque de m'embourber. Plus je rattache mes enfants à ce terreau, plus j'accrois le risque de voir s'éteindre en eux la judéïté. Durant quelques générations, on réussit à maintenir un équilibre, mais au prix de quelles illusions, de quelle cécité, de quelle attention sélective ? Passé quelque temps, le choix ne s'impose même plus, il s'opère.
Ici, le challenge n'est pas encore du passé, et la tâche est loin d'être facile. Mais si je tombe par terre, je ne souhaite pas que cela soit la faute à Voltaire. Et je vis désormais dans un pays sans ruisseaux, dans lequel on peut probablement se passer de Rousseau.
Le petit personnage de bande dessinée de Dosh a remplacé Poulbot, les gashashim ont remplacé Bernard Desproges, et Mashina et tous les autres la place de la chanson française dans les oreilles. J'ai beau – on a beau – faire des efforts pour que les enfants restent attachés à toute cette culture, c'est nager à contre courant, et je pense que pour eux, il faut au contraire avancer en fonction du courant. Et ainsi, leurs racines seront probablement un peu la France et le français, mais la France ne leur ayant rien apporté en matière de leur identité juive, il est possible que les racines turques (séfarades) ou polonaises (ashkénazes) subsistent en eux plus longtemps, leur apparaissent plus pertinentes que le souvenir que leur aura laissé la France à travers la nostalgie, les amis et la bibliothèque/discothèque de leurs parents.



14. Du juif à l'hébreu



Un cours très interessant de rav Yaakov Medan sur la paracha Lekh Lekha met en exergue une controverse entre rabbins de l'époque amoraïms sur la punition qu'aurait reçu Avraham (Nedarim 32a) suite à son dialogue avec D. Avraham se retrouve ainsi confronté à une famine et contraint de partir pour l'Egypte et c'est en contraste avec la promesse qui vient de lui être faite, et il faut donc en déduire que la famine et l'Egypte sont des punitions. 

Les trois amoraïms ont chacun une hypothèse. Pour l'un Avraham aurait été puni d'avoir utilisé les âmes qu'il venait de convertir- pour un second Avraham est puni d'avoir demandé à D. des preuves de sa promesse, pour le troisième, il est puni de la réponse qu'il donne au roi de Sdom en Genèse  . 

Le cours analysait le texte de la paracha en détail et en déduisait entre autres qu'il conviendrait de situer l'alliance entre les morceaux, (Berechit 15,    ) avant l'arrivée d'Avraham en terre d'Israël , et donc de faire apparaître un parallèle de la situation de Moshe à qui l'entrée en Israël est annoncée alors qu'il ne s'y trouve pas, qui peut voir la terre de loin, mais pour lequel l'entrée en Israël ne se réalise pas. 

Rav Medan proposait en outre une lecture très nouvelle de la réponse faite par Avraham au roi de Sdom après sa victoire contre les rois qui avaient kidnappé son neveu Loth : "je ne prendrais pas la moindre lanière de sandale d'aucun de ces soldats". Alors que la lecture traditionnelle de cette réponse voit en elle l'illustration de l'extrème éthique d'Avraham, en particulier aux yeux de Lévinas dont je parlerai plus loin, Yaakov Medan suggère que la faute d'Avraham dans cette situation est de n'avoir pas su aller jusqu'au bout de la situation, c'est à dire, n'avoir pas su répondre au roi de Sdom :"je viens de gagner la guerre, il ne s'agit pas de butin, toute la terre désormais m'appartient. Pars d'ici ! Dorénavant c'est moi qui gouverne ". 

Pour Rav Medan, trois histoires du Tanakh sont ici à être lues en parallèle. L'histoire d'Avraham et du roi de Sdom sus mentionnée, l'histoire de Moshé au buisson ardent, et l'épisode de Guideon (Juges 6-8), où Guideon livre bataille et remporte la victoire contre l'armée de tous les peuples alentours  alors qu'il n'a avec lui que 300 hommes (Avraham en a, lui , 318. la différence est mince). Pour Medan, les trois sont des personnages élus, à qui est faite la promesse de prospérité du peuple en Israël, et qui n'aboutissent pas la situation. Moché faute (faute de frapper) se voit privé d'entrée en Israël, Avraham est envoyé en exil et surtout apprend exil et esclavage de sa descendance pour 400 ans, Guideon refuse ouvertement de prendre le pouvoir après la victoire et se poursuit ainsi la période de chaos alternatif des Juges. 

Interessant de réfléchir sur ce sujet ô combien actuel - mais c'est déjà actuel depuis cent ans ! - de la transformation du peuple juif en peuple hébraïque, de la transmutation identitaire qui est exigée pour passer d'esclave en pays étranger à citoyen libre et actif sur sa propre terre. 

Et peut-être un bon moyen pour mener cette réflexion serait-il de comparer la lecture de Rav Medan, israélien du 21ème siècle, avec celle de Lévinas, philosophe parisien du siècle précédent. Comparer la lecture d'un israélien avec celle d'un israélite de diaspora, comparer la lecture d'un hébreu avec celle d'un juif.

Pour ce dernier (Lévinas, juif-israélite) comme annoncé plus haut, la réponse faite par Avraham au roi de Sdom est le symbole de ce que doit être l'attitude de l'homme juif éthique. Chez Lévinas, éthique et responsabilité avant tout. Chez Lévinas, l'identité juive doit avant toute autre chose dépendre du niveau éthique de l'individu.

Chez Medan, il y a incontestablement un autre regard. Le juif pourrait peut-être même être choqué, il y trouverait les caractéristiques attribuées au tsabbar, chez qui en plus de la mèche sur le front ont poussé d'autres attributs, le culot, la rudesse en particulier et peut-être un certain affranchissement par rapport à certains comportements jugés trop tièdes. On reconnaitrait facilement à travers la lecture de Rav Medan le comportement d'Ariel Sharon décidant de son propre chef de traverser le canal de Suez, et demandant après coup la permission.

Rav Medan dans son cours souligne le temps qui s'est écoulé et du fait duquel le Moché âgé de 120 ans et qui observe de loin la terre d'Israël qu'il n'habitera pas, est bien différent du Moché encore égyptien à qui D. se révèle au buisson ardent. Avraham aussi reçoit l'annonce de la création du peuple juif avant d'avoir même son premier enfant, Guideon aussi est sollicité par l'ange quand il n'est qu'adolescent. 

Rav Medan parlait de l'évolution qui peut se produire, qui se produit en l'homme au long de son existence, et qui fait qu'il peut dans un premier temps se conduire plus (trop?) prudemment que par la suite.

L'actualité de cette question est bien entendu notre situation politique d'aujourd'hui et la question du comportement à avoir avec nos voisins ou sur la scène internationale. Beaucoup ont dit en Israël depuis 1967 que l'erreur politique principale commise à ce moment avait été de ne pas enfoncer le clou jusqu'au bout (chacun peut écrire le scénario de ce "jusqu'au bout" à sa guise et y inclure ce que bon lui semble). En parallèle , Yshayahou Leibovitz a, lui , toujours dénoncé le chaos potentiel que la victoire avait donné,c'est à dire l'occupation des territoires.

Et donc quoi ? Le consensus israélien aujourd'hui, qui ne consiste ni à prôner le transfert arabe ni à rendre les territoires, parait fort éloigné de la lecture européenne ou américaine de notre situation internationale. Là où les européens - juifs y compris - continuent à parler de territoires occupés et à ne voir un avenir qu'en terme de restitution de ces territoires, c'est le souhait et le sentiment de bien peu d'israéliens aujourd'hui semble-t-il, ou plus précisément dirait-on que la plupart des israéliens-hébreux sont  persuadés que des villes comme Maaleh Adoumim, Ariel ou même Bet El ou Ofra ne sont pas démantelables et ne seront donc probablement jamais "rendues", alors que l'européen qui se prononce à plusieurs milliers de kilomètres d'ici ne s'élève pas à une telle résolution optique et ne fait pas le détail.

C'est précisément de ces détails qu'il doit peut-être être question, et c'est peut-être de ces détails qu'il est fait allusion dans notre texte qui parle de courroies de sandales.  Pour pouvoir tout à la fois prendre des décisions et tenir compte de ces détails, le dirigeant politique doit-il avant tout être éthique, ou doit-il plutôt être politico pragmatique?

Le dirigeant d'Israël sera éthique ou ne sera pas. Le regard nostalgique sur le 13 juin 1967 n'est que la focalisation sur un mirage. La guerre des 6 jours est notre buisson ardent, l’alliance entre les morceaux de notre époque, l’ange qui s’adresse à Guideon. Ce n’est pas de cela que découle la construction de la réalité du juif qui redevient hébreu. L'histoire ne se fait à l'emporte pièce que de façon exceptionnelle. Dans la vraie réalité, c'est de processus ( ou devrait-on écrire "processi") que se produit l'histoire. Et ces processus ne dépendent pas uniquement du temps qui s’écoule. Ils nécessitent le mûrissement de l’homme. Mûrissement qui naît de l’interpersonnel et qui ne parvient pas à se produire en l’individu seul.Ces processus ne surviendront que si Ariel Sharon saura traverser le canal avec Leibovitz à ses côtés. Le processus doit se faire par le caractère actif du dirigeant mais à la condition que le gardien de l'éthique dîne à sa table, l'avertisse et le supervise. De ce dialogue peuvent naître les conditions que l'individu seul ne peut créer, même en laissant s'écouler du temps, fût-il Avraham, Moché ou Guideon. Seul, il reste prisonnier de ses mécanismes personnels et il reste exposé au manque de confiance, à l'hésitation ou au départ pour la guerre. Accompagné, il peut avancer et construire.  

15. Drame ou tragédie 



La dramatique - sinon tragique - situation actuelle dans laquelle nous nous trouvons, habitants d'Israël, est en train de clarifier des choses que, même si elles sont connues, n'en restent pas moins vraies et apparemment difficiles à comprendre et à accepter.

Cette situation démontre que ni la guerre ni les armes ne résolvent les problèmes. En général elles créent les problèmes, elles les enveniment. Elles ne les résolvent pas.

Cette situation crie à la face du monde que ce ne sont ainsi pas les militaires sur lesquelles on peut (et encore moins doit-on) compter pour trouver des solutions aux problèmes, et que ce ne sont pas non plus les politiciens qui sont capables de mieux faire.

Les militaires creusent les trous de boue dans lesquels les politiciens donnent l'ordre d'enliser militaires, civils et situations.

Cette situation nous montre - et pourtant on le savait ! On le sait aussi bien que quand cet enfant de 6 ans m'avait dit en classe :  "je n'ai pas besoin que la Torah me dise de ne pas mentir. Je le sais ", cette situation nous montre que  même si nous savons que cela ne sert à rien de dire : "je tue l'autre parce qu'il m'y contraint", nous devons encore une instance qui sache vienne nous aider à trouver une meilleure réaction que celle, tripale, qui nous pousse à tuer...PARCE QU'IL NOUS EST INTERDIT DE TUER, et apparemment d'autant plus que nous sommes le peuple juif.

Le monde ne se formalise pas des centaines de milliers de morts tués en Syrie, ou des massacres commis par l'EI , ou par Boko Haram, ou par les barbares, pas parce que le monde est antisémite. Parce que le monde s'attend à ce que nous ne soyons pas des barbares. Pour toutes les raisons de la terre.

Parce que nous avons reçu la Torah, parce que nous prenons sur nous de nous comporter en fonction de la Torah, et aussi parce que nous ne pouvons nous permettre de commettre des massacres, du fait précisément que nous avons subi des massacres.

Et l'opinion nous montre cela noir sur blanc. Et elle nous la montre d'autant plus quand des nitsolė shoah des Etats Unis manifestent pour dénoncer les massacres de Gaza.

C'est un art très difficile auquel il faut apparemment tenter de devenir experts : ne pas tomber dans le jeu des plus prompts à l'auto critique, qui en ont les yeux aveuglés au point de ne pas voir qu'ils ne font que fournir de l'eau au moulin de nos ennemis, mais ne pas plus rester agrippés pathologiquement aux branches les plus élevées d'un arbre dont on ne peut descendre.

J'étais étonné de la sérénité et de la sagesse avec laquelle Bibi semblait mener cette opération. J'étais étonné en particulier du fait que je n'avais jamais apprécié ses manières, ni quand il répétait à l'envie :"qu'ils donnent! Puis ils recevront" parce qu'il aurait fallu être sourd comme un pot pour ne pas entendre que ça cachait -mal - derrières ces paroles les prétextes ã ne rien faire avancer, ni en regardant rétrospectivement ce qui précisément a toujours été l'emblème de sa politique : l'immobilisme absolu.

J'étais étonné parce que j'avais toujours eu le sentiment que les discours des forts à bras qui parlaient des arabes de façon péjorative, et raciste, à coup de "ils ne comprennent que la force", ne nous emmèneraient nulle part, ou en tout cas en aucune direction dans laquelle je me sens prêt à les accompagner.

Et j'avais de quoi être étonné : dans l'état actuel des choses, nous (l'armée de défense – yaani. Ne menaçons-nous pas nous-mêmes ce nom en nous embourbant dans cette guerre d’usure improductive? - d'Israël)  n'en finissons plus de "porter des coups terribles" , de " faire payer le prix maximal", de porter "lourdement atteinte" aux capacités militaires du hamas....

Et tout ceci semble ne servir à rien d'une part, et à accumuler morts et critiques très lourdes contre nous d'autre part.

Parce que quand tu as tué deux mille deux cents personnes, dont des civils, des femmes et des enfants, tu pourras répéter jusqu'à la fin des temps que c'est la faute de quelqu'un d'autre, c'est quand même toi qui les auras tués.

Et tu peux t'offusquer que l'opinion réagisse à ces deux mille alors qu'elle ne réagit pas aux millions tués par les turcs (c'est pour ne pas répêter le mot barbare, j'emploie un synonyme..), c'est quand même toi qui les a tués, et c'est donc ta collectivité à toi qui devras en rendre compte.

Et c'est ce que nous souhaitons !!!

Nous sommes Israël non du fait de la couleur de notre sang, qui n'est plus bleu qu'aucun autre, mais du fait que nous devons agir au nom de la Torah !

Et donc, catch 22.

Le hamas ne veut pas discuter ni marchander avec nous mais nous exterminer, et il n'y a pas à discuter avec quelqu'un qui ne veut que ta disparition. C'est vrai. Mais ça ne nous dispense pas de chercher comment résoudre le problème, et ça ne nous autorise pas à accumuler les morts et les décombres dans le camp adverse.

C'est ici que les militaires et les politiciens doivent se rappeler qu'ils ne sont que des militaires et des politiciens, c'est à dire des éléphants dans les magasins de porcelaine.

Ils doivent faire appel non uniquement aux spécialistes de la diplomatie, des ministères des relations extérieures (surtout quand ils sont de la trempe de Lieberman, D. Préserve..), mais à des penseurs.

Tant que la place n’aura pas été faite comme il se doit à ceux-ci, tant que ceux-ci n’auront pas assumé leur rôle, leur devoir, il faudra continuer à entendre les discours d’immobilisme, de critique antisioniste/antisémite, ou les discours fascistes

Et il y a des penseurs ! même une fois que Leibovitz, Lévinas ou Hartman sont morts.

Il y a ici un problème à résoudre. 

Non uniquement un ennemi à vaincre au bras de fer et en faisant couler des litres de sang ! la différence entre le drame et la tragédie tient à l’issue.

Ce qui a un aboutissement est le drame, et nous pourrons supporter, avoir de la patience si nous sommes pris dans un drame. Ce qui ne mène nulle part est la tragédie et cette dernière est insupportable.

Les situations ne sont tragiques que selon la vision grecque du monde. Elles ne le sont pas si on regarde autrement, nous a-t-on toujours enseigné.

Il est temps de regarder autrement.

16. La onzième épreuve d'Avraham toujours d'actualité

La Bible, anti-"média/facebook/instituts de sondage" par excellence.

Finalement, on pourrait être tentés de lire le livre de la Genèse avec des yeux post modernes. Pire encore, sommes-nous encore capables de ne pas la lire avec nos yeux post modernisés ?

Et de se risquer à se demander si Avraham n'aurait pas pu gagner à être plus médiatisė déjà à son époque, lui qui cherchait tant à faire passer son message, lui qui cherchait le dialogue avec l'humanitė entière. 

Il lui aurait fallu facebook ! Ou un institut de sondages ou mieux encore d'analyse de données. Il lui aurait fallu la radio, la télévision, TED, ou mieux encore la tribune des nations unies !

La Bible qui reste un chef d'oeuvre inégalé, semble ainsi, sans nécéssairement conduire personne au fondamentalisme ni même au judaïsme rabbinique, non uniquement nous décrire historiquement en Avraham, un personnage du passé, mais bien plus un personnage paradigmatique, peut-être même en suggérant qu'il y en a/qu'il en faut de cette trempe à chaque génération.

Je me suis ainsi amusé la semaine dernière à trouver dix épreuves de Moshé rabénou, en parallèle des dix épreuves d'Avraham tel que le décrivent les pirké derabbi Eliezer ou les pirké Avot. Et je les ai trouvées.

Et on pourrait aussi retracer l'histoire de Shmouel, ou celle de Ezra, ou encore celle de Rabbi Akiva, ou du Rambam peut-être, à travers un prisme de dix épreuves-dix ėtapes.

Et de nous demander si nous n'avons pas aussi à notre époque le personnage emblématique du judaïsme de notre génération ? 

Mais où le chercher dans le post modernisme ? Parmi les généraux ? Les politiques ? Les philosophes ? Les journalistes ? Les psychanalystes ? Les scientifiques ?

Emmanuel Lévinas se plaisait à voir dans l'oeuvre de Kafka la Bible des laïcs. Ainsi, à l'instar de la Genèse, "la métamorphose", "le procès", "le chateau" débutent "de but en blanc". "Un beau matin", "Au commencement"...

Et les livres de Kafka ne s'achèvent (loin s'en faut) sur aucun happy end holly/boliwoodien ni sur la fin de la vie du personnage, pas plus que l'histoire d'Avraham ne prend fin avec le passage à la génération suivante.

Eliane Amado Lévy Valensi avait écrit en 1981 le très performant "la onzième épreuve d'Avraham", qui n'a pas reçu le retentissement qu'il méritait à mon sens : en psychanalyste, en midrachiste, elle va au delà du pchat, ne se contente pas de la version platonique des dix épreuves, qui sont un chiffre aussi rond et aussi idéal que celui des dix commandements, et prend de la hauteur.

Elle voit que le travail d'Avraham demeure inachevé. Demeure peut-être à tout jamais inachevé.

Elle appelle "onzième épreuve" l'aboutissement de la cinquième, celle de la relation à autrui, au deuxième sexe, à l'autre, au différent de nous.

Cette épreuve est en effet loin d'être accomplie, d'être surpassée. 

Et le judaïsme d'aujourd'hui, surtout quand il est confondu - à juste titre - avec le sionisme, a bien du travail avec ces autres :

Qu'ils habitent Gaza ou Ramallah,
Qu'ils soient de l'ONU, de l'UNICEF ou de l'UNRWA,
Qu'ils soient suédois, européens ou américains,
Qu'ils aient de la mémoire ou qu'ils soient néga-sionistes,
Qu'ils ne se reconnaissent que comme observateurs objectifs ou qu'ils aient de francs sentiments.

Atteindre ces interlocuteurs est une tâche que les moyens du modernisme sont impuissants à servir - quand ils ne la désservent pas activement.

Il faudrait pouvoir tout à la fois les atteindre et les trouver prêts à réfléchir et à étudier, et non à détracter, dénoncer, s'indigner, ou pire encore, compter les points.

Le monde moderne saurait-il encore écrire - ou même uniquement relire - un message universaliste qui puisse être lu, reçu, accepté et non stalinisé, falsifié ou brûlé, ou pire encore peut-être, médiatisé ?

J'en doute, ou pire encore, j'en pleure.

Ce qui par contre existe, c'est l'esprit avrahamique. Je l'ai rencontré : c'est lui qui m'a permis de finalement accoucher d'un texte alors que je me bats depuis un mois contre les tendances assassines qui se réveillent en moi au quotidien, à entendre un Abou Mazen par ci, un Caron par là, à constater l'hostilité dont Israël fait les frais tellement injustement, au regard de tout ce qui ici est tellement positif, en comparaison avec ce qui se passe dans une multitude d'endroits dans l'indiffėrence médiatique quand nous demeurons indéfiniment sous la loupe de la vindicte ...

Ce ne seront ni médias, ni instituts de sondage, ni analyses, ni tribunes qui feront avancer notre conflit local, et pour lui-même, et en tant que miroir de l'humanité. Il faut accomplir et surmonter la onzième épreuve.

17. Hanouka. Par Manitou  et Pour Annie



J'avais pourtant étudié au-delà de l'âge du talmud torah, et j'avais derrière moi quelques années de situation de responsabilité aux eis, et pourtant c'est en fait par un enseignement de Manitou sur Hanouka que je découvris ce que Lévinas appelle "religion d'adultes".

La situation n'était pas neutre. Manitou jouissait d'une aura bien particulière dans le monde juif français en général, et auprès de mes parents en particulier, et de façon encore plus spécifique auprès de moi, qui avait passé huit mois plus tôt quelques dix jours à Maayanot, pour un séminaire éclair en février 76.

Je n'en étais pas revenu indemne. L'ambiance dans cette majestueuse maison de la rue Yeoshua Bin Noun dans le quartier grec de Jérusalem, où se côtoyaient anciens amis personnels, et toute une bande d'étudiants eux-mêmes pour un an en formation au même endroit, m'avait injecté une forte dose de sionisme messianique, encore très en vogue depuis la guerre des six jours, et vivement agrémenté à la sauce française par Manitou.

Manitou vivait alors en Israël depuis quelques six-sept ans, mais revenait régulièrement en France, pour conférences et séminaires, et notre petit groupe de séminaristes de février avions le statut un peu privilégié de recevoir des cours pour nous tous seuls.

C'est dans ce cadre que Manitou, à Paris à l'approche de Hanouka, me donna comme la cerise sur le gateau de ce que j'avais commencé à apprendre de lui.

Le personnage ne manquait pas de charme, et il le savait, et en usait et en abusait.

Il distillait un enseignement qui, en plus d'être stimulant intellectuellement, était donné sur le ton un peu envoûtant et mystérieux qu'il affectionnait, le tout assaisonné de blagues et de jeux de mots.

Dans ce décor, Hanouka devenait autre chose. Mais la force de Manitou tenait à ce qu'il ne faisait pas que tourner la tête (même si a postériori je suis devenu très critique sur cette forme d'abus par l'intermédiaire de l'enseignement), il enseignait aussi. 

On vivait avec lui une réelle expérience de nourriture intellectuelle, et les choses dépassaient encore le stade de l'expérience : les cours que je reçus de lui au cours des quelques quinze ans où il me fut donné de l'écouter, sont pour beaucoup encore présents en moi, les notes que je prenais ayant été sérieusement - et précieusement - gardées.

Manitou nous enseigna ce soir-là, comme à son habitude un savoureux mélange d'anecdotes improbables, mais marquées d'un sceau imparable d'authenticité et de réflexion.

Qui m'aurait un jour dit qu'un maître m'enseignerait que ce psaume 30 "Cantique de l'inauguration du Sanctuaire", signé "de David" est en fait d'après une tradition rabbinique, attribué...à Adam ?

Mais Manitou ne prétendait nullement apporter une pierre aux recherches scientifiques sur l'élaboration de la Bible et posséder les droits d'auteur de la découverte du véritable auteur de chacun de ses livres. Il n'apportait pas tant une preuve qu'un enseignement.

Ce psaume aurait ainsi été prononcé par Adam du fait de son expérience personnelle, d'individu créé, installé sur la terre, à 
Roch Hachana, c'est à dire au moment de l'équinoxe. Passée cette date, la lumière semble progressivement quitter le monde, du fait d'un phénomène qui croît de jour en jour jusqu'au solstice d'hiver. Un enseignement qui se dote surtout d'une facture existentielle, bien autant que d'une marque de pseudo vérité !

N'importe qui peut s'identifier alors à un individu qui a pareil vécu. Souvent depuis j'ai pensé à ce que peut ressentir durant le trimestre d'automne un bébé qui nait en septembre. Année après année je me sais sensible à cela, depuis toujours.

Et alors , Manitou ajoutait, les yeux pétillants, une seconde bombe : Hanouka, nous apprit-il, tombe toujours sur le jour de l'année où le soleil se couche le plus tôt, et ceci, alors que sa date est déterminée par le calendrier juif, à la fois lunaire et solaire.

Suivit un cours sur ce calendrier et son "secret", celui des années embolismiques, le "sod haïbour". Un calendrier qui aurait une qualité particulière, supérieure à celle du musulman, uniquement lunaire, et du grégorien, uniquement solaire, du fait d'un savoir antique de la conjugaison des paramètres lunaires et solaires.

A ce stade, Hanouka avait déjà pris à mes yeux une nouvelle valeur. Manitou continuait cependant et nous rappelait que les fêtes de ce calendrier, les fêtes du monde juif n'ont jamais qu'une seule facette ; elles ont un sens agricole, un sens calendaire et un sens historique. Et de continuer encore, et de nous enseigner que les fêtes font partie du rythme perpétuel de ce calendrier, qu'elles existent depuis la nuit des temps, attendant de "rencontrer", que se produise l'évènement historique qui leur correspond.

C'est ainsi que Pessah', qui n'existe apparemment que pour commémorer la sortie d'Egypte, est déjà soulignée par le commentateur médiéval Rachi comme raison de la mention de matzot dans le texte biblique de l'histoire de la destruction de Sodome et Gomorrhe. "Le texte nous parle de matzot", écrit alors Rachi, "parce que cet épisode se passait au moment de la fête de Pessah'". Mais comment Avraham et Loth auraient-ils pu fêter une fête instituée en commémoration d'un évènement survenu trois cents ans après leur temps ? À moins de ne se fier à l'enseignement de Manitou, qui vient donner à cette curiosité/cette abberation historique un sens, on ne peut que tomber dans la platitude nourrie de l'incrédulité du rationnaliste.

Ce dernier ne saura que dire : "il est impossible que Rachi ait écrit pareille chose, il y a surement ici une erreur de scribe".

Or le texte de la Torah mentionne bel et bien ces matzot...qui ne sont à nos yeux de modernes que le symbole de la fête de Pessah'!

Manitou savait donner un sens à ces contradictions, un sens à la fois prodigieusement intéressant, nourrissant, et authentique. Manitou se disait - et était, par son père, grand-rabbin d'Oran - véhicule d'une tradition rabbinique. Il ne venait inventer aucune interprétation, il transmettait.

Et il transmettait un sens prodigieusement adulte, en l'occurence au seul sujet de cette fête que je ne connaissais jusqu'alors que par son caractère "infantile" (bougies, toupies, gateaux, cadeaux).

Et l'enseignement sur Hanouka ne se limitait pas à cela, et ce texte deviendrait terriblement long si je développais ici tout ce que Manitou nous a enseigné sur Hanouka, sur cette fête au sujet de laquelle tellement peu de textes rabbiniques ont été écrits.

Je me contenterai donc ici de me limiter à donner la note finale de cet enseignement sur la coïncidence calendaire de Hanouka et du soir le plus long de l'année, évènement en apparence purement solaire, alors que sa date est apparemment seulement déterminée par le cycle de la lune (25 du mois de Kislev, mois comme tous les mois hébraïques dont le premier jour coïncide avec la nouvelle lune).

Le solstice d'hiver tombe effectivement à une date déterminée solairement (en général le 21 décembre, premier jour de l'hiver). Mais ce jour est celui où la quantité de nuit est maximale en valeur absolue. Il s'avère - et cela est aisément vérifiable (et si je vous dit que je l'ai vérifié sur de nombreuses années, cela vous aidera peut-être à l'admettre) - que les jours commencent à rallonger par le soir avant ce 21 décembre, alors qu'ils continuent à rétrécir par le matin (en général, jusqu'au 15 janvier environ) et il est impressionnant que le calendrier juif, le plus ancien des calendriers en vigueur dans le monde occidental, ait su mentionner cette curiosité. Il faut la conjugaison des paramètres lunaire et solaire pour que le calendrier puisse l'exprimer.

Cela dote Hanouka d'une importance bien supérieure à la commémoration de la révolte des maccabim en - 165, ou du miracle de la petite fiole d'huile.
Ces enseignements l'inscrivent comme fête de l'affrontement obscurité-lumière, au propre ainsi qu'au figuré, fête d'actualité tristement perpétuelle comme s'acharne à nous le démontrer notre actualité. 

Hanouka vient alors rappeler cet épisode d'une histoire particulière des juifs à un moment particulier, mais vient non moins s'inscrire dans l'histoire du monde. Jusqu'alors, depuis que le premier homme s'est aperçu de comment fonctionne le cycle de l'apparition et de la disparition de la lumière dans le défilement des jours au long de l'année, Hanouka existait comme "fête de la lumière". Une tradition, dont le judaïsme se réclame, a réfléchi depuis la nuit des temps...sur la notion de nuit des temps. Depuis la révolte des maccabim, il y a bouclage de la boucle : l'évènement historique s'est juxtaposé à l'évènement du temps universel. 

Qui fête Hanouka aujourd'hui fête simultanément ces deux dimensions, l'universelle, et la particulière, celle de Hanouka "fête des lumières" et celle de Hanouka, fête de la victoire historique des maccabim, des hébreux, sur la culture grecque, fête de la confiance en le retour de la lumière même - et justement - aux moments qui paraissent les plus sombres.
Religion d'adultes.

J'ai connu Manitou la même année où j'ai aussi rencontré pour la première fois Annie, zal, qui vient de nous quitter , juste avant la semaine de Hanouka, trop prématurément après une année entière de lutte contre la maladie.
Je l'ai connue dans le cadre des e.i.s alors que nous étudiions dans le même lycée et ne nous connaissions pas.

Je connus aussi alors ses parents, puis quand elle épousa Dan, elle me devint liée comme par un double lien...qui tint plus de trente ans.

Elle survint dans ma vie comme Manitou, à l'âge où je passai de l'enfance à l'âge adulte, de l'adolescence où seulent comptent les valeurs de la société, les philosophies, les musiques et les amours, à l'âge de la parentalité où l'individu n'est pas moins défini par les valeurs auxquelles il a adhérées que par les enfants qui lui sont nés et qui l'accompagnent avant de le remplacer.

Le tour des enfants d'Annie, bien qu'encore fermement et solidement accompagnés et encadrés par Dan, vient de commencer.

Que le souvenir d'Annie, la bienveillante, au sourire attentionné, pétillant et malicieux, au sens commun si sainement développé et à la vive intelligence en particulier des situations sociales, qui s'inscrit en moi au chapitre de l'accès à la vie d'adulte, soit béni autant qu'il restera présent chez son compagnon, ses enfants et tous leurs nombreux amis.

P.s. Comme il n'y a pas de coïncidence en ce bas monde, je me suis trouvé en train d'achever ce texte au moment où me parvenait la triste nouvelle de la disparition de Bambi, la compagne de Manitou. Que sa mémoire soit ici évoquée.

18. Le judaïsme de la 621ème mitzva


Le judaïsme est défini par la notion de mitzvot, qui sont des valeurs intégrées et converties en devoirs.

Avraham aurait donc été le premier à répandre cette façon d’être, son histoire se trouvant rattachée à une alliance avec le créateur, alliance transmissible à qui entérinera ce message avant tout moral.

Les années et l’histoire ont accompli leur oeuvre et s’est développé petit à petit « le judaïsme » du double fait de la mise en place d’une descendance distincte et organisée en famille puis en peuple, et du message écrit et porté par ce peuple, nommé Torah en premier temps puis enrichi au fil des années de toute une littérature.

Le troisième pendant à cette identité est son rattachement géographique à la terre d’Israël, en trois temps, temps des patriarches, temps des hébreux puis époque du sionisme.

Des intellectuels comme le rav Kook, grand rabbin de Palestine jusqu’en 1935, et grand contributeur moderne au bagage juif, ont ainsi conceptualisé le judaïsme comme pourvu de trois composantes peuple d’Israël, Torah d’Israël et terre d’Israël.

En parallèle de cela joue un rôle majeur le lien aux autres familles de la terre, que cela soit quand Israël se trouve sur sa terre, ou quand il en est chassé et exilé.

C’est une dynamique de compétition, de jalousie, de rivalité, dont les juifs trouvent l’origine dans les liens familiaux des pères fondateurs de la nation, encore avant l’epoque des trois patriarches mais surtout depuis lors.

Le christianisme qui se met en place peu après la destruction du temple de Jerusalem par les romains en 70 de notre ère, et qui se développe à partir de Rome et de l’Europe, où se sont trouvés exilés bon nombre de juifs, proclame son identité comme « verus Israël », autrement dit le véritable descendant et héritier du message biblique, les juifs, ne reconnaissant pas Jésus comme le messie ayant de ce fait fait fausse route et ayant ainsi provoqué leur propre perte.

Les rabbins du talmud, préoccupés de la survie du judaïsme même en situation de totale dispersion de ses membres, font passer le judaïsme d’une phase nationale à une phase a-géographique et mettent en place tout un système de pratique des mitzvot, comptabilisant celles mentionnées dans la Torah, et ajoutant encore quelques unes, pour aboutir à un nombre de 620.

Être juif, jusqu’à l’émancipation consiste à rester rattacher génétiquement au peuple et à pratiquer ces mitzvot.

La rivalité avec le peuple juif devient chronique et donne lieu à deux mille ans de tribulations et d’épisodes d’antisémitisme plus ou moins discriminatifs, plus ou moins sanglants.

Les choses prennent une nouvelle tournure avec Hertzl et la naissance du sionisme, né de cet antisémitisme et des restes de l’attachament multiséculaire à Jérusalem, mentionné par les juifs pratiquants plusieurs fois par jour (quatorzième bénédiction de la amida dite trois fois par jour, sans compter les différentes fêtes du calendrier dans lesquelles Jerusalem a toujours une place).

Cette nouvelle tournure est celle d’un renouveau incontestable et massif et fulgurant du judaïsme.

Cent ans après le premier congrès sioniste réside déjà en Israël un peuple de plusieurs millions d’habitants, composés de juifs de toutes les provenances, cent vingt ans après (c’est à dire de nos jours),le pays compte déjà plus d’habitants que plusieurs pays d’Europe, plus de juifs qu'en dehors du pays, et est le lieu d’un énorme élan démographique, technologique, scientifique, culturel et intellectuel.

Une petite partie des habitants, mais dotée d’un très fort poids démographique reste farouchement rattachée à la pratique antérieure au sionisme, niant même ce dernier pour bon nombre d'entre eux, le gros du peuple vit une vie de modernisme sans se sentir trop concerné par la place à donner au judaïsme dans leur quotidien, tandis qu’une autre partie des habitants de ce même pays voient dans son organisation, son développement, le lieu privilégié de la mise en place de ce qui est contenu dans les livres, de ce qui a été pensé et réfléchi sans discontinuer au fil de plus de trente siècles.

Cet « agenda » s’articule en termes de politique tout autant qu’en terme de recherche au sens académique du terme mais fait déboucher sur un très fort clivage du monde juif.

Tandis que les juifs d’Israël vivent un judaïsme quotidien qu’ils le souhaitent ou non, et ont à leur porte la possibilité de participer à son épanouissement, les juifs de diaspora se retrouvent pour leur énorme majorité complètement relégués dans le sillage d’un batiment qui avance de plus en plus vite et avec lequel la distance ne cesse de s’accroître.

Ils ne dominent pas la langue, et surtout perdent pour ainsi dire chaque jour du terrain, leur quotidien ne croisant le judaïsme que très occasionnellement. En fait, la plupart d’entre eux sont confrontés à leur judaïsme presque uniquement par le biais de l’antisémitisme et de ses vagues. Certains s'accordent même le luxe d'être farouchement "anti', qui "antireligieux", qui "antisioniste", n'ayant nullement conscience du caractère hautement nocif de leur attitude.

Tandis que les habitants d’Israël, nullement débarassés de la menace de l’antisémitisme s’y mesurent de façon structurée, diplomatique et militaire principalement, ce qui ne met plus ni le judaïsme en danger, ni ses membres tant que l’équilibre militaire est en leur faveur, les juifs de diaspora se retrouvent involontairement à avoir presque changé d’identité, à vivre un judaïsme inféodé principalement à la question de cet antisémitisme : le combattre, y résister, le subir, le mesurer, veiller sur la profanation des cimetières, à la création de lieux du souvenir (jardins, musées, monuments), et à celle de l’assimilation. Le premier combattant agressivement, et le second en douceur, mais non moins violemment pour ce qui est des résultats.

Leur judaïsme est celui de la 621ème mitzva, celle de la préservation de..

De quoi en fait ? La plupart d’entre eux ne savent déjà plus répondre à cette question



19. Le moulin

Voilà que depuis bientôt cinq mois je suis devenu non un assidu mais plutôt un fidèle de ce moulin à prières à proprement parler qu'est le "shtiblekh katamon".

Si je le connaissais jusqu'ici très bien c'était uniquement de l'extérieur. Je voyais tout le mouvement qu'il générait, les hommes qui y rentrent ou en sortent de façon incessante, tous les stands de vente d'articles de culte qui y sont régulièrement installés, la circulation dans la rue fortement ralentie à de nombreuses occasions, le ballet de voitures se garant, repartant un quart d'heure plus tard, j'en connaissais la gueniza, mais je fréquente désormais aussi l'intérieur.

Pour les six mois et demi à venir, je sais que je vais poursuivre ce rythme qui m'y fait entrer en général deux fois par jour, et me fait côtoyer ce que je tente de décrire ici.

Astreint à dire le kaddish tous les jours de cette année du deuil de mon père, je fais partie d'une des catégories des habitués de ce lieu. Ceux-ci doivent être comme moi, devenus habitués par les circonstances. Le lieu a-t-il été créé à cet effet ? Pour les endeuillés ? On pourrait le croire tant il est adapté à cela : se succèdent et se chevauchent quelques dix minyanim le matin, presque autant l'après-midi, et on peut le soir y prier maariv tous les quarts d'heure jusqu'à minuit tous les jours. Cinéma permanent. Tout au long de la journée, même si aucun minyan n'est officiellement programmé, il n'y a rarement à attendre plus de dix minutes pour réunir les dix hommes nécessaires à une prière collective. 

Ces fidèles sont en général du modèle du quartier, juifs à kipa crochetée, ceux que les ultra orthodoxes regardent un peu avec dédain, ne les voyant pas comme d'authentiques religieux. 

Il y a encore d'autres catégories de fidèles. Celle des retraités qui se partagent les permanences, celle des inconditionnels de la prière collective, les mendiants professionnels, et encore une quatrième catégorie sur laquelle je m'étendrai un peu, plus loin. 

L'endroit est très organisé, bien aménagé, très bien tenu, chauffé l'hiver et climatisé l'été, il y a quatre salles de prière, deux salles d'études/bibliothèques, des wc propres, un buffet ouvert à quelques moments précis, un jardin aménagé autour du bâtiment, et des heures claires de tefilot avec une équipe de volontaires chargée de veiller à ce que tout ceci se passe dans l'ordre. De façon impressionnante, il ne semble pas que la lecture de la Torah soit organisée et centralisée, et il se trouve systématiquement quelqu'un qui sait lire (quiconque sait lire sait combien ceci est loin d'aller de soi : lire demande beaucoup de préparation ou de domination de la question...).

A côté de tout cet ordre impressionnant (soutenu par tout un affichage informatisé de tous ces horaires plus encore quelques données, et par une discipline parfois tonitruante : ne pas essayer d'avancer une heure de prière affichée de ne serait-ce que quelques minutes !) est non moins central un côté "cour des miracles" ou "hakotel hamaaravi".

Il y a trente ans, m'avait été donnée par les bons soins de l'armée l'opportunité de fréquenter le kotel un mois durant à toutes les heures de la journée et de la nuit, au gré des tours de garde. Incognito sur les lieux sous un uniforme râpé, et armé d'un antique fusil M14, j'avais découvert tout un mouvement ainsi que toute une population, que le visiteur occasionnel ne peut découvrir.

Le mouvement incluait les touristes et les pélerins mais aussi, comme le shtiblekh, plusieurs catégories de fixes, depuis les ultra orthodoxes jusqu'aux mendiants, en passant par les habitants de la vieille ville, et beaucoup d'habitués pour lesquels le kotel est une étape quotidienne.

Au shtiblekh comme au kotel, Le mouvement est permanent, 24/7 comme on dit aujourd'hui. Au sens propre. Les gens arrivent au kotel à toutes les heures sans exception, et parmi ceux qui viennent tous les jours, il y a autant les habitués de six heures du soir que de trois heures du matin. Certains viennent pour prier, certains viennent pour étudier, enseigner ou suivre un cours, mais certains viennent aussi pour des buts variés, tel ce tenancier d'un kiosque de falafel qui venait (vient encore ?) systématiquement chaque nuit après la fermeture apporter le stock non écoulé au cours de la journée, ceci incluant quelques portions dûment préparées - et gratuites - à l'intention de qui serait affamé. 

La population des habitués était là aussi, comme au shtiblekh, agrémentée de personnages hauts en couleur, certains correspondant parfaitement aux descriptions de ce qu'on appelle dans la littérature psychiatrique syndrome de Jerusalem, d'autres un peu plus atypiques.

Je croise ainsi aujourd'hui presque quotidiennement ce pauvre garçon visiblement en proie à un mal qui fait son esprit battre la campagne comme disait Brassens. Il n'a de religieux que la ferveur visiblement psychotique, tant il se répand en suppliques 
émises à voix très haute et avec force intonations, répétitions multiples de mots avec intonations dramatiques, tandis que les impératifs calendaires semblent passer loin au-dessus de sa tête : il met les tefilins à l'heure qui lui convient et il est très possible de le rencontrer dans le quartier le shabbat assis sur un muret, une cigarette au bec. L'entendre et le voir évoquent à quiconque l'a fréquentée ou non l'institution psychiatrique. 

Il y a celui, habillé d'un pull canari par tous les temps, qui arrive tous les matins à la même heure mais comme s'il débarquait pour la première fois, et demandant cinq ou six fois à la cantonade : "sept heures?" "Où la prière commence-t-elle à sept heures?" "Vous avez commencé ? Quand? À 7:00?". Une fois assis, il continue encore deux ou trois fois à questionner comme si la chose échappait entièrement à son contrôle, comme si le fait de s'être joint à un minyan ne le calme pas encore. Ce rituel terminé, il continue,en silence, sans plus se distinguer, et disparait ainsi dans la foule jusqu'à la fin de la prière qu'il quitte discrètement.

Il y a cet homme d'âge indéterminé qui semble habité de façon chronique de l'ardeur du prosélyte. Il ne prie pas tant avec ardeur que comme s'il devait rattraper un peloton parti quelque temps avant lui. Il est ainsi comme le nez dans le guidon, interrompant sa course pour répondre véhémentement "amen" à la moindre occasion. Il parait en sueur tant sa course l'épuise. Contrairement au précédent qui doit officiellement être equipé d'un diagnostic d'autisme, celui-ci ne doit pas être catégorisé par la faculté psychiatrique. Il est comme l'aile droite de l'endroit. Celui dont le comportement reste dans la norme mais en marque quand même l'extémité.

Chacun a ses habitudes. Et d'une certaine manière, chacun a son rôle, y compris celui de déranger, de "déborder", d'imposer quelque chose (fenêtre impérativement entr'ouverte....ou fermėe au contraire),  ou d'être crispé sur tel ou tel détail. Chacun a ses habitudes mais elles comprennent en général le fait d'arriver à la dernière minute et de repartir au plus vite, un peu comme si l'endroit pesait. De façon paradoxale, bien que toutes les prières soient ici irréprochablement collectives, n'apparaissent ici que mouvements individuels. De façon plus ou moins adéquate, chacun est ici en fait seul, avec son monde intérieur, dans sa relation avec le ciel, ou avec ses disparus, et en réduisant au minimum le contact avec autrui ou avec la collectivité.

Finalement, arriver tous ces matins d'hiver, en vélo, à l'heure où le jour se lève, me fait remonter quelques cinquante ans en arrière quand j'arrivais ainsi au lycée. On arrivait ainsi - si on était en vélo, juste après avoir attaché l'antivol, si on était en bus, au moment où on arrivait à la station -  tous les matins au premier contact avec le monde extérieur, une fois les premiers gestes - incluant l'ingestion rapide d'un petit déjeûner sur le coin de la table - expédiés, une fois amortie la sortie dans la fraîcheur - qui est parfois très très fraîche, qui est parfois humide quand ce n'est pas mouillée vraiment.

On arrivait et entrait dans un bâtiment moche, mais bien chauffé, ce qui le rendait agréable néanmoins. Là, le premier mouvement était souvent d'aller poser son sac à sa place, ou de commencer un petit échange du matin avec les deux ou trois proches déjà arrivés. Avec les années, la conversation s'étoffait, incluait un choco ou un café pris à la machine, une cigarette, mais elle était toujours la suite du processus d'éveil, entamé mais non achevé ni à la maison, ni durant le trajet.

La situation au shtiblekh est similaire.  Je sors de la maison après avoir pris un café en compagnie de Marianne, je pédale en éprouvant chaque matin le même plaisir de voir que c'est, encore aujourd'hui, non seulement possible mais agréable, J'arrive en vélo, l'attache, puis une fois les derniers mètres accomplis, je rentre dans le bâtiment puis dans la classe. Je ne m'arrête pas mais je passe devant les machines à café. Dans la classe, je ne suis pas le premier. Certains arrivent systématiquement avant moi et sont déjà en train de commencer à se préparer. Le jour est déjà complètement levé (je détestais en hiver en France ces matins qui débutaient dans le noir bien qu'à une heure raisonnable. Je détestais toute la période de l'année où la première heure de cours se passait entièrement de nuit). Je dis un vague bonjour et m'attelle à ma propre préparation, qui consiste essentiellement à revêtir talith et tefilins, mais hiver oblige, il faut aussi enlever ses gants, parfois son bonnet, quelques couches...

La prière commence rapidement. Elle est menée selon un rite perpétuel dont les démarrages de la journée de lycée ne sont en fait pas très différents. Il y a là-bas aussi quelqu'un à l'estrade, qui ouvre la séance par quelques activités rituelles. 

Comme dans la classe, je connais quelques proches, avec lesquels j'échange quelques sourires, parfois un ou deux mots. 
Untel ce matin n'est pas arrivé, un deuxième arrive en retard essoufflé. Il y a celui que j'aime voir, celui au contraire dont la présence est encombrante et m'est lourde. Il y a les particularités de chacun, l'habillement, la coiffure de chacun. Il y a celui qui est obligé de bousculer en passant ou de forcer à se serrer. Il y a celui qui parle trop fort, celui qui a l'air plongé dans son monde intérieur, celui dont le monde intérieur empiète largement sur ma quiétude.

La séance se déroule. Le rythme est mené depuis l'estrade et chacun s'organise en fonction. Celui-ci parait exactement en phase, tandis que cet autre, empêtré dans sa préparation personnelle semble surtout préoccupé de rattrapper le peloton. Et puis toute cette liste ne décrit que cinq ou six personnes alors que trente ou quarante sont assis. Mais trente-cinq sont les figurants de la situation. Ceux que l'on remarque parfois par un geste, un vêtement, un bruit, ceux que l'on ne remarque jamais, ceux dont on ne va garder aucun souvenir précis et qui vont rapidement tomber dans l'oubli. Et puis il y ceux (celles) avec qui on se lie, ou ceux qui sont familiers, voire très familiers, mais secrètement. On aime les voir, on a même comme besoin de les voir mais ils (elles) ne le savent pas forcément. Au lycée, tout ce vécu intérieur de relations interpersonnelles mi-vécues mi-fantasmées, incluait pour une large part le fait que la population de la classe - et du lycee - était mixte. Ce qui n'est pas le cas du shtiblekh.

Il y a bientôt un moment où tous sont silencieux, moment qui me rappelle ces matins où la journée commençait par une interrogation surprise, une composition, ou dans les plus grandes classes, un examen ou une dissertation. Là aussi, la répartition semble reproduire les souvenirs, même si le sujet est autre complètement. Il y a celui qui sait exactement avancer au rythme requis. Il est bon élève, s'est bien préparé. Il se met en marche et est tout de suite sur les rails. Il y a celui qui continue d'être préoccupé de sa feuille, de son stylo, de son siège, et il continue à bouger, perturbant parfois le silence, entraînant parfois une remarque - parfois impatientée voire agressive  - de tel ou tel autre protagoniste de la situation. Il y a celui qui tente de se situer à partir de la copie du voisin. Il sait ou ne sait pas mais submergé par un vécu d'incompétence, il tente de le surmonter en allant pécher son soutien sur la copie du voisin, où il ne peut qu'entrevoir ce qui y est écrit.

Et puis, il y a la fenêtre. Au lycée je faisais un usage intensif de la fenêtre...à côté de laquelle je n'avais pas toujours la chance de pouvoir être assis. Je voyais depuis cet observatoire arriver les retardataires, poindre le jour, je voyais passer telle classe en activité de gymnastique, tel surveillant général ou autre autorité.  De la fenètre, je guettais l'arrivée de tel ou telle. Au shtiblekh les fenêtres aussi ouvrent sur l'extérieur, mais n'offrent en général aucun spectacle.

La séance parait plus courte certains matins, plus longue si ce n'est interminable certains autres. En fonction du degré de fatigue ou du degré d'interêt qui se sera éveillé en nous. Mais elle s'achève immanquablement. Au lycée, c'est pour passer à la prochaine, après les deux sonneries - celle du début et celle de la fin de la pause, au schtiblekh, c'est pour bientôt ressortir du bâtiment, aller décrocher son vélo et poursuivre sa journée vers les activités professionnelles ou ménagères. 

On ressort ainsi comme redressé, la séance pèse, on souhaite les vacances, mais elle a non moins un effet structurant. L'effet souhaité en accompagnement de l'adolescence, ou d'une année de deuil.



20. La fête du 40ème jour de l'omer



1. La version aboutie de l’homme est la version rationnelle se plait-on à revendiquer en occident.

A Paris (et comme disait Lévinas, « intellectuellement, nous sommes tous de Paris »), on ne croit pas aux balivernes. Dans la ligne de « je crois ce que je vois », et surtout dans le plus profond mépris (c’est profond au point de ne plus même être exprimé, on n’en ricane même plus. C’est au niveau du gaon de Vilna refusant de même rencontrer ce besht qui avait fait tout le trajet dans l’espoir d’une entrevue).
Qui au vingtième siècle, en Europe, serait pris au sérieux s’il venait fonder son propos sur un sentiment, sur une intuition? Pire sur quelque chose de mystique ?

Aujourd’hui est un de ces jours qui commémorent un évènement « qui n’en est pas encore un ».

Aujourd’hui, des mystiques, des excités, des idéalistes aveuglés par leurs idées préconçues fêtent , que dis-je prétendent fêter le jour de la réunification de Jérusalem.

Comme si pareille réunification avait réellement eu lieu vous diront certains. Jérusalem ? réunifiée? Continueront-ils « et la barrière? Jérusalem est une des seules deux villes encore marquées de la honte de la séparation vous assèneront-ils. « Ce qui s’est réellement passé en 1967, c’est que l’armée a contraint le pays à devoir dominer un million et demi d’arabes » auront-ils poursuivi avant que vous n’ayez repris votre souffle.

Jérusalem ? Réunifiée ? Vous diront d’autres « Jérusalem sera réunifiée quand le messie sera venu et qu’on n’y verra pas d’horreurs comme on voit aujourd’hui : mini jupes, publicités honteuses. On a même vu ces derniers temps une réclame pour des abonnements de couples pour un théâtre avec en illustration...un couple de deux hommes ! « Et il faudrait se réjouir ? Jérusalem devenue pire que Sodome et Gomorrhe, voilà la réalité » concluront-ils avant de vous laisser en plan avec vos illusions.

Jérusalem ? Réunifiée ? Mais quel juif oserait s’aventurer en partie arabe sans protection militaire ? Quel arabe s’installerait-il dans un immeuble de la partie ouest de la ville sans être repoussé, conspué si ce n’est répudié ? Vous diront les plus pragmatiques.

Et donc, non ! En aucun cas mentionner ce fait ! Aucun « yom yeroushalaïm » qui tienne ! En aucun cas ne dire ce jour un rituel de prière festif (hallel). Et si l’autorité rabbinique du pays l’a ainsi institué, ne s’y soumettre à aucun prix ! Et on ne dit pas le hallel pour un évènement militaire quelle horreur ! Business as usual.

2. Une tradition mystique véhicule l’idée que la période de l’année du calendrier juif dans laquelle nous nous trouvons, la période de l’omer qui dure 49 jours et sépare Pessah’ de Shavouot, est une période de deuil qui deviendra un jour période de joie, et que au fil de l’histoire, les évènements feront que les jours de fête s’y installeront jusqu’à remplir ces sept semaines de moments de joie.

Il y a déjà le fameux lag baomer, qui se rattache à des évènements s’étant produits du temps de Rabbi Akiva, il y a près de deux mille ans, et qui marque déjà comme la semi fin de la période d’ombre au bout de 33 jours au lieu de 49. On continue à se sentir pendant l’omer entre le 34ème et le 49ème jour, mais le deuil n’est plus de rigueur, on peut se couper les cheveux. On peut même célébrer un mariage.

Et certains disent que yom haatsmaout aussi est venu se placer pendant ce omer. Le 20ème jour.

Mais yom haatsmaout ne se rattache qu’à des évènements survenus il y a 70 ans. Et il faut plus que 70 ans pour convaincre des rationalistes. Deux mille ans passent tout juste la barre.

Yom haatsmaout « bénéficie » ainsi de sensiblement la même « popularité » que yom yeroushalaïm. Non évènements. Non jour de fête. Jour de catastrophe pour les plus extrémistes..ou les ennemis.

3. La semaine dernière, est venue s’ajouter aux dates de l’omer transformées en jours de fête la date du 40ème jour de l’omer.

Et il se passera probablement très longtemps avant que cela ne soit ratifié, et encore plus longtemps avant que cela ne soit accepté, tant par les sceptiques, que par les rationalistes, de Paris ou de Jérusalem.

Et pourtant, la semaine dernière s’est trouvée comme actualisée une histoire que l’on trouve dans la Bible, en Rois II chapitre 7. Où il est conté que le siège de Jérusalem s’est trouvé soudain comme miraculeusement levé. L’ennemi était là, et il s’avéra au matin qu’il était parti, qu’il avait levé le siège.

Les rationalistes, les gens sérieux, les européens, les parisiens, les lecteurs du Monde, vous diront que l’histoire géopolitique contemporaine n’est pas un ramassis de croyances primitives. « Soyons sérieux ! La Bible et ses légendes, comparée à notre actualité d’hommes modernes..laissez-moi rire » entendrez-vous rapidement si vous osez assimiler vos vues de l’esprit à la réalité.

Rien ne s’est passé la semaine dernière. Et surtout pas par l’intermédiaire ni d’un ou deux discours de dirigeants à ne prendre en rien au sérieux, assoiffés de rating, d’idées fixes, de populisme, ni du fait d’une prétendue opération secrète, ni du fait d’une attaque aérienne.

Rien ne s’est passé...si ce n’est que l’Iran qui suit ces vingt (ou quarante et une) dernières années une même ligne de demonisation d’Israël, d’obsession négationniste vis à vis de la shoah, et de menaces d’éradication de ce pays de la carte mondiale, le même Iran qui s’installait militairement en Syrie toutes ces dernières années, le même Iran qui menaçait tout dernièrement de réagir violemment à une attaque imputée à Israël, le même Iran a prononcé son « attachement à la paix au moyen orient et à un regard serein vers l’avenir ».

Il n’y aura que les mystiques pour oser avancer que le monde, et Israël en particulier a assisté la semaine dernière à un miracle. Un miracle en vertu duquel l’actualité est soudain passée de menaçante à tranquille. Les abris du golan ont été re-verrouillés, cela, tout le monde a pu le lire dans les journaux ou l’entendre à la radio, mais il ne se fait pas au 21ème siècle dans les cercles sérieux, rationnels, d’être départis de scepticisme et de croire à ce que l’on dit à la radio ou dans les journaux.

Je suis de ces mystiques. Une guerre a été ou évitée ou miraculeusement gagnée en temps éclair, et il convient d’appeler de tels retournements du nom de miracles.

Il faut dire le hallel à yom haatsmaout, à Yom Yeroushalaïm, et peut-être aussi le 40ème jour de l’omer.

Peut-être fixer d’élever ces jours au rang de jours de fête du calendrier juif est-il hâtif, inconsidéré. Peut-être ne pas les élever ressort-il de l’ingratitude.


21. Il faut que les choses soient dites.


Humeur et urgence !

En tant que se voulant citoyen honorable du monde, je me suis retrouvé abonné des courriers de avaaz, après avoir signé quelques pétitions pour l’amélioration de la planète...jusqu’au jour où je reçois le courrier avaaz intitulé « Gaza ».

J’y trouve matière à « indignation »...et ce mot n’est pas anodin puisque c’est entre autres de lui que je viens parler.

Mais je détaille en premier lieu ce sur quoi porte mon indignation du moment.

On trouve sous la plume de l’initiateur de avaaz, grand humaniste devant l’Eternel, ce que l’on n’a aucun mal à qualifier de position de relais des positions anti israéliennes de base :

« Les militaires israéliens viennent de tuer 60 manifestants désarmés, et en ont blessé 1300 autres par balle. 1300. Et ils le font le sourire aux lèvres » 

« C’est un massacre -- un de plus,  en 50 ans de répression militaire raciste et violente à l'encontre du peuple palestinien.  

D’autres États se sont vus sanctionnés pour bien moins. Les sanctions contre l’Afrique du Sud ont contribué à libérer sa population noire: il est temps pour le monde de se rassembler derrière des sanctions contre Israël pour libérer les Palestiniens. »

« Israël s’est écarté du chemin de la raison et de la paix pour se rapprocher de l’extrême droite. Un député a demandé à ce qu’Ahed Tamimi soit battue - il s’agit de la jeune Palestinienne qui avait giflé un officier après que son petit cousin ait reçu une balle dans le visage - et le ministre de la Défense en personne a menacé de punir la famille entière! »  .. ...

« L'armée israélienne prétend que les manifestations sont une invasion organisée par le Hamas et que quelques manifestants étaient armés. Ces affirmations sont contestées par les Palestiniens et la société civile internationale, sachant qu'Israël a souvent menti pour justifier ses actions. Et même si c'était vrai, pourquoi avoir tiré sur 1300 personnes situées à des centaines de mètres de la bande de séparation? Et pourquoi à balles réelles?! 

Les forces israéliennes contrôlent l'espace aérien et sont retranchées derrière des fortifications, avec souvent des kilomètres de désert derrière elles: quelle menace représente réellement la foule?! La peur et la victimisation hystériques du régime israélien ne connaissent pas de limites, et justifient les actes les plus cruels.

Gaza est en réalité la plus grande prison à ciel ouvert du monde, privée de produits de première nécessité depuis des années par Israël. Les personnes qui manifestent risquent leur vie par désespoir. Mais lorsque ces prisonniers osent s'approcher des murs de leur prison, leurs geôliers les abattent comme des animaux, bien en sécurité dans des miradors situés à des centaines de mètres. »

Fin de citation.

Après un tel discours, le lecteur trouve chez l’auteur un embryon de conscience :  « Les soutiens inconditionnels d’Israël sauteront sur l’occasion pour accuser Avaaz, et les nombreux membres juifs de notre équipe, de haine des Juifs »

Mais l’orientation est bien là :

« Mais notre équipe et les membres d’Avaaz aiment l'humanité toute entière, sans distinction. L’Holocauste est une réalité, le peuple juif a souffert de terribles persécutions et est toujours victime d’antisémitisme dans le monde entier.  

Beaucoup de ceux qui ont participé à la fondation d’Israël voulaient en faire le phare d’une voie meilleure. Mais leur vision a été trahie, et l'État d'Israël est désormais dirigé par un régime répressif et violemment raciste -- il mérite une condamnation internationale. Pas juste en paroles, mais en actes ».

Un discours qui me fait bouillir. Un discours qui me donne la nausée, et qui me renvoie à ces pretendus « indignés » du vivant de Hessel, relayés aujourd’hui par de prétendus « insoumis », lesquels ont surtout en commun cette démonisation d’Israël, qui ne fait en fin de compte rien d’autre que relayer ce qui n’est autre que le discours le plus antisioniste de base.

Ce discours ne reposerait-il pas sur une synecdoque ? Ce mode de langage et de regard en vertu duquel on assimile la partie au tout ?

Israël devient sous leur plume ce qu’il est presque le plus éloigné d’être. Israël est assimilé « à la louche », mais de façon générique, et qui fait tache d’huile, à l’Afrique du sud d’avant Mendela. « Israël » et « sionisme » sont, grâce à eux et leur militantisme hostile, devenus des gros mots pour le citoyen lambda.

Israël qui est un pays qui a été créé comme l’antithèse du colonialisme, c’est à dire par des individus qui trouvaient enfin une source d’oxygène à une vie marquée par l’antisémitisme, la pauvreté et l’immobilisme, et qui ont quitté le peu qu’ils avaient pour venir travailler de leurs mains, contre les conditions climatiques, contre les maladies, contre l’hostilité environnante.

Ces gens, qui étaient pour la plupart communistes, qui ont salué la révolution russe avant de quitter l’europe centrale, et qui ont créé les kibboutzim que l’on sait surtout dénigrer et critiquer aujourd’hui mais qui n’ont quand même jamais été de l’impérialisme ni du colonialisme, ces pauvres gens (dont mes grands parents étaient) étaient les migrants du début du vingtième siècle et leur chance a été qu’ils ont constitué un mouvement qui « a pris » et a engendré le soutien, tandis que ce qui leur est reproché aujourd’hui par tout ce public qui se targue encore d’être « de gauche », comme si là se trouvait la veritable noblesse de l’homme, parait de ne pas être restés pauvres et malheureux.

Leur chance a été qu’ils n’ont pas été utilisés par des dirigeants qui se seraient appliqués à leur conserver le statut de victimes et sous-citoyens, suivez mon regard.

Ils ont travaillé et travaillent encore aujourd’hui, où même encore choisir de venir vivre en Israël revient à renoncer à une partie du niveau de vie européen ou américain, revient a faire un choix difficile.

Israël a extraordinairement réussi. Le projet sioniste a abouti à l’inimaginable, si on regarde la croissance de population (près de huit millions contre à peine 200000 il y a un siècle), la démographie, bien entendu la technologie (« startup nation ») et même le sentiment de bien-être, et encore de multiples sujets.

Et il a encore mieux réussi si on le juge à l’aune de l’histoire juive, qui est l’histoire d’une bonne partie de l’humanité. Ce peuple hébreu, horde d’esclaves révoltés, ayant quitté dramatiquement l’Egypte,pouvait-il espérer meilleure réalisation de leur rêve?

Israël a de nombreux challenges. Celui de la transformation du « judaïsme d’exil » en hébraïsme, et celui de la population arabe paraissent les deux les plus visibles mais il est clair que le second obstrue le regard de façon disproportionnée.

Et je veux revenir sur ces challenges. Je veux que cesse d’être ainsi sali le beau nom Israël.

Vais-je ici commencer par le deuxième challenge?

Ce n’est pas que la relation aux palestiniens soit de second ordre mais je sens qu’elle fait tellement disparaître le reste qu’elle suivra et non précédera.

Le premier sujet doit être celui de la raison d’être de la présence juive sur cette terre. Et il n’y a pas mieux que de remonter aux origines même si le lecteur lambda français et laïque de fait et de principe vous rétorquera immanquablement qu’on ne fait pas reposer le présent sur de l’archéologie ou de vieilles reliques, fussent-elles bibliques.

Or il n’y a de « juif » que par la Bible. Il n’y a de juif qu’en affiliation à ce qu’est être juif dans le monde depuis Avraham le patriarche, et jusqu’à aujourd’hui, et la littérature sur le sujet est énorme. Le peuple juif est le « peuple du livre » et il ne saurait y avoir de controverse au sujet du judaïsme qui ne se réfère aux livres. Livres d’histoire et livres juridiques. Car le mot « juif » ne peut en rien être défini par la définition que décidera d’en donner le talkbacker de facebook.

Et c’est au travers de cette affiliation pluri millénaire que doit être examinée la meilleure façon d’être juif en 2018. Non parce qu’un vieux texte atteste de la présence de juifs sur cette terre, mais parce que les juifs ont affirmé, affiché et répété leur attachement à ce texte et à ce lieu quotidiennement depuis deux mille ans, en se tournant vers Jérusalem trois fois par jour, en mentionnant la construction de Jerusalem dans la prière et dans les bénédictions d’après chaque repas, et que ce sont ces faits qui sont consignés dans de nombreux livres.

Le sionisme - il faut apparemment le rappeler - n’est ainsi qu’occasionnellement consécutif aux évènements mondiaux du vingtième siècle, il est avant tout une affaire juive.

Et c’est au peuple juif de faire savoir au monde son lien à cette terre, tant au plan sociologique qu’au plan religieux.

Le rav Léon Ashkenazi, en son temps un des phares de la communauté juive d’expression française, décédé il y a vingt cinq ans, enseignait que la façon d’être juif avait évolué au fil des siècles et que ce qui se jouait avec le sionisme et la mise en place de l’état juif, c’est le retour du juif à l’identité hébraïque, l’identité juive étant celle du juif hôte des nations, et dont le judaïsme est limité à une forme religieuse et cultuelle, tandis que l’identité hébraïque est celle du judaïsme souverain. Et la Torah contient plus de lois relatives à l’application étatique du judaïsme que de lois relatives au culte.

C’est l’histoire des guerres et des exils qui a fait des juifs des exilés deux mille ans durant. Et les juifs ont opéré depuis la fin du dix neuvième siècle un spectaculaire retournement, initiant, encore avant la shoah, la fin de cette situation d’exil et de persécutions.

Mais le monde ne s’habitue pas au nouvel état, au double sens de ce terme. Le monde préfère les situations immuables. Les malheureux doivent rester malheureux.

Avant de se mesurer au monde extérieur, le judaïsme a énormément à faire pour « jouer » cette mutation, qui s’accompagne, une fois les manches retroussées, du challenge d’homogénéisation des diverses formes qu’a revêtues le judaïsme. A part un fantastique travail de construction et de développement, Israël est le lieu de cette mise ensemble multiculturelle. Israël a absorbé (partiellement puisqu’une partie est repartie) un million de juifs de l’ancienne URSS, Israël a absorbé les juifs éthiopiens, Israël a dû - et doit encore - supporter avec patience que juifs nés américains, latins, français, d’Afrique du nord, de Pologne, du Yemen d’Irak et d’Iran réussissent une vie commune à laquelle rien ne les avait préparés.

Et ceci se fait, s’est fait, et s’est fait par la force des choses, tel Terrence Hill, en gardant perpétuellement un oeil sur un ennemi qui n’est jamais devenu inactif, et le doigt sur la gachette.

Le monde feint non seulement d’ignorer tout ce développement qui n’a aucun égal, il s’attend à ce qu’Israël, devenu à plusieurs égards presque super puissance, nage avec aisance dans tous les milieux. Le monde a très vite relégué aux oubliettes la situation des premiers pionniers et ne voit plus Israël que comme un bastion impérialiste, et on est bien obligés de constater que les plus acharnés dans ce domaine sont les gens de gauche.

Le second challenge est celui de la relation aux palestiniens.

Ceux-ci ne sont pas à proprement parler interlocuteurs. Ils ne sont pas encore vraiment une entité, encore secoués par bon nombre de luttes intestines.

Force est de constater l’écart majeur qui existe entre les palestiniens d’une part et les dirigeants palestiniens d’autre part. Ces derniers semblent ne souhaiter qu’en dernier lieu mettre en place un état dans lequel la population pourra se développer et vivre une vie de citoyens.

Ces dirigeants mènent avant tout une lutte contre l’existence même d’un état juif, ayant refusé les propositions de la commission Peel en 1936, puis ayant déclenché une guerre suite au vote de l’ONU de partition de la Palestine en 1947, puis ayant créé l’OLP en 1964, et ayant veillé à conserver à la population le statut de réfugiés et de malheureux, à des fins essentiellement de pressions politiques antisionistes. De plus, il est impossible de ne pas prêter attention aux opinions ouvertement affichées négationnistes de la shoah et antisémites de Abbas.

La population, elle, est partagée, entre un sentiment nationaliste qui la pousse à s’opposer à Israël, et la possibilité à eux donnée par Israël mieux que dans tout autre endroit de se developper tant économiquement que professionnellement.

Énormément de contacts ont lieu au jour le jour entre les populations juive et palestinienne, essentiellement sur les lieux de santé et d’etudes, et les contacts se sont faits puis développés au fil des années.

Néanmoins, le compte reste ouvert. Les palestiniens souffrent des contrôles de sécurité, et d’un statut civil différent de celui des juifs, tandis que les juifs souffrent de la lutte armée que les dirigeants continuent de mener.

L’axiome « qu’ils arrêtent la lutte armée et il y aura la paix, que nous arrêtions de nous armer et nous serons menacés de disparition » demeure l’axiome de base de la vie sur place.

Et se pose ici la question de ce qui fera au mieux avancer cette situation qui, d’un côté, est loin d’être statique (Israël est en plein essor) et d’en parallèle, au chapitre de la cohabitation, parait immobilisée.

Les indignés d’hier et les insoumis d’aujourd’hui ont adopté une position stable : ils combattent, boycottent, fustigent, condamnent Israël, comme automatiquement.

Ils encouragent la démonisation d’Israël et contribuent à l’enseignement de la haine des israéliens et des juifs, nourri par les dirigeants palestiniens.

Ils combattent l’image même d’Israël et comme s’acharnent à encore et encore salir le nom et la réputation d’un pays qui peut apporter et apporte déjà au monde entier les fruits de la merveilleuse expérience humaine qui s’y déroule, ainsi qu’au plan technologique.

Français, citoyens du monde, réfléchissez et adoptez la position qui vous paraîtra la plus fructueuse, pour les palestiniens, pour les juifs, et pour le monde entier, parce que le conflit israélo-palestinien résonne dans le monde entier.

Ouvrez vos yeux et vos oreilles, et vos livres, penchez vous d’un peu plus près sur la réalité israélo-palestinienne plutôt que d’adopter une attitude générale de condamnation. 

Et ceux parmi vous qui sont juifs, pesez vos jugements et vos hâtives condamnations. Même quand elles sont au nom d’excellentes valeurs, même quand elles sont mues par votre indignation ou votre conscience, pourquoi devriez-vous apporter de l’eau au moulin du concert antisémite ?


22. Contre l'uniformisation de la pensée




Trois sujets qui ne sont apparemment pas liés l’un à l’autre mais au sujet desquels je rencontre le même décalage de pensée, et où je me trouve comme face à l’interdiction de penser ce que je pense, et un quatrième qui élargit le champ.

1.   Je trouve le titre suivant dans l’Express :”ces psys qui ont voulu guérir mon homosexualité », sous-titre : « en réponse au pape ». Je lis l’article, où une femme de bientôt 60 ans raconte comment elle a été comme abusée et conduite au suicide à l’âge de 17 ans, pour seul délit d’avoir été homosexuelle...et je dois avouer qu’en tant que professionnel de santé mentale, exerçant depuis plus de trente cinq ans entre autres avec des adolescents, je trouve entre les lignes de cet article bien d’autres choses. Je trouve par exemple que les parents d’une jeune fille mineure étaient désemparés, peut-être seulement entre autres, par le fait qu’elle avait une relation amoureuse, non seulement lesbienne, mais avec une femme de 38 ans. Je trouve écrit qu’elle a été vue et même hospitalisée par des psychiatres, que ceci se passait non au moyen âge mais en 1978 (et pour les gens de mon âge canonique ce n’est pas la préhistoire) et je trouve aussi que son père a demandé des excuses à sa fille sur son lit de mort « pour ce qu’il avait fait ». Je crains de n’être devant un article non écrit par quelqu’un qui comprend la sociologie et la psychologie de l’adolescence mais par quelqu’un qui cherche à aller vite, et avant tout à contrer les propos homophobes du pape. C’est à dire que le sujet ici est « ce que le monde moderne exige que l’on pense au sujet de l’homosexualité » et le militantisme contre une pensée qui va dans l’autre sens. Je lis en effet concernant cette femme qu’elle était une adolescente en souffrance, peut-être aussi en révolte contre ses parents, je lis qu’elle a été abusée par une femme âgée, qui aurait pu (dû) être jugée pour détournement de mineur - et ceci est passé sous silence par le journaliste (il y a prescription, mais il y a ici presque complicité ), et je suppose que l’hospitalisation était parce que le psychiatre a craint un état suicidaire, ce qui s’est confirmé (le journaliste appelle cela : « le psychiatre l’a conduite au suicide »...il doit écrire dans d’autres cas que l’oncologue a induit le cancer chez le malade...). Cet article est donc un détournement d’un cas clinique, l’utilisation d’un cas clinique au profit d’un courant de pensée, et quand je tente de réagir  comme me le propose obligeamment la rédaction je me retrouve face à l’unique possibilité de cocher entre quatre possibilités, et nullement la possibilité de dire ce que je pense, c’est à dire que cet article m’a en premier lieu scandalisé pour tout ce que je viens de développer. Et cela, il n’y a pas de place pour que j’aie le droit de le dire.

2.   Alain Michel produit un petit film, énième épisode du feuilleton de son combat autour du rôle de Vichy dans la shoah, il le publie sur le site des e.i.s et une des - très peu nombreuses - réactions tient à la « consternation de trouver de telles idées sur un site e.i. » J’écoute la vidéo et n’y trouve rien, ni de proVichy, ni de fascisant, et me reviennent les termes que j’ai plusieurs fois entendus de la bouche d’Alain, « on me condamne parce que je m’élève contre la doxa ». C’est vrai qu’Alain mène ici un combat qui ressemble à celui de Don Quichotte, et c’est vrai qu’il ne tient pas assez compte du fait que son discours plait aux pétainistes, encourage la réhabilitation de Pétain, et qu’il devrait donc la mettre un peu en veilleuse. Et il est possible que la jalousie de Paxton qui est dénoncée et lui est reprochée n’est pas absente de son combat, mais concernant la doxa, il se passe qu’Alain Michel se fait condamner et fermer la bouche surtout parce qu’il pense autrement. Et parce que ce qu’il pense est à contre courant.

3.   Le gouvernement israélien a fait voter la fameuse loi nationale, qui est presque universellement condamnée et le mot apartheid est sur toutes les bouches. Et ici aussi, je ressens en marge de la vraie question (combien cette loi est véritablement le signe d’une dérive fascisante de l’état d’Israël) l’interdiction de penser à contre courant. Je ne vois pas qu’il soit licite de poser le problème en disant : « c’est vrai qu’au nom des systèmes démocratiques avancés, l’égalité de droits est primordiale pour les citoyens d’un pays. C’est vrai que les exemples ne manquent pas de pays dans lesquels des minorités ont été opprimées et que le pire et le plus emblématique de tous a été l’apartheid de l’Afrique du sud. Mais notre cas est-il celui de l’Afrique du sud ?  Alors que tout le monde sait que le cas est différent. Tout le monde vit ou au moins assiste à la situation israélo-palestinienne et peut se faire une idée de sa complexité. En deux mots, il parait clair que le monde arabe ne peut officiellement pas se permettre d’accepter l’existence d’Israël à la place (non aux côtés) de la palestine, arabe et uniquement arabe à leurs yeux. Cela n’est que le discours du hamas et du hisballah mais tout le monde peut voir que même un Abbas est mû par cette tendance. Et il doit être clair aux yeux de tout juif qui souhaite un état juif que le jeu de la démographie est un jeu interdit. Israël ne peut pas se permettre qu’un arabe soit élu premier ministre, que les juifs soient minoritaires au gouvernement parce que cela n’irait nulle part ailleurs que vers la destruction d’Israël, à terme moyen ou immédiat. Et il est difficile de ne pas voir que les arabes, barrages et difficultés administratives mis à part non seulement ne vivent pas mal en Israël, mais vivent mieux sous domination israélienne que sous toute autre alternative arabe. Alors, leurs droits ne sont pas identiques aux droits des juifs, et ce gouvernement vient l’ériger en loi. Mais cela impose-t-il de voir en cela une démarche fascisante ? Cela impose-t-il de reprendre pour qualifier la situation un terme qui est surtout au service de tout le mouvement international antisioniste (bds entre autres) ? Ici aussi, penser à contre courant est comme impossible, on est tout de suite taxé de fascisme.

4.   Un article de Jérome Blanchet-Gravel, sur causeur.fr au sujet des réactions suite au mariage de Vincent Cassel, il y a quelques jours au pays basque.

Je le dis haut et fort : je ne suis pas homophobe, je ne suis pas pétainiste, et je ne suis pas favorable à un quelconque apartheid ou même une discrimination des arabes en Israël, et pourtant je me distancie du journaliste de l’express comme l’est de l’ouest, je suis prêt à écouter Alain Michel sans avoir l’impression de soutenir le fascisme, et si je déplore que ses hérauts soient aux commandes du pays, je ne condamne pas cette loi, et encore moins au moyen d’un terme qui consiste à verser de l’eau au moulin de mes ennemis. 

Et existe une certaine tendance à vouloir voir chez la gauche un voeu et une mise en oeuvre de meilleures conditions sociales, de pensée non rétrograde, non conformiste, non réactionnaire, non fascisante. Mais j’ai vu que le fascisme de gauche, que la dictature de gauche ont existé, existent, et ont peut-être fait plus de dégats que le fascisme de droite, celui tant et tant dénoncé par une gauche qui ne se rend pas compte que tant de dénonciations la conduisent au fascisme de gauche, à l’endoctrinement et à la dictature de la pensée, au « totalitarisme soft avec des airs de bohème » comme le disait si bien un Jérome Blanchet-Gravel que je ne connais pas (qui s’oppose au multiculturalisme, qui est taxé comme « de droite ») mais dont j’appréciai le discours, et en tout cas je ne considère pas qu’être de gauche immunise contre le fascisme.

Réagissez. Répondez-moi. Suis-je désormais « de droite »? Fascisant?