vendredi 5 août 2011

De quoi se réjouir ? Sur quoi pleurer ?


Ce mois de Av est voué aux états émotionnels. On y doit pleurer, on trouve à son milieu le jour le plus joyeux du calendrier.

Les questions les plus importantes sont donc celles des raisons de ces fluctuations de l’humeur, étant entendu qu’il ne s’agit pas ici de l’individu mais de sa collectivité.

Une collectivité qui est depuis des siècles soucieuse de sa cohésion, et de la définition de ce qui créa et maintient – ou met en péril – cette cohésion.

On doit donc, dans le peuple juif, être en deuil durant les 9 premiers jours de ce mois d’Av. C’est une tradition séculaire qui est restée stable bien que rattachée aux fil des ans à des causes diverses : les hébreux dans le désert auraient connu 40 années d’affilée ce jour comme jour des morts ( à conditions de vie exceptionnelles, conditions de mort tenues à un standard au moins équivalent : à en croire le midrach, on ne mourait pas de mort naturelle au cours de ces pérégrinations mais on creusait sa tombe chaque année le 8 av, et se relevaient le matin du 9 ceux dont le tour n’était pas arrivé ), les deux temples de Jérusalem, à 500 ans d’intervalle, ont été détruit ce même jour, la première guerre mondiale a éclaté ce même jour…..Un jour voué aux catastrophes.

A l’encontre, le 15 av est situé au pôle opposé. Jour des mariages, jour de la joie par excellence. Le même midrach qui raconte les tombes du 9 av situe l’apparition du 15 av dans la continuité directe : à la 41ème année après la sortie d’Egypte, les hébreux ont creusé une fois encore leurs tombes mais cette fois, personne ne mourut. Ils crurent dans un premier temps que la raison était une mauvaise mesure du temps : ils avaient certainement mal observé la lune et son renouveau et s’étaient trompés sur la date. C’est le 15 av, jour de la pleine lune qui leur confirma que leur compte était bon. La lune était pleine, on était le 15 selon leur compte, ils n’avaient donc fait aucune erreur et la conclusion qui s’imposait était que la malédiction du 9 av était abolie.

Il n’y a donc pas que le deuil du 9, mais le 9 et le 15 comme deux phénomènes reliés. Le deuil et la joie en relation l’un avec l’autre. La tradition considère ainsi ce même 9 av comme date de la naissance du messie. Ce même messie dont le rôle est de mettre fin au deuil, aux pérégrinations, à l’exil. Un messie dont le rôle salvateur est enraciné dans la souffrance.

Pourquoi de nos jours pleurer le 9 av ? Sur la destruction du temple de Jérusalem ? La tradition réfléchit sur ces deux destructions et ne pointe pas du doigt la puissance dont l’armée a commis la destruction, mais sur la cause de la victoire de cette armée. Il est ainsi communément admis que le premier temple a été détruit du fait de l’égarement du peuple juif vers les cultes idolâtres, tandis que le second l’a été du fait de la haine gratuite qui habitait et caractérisait la société de l’époque.

On ne pleure donc pas sur les ruines mais sur ce qui a amené à ces ruines. On hérite de la préoccupation, on reçoit en héritage la date. On sait que le 9 av est le moment de l’année où il convient de se préoccuper de son linge sale. Il ne reste plus qu’à chercher ce qui en 2011 est la principale tache, la principale ombre au tableau, étant entendu que l’exil ne peut raisonnablement plus être considéré comme une cause de tristesse. A part les juifs de Syrie et Guilead Shalit, aucun juif sur la terre n’est plus en situation d’exil forcé.

On me rétorquera que le sage sait que les mots n’ont pas qu’une signification concrète. Il y a exil géographique mais il y a peut-être pire, exil identitaire, exil par rapport aux valeurs. Le peuple juif n’a pas seulement été envoyé en exil au sens géographique mais son identité s’est trouvée éparpillée.

Ceci aussi semble révolu. Les juifs ashkénazes, les juifs séfarades, les juifs éthiopiens se sont retrouvés au cours des 50 dernières années, et ils ont pu constater que le peuple avait résisté à l’éparpillement. La Torah n’a disparu d’aucune fraction (hormis les fameuses dix tribus exilées encore indépendamment de la destruction su temple et dont les survivants, s’ils ont pu être semi localisés, ont visiblement perdu la mémoire des valeurs du peuple juif) du peuple.

La véritable question semble devoir être celle de l’interprétation, de l’utilisation, de l’application de cette Torah. C’est par rapport à elle qu’il faut chercher à définir ce qu’est aujourd’hui l’exil.

Exil de la pratique ? Exil de certaines valeurs ? Doit-on regretter de ne plus pouvoir pratiquer tout ce qui est prescrit dans la Torah en matière de sacrifices et de rituels liés au temple et aux notions de Sainteté et de pureté en ces temps de laïcité? Peut-être.

Doit-on pleurer sur la polarisation de la société en laïcs et religieux ?

D’une certaine manière, les deux derniers paragraphes renvoient aux deux causes des deux destructions mythiques. Comme pour dire que ces problèmes ont gravement nui à la société juive du passé, mais peut-être aussi pour exprimer qu’il faut aujourd’hui chercher ailleurs les causes du problème.

Doit-on pleurer sur ce qui est aujourd’hui pathologique dans la société juive ? Très probablement.

Et il faut donc aussi se réjouir sur ce qui se rattache à cela, puisque notre tradition nous rapporte que le 9 av et le 15 av sont indissociables.

Il faut pleurer sur les graves inégalités sociales que la société israélienne a produites, sur les énormes écarts de niveau de vie, sur l’exploitation des pauvres par les riches, sur les abus commis à l’égard de ceux à qui est donné un statut de citoyen de seconde zone, sur les anachronismes et les aberrations que l’on voit dans cette société, parfois maintenus ou commises au nom de la Torah, il faut enfin se demander si les abus et les déviances dans le domaine du sexuel qui paraissent aujourd’hui se développer comme champignons après la pluie ne devraient pas être le centre des efforts à faire si on veut réussir le passage du 9 au 15.

Il faut se réjouir de voir la société israélienne se réveiller contre les inégalités sociales après des décennies de passivité. Il faut se réjouir du développement de courants qui visent à combattre les problèmes de la société par l’intermédiaire des outils de réflexion que nous proposent les textes et la tradition. Ce sont ces courants qui devront faire progresser le niveau de moralité, l’abolition des inégalités et des abus. Il faudra se réjouir quand ceux qui se prétendent tant attachés à la Torah l’utiliseront autrement que comme prétexte à refuser de se joindre à l’effort collectif de cette société dans laquelle se joue le sort du judaïsme de demain.

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