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Les extrémités géographiques du périmètre que je vais
tracer sont à l’ouest la seine et, au-delà du pont d’Austerlitz le jardin des
plantes, au nord-ouest, la place de la Bastille, au nord, la rue Basfroi à son confluent avec l’avenue Ledru Rollin, et au sud la gare de
Lyon. A l’est, la frontière est tristement je dirais marquée par l’hopital
Saint Antoine, auquel aboutit ce récit.
C’est un périmètre qui s’étend à cheval sur le
onzième et le douzième arrondissement, et dont l’artère centrale est la rue du
faubourg Saint Antoine, celle qui marque précisément la frontière entre les
deux arrondissements.
Entre l’avant-guerre et le milieu des années quatre-vingt, ma famille maternelle habitait ce quartier.
Ma mère et ses parents s’y étaient installés
avant-guerre, au 219 rue de Bercy, tandis que mes grands-parents investissaient
les économies méticuleusement obtenues en dix ans de travail sur les marchés
dans la location de « la boutique », sur l’avenue Ledru-Rollin, en face de
l’église Saint Antoine.
La demi-soeur et le demi-frère de ma grand-mère
les avaient rejoints, et la guerre mit cette lente installation en hibernation.
Une hibernation très mouvementée, la famille ayant quitté Paris lors de l’exode
de 1940, puis s’était réfugiée à Prades dans les Pyrénées orientales, d’où ne
devaient revenir qu’une partie d’entre eux.
Ils surmontèrent les difficultés du retour d’après-guerre, difficultés financières (le stock qui leur avait permis de survivre s’était écoulé, l’appartement dont le loyer avait pourtant été régulièrement payé, avait été loue à un triste individu qui ne se laissa pas facilement expulser) et se réinstallèrent dans le quartier.
Les deux filles de mes grands-parents, ma tante Mathilde et ma mère quittèrent bientôt le foyer maternel, chacune s’étant mariée, et elles s’installèrent aussi dans le quartier.
Tandis que mon cousin Daniel naissait en 1949 au
4 rue de Candie, je vins au monde en 1955, au 64 avenue Ledru Rollin,
où nous
habitâmes jusqu’au passage à Wissous en 1961, au deuxième étage d’un immeuble
hausmannien, tout en longueur, avec balcon sur l’avenue. Un balcon baigné
quotidiennement de la fumée des locomotives de la dernière ligne non
electrifiée circulant le long de l’avenue Daumesnil et traversant l’avenue
Ledru Rollin sur le pont qui jouxtait le balcon.

J’ai des souvenirs olfactifs de cet appartement
qui abritait aussi le cabinet dentaire de ma mère, et des réminiscences (qui me
paraissent plus le souvenir de quelque chose que l’on m’a raconté qu’un
véritable souvenir d’enfance) de ce long couloir que je parcourais en tricycle,
et qui s’achevait par une chicane avec la cuisine sur la droite et la chambre
(ma chambre?) sur la gauche.
L’appartement des Sznajder était au 5ème étage,
ce qui fait que lui aussi (la plupart des immeubles hausmanniens ont un balcon
au second et un balcon au 5ème) avait un balcon, balcon très ètroit mais sur
lequel fut quand même chaque annee installée une soucca, entre 1973 ou 74 et
peut-être le dèbut des annees 80, avant la maladie puis le dècès de Simon en
1985, et le départ de Mathilde pour Israël peu de temps après.



On m’a raconté maintes fois comment une partie
de mes activités régulières étaient les visites à la boutique qui fut dans un
premier temps tenue par mes grands parents et ensuite par tante Lonia.
Je fus aussi irradié aux ultra violets par
Jacques Mallah en compagnie de Daniel (Mallah) qui a un an et demi de plus que
moi, dans leur appartement de la rue Michel Chasles où se trouvait aussi le
cabinet médical avant qu’ils ne montent habiter au 5ème, où il y avait aussi un
balcon. Une photo de lui, son frère Michel et moi dans une poubelle de jardin
publique est une preuve des jeux que nous avons joués ensemble au jardin des
plantes, lequel abritait aussi le jardin botanique, le musée paléontologique et
une ménagerie dont l’attraction la plus populaire - à mes yeux, aussi souvenir
induit - était le chameau.
J’allais à l’école maternelle rue Charles
Beaudelaire, où mme Lopata fut mon insitutrice, tandis que sa fille Geneviève
fut à peine plus tard ma première prof. de piano. Michel aussi apprit les bases
du piano chez elle, et peut-être continua-t-il plus longtemps que moi, je me
souviens en tout cas qu’il atteint un meilleur niveau que moi. Plusieurs années
à la suite, les Lopata, mère et fille, organisaient une séance annuelle de
concert pour tous les élèves dans leur maison de Sucy en Brie où nous nous
rendions cérémonieusement. J’ai quand même le souvenir de leur immeuble, et en
particulier des chaises qui avaient été disposées par elles sur les palliers
afin qu’elles puissent s’asseoir en cours de montée. Il me semble qu’elles
habitaient aussi au 5ème.
Mais à la différence des balcons de la rue de
Candie et de la rue Michel Chasles d’où nous lachâmes maints liquides sur de
malheureux passants, rien de tel ne se produit depuis l’appartement Lopata où
je ne suis venu que pour m’asseoir docilement face au piano et y jouer quelques
morceaux de débutant sous la conduite bienveillante de Geneviève assise à mes
côtés.
Le marché d’Aligre était dans mon souvenir comme
le centre du quartier, et je ne sais pourquoi, c’est à Mathilde qu’il est
associé, peut-être parce qu’elle en était la plus proche géographiquement, ou
qu’elle l’aimait.

Tante Lonia habitait au coin de la rue Emilio Castelar et de la rue de Prague, ainsi qu’Arnold et je n’ai que de vagues souvenirs de leurs maisons.
Habitait aussi dans le quartier, rue de Charenton, un couple sans enfants, les Stark, et j’ai dû passer du temps chez eux parce que j’ai plus de souvenirs. Ils avaient un chien nommé Bobby, une bonne pâte de chien, genre basset, et Lola, dont j’entends encore dans mon oreille la voix et l’accent polonais me servait quand je venais chez elle de la pomme râpée saupoudrée de sucre, que j’aimais beaucoup, ainsi que leur contact, à Francis et à elle.
Leur immeuble était d’un niveau inférieur aux autres mentionnés jusqu’ici et j’ai le souvenir de la cour, d’escaliers plus rudimentaires, et surtout des wc à mi-étages qui devaient encore être bien courants dans le Paris des années 50.
Les rues, leurs trottoirs, leurs pavés, et les entrées d’immeubles avec leurs lourdes portes ne sont ainsi pas moins importants dans mon stock de souvenirs que les maisons et les gens.

J’ai de forts souvenirs de l’avenue Ledru
Rollin, ses trottoirs, ses feux, ses ponts (celui du chemin de fer mais aussi
le pont d’Austerlitz qui en est l’aboutissement..ou le point de départ), ses
boutiques (le restaurant « la frégate » dont j’aimais l’enseigne), souvenirs
qui ne remontent pas qu’à la petite enfance puisque plus âgé, j’allais à la
piscine située alors (le bâtiment a été détruit il y a bien trente ou quarante
ans) dans les premiers numéros de l’avenue.
Je sens sous mes pas la rue Trousseau que
j’empruntais pour arriver rue de Candie, rue Trousseau où Daniel, puis Michel, allaient à l’école - on en voyait la cour depuis son balcon, elle est aujourd'hui le collège Anne Frank- , le passage Saint-Bernard, la rue de la forge royale (un
nom qui m’a toujours fasciné), où était la boucherie cachère,
et « le faubourg » comme tous l’appelaient.
Il était à l’epoque encore le coeur de
l’activité ébéniste parisienne.
Ce sont
les artisans ébénistes qui menèrent la révolte puis la destruction de la
Bastille.
Dans la partie qui va de l’hopital Saint Antoine à l’avenue Ledru
Rollin se trouvaient
tous les
magasins, toutes les échoppes de materiel, quincailleries spécialisées en
serrures, en poignées, en vis de toutes tailles. Après le métro
faidherbe-Chaligny, en direction du boulevard Voltaire se trouvaient tous les
magasins d’outillage du menuisier ébeniste, rabots, gouges, limes, ciseaux à
bois, scies, maillets à plaquer, trusquins, equerres, et dans la partie qui
reliait l’avenue Ledru Rollin à la place de la Bastille on ne trouvait aucun
autre commerce que marchands de meubles.
Ai-je puisé à ce faubourg la source de mon
activité ébéniste qui m’accompagne sans discontinuer depuis l’arrivée à l’âge
adulte ? Peut-être. Je me souviens que Marianne et moi fabriquions ma première
vraie table à La Troche sous l’oeil interessé de Simon, qui arriva le prochain
dimanche avec un « niveau », en bois passablement vermoulu, qu’il tenait de son
père et me remit ce jour solennellement en cadeau. Le niveau est toujours en
bonne place dans mon atelier.

Et last but not least j’ai le souvenir
d’énormément de temps passé dans l’appartement de la rue de Candie, chez Simon
et Mathilde, et Daniel et Michel Sznajder, aujourd’hui tous les quatre
disparus.
Cet appartement m’était très familier. Je peux
encore sentir son atmosphère, l’odeur d’encaustique qui l’envahissait, je me
souviens du moulin à café electrique accroché au mur de l’étroite cuisine,
au-dessus de la table, et de son fracas quand il était mis en marche, peut-être
plusieurs fois par jour.
Je me souviens de la conformation de
l’appartement, la salle à manger avec son accès au balcon, la chambre de Daniel
et Michel et je me souviens de m’y trouver, surtout en compagnie de Michel,
mais avec Mathilde, Simon, et Daniel, en toile de fond.

Daniel avait six ans de plus que moi, et donc
sept ans et demi de plus que Michel, et c’est une grande différence d’âge quand
on n’a pas encore même 15 ans. Je me souviens qu’il racontait les chahuts de sa
classe du lycée Charlemagne, comment il imitait tel prof. (qui par exemple
demandait à son meilleur copain pour le prier de baisser le store : « Charmes,
faites-en sorte que le soleil disparaisse » et Daniel de raconter cela à grands
renforts d’éclats de rire comme si n’existait pas de manière plus cocasse de
s’adresser à un élève).
Mes souvenirs de lui sont aussi très reliés à
nos grands parents communs, auxquels il était très attaché et au sujet desquels
son discours était régulièrement ponctué de fous rires, que ce soit pour
raconter tel épisode survenu en voiture, ou telle expression meurtrière - et en
yiddish - de pépé, et sont associés à la deuxième boutique, celle qu’ils
tenaient rue des fossés Saint-Jacques, en bordure du panthéon, quand Tante
Lonia eut repris la boutique de l’avenue Ledru Rollin. Alors, eux aussi avaient
dejà quitté le quartier, ayant un appartement au-dessus de la boutique.
A partir de cette époque, le centre de mon
activité parisienne se déplaça et se situa au quartier latin, avec le boulevard
Saint Michel, les stations Luxembourg et Odéon, et la rue Servandoni, racontée
ailleurs.
Je ne revins au faubourg que comme adulte
nostalgique qui trouve toujours une raison de passer par là-bas à chaque visite
à Paris, en général pour acheter du matériel d’ébénisterie, ou photographique
sur le boulevard Beaumarchais, de l’autre côté de la place de la Bastille.
Il y a un mois, Daniel ne survivait pas à son
hospitalisation en soins intensifs à l’hopital Saint Antoine, et succombait
encore avant d’avoir même entamé la vieillesse à une féroce maladie
auto-immune.
Que
son souvenir soit source de bénédictions.
מרכזה של המפה המנטלית שברצוני לסרטט כאן נמצא
סביב רחוב אחד בפאריס, שמוביל מן הקצה המזרחי של העיר אל מגדל הבסטיליה, ושמו rue du faubourg Saint
Antoine.
הרחוב
כמעט ישר לכל אורכו. הוא עובר דרך בית חולים Saint Antoine, שוק marché d’Aligre, חוצה את avenue Ledru Rollin ומסתיים כאמור בכיכר de la Bastille שעל רצפתה נמצאו שנים ארוכות שרידיה של המבצר
שהופל במהפכה הצרפתית ושבמרכזו מתנשא המגדל ולמעלה מלאך קטן שעומד על רגל אחת.
ביליתי
בשכונה זו את שנות חיי הראשונות, הייתי גר בavenue
ledru Rollin, לסבים שלי היתה חנות ללבני נשים באותו רחוב,
הדודים שלי היו גרים ברחוב קטן מקביל לfaubourg, בrue
de Candie, ועוד בני דודים אחדים היו מתגוררים בקרבת מקום, ב rue de Prague. כולם
היו קונים בשוק marché d’Aligre, אני
למדתי את שנות הגן, école
maternelle, ב rue Charles Baudelaire.
לציר
המרכזי הזה, היסטוריה מפוארת. זה היה מחוזם של בוני הרהיטים לאצולה, המקום בו
התפתחה הנגרות הארופאית, וכל חצר, כל חנות היו עוד מקום בו לקנות דברי פרזול או
כלי עבודה, או רהיטים, ונגריה ועוד נגריה.
העובדים
בנגריות אלה, שהיו עושים את כל עבודתם באופן ידני, לפני עידן החשמל, היו הפועלים
שלקחו את החלק הפעיל והמרכזי במהפכה הצרפתית. אלה הם שהפילו את מבצר הבסטיליה, אבל
אלה הם על מי יושבת מקצועיות עבודת העץ ליצירת רהיטים. בחצרות אלה פותחו ושוכללו
כל הטכניקות מהן מתפארת אומנות זו, באמצעות מפסלות, מקצועים, מסורים ופצירות מכל
מיני סוגים.
ואני
גדלתי שם באופן מקרי בלבד, כי השכונה היתה יחסית זולה, ולא רחוקה מהמרכז היהודי של
פריס דאז.
אבל
המקצוע הזה, ועיצוב ובניית רהיטים הפכה לחלק מאד מרכזי בחיי.
אין
לי יותר אף אחד מבני המשפחה בשכונה, אבל לעליות לרגל, או לחיפוש ורכישת כלי עבודה
ומרכיבי פרזול, או סתם לצילומי רחוב, אני חוזר לשם שוב ושוב