Fêtes austères, jours terribles, pour lesquelles
le repentir occupe la place centrale, jour du jugement, jour de jeûne, dit du "grand
pardon".
Y a-t-il plus individuel que ce moment annuel de
reprise de soi, d’auto-examen, de mea culpa ?
Longues heures passées en prière, en austérité,
le tout scandé par le shofar, cet instrument dont on pourrait se demander s’il
en est un ? Lui dont le son est si rauque, lui sur lequel on ne trouve aucune
touche, aucun accessoire par l’intermédiaire duquel moduler le son.
Le midrach sur les versets 2,3 et 4 du psaume
81, psaume chanté en son temps chaque jeudi au temple, et évoqué répétitivement le
jour de rosh hashana, a un autre regard.
Sur le verset 3 qui énumère trois instruments de
musique, le tambourin, le violon, la harpe (je choisis de donner à ces noms
hébraïques leur signification d’aujourd’hui, même s’il est clair que les psaumes
ne sauraient parler de ce que nous appelons aujourd’hui violon ou harpe) le
midrach nous étonne : « le violon est seul, la harpe est seule »
dit-il. Ou pire encore : « La harpe est ainsi nommée (nevel) car elle
abime (menabel) la mélodie »…comme pour venir désapprouver leur
utilisation en solo.
Et d’ajouter « avec l’ajoût des cordes, ils deviennent en interaction », comme pour dire : ce sont les cordes par lesquelles on atteint une musique, une harmonie.
Effectivement, tant le violon que la harpe ne sont que des assemblages de bois, assemblages travaillés et formes perfectionnées, certes, ils ne restent néanmoins que de la menuiserie, et ne deviennent instrument de musique qu’avec l’adjonction des cordes.
Dans la mesure où il s’agit d’un psaume lu le
Jour du Jugement, on comprend bien que les sages du midrach ne tiennent pas un
colloque ni sur l’artisanat ni sur la musique. Leur propos est le repentir,
l’être humain.
Lequel a aussi un corps, aux formes très
perfectionnées, aux assemblages très savants, mais lequel a aussi ….des cordes
! Des cordes – vocales - sans lesquelles il ne saurait émettre ni musique, ni
parole ni même son. Le corps humain aussi est entouré de peau.
Et de nombreuses études modernes ont été faites
sur la part du corps dans l’action, le vécu et la réflexion humains. On trouve
cela dans les écrits de psychanalystes anglo-saxons (Esther Bick par exemple)
ou français (Didier Anzieu - le moi-peau, Françoise Dolto - l’image
inconsciente du corps, Marie France Castarède - la voix et ses sortilèges).
Mais le midrach ne parle pas uniquement de
l’homme seul, de l’instrument seul, qui passe d’ouvrage d’ébéniste à caisse sonore,
le midrach parle d’harmonie, d’interaction entre le violon et la harpe.
Comme s’il venait discuter des vertus comparées
de la situation de l’homme seul et de l’homme en société.
Comme s’il venait peut-être interpeller cette
notion d’auto examen, d’individualisme.
Le psaume mentionne aussi le shofar, qui est
instrument non pourvu de cordes, et qui émet quand même des sons, sans pour
autant pouvoir interagir musicalement avec aucun instrument, et le midrach réquisitionne
aussi le verset 16 du psaume 89, que l’on prononce aussi le jour de roch
hachana après chaque sonnerie de shofar « heureux le peuple à qui la
notion de sonnerie est familière », pour s’interroger sur ces derniers
mots : « que signifie à qui la sonnerie est familière »? Et proposer
trois réponses :
1. Est familier de la sonnerie du shofar le
peuple qui marchait dans le désert, et au sujet duquel il est écrit dans la
Torah (Nombres 10 10 ) qu’il se mettait en route ou interrompait sa marche au
rythme du shofar.
2. Est familier le peuple dans lequel les sages
savent établir le calendrier, et donc calculer parfaitement la date à laquelle
il convient de sonner du shofar parce que c’est le jour du jugement. Et ce
calcul est particulièrement difficile puisque rosh hashana tombe à la tête du
mois, quand la nuit est sans lune et quand il n’y a pas de possibilité de
vérifier la date en observant la lune. Il faut savoir calculer.
3. La troisième interprétation est la plus
profonde, repose sur le sens plus figuré de cette "familiarité". Est
familier de la sonnerie, dit rabbi Abahou qui sait par son intermédiaire
dialoguer avec le monde d’en haut, qui sait s’adresser au Créateur, le
satisfaire et ainsi agir sur lui.
Et selon
cette dernière interprétation, le shofar est "l'instrument de l'amélioration"
(shipour), par le renouvellement (hodesh – mois, lu : hidouch), et c'est
l'interaction entre celui qui sonne et celui qui entend qui provoque ces
mouvements de l'humain, peut-êter en certaine analogie avec le système de la
psychothérapie qui aide le patient non tant du fait des interprétations du
thérapeute que du fait de sa présence, et de la relation qui se sera instaurée
avec lui..
Comme si les sages du midrach (que Lévinas dans
son admiration pour eux nommait les docteurs du talmud) 1300 ans avant que la
notion ne naisse en occident s’interrogeaient déjà sur les bienfaits comparés
du modernisme et du post modernisme, sur la question des impacts comparés de
l’action individuelle ou concertée sur la réponse à l’attente divine concernant
la marche du monde.
Comme si bien avant la deuxième moitié du 20ème
siècle, avant que le psychanalyste anglais Winnicott n’écrive sur les
phénomènes transitionnels, et sur la santé mentale comme se forgeant dans la
relation interpersonnelle, les sages du midrach se posaient déjà la question.
Nous bénéficions à notre époque de réflexions
avisées depuis l’intérieur du monde juif, reposant sur quelques
"porte-voix" (shofars ?) sachant donner du volume à l’étude des
textes écrits par ces Anciens, mais savons-nous encore recevoir et donner le
maximum de ce trésor intellectuel qui nous a été transmis ? cela ne
parait ni en proportion du développement démographique ni à l'aune de l'accroissement
de la tendance à s'habiller en noir et blanc dans la population juive…
Il nous semble que oui quand nous écoutons
quelques personnages de pointe, car il y en a, il nous paraît malheureusement
difficile de répondre trop affirmativement quand nous devons répondre de
certains douloureux aspects de la société juive d’aujourd’hui, y compris émanant
de ceux qui se prétendent être les garants ultimes de sa tradition.
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