mercredi 15 septembre 2021

Sur la "convocation d’automne", les instruments de musique et le post modernisme. Perles du midrach.

 



Fêtes austères, jours terribles, pour lesquelles le repentir occupe la place centrale, jour du jugement, jour de jeûne, dit du "grand pardon".

Y a-t-il plus individuel que ce moment annuel de reprise de soi, d’auto-examen, de mea culpa ?

Longues heures passées en prière, en austérité, le tout scandé par le shofar, cet instrument dont on pourrait se demander s’il en est un ? Lui dont le son est si rauque, lui sur lequel on ne trouve aucune touche, aucun accessoire par l’intermédiaire duquel moduler le son.

Le midrach sur les versets 2,3 et 4 du psaume 81, psaume chanté en son temps chaque jeudi au temple, et évoqué répétitivement le jour de rosh hashana, a un autre regard.

Sur le verset 3 qui énumère trois instruments de musique, le tambourin, le violon, la harpe (je choisis de donner à ces noms hébraïques leur signification d’aujourd’hui, même s’il est clair que les psaumes ne sauraient parler de ce que nous appelons aujourd’hui violon ou harpe) le midrach nous étonne : «  le violon est seul, la harpe est seule » dit-il. Ou pire encore : « La harpe est ainsi nommée (nevel) car elle abime (menabel) la mélodie »…comme pour venir désapprouver leur utilisation en solo.



Et d’ajouter « avec l’ajoût des cordes, ils deviennent en interaction », comme pour dire : ce sont les cordes par lesquelles on atteint une musique, une harmonie.

Effectivement, tant le violon que la harpe ne sont que des assemblages de bois, assemblages travaillés et formes perfectionnées, certes, ils ne restent néanmoins que de la menuiserie, et ne deviennent instrument de musique qu’avec l’adjonction des cordes.




 Voilà qui procède d'une réflexion très minutieuse, à laquelle je ne me suis moi-même élevé que par la fabrication de tels instruments.  Et il semble même que les utilisations différentes de ces cordes, cordes pincées ou frottées, et du matériau utilisé pour les fabriquer (cuir) sont inclues dans cette réflexion.


Dans la mesure où il s’agit d’un psaume lu le Jour du Jugement, on comprend bien que les sages du midrach ne tiennent pas un colloque ni sur l’artisanat ni sur la musique. Leur propos est le repentir, l’être humain.

Lequel a aussi un corps, aux formes très perfectionnées, aux assemblages très savants, mais lequel a aussi ….des cordes ! Des cordes – vocales - sans lesquelles il ne saurait émettre ni musique, ni parole ni même son. Le corps humain aussi est entouré de peau.

Et de nombreuses études modernes ont été faites sur la part du corps dans l’action, le vécu et la réflexion humains. On trouve cela dans les écrits de psychanalystes anglo-saxons (Esther Bick par exemple) ou français (Didier Anzieu - le moi-peau, Françoise Dolto - l’image inconsciente du corps, Marie France Castarède - la voix et ses sortilèges).

Mais le midrach ne parle pas uniquement de l’homme seul, de l’instrument seul, qui passe d’ouvrage d’ébéniste à caisse sonore, le midrach parle d’harmonie, d’interaction entre le violon et la harpe.

Comme s’il venait discuter des vertus comparées de la situation de l’homme seul et de l’homme en société.

Comme s’il venait peut-être interpeller cette notion d’auto examen, d’individualisme.

Le psaume mentionne aussi le shofar, qui est instrument non pourvu de cordes, et qui émet quand même des sons, sans pour autant pouvoir interagir musicalement avec aucun instrument, et le midrach réquisitionne aussi le verset 16 du psaume 89, que l’on prononce aussi le jour de roch hachana après chaque sonnerie de shofar « heureux le peuple à qui la notion de sonnerie est familière », pour s’interroger sur ces derniers mots : « que signifie à qui la sonnerie est familière »? Et proposer trois réponses :
1. Est familier de la sonnerie du shofar le peuple qui marchait dans le désert, et au sujet duquel il est écrit dans la Torah (Nombres 10 10 ) qu’il se mettait en route ou interrompait sa marche au rythme du shofar.
2. Est familier le peuple dans lequel les sages savent établir le calendrier, et donc calculer parfaitement la date à laquelle il convient de sonner du shofar parce que c’est le jour du jugement. Et ce calcul est particulièrement difficile puisque rosh hashana tombe à la tête du mois, quand la nuit est sans lune et quand il n’y a pas de possibilité de vérifier la date en observant la lune. Il faut savoir calculer.
3. La troisième interprétation est la plus profonde, repose sur le sens plus figuré de cette "familiarité". Est familier de la sonnerie, dit rabbi Abahou qui sait par son intermédiaire dialoguer avec le monde d’en haut, qui sait s’adresser au Créateur, le satisfaire et ainsi agir sur lui.

 

Et selon cette dernière interprétation, le shofar est "l'instrument de l'amélioration" (shipour), par le renouvellement (hodesh – mois, lu : hidouch), et c'est l'interaction entre celui qui sonne et celui qui entend qui provoque ces mouvements de l'humain, peut-êter en certaine analogie avec le système de la psychothérapie qui aide le patient non tant du fait des interprétations du thérapeute que du fait de sa présence, et de la relation qui se sera instaurée avec lui..

Comme si les sages du midrach (que Lévinas dans son admiration pour eux nommait les docteurs du talmud) 1300 ans avant que la notion ne naisse en occident s’interrogeaient déjà sur les bienfaits comparés du modernisme et du post modernisme, sur la question des impacts comparés de l’action individuelle ou concertée sur la réponse à l’attente divine concernant la marche du monde.

Comme si bien avant la deuxième moitié du 20ème siècle, avant que le psychanalyste anglais Winnicott n’écrive sur les phénomènes transitionnels, et sur la santé mentale comme se forgeant dans la relation interpersonnelle, les sages du midrach se posaient déjà la question.

Nous bénéficions à notre époque de réflexions avisées depuis l’intérieur du monde juif, reposant sur quelques "porte-voix" (shofars ?) sachant donner du volume à l’étude des textes écrits par ces Anciens, mais savons-nous encore recevoir et donner le maximum de ce trésor intellectuel qui nous a été transmis ? cela ne parait ni en proportion du développement démographique ni à l'aune de l'accroissement de la tendance à s'habiller en noir et blanc dans la population juive…

Il nous semble que oui quand nous écoutons quelques personnages de pointe, car il y en a, il nous paraît malheureusement difficile de répondre trop affirmativement quand nous devons répondre de certains douloureux aspects de la société juive d’aujourd’hui, y compris émanant de ceux qui se prétendent être les garants ultimes de sa tradition.

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