mercredi 9 avril 2025

Fêter la libération de l’esclavage d’Egypte ou le rétablissement de la parole éthique ?

Le midrach sur le psaume 114, psaume de la fête de Pessah' s'interroge sur les tenants et les aboutissants de la sortie d’Egypte et pose une question étonnante : "par quel mérite celle-ci s’est-elle opérée ?" Remarquons qu’il ne pose pas à cet endroit la question de ce qui fait que la sortie d’Egypte est devenue nécessaire, c’est à dire ce qui fait que les enfants d’Israël se sont retrouvés esclaves mais cette question fait l’objet de nombreux débats par exemple autour des textes de la Genèse qui exposent explicitement le programme ( Beréchit 15 « ta descendance sera étrangère dans un pays qui n’est pas le sien et ils seront opprimés quatre cents ans ». Une partie des midrachim souligne que la libération s’est effectuée non au bout de 400 mais de 210 ans parce que les enfants d’Israël n’auraient pas subsisté jusqu’au bout du programme prévu). Pas moins de neuf hypothèses sont proposées par les intellectuels du midrach pour traiter de la question. Les hébreux n’ont pas changé de nom, n’ont pas changé de langue, ne sont pas devenus pervertis au plan sexuel, n’ont pas révélé le secret qui les liait sont les raisons négatives proposées, tandis que viennent en miroir quatre raisons positives : ils ont été libérés par le mérite du sang du sacrifice de Pessah’ et le sang de la brit mila, par le mérite du sanctuaire, par le mérite des comparses de Daniel, Hananiah, Mishaël et Azaria, par le mérite de la génération du prophète Isaïe, et reste ni négative ni positive la raison proposée par rabbi Néhamyah : par le mérite de la Torah. Aucun ne donne la raison du temps écoulé, c’est à dire du programme divin, indépendamment de l’homme et de ses actions et son comportement. Ce qui est la première leçon. Le programme divin tient compte de l’homme si ce n’est dépend de lui selon les avis, qui sont en fait dégressifs sur ce sujet, depuis le sage pour lequel le rôle de l’homme est capital jusqu’à celui qui ne voit pas grande influence exercée par l’homme sur l’histoire du monde. Mais cette leçon demeure : la conception de tous ces sages est que l’homme est partie intégrante du programme. De l’histoire du monde, de l’histoire du peuple juif. Rabbi Yehouda me parait être celui qui attribue le rôle le plus direct à l’homme. l'homme reçoit au prorata de ses actes de piété. La sortie d’Egupte a eu lieu parce que les enfants d’Israël n’ont pas renoncé à la brit mila au fil des générations, et n’ont pas eu peur d’égorger en présence des égyptiens et alors qu’ils étaient au trefond des statuts sociaux de la société l’animal qui était sacré à leurs yeux. Ils les ont affrontés ouvertement et c’est là le mérite qui leur valut leur libération. Proche de lui est rabbi Abba bar Kahana qui dit que la génération du prophète Isaïe se singularise par sa capacitè d’opposition ouverte à l’oppresseur, à l’ennemi d’Israël. Rabbi Yehoshua ben Lévy, en bon prêtre fils de prêtre voit le service au temple comme ce qui conditionne le bien être de l’homme juif, ou de l’humanité. C’est de l’homme que dépend la résidence sur terre de la présence divine. Qu’il lui fasse sa demeure et l’esclavage, paradigme des souffrances humaines, disparaît. Rabbi Eléazar haKappar est un homme pieux qui voit le mérite dans la tenue à distance de la faute, faute par dépravation, faute par trahison passive (ne pas garder le secret, ne pas laisser filtrer aux yeux ou aux oreilles étrangers ce qui est notre spécificité), ou faute par assimilation. Le judaïsme pour lui ne serait pas tant exprimé par des actes positifs que par la tenue morale. Judaïsme vu comme une certaine noblesse. Judaïsme du « chez nous on ne s’abaisse pas à… ». Rabbi Nehemiah est d’une part celui qui est le plus exigeant. Il ne suffit pas pour lui d’appliquer les lois de la circoncision, du sacrifice de Pessah’ ou du service du temple, il faut garder toute la Torah, son message historique ainsi que les 613 commandements inclus…à moins que son avis soit plus universel : la Torah plus qu’apporte au monde, est la condition du monde. L’esclavage ne s’abolit pas de lui-même, mais par la mise en application d’un vaste programme moral et social dont la Torah est le détail et non uniquement le paradigme. Cela fait remonter les raisons au niveau divin, puisque c’est le Créateur qui donne la Torah au peuple juif, et par là au monde. Et on pourrait voir rabbi Nehemiah comme le plus maïmonidien de tous : le Créateur a son programme et la libération de l’esclavage n’est qu’une étape du programme. Le but est le don de la Torah et un des moyens de réaliser cela est d’orchestrer puis réaliser la sortie d’Egypte. Les niveaux d’humanité, de moralité, de piété, de fidélité, de fierté d’appartenance sont secondaires…à moins que l’on ne se souvienne que le midrach n’est pas le lieu du dialogue de l’exclusif. L’opinion de Rabbi Nehémiah ne l’emporte sur aucun autre avis. Tous les avis subsistent, et ce qui l’indique est toute la dialectique relative au don de la même Torah : la Torah existe en amont de la création du monde mais elle ne peut s’appliquer sur la terre que par l’intermédiaire de l’homme, qui doit la recevoir, lui trouver une place, la conserver, l’appliquer dans ses petits détails civils ou religieux comme dans ses dimensions philosophiques, et sociaux….ce qui confère non seulement un rôle à l’homme, mais le place en miroir du Maître de toutes choses, deuxième plateau de la balance sans lequel aucune pesée ne peut s’effectuer. Le séder de Pessah’ est par excellence le temps et le lieu de la transmission à la génération suivante de ces réflexions. Ce dialogue multiple est ce de quoi surtout le midrach est paradigmatique. Non de brillantes interprétations ou prises de position théologico-religieuses. Les sages du midrach avaient inventé bien avant l’heure, bien avant l’heure d’aujourd’hui, le dialogue éthique tel que Lévinas le developpe. Le bet hamidrach n’est pas une arène dans laquelle s’affrontent les idées et les opinions. Non une société dans laquelle on se jette mutuellement à la figure les mêmes accusations comme notre monde postmoderne, qui se voulait plus que moderne, meilleur que celui de nos parents, est aujourd’hui tristement le théatre. Nous vivons dans un monde où en Israël une moitié du pays accuse l’autre de détruire la société, de savoir ce qui est le droit chemin et la loi, tandis que l’autre moitié prétend exactement le contraire. Les uns nommés par la première moitié refusent ces nominations et ne se veulent pas représentés par les dits nommés, et ils prétendent nommer en place d’autres que les premiers ne reconnaitront pas. En dehors d’Israël, les mots d’apartheid, génocide, ont perdu leur sens premier et sont aujourd’hui assénés contre ceux-là même qui avaient eux-mêmes vécu les mêmes fléaux. Et le peuple pour peu qu’il ne soit ni spécialiste en la question israélo-palestinienne, ni en droit et en sciences politiques, pris en étau entre deux parties qui s’affrontent comme dans un combat de gladiateurs, n’a d’autre refuge que la prise de parti. Les uns prennent parti pour un camp, les autres pour l’autre camp et le clivage est généralisé, national autant qu’international. Il n’y a pas discussion ni dialogue mais hurlements, injures, colère et haine. Puisse la fête de Pessah’ être comme la déconstruction de son nom l’indique, fête du dialogue, fête de la parole constructrice et non partisane et guerrière, lieu de parole ethique où l’un cherche non à faire taire l’interlocuteur, objet de sa haine, mais à le laisser s’exprimer tandis qu’il l’écoute. À l’instar du dialogue midrachique. Mettons nous en situation de mériter la sortie d'Egypte, la libération des otages, la fin de la guerre, le retour à une situation sociétale plus saine.

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