mercredi 2 avril 2025

Sur la joie de la libération et la profondeur de certaines interventions midrachiques.



Le psaume de Pessah’ (Psaume 114)  est celui de la sidération provoquée par la sortie d'Egypte.

Evènement de haute portée, de dépassement de l'esclavage.

Et pourtant, quelle joie demande le midrach ? Et il est vrai que si les notions de soulagement, ou d’achèvement s’imposent, celle de joie ne saute pas aux yeux, n'apparait pas dans le psaume.

Pessah’ à la différence de Souccot n’est pas « yom simh’aténou » (jour de notre joie) mais « yom héroutenou » (jour de notre liberté)…et donc s’interroge le midrach : « de qui est la joie? » pour proposer une réponse quelque peu étonnante : non seulement il n’est pas clair qui des hébreux ou des égyptiens s’est réjoui le plus, mais il semblerait que les égyptiens aient été les plus heureux.

Heureux ? De quoi ? D’avoir soudain perdu la force de travail qui les accompagnait 210 ans durant ? Ne véhicule-t-on pas la légende que les hébreux auraient bâti les pyramides ?

Et du côté hébreu, doit-on parler de joie ? À en juger par les récréminations sans cesse exprimées par le peuple toutes les années qui ont suivi on peut réellement avoir tendance à contredire le terme. Soulagement oui, progrès social certainement, mais joie ?

Et le psaume est loin de mentionner ouvertement cette joie…au point qu'on ne la trouve que dans un mot « sollicité » : la joie, selon le midrach, se dissimulerait derrière le mot « loez » (qui signifie « étranger ») au prix de l’inversion de ses lettres et le « forcer » à devenir « aliz » (joyeux)…mais, nous rassure le midrach, on sait que joie il y eut…puisqu’on connait cet autre psaume (105, 38) qui relate ouvertement la joie vécue… par l’Egypte du fait de la sortie d’Egypte.

À moins que l’idée examinée ici soit celle du niveau d’humanité de la société…pour venir proposer que de l’abolition de l’esclavage bénéficierait peut-être plus l’ancien maître que l’ancien esclave.

L’esclave acquiert sa liberté, notion précieuse sur laquelle repose toute la fête de Pessah’…mais on dit quand même pendant le seder que sans l’action majeure de la sortie d’Egypte, nous serions encore aujourd’hui esclaves en Egypte, ce qui veut dire que nous n’aurions pas disparu sous le joug de cet état. Et ne dit-on pas que seul un cinquième du peuple s’est associé à l’évènement ? Ce qui veut dire quoi concernant les quatre cinquièmes ? Exterminés par les égyptiens ? Par l’ange de la mort ? Ou restés en Egypte…comme peut-être aujourd’hui où des juif sont restés, même en Iran, même en Algérie…même dans de nombreux pays dans lesquels ils ne sont pas esclaves. Mais sont-ils heureux ? sont-ils libres ?

Et qui ne sent pas se profiler dans la première demi-page de ce texte la silhouette de qui disait déjà au lendemain de la guerre des six jours qu’il n’y avait rien de plus urgent que sortir de ces territoires miraculeusement annexés à Israël…de peur de devenir pervertis par l’oppression d’un autre peuple ? Qui ne comprend pas à qui je fais ici allusion est convié à regarder la série en trois volets sur Ishayahou Leibovitz. Même Ariel Sharon que l’on ne peut soupçonner de gauchisme a effectué le désengagement de Gaza en 2005 en proclamant que "le peuple juif n’a pas vocation à dominer un autre peuple"…

Comme pour dire que dans l’abolition de l’esclavage, l’esclave accède à une meilleure condition sociale mais celui qui s’est réellement élevé est celui qui a renoncé à la domination et l’oppression de l’autre.

Le midrach poursuit son investigation par une autre profonde réflexion, et je veux au passage encore une fois souligner l’impressionnant niveau de réflexion auquel nous convient si régulièrement les « docteurs du talmud » comme les qualifiait Lévinas, dont nous connaissons les noms et, modestes parmi les modestes, les compilateurs-rédacteurs-rapporteurs anonymes de ces "colloques d’intellectuels" ainsi mis en textes et que nous appelons « talmud de Babylone », « talmud de Jerusalem », « midrach rabba ». Certains sont signés (pirké de Rabbi Eliézer, meam loez, et bien d’autres) mais les « anonymes » du fait qu’ils mettent en page chaque fois divers avis, diverses opinions et idées, sont plus riches de ce seul fait. Ces compilateurs ne jouissent pas du mérite qui leur revient. Ils sont les équivalents des rédacteurs de nos encyclopédies modernes, éminents professeurs dont les noms ne figurent qu’en fin de volume et qui ne sont connus que de ceux qui vont aller s’entêter à lire les « petites lignes ».

Le midrach poursuit donc l’étude de notre psaume par la question soulevée par le mérite de l’association libre chère à la psychanalyse : si on a parlé de joie, c’est parce que celle-ci figure dans un autre psaume, un autre texte (nos docteurs du midrach savent bien entendu par cœur toutes les sources qu’ils citent, chacun est une Concordance sur pieds, et ne doivent rien à google), mais aussi réapparait dans un autre verset où est dit qu’il faut glorifier l’Eternel, qui domine le monde, chevauche dans les nuées, que son nom est Yah (« beYah chemo »), et qu’il convient de le célébrer dans la joie ( psaumes 68, 5).

Rabbi Yehouda Hanassi, l’éminent rédacteur de la michnah interroge sur cette formule un rabbin, dont le nom ne s’élève pas au-delà du présent texte, et reçoit de ce dernier une réponse pourtant fracassante de sagesse. Fracassante au point qu’elle plonge Rabbi Yehouda dans la mélancolie « quel malheur que ta réponse me parvienne alors que Rabbi Eleazar n’est plus de ce monde. Je lui avais posé la même question mais il n’a pas su approfondir au point de trouver la réponse que tu viens de donner ! ». Sagesse de l’antiquité, sagesse du moyen âge, sagesse que nous avons tellement été encouragés à mépriser lors de nos années passées chez Jules Ferry, où on enseignait ce moyen âge comme ayant été « la cuvette de l’Histoire », comme une sombre période de primitivisme. François 1er aurait découvert l’usage de la fourchette tandis que ses ancêtres se nourrissaient avec leurs mains, nourriture servie dans des trous creusés dans les tables.

Quelle arrogance ! Quel regard paternaliste, méprisant et dévalorisant ! Quelle ignorance de la profondeur de ce qu’ont été capables de produire l’école française des Rachi et des tossefot. L’école de Provence, l’école d’Espagne ! Aucun doute que chez de pareilles têtes on ne mangeait pas dans un trou creusé dans la table. Une table qui ne servait pas qu’à manger mais à poser les manuscripts que l’on lisait et écrivait…et dont la puissance est telle qu’on les lit et étudie encore mot à mot dix siècles plus tard…et bien malheureux qui n’a aucun recours à cela, aucun accès à cela, aucune conscience de cela.

Et quelle est donc l’explication fracassante de notre semi anonyme rabbi Shmouel bar Nah’man ? : « Il ne faut pas lire « beYah chemo » mais « biyah chemo », dit-il.
On doit comprendre de cette évocation en deux mots « qu’il n’est pas d’endroit au monde où l’homme n’est pas responsable de sa biyah. »

Qu’est-ce donc que cette biyah ? S’appuyant sur plusieurs sources talmudiques, que notre docteur connaît aussi par cœur, le mot biyah a plusieurs significations. Le sens premier remonte à la racine verbale b.a. et signifie la venue. Mais le mot a d’autres significations plus élargies, comme par exemple le fait de faire régner la justice, ou l’acte sexuel. Fort de ces significations, on est invités par notre rabbi Shmouel fils de rabbi Nahman à comprendre que ce par quoi le créateur domine le monde et justifie qu’on le célèbre dans la joie, est le souci de la justice dans le monde. Et l’enseignement ajouté est que l’homme est tenu d’appliquer cette qualité « où qu’il se trouve dans le monde ».

Nous apprenons de cela effectivement une leçon fracassante : la joie de la sortie d’Egypte est une joie multidimensionnelle. Elle irradie le maître et l’esclave en ce qu’elle élève l’humanité à un nouveau niveau. Non seulement niveau de liberté individuelle mais niveau de responsabilité universelle. Le mouvement profond de la sortie d’Egypte consiste à muter l’humanité du degré maître-esclave au degré de responsabilité de l’homme pour l’homme. C’est une mutation qui a de quoi générer la joie.

Autre enseignement en marge du précédent et qui vient enrichir notre lecture habituelle et littérale de l’ouverture du traîté Kiddouchin du talmud : « la femme s’acquiert par trois voies, argent, contrat ou acte sexuel » (« kessef shtar oubiyah »).
De nos yeux européens du 21ème siècle, nous nous offusquons de ce texte plutôt qu’autre chose. Le monde primitif ne donnait aucun statut à la femme. On l’achetait comme une marchandise, et il n’y avait même pas besoin d’argent. Un regard plus approfondi et moins imbu de notre modernisme permettrait d’accéder aux autres dimensions incluses dans cette michna : la relation homme-femme doit être gérée par la société. Il faut publier les bans. Il faut un contrat. En son absence, l’argent peut être mis dans la balance comme preuve du sérieux de la démarche. Et surtout, ne pas se leurrer et se persuader qu’un acte sexuel peut être gratuit et sans lendemain. Acte sexuel, même quand il n'origine aucune naissance équivaut à engagement, implique responsabilité, et est pris en compte par la société comme acte dont la responsabilité de l’individu qui le commet ne saurait être dégagée nulle part.

Que cette fête de Pessah' 5785 soit celle de la libération des esclaves dans le monde, des otages de Gaza, et de dépassement du niveau ethique actuel de notre société.

vendredi 27 décembre 2024

Le peuple juif et la terre d'Israël


 Les évènements qui ont débuté le 7 octobre 2023 et qui envahissent depuis le moyen orient, les médias de tout l’occident, et les rues, israéliennes, palestiniennes mais aussi parisiennes, newyorkaises et d’Amsterdam, remettent au premier plan la difficile question du judaïsme.


Qu’est-il ? Religion ? Culture ? Peuple ? Peuple qui a droit à la souveraineté dans un pays bien particulier ? Où doivent vivre les juifs ?

En France, pays dans lequel les juifs sont implantés depuis plus longtemps que la plupart des groupes ethniques desquels descendent les français dits de souche, le judaïsme semble cependant avoir de tout temps été difficile à porter.

Expulsés à de multiples reprises, les juifs ne jouissaient pas du même statut que les gentils, ils subissaient insultes, humiliations, ou avaient à se mesurer à diverses sortes d’actions violentes, les croisades et l’inquisition ayant été les plus graves. Leur statut était dicté par le regard de l’église, un regard fort critique - si ce n’est ouvertement hostile jusqu’à “Vatican II” - , en fonction duquel le judaïsme était la religion des errants, maudits ou descendants de ceux qui avaient fait le mauvais choix, ou encore, avaient tué le messie.

Les juifs - de France et de nombreux lieux dans le monde - , regroupés en communauté poursuivaient leurs traditions composées essentiellement de culte et d’étude de la Torah écrite et orale (commentaires incluant le texte de Rashi et de son école - ayant tous vécu dans divers lieux en France - sur la Torah et sur le talmud), tandis que le regard du monde environnant se limitait à leur culte. Vivant au cœur d’un monde fortement chrétien, ils étaient “ceux d’une autre religion”.

La révolution française bouleverse un peu la donne, les fait accéder au statut de citoyens, et repousse un peu la religion en France à l’arrière-plan, processus accentué par le régime de Napoléon qui prône l’assimilation, la limitation des pratiques religieuses à l’intérieur de la maison, puis couronné par la loi de 1905 sur la séparation de l’église et de l’état.

Le résultat cumulé aux dix-neuvième et vingtième siècle est une population française de moins en moins pratiquante, et une population juive de moins en moins instruite, les non-juifs comme les juifs réduits à juger catholicisme, protestantisme ou judaïsme comme des religions, pratiquées par les plus conformistes et vues comme archaïques et rejetées par les modernes.

L’enfant que j’étais dans les années soixante se savait juif mais vivait les 95 pour cent de son temps en milieu laïque ou catholique. Parmi les juifs qui allaient comme moi à l’école de Jules Ferry, j’étais parmi les plus instruits au niveau juif, alors que mon degré de connaissance était bien faible, extrêmement lacunaire, connaissant l’existence de la loi orale mais n’en ayant approché qu’une infime partie.

Je savais un peu la liturgie, je savais surtout l’histoire des Patriarches, de Moïse, de la sortie d’Egypte, je savais surtout l’histoire de la mise en place du peuple juif.

Avraham comme créateur d’un message universel monothéiste, qui achète la mearat hamakhpela - alors caverne, aujourd’hui grand bâtiment - , et qui crée le lien géographique à la terre d’Israël. Avraham au sujet duquel écrit rabbi levi dans le midrash rabba « avant Avraham, aucun berceau n’était bercé dans le monde » (berechit rabba 53,1), ce qu’interprète le rav Daniel Epstein comme l’instauration de l’éthique dans la civilisation. Avraham comme instaurateur non uniquement du monothéisme, d’une religion, mais d’un autre niveau d’humanité, initiateur de l’éthique.

Avraham puis la Bible comme outil de moralisation de la civilisation, comme instaurateur du jour hebdomadaire férié, des droits des travailleurs…et bien d’autres lois et coutumes.

Puis, grâce à de l’approfondissement par l’étude, auprès de figures comme Lévinas, Manitou, grandissant au sein de ce qui s’appelle désormais l’école française du judaïsme moderne, j’ai découvert des valeurs promues et véhiculées par d’autres personnages, par le texte de la Torah au départ, mais bien en distance de la dimension religieuse, valeurs attachées à ce que doit véhiculer à travers l‘espace et le temps ce peuple mis en place généalogiquement et historiquement.

Le rav Israël Méïr Lau, ancien grand-rabbin d’Israël, survivant de Buchenwald raconte comment cinq cents enfants dont lui se sont retrouvés en 1945 à Ecueille à la sortie du camp, alors qu’il avait huit ans. Au bout d’un mois, 136 sur les 500, dont lui et son frère Naftali qui le gardait sous son aile depuis qu’ils avaient été arrachés à leurs parents, firent le choix d’aller en Palestine. Il raconte comment ce choix lui paraissait le plus naturel du monde, le plus cohérent avec le message qu’ils avaient reçu au cours de leur enfance, chacun venant d’un shtetl différent. Ceux qui ne se joignirent pas incluaient ceux qui préféraient une destination qui leur permettrait de retrouver des membres de leur famille, ceux qui choisirent de rester en France et de s’y établir, ceux qui craignaient la situation de guerre en Palestine, et de s’y retrouver à nouveau poursuivis ou en danger, mais pour tous la Palestine représentait une option en phase avec le message juif qu’ils avaient connu, message ancestral dans lequel ils avaient baigné.

J’ai moi-même grandi dans un souvenir familial collectif de grands-parents qui avaient quitté la Pologne en 1924 pour la Palestine, ma grand-mère ayant grandi auprès du premier admor hassidique à prôner le retour à Sion dans un livre (“Shalom Yeroushalaïm “) écrit en 1895, mon grand-père séduit par l’intermédiaire de sa sœur par le projet socialiste.

Mais je vivais en France, en milieu non-juif, à l’époque de mai 68 quand l’affiliation à la gauche si ce n’est l’extrême gauche coulait de source, et avec elle l’inconfort de la double allégeance, cette extrême gauche commençant à afficher ses sentiments antisionistes qui ne se sont qu’accrus avec le temps.

« Ce sont des antisionistes qui flirtent avec l'antisémitisme, qui résument Israël à la colonisation en ignorant toute la dimension de mouvement national juif et de son histoire au XIXe siècle », écrit la spécialiste Martine Cohen, pour décrire l'UJFP, qui « est souvent perçue comme « infréquentable » au sein de la communauté juive. » (Martine Cohen, dans Marianne 15.11.23 petit guide des organisations juives de France.

« Historiquement, leurs membres viennent pour la plupart des rangs communistes ou de l'extrême gauche. Leur appellation est très belle, "pour la paix", ça pourrait convaincre tout le monde. Mais en réalité, leur discours se résume à faire une critique systémique et systématique, non pas des gouvernements, mais de l'État d'Israël », analyse Jean-Yves Camus, pour qui l'ampleur de l'association demeure toutefois « groupusculaire ».

Ces juifs français, plus français que juifs, étant devenus de moins en moins ancrés dans le judaïsme, se sont finalement forgés un regard « autre » sur une histoire de laquelle ils continuent quand même à se sentir tripalement solidaires.

Mais il leur faut un judaïsme à la française, qui ne soit qu’une religion, de laquelle on prend ses distances vu la connotation archaïque du terme..

Et puis, ils sont pour la plupart des gens qui ont grandi dans l’ambiance générale qu’il n’y aura plus de guerre. On a dépassé ça. La guerre est sale. Rien n’est plus souhaitable ou urgent que le cessez-le-feu, personne n’est plus impopulaire qu’un militaire.

Et puis le colonialisme français a pris - soi-disant - fin. C’est l’heure de la compassion pour les civilisations qui ont été dominées sous le fallacieux prétexte de leur modernisation.

Israël est ainsi rapidement passé, à leurs yeux comme aux yeux du monde “woke”, de pays suscitant l’admiration, avec les kibboutzim, avec le côté terre d’asile pour l’après-shoah, à pays colonialiste, impérialiste, les palestiniens endossant (et maintenus dans) le rôle des “vraies” victimes.

Israël, pays de renaissance du judaïsme, ne l’est pour ainsi dire jamais devenu aux yeux d’une gauche dévouée aux faibles.

Il ne fallait pas qu’Israël se développe, que son armée soit forte. Les guerres de 48, remportées par des survivants, étaient des prouesses mais le début d’un tournant qu’ils redoutaient alors et combattent aujourd’hui.

La question est peu de savoir si la guerre contient des exactions, des actes immoraux, des actes barbares, ou si ces actes sont ou non réprimés, la question capitale est si leurs auteurs sont élevés au grade de héros ou jugés.

Jean Pierre Lledo, dans « Israël -le voyage interdit » 2020, documentaire auto-biographique monté par Ziva Postec, examine Israël au prisme de ses opinions et choix de vie, étant né en Algérie et y résidant même après l’indépendance, exilé de là-bas depuis 1993, du fait de menaces de morts suite à l’achèvement d’un film réactif au pouvoir en place. Son film ayant été choisi par le festival du cinéma de Jérusalem en 2008 et lui ayant accepté l’invitation, il y découvre une situation radicalement différente de l’idée d’Israël qui était solidement ancrée en lui, ayant été élevé dans une famille communiste assimilée. Le film promène à travers tout le pays et met en scène de nombreux personnages, parmi lesquels l’historien Benny Morris, le spécialiste universitaire du sionisme Denis Charbit, le professeur politologue Alain Greilsammer, l’adjoint au maire de Acco, arabe et membre de la liste islamiste, le professeur Benjamin Gross, et encore de nombreux autres, juifs de toutes les provenances, citoyens arabes, qui s’expriment sur la société israélienne, sur les motifs de la présence juive, en passant par des villes juives et arabes.

En 1963, dans les Cahiers de l’Alliance Israélite, Emmanuel Lévinas, alors directeur de l’ENIO, écrivait : « mais il y a un autre symptome de ce vouloir rester juif au contact du monde le plus large et dans la confiance en les réalités de ce monde. Il y a un langage nouveau de toute une jeunesse formée aux disciplines universitaires et qui s’est tournée pour sa culture vers les textes traditionnels bibliques et talmudiques et qui leur demande des enseignements sur le monde et sur les hommes. Les textes qui à la génération précédente apparaissaient périmés se gonflent de significations parlant à une conscience ouverte sur l’univers. Elles se traduisent en langage moderne, langage que parlent les hommes politiques, les économistes, les philosophes.
Les pensées des sages du talmud ne sont plus les préceptes d’une sagesse antique et folklorique mais détiennent les forces propulsives de la pensée et de l’action. » allocution au cours de la réunion de l’alliance du 24 juin 1963, compte rendu intégral, p.18 titre du paragraphe : « école de Paris ? ».

Combien ce message reflète-t-il l’identité juive, des juifs d’Israël ? des juifs de France ? Des juifs du monde ? Combien est-il entendu et compris par les non-juifs ? Et surtout combien peut-il s’accorder avec les diverses visions tant du judaïsme que de la place à concéder aux juifs sur la terre d’Israël ?

Ce sont les véritables questions posées par cette guerre .

Une guerre qui survient 75 ans après la proclamation de l’état d’Israël, après quelques 120 ans de sionisme actif, après que les palestiniens se soient constamment opposés à cette présence juive qu’ils persistent à considérer comme insolite, intrusive et inacceptable.

Les juifs du monde entier savent que l’état d’Israël n’est autre qu’un retour, qu’une continuité, et qu’il a été et est encore le lieu d’une renaissance et d’une transformation d’un peuple de l’Antiquité considéré comme disparu en une nouvelle nation, pluriculturelle, fruit du mélange de toutes les variétés ethniques apportées en Israël des innombrables lieux du globe d’où sont revenus et continuent de revenir les juifs.

Le soutien unilatéral manifesté aux palestiniens de Gaza comme victimes d’une agression, alors qu’elle ne s’est produite que du fait de leur invasion barbare le 7 octobre 2023, est une accréditation du déni de tout le phénomène que la création de l’état d’Israël a engendré, et est la raison de voir cette guerre non comme un des innombrables rounds qui se sont produits depuis 1929 entre les juifs et les palestiniens, mais comme une autre affirmation de la renaissance d’Israël, laquelle est déjà bien sensible et publique, dans tous les domaines de l’humain.

Phénomène de renaissance d’un peuple et de sa culture, deux mille ans après l’exil forcé qu’il a subi.

Phénomène difficile à reconnaître derrière les dissensions de la société israélienne d’aujourd’hui, tiraillée entre un courant ultraorthodoxe en expansion du fait de la démographie, un courant religieux sioniste nationaliste, et une seconde moitié du pays peuplée de modernes européanisés, certains traditionalistes, certains séculiers. Mais phénomène très visible si on observe le pays proportionnellement à sa jeunesse : un pays qui a réussi quantité impressionnante de prouesses, renaissance de la langue hébraïque, intégration de réfugiés et d’immigrants de tous les pays, développement économique, scientifique et universitaire…y compris au plan militaire, ayant permis la victoire de toutes les guerres menées contre lui, celle du 7 octobre 2023 comprise, et last but not least, pays dans lequel la solidarité et la bienveillance sont bien supérieures à ce que l’on peut trouver de par le vaste monde, où les gens marchent inquiets dans les rues, où on ne laisse pas un enfant dans une voiture de peur qu’il ne soit kidnappé, où on craint de laisser les enfants marcher seuls dans les rues. Les rues sont le plus souvent sûres en Israël, les adolescents depuis l’âge de douze ans envahissent les rues le vendredi soir après le repas familial et y manifestent leur bien-être jusqu’à la fin de la soirée.

Les découvertes de Freud au début du vingtième siècle que l’individu est muni d’un inconscient, et que le développement de l’humain est une dynamique “psycho-sexuelle”, sont pour ainsi dire accréditées par l’opposition qu’elles continuent à susciter.

Ainsi en est-il du sionisme. Mouvement en continuité de l’essence même du peuple juif, et dont la poursuite de l’opposition qu’il continue à susciter cent ans plus tard est comme une justification supplémentaire à sa raison d’être. Le peuple juif existe, depuis l’Antiquité, et après avoir subi une répression de vingt siècles, a su conserver son ciment et sa motivation à refaire vivre sa souveraineté.

dimanche 22 décembre 2024

Ethique et communication. De Joseph "le sage" à "glaives de fer".

 

Si la paracha vayichlakh dans laquelle se produit le viol de Dinah par Chkhem, fils de Hevron, peut être vue comme un cas supplémentaire dans lequel on parle de la victime mais on ne lui donne pas la parole - puisqu’enfin, on sait par le texte ce que voulait l’agresseur, on sait ce qu’ont pensé Shimeon et Lévy qui vengent leur sœur mais nulle part ne sait-on ce que ressent, ce que vit, ce que veut Dinah elle-même - , dans la paracha suivante, vayéchev, se reproduit quelque chose de similaire au moment où Joseph est agressé par ses frères, mis dans le puits, sorti du puits, vendu en Egypte sans que la Torah lui donne la parole. Joseph , qui parle pourtant beaucoup avant et après cet épisode, ne dit rien au moment de cette agression.

Ces deux évènements posent une question qui parait centrale dans cette partie du sefer beréchit et qui est celle des impacts de la parole.

Nous vivons en Israël depuis quinze mois une guerre qui est aussi une période de crise aiguë de la communication : on voit que la guerre se déroule sur au moins deux fronts, celui du champ de bataille à proprement parler, mais aussi celui des médias et nous voyons au moins deux camps se profiler, celui de ceux qui regardent le macro, la guerre dans ses aspects géopolitiques, concernant l’existence de l’état d’Israël, regard “de droite” dans la terminologie politique actuelle, et ceux qui sont focalisés sur le micro, sur les victimes, pour certains victimes israéliennes, pour d’autres victimes palestiniennes, regard dit “de gauche” dans la même terminologie.

De leur côté, les médias présentent au monde des informations qui sont très peu souvent de véritables infos et sont bien plus souvent des infox, parce que leur but n’est pas d’informer mais bien de frapper, d’agir, d’exprimer une opinion, de mener une guerre en parallèle de celle qui se déroule sur le champ de bataille.

C’est ainsi que les vues sur ce qui s’est passé tout au long de cette guerre et qui continue à se passer sont parfois diamétralement opposées, entre individus ayant reçu leurs informations de la télévision israélienne ou d’Al Jezeira, ou en Israël des chaînes 11, 12, 13 ou 14.

Si nous revenons au texte biblique, entre le viol de Dinah (beréchit 34) et la réconciliation de Joseph et de Yehouda dans la paracha Vayigash (beréchit 44 et passim), le texte nous livre comme un psychodrame, avec comme acteurs les divers membres de la famille de Yaakov, de situations de crises successives.

On ne sait pas ce que pensent les personnages Dinah, Tamar, Joseph, ni ce que pensent la plupart des personnages, mères, frères, et on assiste à la création puis la présentation à Yaakov d’infox au sujet de la vente-disparition de Joseph, au sujet de la façon de laquelle Tamar berne Yehouda, au sujet des mensonges de la femme de Poutifar au sujet de Joseph.

Comme autant de cerises sur la gâteau, ces parchiot sont parsemées de rêves. Rêves de Joseph du début de vayéchev, rêves de l’échanson et du panetier, rêves de Pharaon, la Torah nous fournissant aussi au passage les rudiments de ce sur quoi Freud va fonder son “interprétation des rêves”, premier texte de la psychanalyse.

Ces rêves, qui ont tous des significations, sont peut-être des clins d’œil au lecteur de l’ensemble de ce texte qui est comme un avertissement : les familles les meilleures, les situations de conflits, provoquent des crises aussi dans la circulation de l’information, qui devient déformée, lacunaire, ou qui nous parvient seulement sous forme allusive, comme dans les rêves.

Nous ne savons ainsi pas encore quels bouleversements géopolitiques nous vivons depuis ce 7 octobre, nous savons le nombre de victimes en Israël de ce premier jour, nous savons les otages, nous ne savons pas combien de morts il y a réellement eu à Gaza, pour cause d’infox.

Et de la même manière qu’un lecteur de la Torah peut lire tout cet enchaînement de drames et y voir surtout la mise en place historique du peuple juif, un téléspectateur lambda peut choisir de voir les changements à grande échelle que vit le moyen orient, ou de focaliser sur les victimes, en Israël ou à Gaza.

Et de la même manière que le texte biblique semble « oublier » la voix de Dinah, la plupart des téléspectateurs du monde oublient, certains les otages qui nous sont tellement chers, certains les victimes de la bande de Gaza.

Et de la même manière que les victimes du pogrom de la tribu de Hamor et de Chkhem réalisé par Shimeon et Lévy semblent être rapidement passées aux oubliettes, ainsi en est-il de beaucoup de victimes de cette belligérance actuelle.

Le texte nous présente Yaakov comme le personnage qui refuse de céder à la force de la vague. Il n’accepte pas le pogrom commis par ses enfants, et refuse d’accréditer le mensonge de la mort de Joseph. Et de la même manière est-il capital d’une part de ne pas accepter comme fatale et inévitable la disparition de tant de vies humaines, tout en sachant réserver notre avis pour le jour où les véritables informations sortiront, à l’instar de la réapparition de Joseph.

Le monde s’est ainsi beaucoup offusqué d’images montrant des individus palestiniens « maltraités »  par des soldats israéliens qui les laissaient vêtus de sous-vêtements et les yeux bandés, assis par terre, le même monde s’est alarmé des potentielles conséquences sur la population de Gaza de la belligérance et les ont de ce fait qualifiées de génocidaires…et quelques mois plus tard, le même monde a pu assister à l’ouverture des geôles syriennes, d’où on a vu sortir des individus gardés au secret à 35 m sous terre depuis de telles durées qu’ils en sortent hébétés, ne sachant plus ni la date ni parfois même leur propre nom, alors que réapparaissait aux yeux du monde la guerre civile syrienne ayant fait quelques 600 000 victimes alors que personne n’a parlé de génocide, alors que personne n’a porté plainte à La Haye contre Bashar el Assad. Qui a su modérer ses réactions à l’encontre des méchants soldats israéliens, qui n’a pas immédiatement accrédité les légendes d’apartheid, de génocide, de cruauté est convié à comparer l’action israélienne avec le mode d’action des ennemis d’Israël. Et nous n’avons pas encore vu l’état dans lequel réapparaîtront nos otages.

Le Joseph biblique nous fait ainsi entrevoir le réalité de l’incarcération égyptienne, comparable aussi au « mauvais traitement » infligé par ses frères.

Le trou dans lequel ils le plongent a-t-il à être comparé avec celui du même nom dans lequel le plonge la civilisation égyptienne ?

À l’instar de l’état d’Israël, débuté par une poignée d’individus, réalisé par une première population de rescapés, et qui est devenu aujourd’hui un pays à qui on n’épargne aucune accusation, Joseph ne reste pas le jeune adolescent rêveur et narcissique que l’on découvre en Beréchit 37. Il devient vice-roi d’Egypte et remodèle économiquement tout le pays et le moyen orient.

Il a le privilège de ne devoir mener aucune guerre internationale, et c’est peut-être grâce au qualificatif apposé à son nom dans la tradition juive : Joseph le sage.

Israël l’état sortira d’autant plus indemne des tragédies qui accompagnent son existence qu’il saura être “sage”, c’est à dire éthique, dans ses intentions et dans ses actes.

Cette éthique est peut-être inséparable de la transmission de la parole. Elle la génère, et elle est conditionnée à elle.

mardi 5 novembre 2024

Les facettes de cette guerre.

 



Après bientôt treize mois de guerre, il semble que tous n’aient pas en tête les tenants et aboutissants de la situation, et que les paramètres n’aient pas conservé entre eux et chez tous l’ordre qui est le bon.

Il semble ainsi que dans les médias d’expression française en particulier, l’essentiel soit la belligérance et ses dégats, avec surfocalisation sur les destructions tant à Gaza qu’au sud-Liban, et sur le prix humain qu’elles occasionnent, pertes et déplacements en particulier.

On peut donc lire abondamment sur la misère de la population, sur les horreurs de la guerre, et on assiste à des mesures d’appel à embargo, boycotts ou véritables mesures à l’encontre d’Israël, en ce qu’il commet toutes ces atrocités que le monde civilisé ne peut tolérer…

Il semble ainsi qu’il y a la guerre, la sale, celle qu’il faut appeler de tous ses voeux à sa fin, et la guerre de l’information, propre. La guerre des morts et la guerre des images, des réseaux sociaux, des vidéos, la deuxième d’une certaine manière dont la rue ne cherche pas la fin, et l’emportant au présent sur la première, dérangeante et qu’il faut enfouir, que l’on pourra transformer par le biais de la deuxième.

Et je voudrais revenir sur la première, sur les raisons qui nous ont mené à la guerre, et sur le vécu de cette année écoulée, vu depuis Israël.

Du point de vue d’Israël, et je ne suis pas le porte-parole de la nation mais je pense quand même vivre parmi la société et partager avec bon nombre ce que je ressens, la guerre a commencé par le massacre inouï, le plus grand pogrom commis à l’encontre de juifs depuis la shoah, le 7 octobre 2023.

Pour l’ensemble du peuple, il survint comme un coup de tonnerre dans un ciel serain, et il attint en une matinée, en une journée, des sommets que personne ne connaissait dans sa propre mémoire d’évènements. Le massacre était accompagné d’énormément de destructions matérielles, de confusion teintée de honte (« comment a-t-on pu se faire tant surprendre et la réaction survenir si tard et si inadéquatement? »), et surtout de prise de près de 250 personnes de tous âges en otages.

La réplique militaire était incontournable, ne serait-ce que pour récupérer les otages, ne serait-ce que pour rétablir la situation physique de bande frontalière s’étant avérée si vulnérable.

La destruction qui s’est suivie à Gaza est directement le fruit de l’opération du hamas, et de façon marginale uniquement, teintée de vengeance. Il fallait - et il faut toujours pour 101 d’entre eux, dont des personnes très âgées, dont des enfants en très bas âge - retrouver et ramener les otages, et il fallait rétablir la situation militaire, détruire les moyens militaires, armement et tunnels. La destruction imposait le déplacement de populations, le hamas ayant entièrement imbriqué l’arsenal militaire avec la vie civile, armement et rampes de lancements de roquettes dans les écoles, les hopitaux, les positions prétendûment neutres (UNRWA), armes entreposées chez l’habitant, tunnels débouchant dans les habitations privées. S’étant avéré de plus que les otages sont emprisonnés au sein même de la population, par la population elle-même, elle devient un peu une cible de façon implicite, phénomène qui vient s’opposer à celui de punition collective agité par les bonnes âmes appelant au cessez-le-feu afin que la population ne pâtisse pas de la situation.

Je tiens à revenir sur la dénomination « guerre de survie » qui a été tellement rapidement occultée, balayée, et remplacée par une vague de protestation tant à l’extérieur d’Israël (contre le pays colonisateur, qui commet un génocide….avec jugement à la cour internationale de La Haye entre autres) qu’à l’intérieur d’Israël avec l’association des manifestations pour le retour des otages à la critique contre Netanyahou et les partis d’extrême-droite de la coalition, association que je déplore personnellement.

Israël jouit d’une phénoménologie trompeuse, de pays surdéveloppé tant militairement qu’universitairement, économiquement et peut-être socialement, phénoménologie qui est la première responsable des critiques extérieures sus mentionnées.

Israël qui passe pour le pays de cocagne du moyen orient, bien plus développé que ses voisins, est d’une part assez loin de cela si on regarde sous le vernis et surtout est loin d’avoir été cela dès sa création.

Israël n’a de raison d’être que dans sa relation à l’histoire juive et cela est le sentiment le plus partagé parmi sa population, qu’elle soit religieuse ou non.

Israël n’est ainsi aux yeux d’aucun de ses citoyens une implantation coloniale dont le but est le contrôle de l’eau, du passage du pétrole, ou le maintien d’une quelconque présence blanche en terre d’arabie malgré les démantèlements consécutifs à la première guerre mondiale, sous couvert d’une concession d’abri pour les rescapés de la shoah.

S’il n’était que cela, Israël n’aurait pas de raison d’être.

Tout citoyen israélien sait, constate et vit que se réalise ici un retour de juifs du monde entier, un renouveau de la vie juive, et que ceci se produit en relation étroite avec l’histoire juive.

Israël est par contre vu et décrit par certains politologues européens comme émanation naturelle des mouvements économico politiques mondiaux des derniers siècles , ce qu’il est peut-être en partie, mais cette description et ce regard occultent entièrement pour la rue occidentale cette composante historique tellement évidente pour tous les juifs du monde.

Sans cette composante, il serait possible de juger froidement ce pays sur ses données actuelles aux plans économique, social, militaire, et le traiter en comparaison avec les puissances coloniales du passé par exemple qui sont allées conquérir telle ou telle portion de pays, en expulsant, massacrant ou convertissant les populations locales, sans les prendre réellement en compte, ou encore en voulant délibérément détruire leur culture comme ce fut le cas dans le monde entier.

Avec la composante de l’histoire juive, il est impossible de voir Israël comme tel.

Les populations arabes ont effectivement été bousculées voire violentées par le sionisme mais il est impossible de ne juger le sionisme qu’à cette aune.

Le sionisme n’est pas une émanation surgie de la tête de Hertzl et imposée aux arabes par le lobby juif international comme en sont persuadés les politologues laïques et les observateurs.

Le sionisme n’est que l’émanation extérieure, la concrétisation du message juif et du vécu juif des deux mille années qui précèdent la nôtre.

Dans quelle famille juive Jérusalem n’a-t-elle pas eu la place centrale des voeux, des aspirations d’avenir ?

Que cela ait été en Pologne, en Irak, au Yemen ou en France ou ailleurs dans le monde, pas un enfant juif qui n’ait reçu ce thème au biberon vingt siècles durant, cet état de choses s’étant un peu modifié à partir de l’émancipation et de façon nettement plus sensible après et depuis la shoah.

Je comprends la difficulté palestinienne à vivre une telle situation d’un état se créant ex nihilo de son point de vue sur son espace vital et prétendant à la suprématie, mais je pense que c’est sur cette base que doit se gérer la situation, plutôt que sur base de dérives comme les analyses politiques évoquées plus haut ou sur base de livres traitant du « mythe du peuple juif ».
Thomas Szaz dans les années de l’anti psychiatrie s’était essayé au même mode (« le mythe de la maladie mentale », « le mythe de la psychothérapie ») mais il est tombé dans l’oubli, sort qui attend les productions littéraires populistes, et principalement animées d’antisionisme de Shlomo Sand.

Il est clair qu’Israël est émanation directe du fait juif - qui n’est que « religion juive » que depuis Napoléon - et que ne réfutent cette idée que ceux qui ignorent - ou refusent de connaître l’histoire juive.

Curieuse amnésie que celle concernant un des peuples les plus anciens de la planète, le peuple des hébreux, que l’on présentait aux enfants des classes de sixième comme un des peuples de l’antiquité, peuple éteint, omettant de chercher le lien entre les enfants juifs assis dans la classe et ce même peuple, ignorant les qualités de ce même peuple et son impact sur la civilisation européenne, niant la richesse de son histoire, le contenu de son énorme bibliothèque, et voulant ne pas connaître son éventuel attachement jamais érodé à la terre de laquelle il avait été chassé, après une souveraineté de 15 siècles.

Pour tous les amnésiques, juifs ou non, il n’y a pas de lien entre cette antiquité et la création de l’état d’Israël en 1948. Le lien avec les hébreux se manifeste tout au plus à travers l’idée qu’Israël était aussi manifestation de compassion envers les victimes de la shoah. Mais alors il fallait que les victimes demeurent éplorées, il fallait que ne se développe aucun pays. Aucun pays où refleurisse le désert, se développent la science et l’université, et encore moins qu’il prétende se doter d’une armée de défense…qui tue.

Il eut fallu que ses habitants se tiennent cois, et ne se défendent pas si on venait à les attaquer.

Le monde occidental en ne donnant pas aux juifs d’aujourd’hui le crédit de descendre des hébreux d’alors, se contraint à ce que cette guerre de 2023-24 déclenchée par le retour des pogroms ne soit à ses yeux que guerre facultative, voire guerre expansionniste, guerre criminelle.

Vue par Israël, la création de l’état est inséparable de la guerre d’indépendance. Après l’indépendance en 1948 s’est avéré soixante quinze ans plus tard, que l’existence de l’état, qui paraissait un fait acquis depuis la naissance de l’état et la fin de la guerre, n’est pas encore admise, en particulier par les mouvances arabes représentées par le hamas et cyniquement alimentées par l’Iran, mais aussi par bon nombre de personnalités européennes.

C’est en cela que la guerre de 2024 mérite son nom de guerre d’établissement. Cette guerre est non moins historique que celle de 1948.

Elle met sur le champ de bataille tous les composants de la mosaïque culturelle élaborée au cours des cent dernières années. Cette guerre va en fait souder ces composants et insuffler à la société de demain la cohésion d’une nation.

Mais ceci ne s’accomplira qu’une fois la question des otages réglée. La guerre ne s’arrêtera pas sans leur retour.

Et concernant les palestiniens, la guerre est double tout autant. Elle a sa composante cruelle, en vertu de laquelle, ont été commises les atrocités du 7 octobre, a tué de très nombreuses personnes la réplique israélienne, mais elle a aussi sa composante autre.

Tandis que l’opinion internationale est effarée et obnubilée par le nombres de victimes, et parmi elles, les nombres de femmes et d’enfants, nombre très élevé, retirant à Israël le statut d’agressé et lui redonnant ipso facto le rôle de bourreau et d’agresseur, il est bien clair qu’occupe un rôle non moins central l’autre composante.

Cette autre composante est celle qui me paraît être au centre du livre de Gilles Keppel « holocaustes ». De quels holocaustes parle-t-il si ce n’est du phénomène de sacrifice acté par le hamas dans le prolongement de la politique d’Arafat depuis la création de l’olp, et qui consiste à miser sur le maximum de misère humaine palestinienne ?

Le nombre de morts gazaouis qui fait pleurer dans les chaumières du monde occidental tout entier n’est peut-être qu’une partie du projet. C’est probablement au nom de ce projet et non par négligence ou manque de fonds que rien n’a été mis en place à Gaza pour protéger la population. Il est peut-être plus rentable qu’elle meure. De la même manière qu’il est plus rentable qu’elle demeure réfugiée.

De la même manière, on entend le Liban déclarer que 37 localités ont été effacées. Le public des lecteurs n’a pas besoin de savoir si ces localités ont réellement été habitées ou si elles n’étaient que façades à des avant- postes militaires. Si on peut faire passer Israël comme ayant effacé ces localités, cela ne fait que renforcer l’image de génocideur qu’on a travaillé à lui fabriquer.

L’opinion a déjà oublié le massacre du 7 octobre. Elle a aussi oublié les otages, et elle n’a jamais vraiment pris conscience de la situation d’Israël, pays bombardé quotidiennement depuis Gaza, depuis le Liban, depuis le Yemen, depuis l’Iraq, depuis l’Iran…depuis maintenant 13 mois. Des bombardements qui « ne comptent » pas puisque le nombre de morts est ridiculement bas. C’est donc que les bombardements n’en sont pas. On a aussi pu lire ou entendre qu’Israël (ou le grand méchant Netanyahou) a « étendu » la guerre au Liban. De son initiative hégémonique. On a aussi compris que c’est à ces fins que la population israélienne a été écartée. Ce n’est pas parce que le nord du pays a été bombardé. Puisque les bombardements n’ont pas existé. ….au nom de la seconde guerre.

Au nom de la première, Israël continue de subir la guerre qui lui a été imposée à partir du 7 octobre. Même depuis que nous avons compris que c’est une guerre d’importance historique, guerre d’établissement. Le nombre de victimes est considérablement inférieur à ce de quoi « se targue » le hamas, mais il est énorme à l’échelle de notre petit pays, dans lequel un mort compte énormément, dans lequel la mort n’est en rien sanctifiée. Personne qui ne connaisse un ou plusieurs, ou dix morts, membres de sa famille, de ses proches, habitant de son quartier. Personne qui n’ait parmi ses proches, conjoint, fils, frère, père ou cousin qui n’ait été mobilisé, ou qui le soit encore, pour certains après avoir passé plus de 200 jours en uniforme, au combat, exposé au cours de l’année passée. Personne qui ne connaisse une ou plusieurs personnes déplacées par contrainte, afin de ne pas avoir été la cible de roquettes, missiles, ou autre. Personne qui ne connaisse pas au moins un des dizaines de milliers de blessés, de traumatisés au cours des derniers treize mois.

La vie n’est sûrement pas facile pour les gazaouis, ni pour les libanais, mais nous les plaindrons plus tard. Chaque chose en son temps. Pour l’instant, la plupart d’entre nous n’ont pas le loisir, n’ont pas les réserves compatisantes suffisantes.

Il faudra travailler longtemps, si ce n’est très longtemps pour que puisse se réinstaller un climat de confiance, pour que l’idée de négociations de paix, pourtant indispensables à léguer aux générations futures, redeviennent possibles.

Que déjà reviennent les otages.

 

dimanche 13 octobre 2024

Office de kippour. Siakh Itshaq, octobre 2024



 


Une communauté créée il y a 42 ans, à l’initiative de Shlomo Balsam et qui cherchait à constituer un pool d’adresses d’hébergement pour les jeunes du bné Aquiva en année de hakhchara à Jerusalem.


De façon naturelle se créa un minyan ashkenaze-sefarade, non par choix idéologique mais du fait de la composition du groupe, de juifs français récemment devenus israéliens, et issus de la première communauté juive du monde, la communauté française, où se retrouvèrent ashkenazes et séfarades après deux mille ans, du fait de l’arrivée en France à partir de 1945 des juifs du magreb où se profilait déjà la décolonisation.


La communauté se créa alors qu’Itshak Madar, lui-même ancien de la hakhchara, lui-même fruit de mariage ashkenaze-sefarade et qui avait fait son alyah en octobre 1982, tombait lors de la première guerre du Liban, et elle fut nommée en son souvenir.


Elle s’édifia sur les bases de cette reprise alors embryonnaire de la rencontre cultuelle entre les ashkenazes et les sefarades, bases de la renaissance de l’identité hébraïque, du juif redevenant hébreu, si bien conceptualisée par Manitou, à une époque où ceux qui pensaient ainsi étaient l’absolue minorité, du monde dans son ensemble et même du monde juif.


La rencontre à l’échelle française se faisait « élégamment »  ….au bras de fer. Certaines communautés parisiennes ou de l’est de la France, traditionnellement ashkenazes jouaient l’indifférence quand ce n’était pas le refus véhément de coopérer avec cette actualité d’immigration, tandis que dans bon nombre d’autres, les sefarades devenus progressivement les plus nombreux avaient changé le ton, imposé leur rite.


Personne ne « pensait » la chose. Elle se faisait.


Siakh Itshak fut une des premières tentatives de réflexion. Une réflexion qui, modelée sur le système mis en vigueur dans l’armée israélienne par le rav Goren, aboutit en deux trois ans à un échec : les sefarades quittèrent la communauté plus ou moins en claquant la porte. 


Le système adopté ressortait en fait de la farce : du fait de l’existence au sein du monde ashkenaze du rite « sfard », le rite des hassidim d’Europe centrale, un rite un peu intermédiare (mais à la phénoménologie ashkenaze totale) entre le rite ashkenaze (des juifs allemands et alsaciens) et le rite des juifs orientaux. Ce rite devenait celui de Siakh Itshak, les ashkenazim persuadés d’avoir en cela accompli la réunion cultuelle du peuple juif. Les sefarades quittèrent en expliquant que les présentes dispositions ne leur permettaient en rien la transmission de leurs coutumes synagogales à leurs enfants. Les fêtes de tichré étaient pourtant organisées de façon à ce que chacun puisse avoir son rite. Deux offices séparés, mais toute l’année ne laissait aucune autre place au rite sefarade. Ils quittaient blessés. À juste titre.


                              "ner tamid" récemment créé et installé. Le Siakh Itshak est la prière, est le dialogue d'Itshak 

                                                                     mais est aussi un arbuste (siakh) composé de toutes les essences (ici 12 essences de bois) 

                                                                    constituant le judaïsme, représentés dans la communauté Siakh Itshak.


Siakh Itshak poursuivit son chemin comme communauté qui s’israélisait progressivement…mais qui vieillissait aussi au même rythme.


Il y a treize quatorze ans, alors que je voyais chaque trimestre diminuer le nombre de fidèles je commençai à faire entendre la voix de l’impératif d’une solution. 


Celle-ci se présenta par l’intermédiaire d’une fille qui avait grandi dans la communauté, venait de se marier, et de se joindre à une tentative de création de communaute par un groupe de vingt à trente jeunes couples qui cherchaient un lieu.


Les premières réunions parurent de bon augure, et ce nouveau groupe avait une condition : il fallait que la communauté soit « israélienne » c’est à dire que les rites des offices soit alternés.


Ce mode commençait petit à petit à se répandre, d’une part dans bon nombre de petites localités, ou kibboutzim d’Israël où la situation démographique fabriquait le mèlange ashkenaze-sefarade, d’autre part dans les quartiers du sud de Jérusalem, en particulier du fait du mélange ethnique en cours dans la société israélienne, de mariages intercommunautaires.


La deuxième étape de l’entrée du nouveau groupe dans la communauté, du « mariage » qui se fit et prit rapidement l’aspect d’une grande réussite (il y a maintenant une centaine de familles, un public jeune, beaucoup d’enfants), fut la réalisation d’un modèle d’office combiné ashkenaze-sefarade pour les grandes fêtes. Modèle selon lequel ce n’est pas l’alternance d’un office à l’autre mais la fusion à l’intérieur de chaque office. Chaque office comporte ainsi des morceaux, des mélodies ashkenazes alternées à des sefarades, tandis que l’office est mené par non un mais deux ministres officiants, le tout imprimé sur un livre qui vient en complément du rituel que chacun apporte avec lui, qui rituel ashkenaze, qui rituel sefarade.




Siakh Itshak est donc une communauté à l’office « combiné » (il y a ces jours-là du fait de l’affluence, deux offices, un uniquement ashkenaze, l’autre selon ce mode qui n’est déjà plus nouveau) de laquelle se retrouvent quelques cent vingt hommes et le même nombre de femmes, où se réalise la véritable rencontre israélienne des diasporas. Prient chez nous des individus pourvus d’ancêtres polonais, allemands, alsaciens et autres français, ukrainiens, italiens, marocains, lybiens, yémenites, tunisiens, syriens, américains, anglais, afghans, australiens, argentins, lithuaniens, roumains, hongrois, turcs et israéliens…et j’en oublie. Au quotidien ne figurent pas de juifs éthiopiens parmi les fidèles, mais dans certaines familles, des éthiopiens se sont déjà mariés avec des enfants. 


Ce public est présent cette dernière année pour la partie hommes de l’assemblée de façon très sélective, certains se trouvant sous les drapeaux, les autres ayant pour une bonne part sur l’épaule le fusil mitrailleur de leur situation de réserviste en permission, tenu de ne lâcher son arme nulle part.


La commission « aide intra communautaire » a énormément et de façon impressionnante travaillé cette année pour soutenir telle famille à mari mobilisé, telle famille accablée du deuil d’un proche tombé au combat.


Hier pendant l’office de Kippour, un de nos membres actifs racontait une anecdote rattachée à la guerre (il a lui-même un membre de la famille proche de sa femme parmi les otages et prend une part active aux manifestations en vue d’un accord pour les ramener dans leurs familles, et il intervient régulièrement dans des activités pour soldats du contingent ou réservistes) qui lui avait rappelé un souvenir familial qui m’en a en cascade évoqué un autre : ses grands-parents étaient arrivés à Jérusalem il y a 102 ans et vivaient dans de telles conditions précaires qu’ils élevaient leurs neuf enfants dans un deux pièces et que la table du repas de vendredi soir n’était autre que la porte d’entrée que l’on sortait de ses gonds pour l’occasion hebdomadaire.


Ceci me rappelait que mes propres grands-parents étaient aussi arrivés il y a quelque cent ants, mais à Tel Aviv….pour en repartir un ou deux ans plus tard, ma grand-mère, enceinte, craignant de ne pas réussir à nourrir l’enfant à naître tant les conditions économiques étaient dures. (La tradition familiale conserve le souvenir qu'ils habitaient une maison que mon grand-père avait construit de ses propres mains, en bois. A mon arrivée en Israël j'ai plusieurs fois arpenté Tel Aviv dans l'espoir de la trouver...sans succès). À cette époque. D’après la biographie de Ben Gourion, 90% des arrivants repartaient pour les mêmes raisons.


Mes grands-parents firent un second essai d’alyah raté au moment de la création de l’état, puis vinrent finalement s’installer à Jérusalem et y finir leurs jours, dans un vécu plus apaisé et satisfaisant que toutes les années qui avaient précédé, depuis la naissance et l’adolescence en Pologne, nourries de discrimination, de pogroms puis de l’extermination des proches, en passant par la Palestine d’alors puis la France où il a fallu subir les rafles, l’exode et les poursuites de la deuxième guerre mondiale suivis du redémarrage à zéro, assorti des démarches pour récupérer un appartement attribué à de bons français qui ne voyaient aucune raison de restituer les lieux…Malgré toutes ces mésaventures - de taille - ils avaient réussi à s’édifier, à élever plus qu’honorablement leurs enfants et à s’établir économiquement…mais ne devaient la survie du judaïsme dans leur maison qu’à l’énergie de leur descendance qui reprit le flambeau et le redémarrage des pratiques, puis leur ouvrit la voie du retour final en Israël.


Ce sont de telles situations que certaines bonnes âmes européennes qualifient d’invasion colonialiste…d’un peuple « sûr de lui et dominateur » qui en maltraite un autre sans raison et sans remords.


La prière hier, détail qui a son importance, était celle de Kippour et même si pour des raisons bien évidentes la compassion à l’égard des peuples libanais, gazaouis ou iraniens n’est pas à l’ordre du jour actuel (de trop nombreux endroits du pays vivaient hier un kippour trop assaisonné de sirènes et d’angoisse, certains comme moi-même avait qui un mari qui un fils qui une fille repartant encore durant la même journée au front), je n’ai aucun doute que les attentes de pardon et de rédemption n’étaient assorties que de façon extrêmement isolée de souhaits guerriers ou de vengeance. 


Il s’agit d’un peuple duquel la majorité est issue de parents, grands parents ou ancêtres venus pour retrouver la terre historiquement occupée de très longues années par leurs ancêtres, une terre de laquelle ils n’avaient jamais cessé de rêver, une terre qu’ils mentionnaient au quotidien dans leurs prières et leur vécu dans l’attente d’un meilleur quotidien que celui que leur faisaient endurer les nations qui ne savaient que tolérer leur présence. Ces gens ne sont venus en aucun esprit de colonisation au profit d’une quelconque métropole vers laquelle ils pourraient toujours revenir mais ont tous quitté sans retour et sans profit de ventes de leurs biens. Les juifs de France, Angleterre ou états unis sont dans quand même dans cette situation mais ils sont la minorité du peuple israélien. Personne de ce peuple n’est arrivé en conquérant mais cependant animé d’un vif esprit de construction et de reconstruction. 


Ce peuple rebâtit un judaïsme esquinté par les siècles, a fait revivre la langue hébraïque dont on m’enseignait en classe de sixième qu’elle était la langue morte d’un peuple disparu, et développe et construit une belle société. 


Ce peuple aspire à la paix et à la coahabitation et l’opinion internationale devrait plus contribuer à y travailler qu’oeuvrer à la condamnation d’Israël.

mercredi 9 octobre 2024

Simkhat Torah, symbole de la nouvelle page d’Israël. Veille de Souccot 5785.


Nous voici un an en guerre.

Une question qui se pose et qui est débatue ces derniers jours dans notre communauté (minyan israéli, ashkenaze-sefarade, sud de Jérusalem, de laquelle ont péri durant l’année quelques cinq soldats, qui directement qui indirectement lié, dans laquelle le 7 octobre dernier se célébrait en plus de la fête du jour la bar mitzva d’un enfant dont le père a juste pu entendre la lecture de Torah avant de partir rejoindre son unité, à laquelle se sont joints durant l’année quelques familles de « déplacés » de Kyriat Chemona, de laquelle beaucoup beaucoup d’ hommes - et quelques femmes - ont été mobilisés de longues périodes et plusieurs fois, dans laquelle le nombre d’armes et de fusils en bandoulière varie de shabbat en shabbat entre 5 et 10, de laquelle de très nombreuses personnes ont ajouté à leur quotidien telle ou telle activité de volontariat, de soutien, dans laquelle la tefila de chaque shabbat matin depuis le 7 octobre est ponctuée de la lecture des noms de tous les otages, dans laquelle quelques familles ont le triste privilège de connaître personnellement un ou plusieurs otages, parfois quelqu’un de proche), une question qui se pose est : « comment fêter Simkhat Torah ? ».

Cette année, et dorénavant.

C’est une question spécifique et générique.

Je suppose que selon les communautés, il va y avoir un prisme de modification du déroulement de la tefila ce jour-là, depuis les communautés, les synagogues où rien ne sera modifié (je crains qu’elles ne seront les plus nombreuses) jusqu’à celles où cette fête sera occultée, en passant par les multiples degrés d’insertion de quelque chose qui rappelle le 7 octobre dans la célebration. 

Chez nous, semble se dégager de maintenir le rituel, y compris les « hakafot » au cours desquelles on tourne, et on danse avec les sifré Torah ( dans toutes les synagogues du monde), mais en en modifiant une ou deux, en les faisant silencieuses, une pour le souvenir des morts, civils ou militaires, une pour les otages, et en choisissant les chants de manière à tempérer la joie.

En parallèle a été proposé de rajouter quelques mentions spécifiques au « yskor » du jour, et reste non tranchée la question des sucreries traditionnellement distribuées ce jour aux enfants. Doit-on leur faire partager cette diminution de la fête, ou ont-ils déja assez vécu cela tout au long de l’année écoulée ?

En Israël, la guerre a éclaté le 7 octobre et c’était le huitième jour de la fête de Souccot, jour de Shemini Astéret simultanément à Simkhat Torah, tandis qu’en dehors d’Israël, Simkhat Torah n’ètait fêtée que le lendemain, les deux fêtes se succédant.

Hier, un rabbin suggérait de garder le 7 octobre comme date du souvenir, et de fêter simkhat Torah sans le moindre bémol, du fait que cela sera cette année à une autre date (24 octobre en Israël, 25 octobre dans le reste du monde), et afin de ne pas affaiblir notre ferveur.

Au plan générique, cela s’intègre à la question du « comment continuer? », comment intégrer à la vie, mais aussi à l’Histoire, à la transmission transgénérationnelle du judaïsme, un judaïsme qui parait ouvrir une nouvelle page, au gré de ce nouveau chapitre.

Ce chapitre est non achevé, et nul ne peut dire aujourd’hui ni quand il s’achèvera, ni de quoi sera fait demain, en particulier du fait de la partie « guerre contre l’Iran » que comporte cette guerre.

Le 7 octobre 2023 a été un jour terrible, se soldant par près de 1200 morts, par plus de 250 otages, et par énormément de destruction, en particulier concernant les 21 villages et kibboutzim du pourtour de la bande de Gaza, directement agressés et en partie brûlés et détruits par l’attaque.

A suivi une période d’un an jusqu’à aujourd’hui, d’une certaine manière non moins terrible. La guerre qui a commencé encore le soir du 7 a occasionné beaucoup de pertes humaines, en Israël et chez les palestiniens, a déclenché l’attaque progressivement plus destructrice du hezbollah en provenance du Liban, se sont ajoutés les envois de missiles en provenance du Yemen, d’Irak et d’Iran, le tout provoquant le déplacement d’énormément de populations, au sud et au nord d’Israël, dans la bande de Gaza, et au sud Liban. En parallèle les otages ont pour près d’une moitié été libérés, vivants pour une partie, morts pour l’autre, tandis que la situation perdure pour quelques 100 d’entre eux, au sujet desquels personne dans le public israélien ne sait dire qui d’entre eux sont en vie, qui sont morts, ni où ils sont et dans quelles conditions ils sont détenus.

La situation de belligérance et de prise de ces otages agite la rue et la diplomatie du monde presque entier, et l’année 2024 a été le théatre de très nombreuses manifestations, déclarations, interventions, en soutien à Israël pour une partie d’entre elles, en soutien aux palestiniens pour une autre partie, cette deuxième partie assortie de manifestations antisionistes ou ouvertement antisémites, tandis que la quantité d’incidents antisémites dans le monde croissait.

Dans quinze jours, la question « comment fêter Simkhat Torah ? » aura été dépassée, la guerre ne se sera vraisemblablement pas encore arrêtée, et je tiens à maximiser cette question tant qu’elle est encore d’actualité.

La situation de cette dernière année suscite en effet de nombreuses questions de fond, tandis que le quotidien, entre les opérations militaires, les disputes entre gouvernement et opposition les repoussent en arrière de la scène, les éloignent des projecteurs.

Une des questions est l’état extérieur d’Israël, celle de notre situation internationale. Du soutien ou des condamnations dont nous faisons l’objet, et en relation directe, de la situation des israéliens et des juifs dans le monde.

Une autre question est celle de l’état intérieur d’Israël, de nos dissensions internes ou au contraire de notre unité. Au plan politique, mais aussi au plan religieux, au plan éducationnel, au plan moral, ou de façon plus générale au plan de la société. 

1. Au plan extérieur, il apparaît clairement que le monde vit en 2024 un retour sur ce qui s’était joué entre 1933 et 1948 , c’est à dire une profonde modification de la situation des juifs dans le monde, ouverte avec l’arrivée au pouvoir d’Hitler, suivie de la shoah, puis de la création de l’état d’Israël, avalisée par l’ONU.

S’en étaient suivis beaucoup de mouvements de populations juives au cours des 75 ans derniers, avec les arrivées successives des juifs rescapés des camps, des pays arabes, de l’ex-URSS, d’Ethiopie, portant la population juive en Israël à presque sept millions, soit un peu plus de la moitié de la population juive mondiale. 
L’antisémitisme, inexprimable après la shoah, s’est progressivement fait ré-entendre, avec le soutien iranien au négationisme né en Europe, au rythme du conflit israélo-palestinien, devenu de plus en plus vociférant au fil des années et des guerres frontalières d’Israël, et avec une brutale aggravation depuis le 7 octobre 2023.

Israël qui n’était au début du vingtième siècle qu’un état embryonnaire peuplé de réfugiés, est devenu un pays de presque 10 millions d’habitants, au niveau de vie presque européen, avec niveaux universitaires et industriels de plus en plus développés, et avec une puissance militaire impressionnante.

Ces développements sont au profit comme au détriment d’Israël, duquel les habitants continuent à se sentir « en voie de développement » tandis qu’ils sont vus comme presque invincibles par le monde qui peut par exemple « oublier » les bombardements quotidiens (!!) de toute une année sur tout le territoire…du fait que ceux-ci ne font que très très peu de victimes humaines, grâce au très haut niveau de protection militaire et physique de la population. Une situation qui encourage la rue internationale à voir ce pays comme une superpuissance colonisatrice, alors que ce n’est ni le cas ni le vécu de ses habitants.

Ces paradoxes nuisent à la solution incontournable et jusqu’ici inatteignable au problème palestinien.

Tandis qu’Israël s’est développé économiquement, s’est maintenu d’une part un décalage entre la croissance côté juif et côté arabe, et s’est énormément accentué l’écart entre Israël et la bande de Gaza ou le Liban, la Jordanie ou l’Egypte.

Les palestiniens de Gaza et des territoires souffrent très certainement de cet écart, et le monde a tendance à voir la situation actuelle entre Israël et le hamas comme une agression et une oppression d’une toute puissante armée sur une population impuissante et enfermée.

Il parait clair que ceci est à être géré, modifié, si ce n’est règlé.

Il parait non moins clair que l’actuelle guerre, vécue par Israël comme lui ayant été imposée, et impossible à terminer tant que ces 100 otages ne sont pas rentrés dans leurs maisons, ne va pas accélérer le processus de normalisation. 

Et pourtant, il nous incombe de régler ce problème, presque plus vis à vis de l’intérieur que vis à vis de l’extérieur.

Regler ce problème aidera à calmer la rue et restituera le calme au chapitre de l’antisémitisme, mais le plus important me parait la composante interne à l’état d’Israël.

Si Golda Méïr a eu raison de dire que nous ne détestons pas tant nos ennemis par ce qu’ils nous font que parce qu’ils poussent nos enfants à les haïr, ceci est presque dix fois plus grave et urgent aujourd’hui, 50 ans après sa disparition.

2. Et ceci nous amène au plan intérieur.

Cette guerre ne s’est pas déclenchée au déclin d’un magnifique et tranquille été, mais au contraire au terme de dix mois de tempête politique dans le pays.

Cette tempête, provisoirement mise en arrière-plan aux premiers jours de la guerre, a réapparu depuis déja de longs mois et est inséparable au quotidien de la question sécuritaire, de la gestion de la guerre.

Il n’y a pas aujourd’hui en Israël d’autorité reconnue par tous et acceptée par tous, ni au plan gouvernemental, ni au plan religieux. Il n’y a pas de « voix nationale » et il n’y a au contraire, juste derrière le paravent de la solidarité réveillée par la guerre, qu’agressivité mutuelle, dénigrement ou condamnations publiques.

C’est en fin de compte le plus grave problème d’Israël à l’heure actuelle.

Israël est mené depuis presque deux ans par un gouvernement qui n’a réussi à obtenir un consensus national sur aucune de ses décisions, un gouvernement qui ne sait pas exprimer une voix au nom de tous les citoyens qu’il est censé administrer, un gouvernement qui agit comme s’il était encore hier frustré et dans l’opposition et qui parait plus occupé à rendre les coups qu’à administrer le pays entier, un gouvernement enfin incluant des partis vus de l’extérieur d’Israël comme de l’opposition, comme extrémistes si ce n’est néo-fascistes.

Au plan religieux aucune instance ne sait fédérer les opinions et donner une direction.

Les politiques savent apparemment jouer des coudes pour obtenir des sièges, mais n’ont pas la capacité humaine requise pour asseoir leur autorité, comme avait si bien su le faire Yossi Sarid, qui avait été élu à la knesset comme représentant de l’extrême gauche, mais qui avait su être le ministre de tous les citoyens.

C’est d’une capacité telle dont Israël a besoin.

Ce n’est pourtant pas que le pays ne dispose pas de cerveaux et de voix. Il est impératif de rétablir une situation de consensus, à l’initiative de personnalités qui soient acceptables, respectables, et en conséquence, acceptées et respectées.