mardi 5 novembre 2024

Les facettes de cette guerre.

 



Après bientôt treize mois de guerre, il semble que tous n’aient pas en tête les tenants et aboutissants de la situation, et que les paramètres n’aient pas conservé entre eux et chez tous l’ordre qui est le bon.

Il semble ainsi que dans les médias d’expression française en particulier, l’essentiel soit la belligérance et ses dégats, avec surfocalisation sur les destructions tant à Gaza qu’au sud-Liban, et sur le prix humain qu’elles occasionnent, pertes et déplacements en particulier.

On peut donc lire abondamment sur la misère de la population, sur les horreurs de la guerre, et on assiste à des mesures d’appel à embargo, boycotts ou véritables mesures à l’encontre d’Israël, en ce qu’il commet toutes ces atrocités que le monde civilisé ne peut tolérer…

Il semble ainsi qu’il y a la guerre, la sale, celle qu’il faut appeler de tous ses voeux à sa fin, et la guerre de l’information, propre. La guerre des morts et la guerre des images, des réseaux sociaux, des vidéos, la deuxième d’une certaine manière dont la rue ne cherche pas la fin, et l’emportant au présent sur la première, dérangeante et qu’il faut enfouir, que l’on pourra transformer par le biais de la deuxième.

Et je voudrais revenir sur la première, sur les raisons qui nous ont mené à la guerre, et sur le vécu de cette année écoulée, vu depuis Israël.

Du point de vue d’Israël, et je ne suis pas le porte-parole de la nation mais je pense quand même vivre parmi la société et partager avec bon nombre ce que je ressens, la guerre a commencé par le massacre inouï, le plus grand pogrom commis à l’encontre de juifs depuis la shoah, le 7 octobre 2023.

Pour l’ensemble du peuple, il survint comme un coup de tonnerre dans un ciel serain, et il attint en une matinée, en une journée, des sommets que personne ne connaissait dans sa propre mémoire d’évènements. Le massacre était accompagné d’énormément de destructions matérielles, de confusion teintée de honte (« comment a-t-on pu se faire tant surprendre et la réaction survenir si tard et si inadéquatement? »), et surtout de prise de près de 250 personnes de tous âges en otages.

La réplique militaire était incontournable, ne serait-ce que pour récupérer les otages, ne serait-ce que pour rétablir la situation physique de bande frontalière s’étant avérée si vulnérable.

La destruction qui s’est suivie à Gaza est directement le fruit de l’opération du hamas, et de façon marginale uniquement, teintée de vengeance. Il fallait - et il faut toujours pour 101 d’entre eux, dont des personnes très âgées, dont des enfants en très bas âge - retrouver et ramener les otages, et il fallait rétablir la situation militaire, détruire les moyens militaires, armement et tunnels. La destruction imposait le déplacement de populations, le hamas ayant entièrement imbriqué l’arsenal militaire avec la vie civile, armement et rampes de lancements de roquettes dans les écoles, les hopitaux, les positions prétendûment neutres (UNRWA), armes entreposées chez l’habitant, tunnels débouchant dans les habitations privées. S’étant avéré de plus que les otages sont emprisonnés au sein même de la population, par la population elle-même, elle devient un peu une cible de façon implicite, phénomène qui vient s’opposer à celui de punition collective agité par les bonnes âmes appelant au cessez-le-feu afin que la population ne pâtisse pas de la situation.

Je tiens à revenir sur la dénomination « guerre de survie » qui a été tellement rapidement occultée, balayée, et remplacée par une vague de protestation tant à l’extérieur d’Israël (contre le pays colonisateur, qui commet un génocide….avec jugement à la cour internationale de La Haye entre autres) qu’à l’intérieur d’Israël avec l’association des manifestations pour le retour des otages à la critique contre Netanyahou et les partis d’extrême-droite de la coalition, association que je déplore personnellement.

Israël jouit d’une phénoménologie trompeuse, de pays surdéveloppé tant militairement qu’universitairement, économiquement et peut-être socialement, phénoménologie qui est la première responsable des critiques extérieures sus mentionnées.

Israël qui passe pour le pays de cocagne du moyen orient, bien plus développé que ses voisins, est d’une part assez loin de cela si on regarde sous le vernis et surtout est loin d’avoir été cela dès sa création.

Israël n’a de raison d’être que dans sa relation à l’histoire juive et cela est le sentiment le plus partagé parmi sa population, qu’elle soit religieuse ou non.

Israël n’est ainsi aux yeux d’aucun de ses citoyens une implantation coloniale dont le but est le contrôle de l’eau, du passage du pétrole, ou le maintien d’une quelconque présence blanche en terre d’arabie malgré les démantèlements consécutifs à la première guerre mondiale, sous couvert d’une concession d’abri pour les rescapés de la shoah.

S’il n’était que cela, Israël n’aurait pas de raison d’être.

Tout citoyen israélien sait, constate et vit que se réalise ici un retour de juifs du monde entier, un renouveau de la vie juive, et que ceci se produit en relation étroite avec l’histoire juive.

Israël est par contre vu et décrit par certains politologues européens comme émanation naturelle des mouvements économico politiques mondiaux des derniers siècles , ce qu’il est peut-être en partie, mais cette description et ce regard occultent entièrement pour la rue occidentale cette composante historique tellement évidente pour tous les juifs du monde.

Sans cette composante, il serait possible de juger froidement ce pays sur ses données actuelles aux plans économique, social, militaire, et le traiter en comparaison avec les puissances coloniales du passé par exemple qui sont allées conquérir telle ou telle portion de pays, en expulsant, massacrant ou convertissant les populations locales, sans les prendre réellement en compte, ou encore en voulant délibérément détruire leur culture comme ce fut le cas dans le monde entier.

Avec la composante de l’histoire juive, il est impossible de voir Israël comme tel.

Les populations arabes ont effectivement été bousculées voire violentées par le sionisme mais il est impossible de ne juger le sionisme qu’à cette aune.

Le sionisme n’est pas une émanation surgie de la tête de Hertzl et imposée aux arabes par le lobby juif international comme en sont persuadés les politologues laïques et les observateurs.

Le sionisme n’est que l’émanation extérieure, la concrétisation du message juif et du vécu juif des deux mille années qui précèdent la nôtre.

Dans quelle famille juive Jérusalem n’a-t-elle pas eu la place centrale des voeux, des aspirations d’avenir ?

Que cela ait été en Pologne, en Irak, au Yemen ou en France ou ailleurs dans le monde, pas un enfant juif qui n’ait reçu ce thème au biberon vingt siècles durant, cet état de choses s’étant un peu modifié à partir de l’émancipation et de façon nettement plus sensible après et depuis la shoah.

Je comprends la difficulté palestinienne à vivre une telle situation d’un état se créant ex nihilo de son point de vue sur son espace vital et prétendant à la suprématie, mais je pense que c’est sur cette base que doit se gérer la situation, plutôt que sur base de dérives comme les analyses politiques évoquées plus haut ou sur base de livres traitant du « mythe du peuple juif ».
Thomas Szaz dans les années de l’anti psychiatrie s’était essayé au même mode (« le mythe de la maladie mentale », « le mythe de la psychothérapie ») mais il est tombé dans l’oubli, sort qui attend les productions littéraires populistes, et principalement animées d’antisionisme de Shlomo Sand.

Il est clair qu’Israël est émanation directe du fait juif - qui n’est que « religion juive » que depuis Napoléon - et que ne réfutent cette idée que ceux qui ignorent - ou refusent de connaître l’histoire juive.

Curieuse amnésie que celle concernant un des peuples les plus anciens de la planète, le peuple des hébreux, que l’on présentait aux enfants des classes de sixième comme un des peuples de l’antiquité, peuple éteint, omettant de chercher le lien entre les enfants juifs assis dans la classe et ce même peuple, ignorant les qualités de ce même peuple et son impact sur la civilisation européenne, niant la richesse de son histoire, le contenu de son énorme bibliothèque, et voulant ne pas connaître son éventuel attachement jamais érodé à la terre de laquelle il avait été chassé, après une souveraineté de 15 siècles.

Pour tous les amnésiques, juifs ou non, il n’y a pas de lien entre cette antiquité et la création de l’état d’Israël en 1948. Le lien avec les hébreux se manifeste tout au plus à travers l’idée qu’Israël était aussi manifestation de compassion envers les victimes de la shoah. Mais alors il fallait que les victimes demeurent éplorées, il fallait que ne se développe aucun pays. Aucun pays où refleurisse le désert, se développent la science et l’université, et encore moins qu’il prétende se doter d’une armée de défense…qui tue.

Il eut fallu que ses habitants se tiennent cois, et ne se défendent pas si on venait à les attaquer.

Le monde occidental en ne donnant pas aux juifs d’aujourd’hui le crédit de descendre des hébreux d’alors, se contraint à ce que cette guerre de 2023-24 déclenchée par le retour des pogroms ne soit à ses yeux que guerre facultative, voire guerre expansionniste, guerre criminelle.

Vue par Israël, la création de l’état est inséparable de la guerre d’indépendance. Après l’indépendance en 1948 s’est avéré soixante quinze ans plus tard, que l’existence de l’état, qui paraissait un fait acquis depuis la naissance de l’état et la fin de la guerre, n’est pas encore admise, en particulier par les mouvances arabes représentées par le hamas et cyniquement alimentées par l’Iran, mais aussi par bon nombre de personnalités européennes.

C’est en cela que la guerre de 2024 mérite son nom de guerre d’établissement. Cette guerre est non moins historique que celle de 1948.

Elle met sur le champ de bataille tous les composants de la mosaïque culturelle élaborée au cours des cent dernières années. Cette guerre va en fait souder ces composants et insuffler à la société de demain la cohésion d’une nation.

Mais ceci ne s’accomplira qu’une fois la question des otages réglée. La guerre ne s’arrêtera pas sans leur retour.

Et concernant les palestiniens, la guerre est double tout autant. Elle a sa composante cruelle, en vertu de laquelle, ont été commises les atrocités du 7 octobre, a tué de très nombreuses personnes la réplique israélienne, mais elle a aussi sa composante autre.

Tandis que l’opinion internationale est effarée et obnubilée par le nombres de victimes, et parmi elles, les nombres de femmes et d’enfants, nombre très élevé, retirant à Israël le statut d’agressé et lui redonnant ipso facto le rôle de bourreau et d’agresseur, il est bien clair qu’occupe un rôle non moins central l’autre composante.

Cette autre composante est celle qui me paraît être au centre du livre de Gilles Keppel « holocaustes ». De quels holocaustes parle-t-il si ce n’est du phénomène de sacrifice acté par le hamas dans le prolongement de la politique d’Arafat depuis la création de l’olp, et qui consiste à miser sur le maximum de misère humaine palestinienne ?

Le nombre de morts gazaouis qui fait pleurer dans les chaumières du monde occidental tout entier n’est peut-être qu’une partie du projet. C’est probablement au nom de ce projet et non par négligence ou manque de fonds que rien n’a été mis en place à Gaza pour protéger la population. Il est peut-être plus rentable qu’elle meure. De la même manière qu’il est plus rentable qu’elle demeure réfugiée.

De la même manière, on entend le Liban déclarer que 37 localités ont été effacées. Le public des lecteurs n’a pas besoin de savoir si ces localités ont réellement été habitées ou si elles n’étaient que façades à des avant- postes militaires. Si on peut faire passer Israël comme ayant effacé ces localités, cela ne fait que renforcer l’image de génocideur qu’on a travaillé à lui fabriquer.

L’opinion a déjà oublié le massacre du 7 octobre. Elle a aussi oublié les otages, et elle n’a jamais vraiment pris conscience de la situation d’Israël, pays bombardé quotidiennement depuis Gaza, depuis le Liban, depuis le Yemen, depuis l’Iraq, depuis l’Iran…depuis maintenant 13 mois. Des bombardements qui « ne comptent » pas puisque le nombre de morts est ridiculement bas. C’est donc que les bombardements n’en sont pas. On a aussi pu lire ou entendre qu’Israël (ou le grand méchant Netanyahou) a « étendu » la guerre au Liban. De son initiative hégémonique. On a aussi compris que c’est à ces fins que la population israélienne a été écartée. Ce n’est pas parce que le nord du pays a été bombardé. Puisque les bombardements n’ont pas existé. ….au nom de la seconde guerre.

Au nom de la première, Israël continue de subir la guerre qui lui a été imposée à partir du 7 octobre. Même depuis que nous avons compris que c’est une guerre d’importance historique, guerre d’établissement. Le nombre de victimes est considérablement inférieur à ce de quoi « se targue » le hamas, mais il est énorme à l’échelle de notre petit pays, dans lequel un mort compte énormément, dans lequel la mort n’est en rien sanctifiée. Personne qui ne connaisse un ou plusieurs, ou dix morts, membres de sa famille, de ses proches, habitant de son quartier. Personne qui n’ait parmi ses proches, conjoint, fils, frère, père ou cousin qui n’ait été mobilisé, ou qui le soit encore, pour certains après avoir passé plus de 200 jours en uniforme, au combat, exposé au cours de l’année passée. Personne qui ne connaisse une ou plusieurs personnes déplacées par contrainte, afin de ne pas avoir été la cible de roquettes, missiles, ou autre. Personne qui ne connaisse pas au moins un des dizaines de milliers de blessés, de traumatisés au cours des derniers treize mois.

La vie n’est sûrement pas facile pour les gazaouis, ni pour les libanais, mais nous les plaindrons plus tard. Chaque chose en son temps. Pour l’instant, la plupart d’entre nous n’ont pas le loisir, n’ont pas les réserves compatisantes suffisantes.

Il faudra travailler longtemps, si ce n’est très longtemps pour que puisse se réinstaller un climat de confiance, pour que l’idée de négociations de paix, pourtant indispensables à léguer aux générations futures, redeviennent possibles.

Que déjà reviennent les otages.

 

dimanche 13 octobre 2024

Office de kippour. Siakh Itshaq, octobre 2024



 


Une communauté créée il y a 42 ans, à l’initiative de Shlomo Balsam et qui cherchait à constituer un pool d’adresses d’hébergement pour les jeunes du bné Aquiva en année de hakhchara à Jerusalem.


De façon naturelle se créa un minyan ashkenaze-sefarade, non par choix idéologique mais du fait de la composition du groupe, de juifs français récemment devenus israéliens, et issus de la première communauté juive du monde, la communauté française, où se retrouvèrent ashkenazes et séfarades après deux mille ans, du fait de l’arrivée en France à partir de 1945 des juifs du magreb où se profilait déjà la décolonisation.


La communauté se créa alors qu’Itshak Madar, lui-même ancien de la hakhchara, lui-même fruit de mariage ashkenaze-sefarade et qui avait fait son alyah en octobre 1982, tombait lors de la première guerre du Liban, et elle fut nommée en son souvenir.


Elle s’édifia sur les bases de cette reprise alors embryonnaire de la rencontre cultuelle entre les ashkenazes et les sefarades, bases de la renaissance de l’identité hébraïque, du juif redevenant hébreu, si bien conceptualisée par Manitou, à une époque où ceux qui pensaient ainsi étaient l’absolue minorité, du monde dans son ensemble et même du monde juif.


La rencontre à l’échelle française se faisait « élégamment »  ….au bras de fer. Certaines communautés parisiennes ou de l’est de la France, traditionnellement ashkenazes jouaient l’indifférence quand ce n’était pas le refus véhément de coopérer avec cette actualité d’immigration, tandis que dans bon nombre d’autres, les sefarades devenus progressivement les plus nombreux avaient changé le ton, imposé leur rite.


Personne ne « pensait » la chose. Elle se faisait.


Siakh Itshak fut une des premières tentatives de réflexion. Une réflexion qui, modelée sur le système mis en vigueur dans l’armée israélienne par le rav Goren, aboutit en deux trois ans à un échec : les sefarades quittèrent la communauté plus ou moins en claquant la porte. 


Le système adopté ressortait en fait de la farce : du fait de l’existence au sein du monde ashkenaze du rite « sfard », le rite des hassidim d’Europe centrale, un rite un peu intermédiare (mais à la phénoménologie ashkenaze totale) entre le rite ashkenaze (des juifs allemands et alsaciens) et le rite des juifs orientaux. Ce rite devenait celui de Siakh Itshak, les ashkenazim persuadés d’avoir en cela accompli la réunion cultuelle du peuple juif. Les sefarades quittèrent en expliquant que les présentes dispositions ne leur permettaient en rien la transmission de leurs coutumes synagogales à leurs enfants. Les fêtes de tichré étaient pourtant organisées de façon à ce que chacun puisse avoir son rite. Deux offices séparés, mais toute l’année ne laissait aucune autre place au rite sefarade. Ils quittaient blessés. À juste titre.


                              "ner tamid" récemment créé et installé. Le Siakh Itshak est la prière, est le dialogue d'Itshak 

                                                                     mais est aussi un arbuste (siakh) composé de toutes les essences (ici 12 essences de bois) 

                                                                    constituant le judaïsme, représentés dans la communauté Siakh Itshak.


Siakh Itshak poursuivit son chemin comme communauté qui s’israélisait progressivement…mais qui vieillissait aussi au même rythme.


Il y a treize quatorze ans, alors que je voyais chaque trimestre diminuer le nombre de fidèles je commençai à faire entendre la voix de l’impératif d’une solution. 


Celle-ci se présenta par l’intermédiaire d’une fille qui avait grandi dans la communauté, venait de se marier, et de se joindre à une tentative de création de communaute par un groupe de vingt à trente jeunes couples qui cherchaient un lieu.


Les premières réunions parurent de bon augure, et ce nouveau groupe avait une condition : il fallait que la communauté soit « israélienne » c’est à dire que les rites des offices soit alternés.


Ce mode commençait petit à petit à se répandre, d’une part dans bon nombre de petites localités, ou kibboutzim d’Israël où la situation démographique fabriquait le mèlange ashkenaze-sefarade, d’autre part dans les quartiers du sud de Jérusalem, en particulier du fait du mélange ethnique en cours dans la société israélienne, de mariages intercommunautaires.


La deuxième étape de l’entrée du nouveau groupe dans la communauté, du « mariage » qui se fit et prit rapidement l’aspect d’une grande réussite (il y a maintenant une centaine de familles, un public jeune, beaucoup d’enfants), fut la réalisation d’un modèle d’office combiné ashkenaze-sefarade pour les grandes fêtes. Modèle selon lequel ce n’est pas l’alternance d’un office à l’autre mais la fusion à l’intérieur de chaque office. Chaque office comporte ainsi des morceaux, des mélodies ashkenazes alternées à des sefarades, tandis que l’office est mené par non un mais deux ministres officiants, le tout imprimé sur un livre qui vient en complément du rituel que chacun apporte avec lui, qui rituel ashkenaze, qui rituel sefarade.




Siakh Itshak est donc une communauté à l’office « combiné » (il y a ces jours-là du fait de l’affluence, deux offices, un uniquement ashkenaze, l’autre selon ce mode qui n’est déjà plus nouveau) de laquelle se retrouvent quelques cent vingt hommes et le même nombre de femmes, où se réalise la véritable rencontre israélienne des diasporas. Prient chez nous des individus pourvus d’ancêtres polonais, allemands, alsaciens et autres français, ukrainiens, italiens, marocains, lybiens, yémenites, tunisiens, syriens, américains, anglais, afghans, australiens, argentins, lithuaniens, roumains, hongrois, turcs et israéliens…et j’en oublie. Au quotidien ne figurent pas de juifs éthiopiens parmi les fidèles, mais dans certaines familles, des éthiopiens se sont déjà mariés avec des enfants. 


Ce public est présent cette dernière année pour la partie hommes de l’assemblée de façon très sélective, certains se trouvant sous les drapeaux, les autres ayant pour une bonne part sur l’épaule le fusil mitrailleur de leur situation de réserviste en permission, tenu de ne lâcher son arme nulle part.


La commission « aide intra communautaire » a énormément et de façon impressionnante travaillé cette année pour soutenir telle famille à mari mobilisé, telle famille accablée du deuil d’un proche tombé au combat.


Hier pendant l’office de Kippour, un de nos membres actifs racontait une anecdote rattachée à la guerre (il a lui-même un membre de la famille proche de sa femme parmi les otages et prend une part active aux manifestations en vue d’un accord pour les ramener dans leurs familles, et il intervient régulièrement dans des activités pour soldats du contingent ou réservistes) qui lui avait rappelé un souvenir familial qui m’en a en cascade évoqué un autre : ses grands-parents étaient arrivés à Jérusalem il y a 102 ans et vivaient dans de telles conditions précaires qu’ils élevaient leurs neuf enfants dans un deux pièces et que la table du repas de vendredi soir n’était autre que la porte d’entrée que l’on sortait de ses gonds pour l’occasion hebdomadaire.


Ceci me rappelait que mes propres grands-parents étaient aussi arrivés il y a quelque cent ants, mais à Tel Aviv….pour en repartir un ou deux ans plus tard, ma grand-mère, enceinte, craignant de ne pas réussir à nourrir l’enfant à naître tant les conditions économiques étaient dures. (La tradition familiale conserve le souvenir qu'ils habitaient une maison que mon grand-père avait construit de ses propres mains, en bois. A mon arrivée en Israël j'ai plusieurs fois arpenté Tel Aviv dans l'espoir de la trouver...sans succès). À cette époque. D’après la biographie de Ben Gourion, 90% des arrivants repartaient pour les mêmes raisons.


Mes grands-parents firent un second essai d’alyah raté au moment de la création de l’état, puis vinrent finalement s’installer à Jérusalem et y finir leurs jours, dans un vécu plus apaisé et satisfaisant que toutes les années qui avaient précédé, depuis la naissance et l’adolescence en Pologne, nourries de discrimination, de pogroms puis de l’extermination des proches, en passant par la Palestine d’alors puis la France où il a fallu subir les rafles, l’exode et les poursuites de la deuxième guerre mondiale suivis du redémarrage à zéro, assorti des démarches pour récupérer un appartement attribué à de bons français qui ne voyaient aucune raison de restituer les lieux…Malgré toutes ces mésaventures - de taille - ils avaient réussi à s’édifier, à élever plus qu’honorablement leurs enfants et à s’établir économiquement…mais ne devaient la survie du judaïsme dans leur maison qu’à l’énergie de leur descendance qui reprit le flambeau et le redémarrage des pratiques, puis leur ouvrit la voie du retour final en Israël.


Ce sont de telles situations que certaines bonnes âmes européennes qualifient d’invasion colonialiste…d’un peuple « sûr de lui et dominateur » qui en maltraite un autre sans raison et sans remords.


La prière hier, détail qui a son importance, était celle de Kippour et même si pour des raisons bien évidentes la compassion à l’égard des peuples libanais, gazaouis ou iraniens n’est pas à l’ordre du jour actuel (de trop nombreux endroits du pays vivaient hier un kippour trop assaisonné de sirènes et d’angoisse, certains comme moi-même avait qui un mari qui un fils qui une fille repartant encore durant la même journée au front), je n’ai aucun doute que les attentes de pardon et de rédemption n’étaient assorties que de façon extrêmement isolée de souhaits guerriers ou de vengeance. 


Il s’agit d’un peuple duquel la majorité est issue de parents, grands parents ou ancêtres venus pour retrouver la terre historiquement occupée de très longues années par leurs ancêtres, une terre de laquelle ils n’avaient jamais cessé de rêver, une terre qu’ils mentionnaient au quotidien dans leurs prières et leur vécu dans l’attente d’un meilleur quotidien que celui que leur faisaient endurer les nations qui ne savaient que tolérer leur présence. Ces gens ne sont venus en aucun esprit de colonisation au profit d’une quelconque métropole vers laquelle ils pourraient toujours revenir mais ont tous quitté sans retour et sans profit de ventes de leurs biens. Les juifs de France, Angleterre ou états unis sont dans quand même dans cette situation mais ils sont la minorité du peuple israélien. Personne de ce peuple n’est arrivé en conquérant mais cependant animé d’un vif esprit de construction et de reconstruction. 


Ce peuple rebâtit un judaïsme esquinté par les siècles, a fait revivre la langue hébraïque dont on m’enseignait en classe de sixième qu’elle était la langue morte d’un peuple disparu, et développe et construit une belle société. 


Ce peuple aspire à la paix et à la coahabitation et l’opinion internationale devrait plus contribuer à y travailler qu’oeuvrer à la condamnation d’Israël.

mercredi 9 octobre 2024

Simkhat Torah, symbole de la nouvelle page d’Israël. Veille de Souccot 5785.


Nous voici un an en guerre.

Une question qui se pose et qui est débatue ces derniers jours dans notre communauté (minyan israéli, ashkenaze-sefarade, sud de Jérusalem, de laquelle ont péri durant l’année quelques cinq soldats, qui directement qui indirectement lié, dans laquelle le 7 octobre dernier se célébrait en plus de la fête du jour la bar mitzva d’un enfant dont le père a juste pu entendre la lecture de Torah avant de partir rejoindre son unité, à laquelle se sont joints durant l’année quelques familles de « déplacés » de Kyriat Chemona, de laquelle beaucoup beaucoup d’ hommes - et quelques femmes - ont été mobilisés de longues périodes et plusieurs fois, dans laquelle le nombre d’armes et de fusils en bandoulière varie de shabbat en shabbat entre 5 et 10, de laquelle de très nombreuses personnes ont ajouté à leur quotidien telle ou telle activité de volontariat, de soutien, dans laquelle la tefila de chaque shabbat matin depuis le 7 octobre est ponctuée de la lecture des noms de tous les otages, dans laquelle quelques familles ont le triste privilège de connaître personnellement un ou plusieurs otages, parfois quelqu’un de proche), une question qui se pose est : « comment fêter Simkhat Torah ? ».

Cette année, et dorénavant.

C’est une question spécifique et générique.

Je suppose que selon les communautés, il va y avoir un prisme de modification du déroulement de la tefila ce jour-là, depuis les communautés, les synagogues où rien ne sera modifié (je crains qu’elles ne seront les plus nombreuses) jusqu’à celles où cette fête sera occultée, en passant par les multiples degrés d’insertion de quelque chose qui rappelle le 7 octobre dans la célebration. 

Chez nous, semble se dégager de maintenir le rituel, y compris les « hakafot » au cours desquelles on tourne, et on danse avec les sifré Torah ( dans toutes les synagogues du monde), mais en en modifiant une ou deux, en les faisant silencieuses, une pour le souvenir des morts, civils ou militaires, une pour les otages, et en choisissant les chants de manière à tempérer la joie.

En parallèle a été proposé de rajouter quelques mentions spécifiques au « yskor » du jour, et reste non tranchée la question des sucreries traditionnellement distribuées ce jour aux enfants. Doit-on leur faire partager cette diminution de la fête, ou ont-ils déja assez vécu cela tout au long de l’année écoulée ?

En Israël, la guerre a éclaté le 7 octobre et c’était le huitième jour de la fête de Souccot, jour de Shemini Astéret simultanément à Simkhat Torah, tandis qu’en dehors d’Israël, Simkhat Torah n’ètait fêtée que le lendemain, les deux fêtes se succédant.

Hier, un rabbin suggérait de garder le 7 octobre comme date du souvenir, et de fêter simkhat Torah sans le moindre bémol, du fait que cela sera cette année à une autre date (24 octobre en Israël, 25 octobre dans le reste du monde), et afin de ne pas affaiblir notre ferveur.

Au plan générique, cela s’intègre à la question du « comment continuer? », comment intégrer à la vie, mais aussi à l’Histoire, à la transmission transgénérationnelle du judaïsme, un judaïsme qui parait ouvrir une nouvelle page, au gré de ce nouveau chapitre.

Ce chapitre est non achevé, et nul ne peut dire aujourd’hui ni quand il s’achèvera, ni de quoi sera fait demain, en particulier du fait de la partie « guerre contre l’Iran » que comporte cette guerre.

Le 7 octobre 2023 a été un jour terrible, se soldant par près de 1200 morts, par plus de 250 otages, et par énormément de destruction, en particulier concernant les 21 villages et kibboutzim du pourtour de la bande de Gaza, directement agressés et en partie brûlés et détruits par l’attaque.

A suivi une période d’un an jusqu’à aujourd’hui, d’une certaine manière non moins terrible. La guerre qui a commencé encore le soir du 7 a occasionné beaucoup de pertes humaines, en Israël et chez les palestiniens, a déclenché l’attaque progressivement plus destructrice du hezbollah en provenance du Liban, se sont ajoutés les envois de missiles en provenance du Yemen, d’Irak et d’Iran, le tout provoquant le déplacement d’énormément de populations, au sud et au nord d’Israël, dans la bande de Gaza, et au sud Liban. En parallèle les otages ont pour près d’une moitié été libérés, vivants pour une partie, morts pour l’autre, tandis que la situation perdure pour quelques 100 d’entre eux, au sujet desquels personne dans le public israélien ne sait dire qui d’entre eux sont en vie, qui sont morts, ni où ils sont et dans quelles conditions ils sont détenus.

La situation de belligérance et de prise de ces otages agite la rue et la diplomatie du monde presque entier, et l’année 2024 a été le théatre de très nombreuses manifestations, déclarations, interventions, en soutien à Israël pour une partie d’entre elles, en soutien aux palestiniens pour une autre partie, cette deuxième partie assortie de manifestations antisionistes ou ouvertement antisémites, tandis que la quantité d’incidents antisémites dans le monde croissait.

Dans quinze jours, la question « comment fêter Simkhat Torah ? » aura été dépassée, la guerre ne se sera vraisemblablement pas encore arrêtée, et je tiens à maximiser cette question tant qu’elle est encore d’actualité.

La situation de cette dernière année suscite en effet de nombreuses questions de fond, tandis que le quotidien, entre les opérations militaires, les disputes entre gouvernement et opposition les repoussent en arrière de la scène, les éloignent des projecteurs.

Une des questions est l’état extérieur d’Israël, celle de notre situation internationale. Du soutien ou des condamnations dont nous faisons l’objet, et en relation directe, de la situation des israéliens et des juifs dans le monde.

Une autre question est celle de l’état intérieur d’Israël, de nos dissensions internes ou au contraire de notre unité. Au plan politique, mais aussi au plan religieux, au plan éducationnel, au plan moral, ou de façon plus générale au plan de la société. 

1. Au plan extérieur, il apparaît clairement que le monde vit en 2024 un retour sur ce qui s’était joué entre 1933 et 1948 , c’est à dire une profonde modification de la situation des juifs dans le monde, ouverte avec l’arrivée au pouvoir d’Hitler, suivie de la shoah, puis de la création de l’état d’Israël, avalisée par l’ONU.

S’en étaient suivis beaucoup de mouvements de populations juives au cours des 75 ans derniers, avec les arrivées successives des juifs rescapés des camps, des pays arabes, de l’ex-URSS, d’Ethiopie, portant la population juive en Israël à presque sept millions, soit un peu plus de la moitié de la population juive mondiale. 
L’antisémitisme, inexprimable après la shoah, s’est progressivement fait ré-entendre, avec le soutien iranien au négationisme né en Europe, au rythme du conflit israélo-palestinien, devenu de plus en plus vociférant au fil des années et des guerres frontalières d’Israël, et avec une brutale aggravation depuis le 7 octobre 2023.

Israël qui n’était au début du vingtième siècle qu’un état embryonnaire peuplé de réfugiés, est devenu un pays de presque 10 millions d’habitants, au niveau de vie presque européen, avec niveaux universitaires et industriels de plus en plus développés, et avec une puissance militaire impressionnante.

Ces développements sont au profit comme au détriment d’Israël, duquel les habitants continuent à se sentir « en voie de développement » tandis qu’ils sont vus comme presque invincibles par le monde qui peut par exemple « oublier » les bombardements quotidiens (!!) de toute une année sur tout le territoire…du fait que ceux-ci ne font que très très peu de victimes humaines, grâce au très haut niveau de protection militaire et physique de la population. Une situation qui encourage la rue internationale à voir ce pays comme une superpuissance colonisatrice, alors que ce n’est ni le cas ni le vécu de ses habitants.

Ces paradoxes nuisent à la solution incontournable et jusqu’ici inatteignable au problème palestinien.

Tandis qu’Israël s’est développé économiquement, s’est maintenu d’une part un décalage entre la croissance côté juif et côté arabe, et s’est énormément accentué l’écart entre Israël et la bande de Gaza ou le Liban, la Jordanie ou l’Egypte.

Les palestiniens de Gaza et des territoires souffrent très certainement de cet écart, et le monde a tendance à voir la situation actuelle entre Israël et le hamas comme une agression et une oppression d’une toute puissante armée sur une population impuissante et enfermée.

Il parait clair que ceci est à être géré, modifié, si ce n’est règlé.

Il parait non moins clair que l’actuelle guerre, vécue par Israël comme lui ayant été imposée, et impossible à terminer tant que ces 100 otages ne sont pas rentrés dans leurs maisons, ne va pas accélérer le processus de normalisation. 

Et pourtant, il nous incombe de régler ce problème, presque plus vis à vis de l’intérieur que vis à vis de l’extérieur.

Regler ce problème aidera à calmer la rue et restituera le calme au chapitre de l’antisémitisme, mais le plus important me parait la composante interne à l’état d’Israël.

Si Golda Méïr a eu raison de dire que nous ne détestons pas tant nos ennemis par ce qu’ils nous font que parce qu’ils poussent nos enfants à les haïr, ceci est presque dix fois plus grave et urgent aujourd’hui, 50 ans après sa disparition.

2. Et ceci nous amène au plan intérieur.

Cette guerre ne s’est pas déclenchée au déclin d’un magnifique et tranquille été, mais au contraire au terme de dix mois de tempête politique dans le pays.

Cette tempête, provisoirement mise en arrière-plan aux premiers jours de la guerre, a réapparu depuis déja de longs mois et est inséparable au quotidien de la question sécuritaire, de la gestion de la guerre.

Il n’y a pas aujourd’hui en Israël d’autorité reconnue par tous et acceptée par tous, ni au plan gouvernemental, ni au plan religieux. Il n’y a pas de « voix nationale » et il n’y a au contraire, juste derrière le paravent de la solidarité réveillée par la guerre, qu’agressivité mutuelle, dénigrement ou condamnations publiques.

C’est en fin de compte le plus grave problème d’Israël à l’heure actuelle.

Israël est mené depuis presque deux ans par un gouvernement qui n’a réussi à obtenir un consensus national sur aucune de ses décisions, un gouvernement qui ne sait pas exprimer une voix au nom de tous les citoyens qu’il est censé administrer, un gouvernement qui agit comme s’il était encore hier frustré et dans l’opposition et qui parait plus occupé à rendre les coups qu’à administrer le pays entier, un gouvernement enfin incluant des partis vus de l’extérieur d’Israël comme de l’opposition, comme extrémistes si ce n’est néo-fascistes.

Au plan religieux aucune instance ne sait fédérer les opinions et donner une direction.

Les politiques savent apparemment jouer des coudes pour obtenir des sièges, mais n’ont pas la capacité humaine requise pour asseoir leur autorité, comme avait si bien su le faire Yossi Sarid, qui avait été élu à la knesset comme représentant de l’extrême gauche, mais qui avait su être le ministre de tous les citoyens.

C’est d’une capacité telle dont Israël a besoin.

Ce n’est pourtant pas que le pays ne dispose pas de cerveaux et de voix. Il est impératif de rétablir une situation de consensus, à l’initiative de personnalités qui soient acceptables, respectables, et en conséquence, acceptées et respectées.

dimanche 29 septembre 2024

Chronique du paradoxe de la vie israélienne. Veille de Roch Hachana 5785.

 



Nous voici bientôt un an en guerre.

Une question qui se pose et qui va être débattue ce shabbat dans notre communauté (minyan israéli, ashkenaze-sefarade, sud de Jérusalem, de laquelle ont péri durant l’année quelques cinq soldats, qui directement qui indirectement lié, dans laquelle le 7 octobre dernier se célébrait en plus de la fête du jour la bar mitzva d’un enfant dont le père a juste pu entendre la lecture de Torah avant de partir rejoindre son unité, à laquelle se sont joints durant l’année quelques familles de « déplacés » de Kyriat Chemona, de laquelle beaucoup beaucoup d’ hommes - et quelques femmes - ont été mobilisés de longues périodes et plusieurs fois, dans laquelle le nombre d’armes et de fusils en bandoulière varie de shabbat en shabbat entre 5 et 10, de laquelle de très nombreuses personnes ont ajouté à leur quotidien telle ou telle activité de volontariat, de soutien, dans laquelle la tefila de chaque shabbat matin depuis le 7 octobre est ponctuée de la lecture des noms de tous les otages, dans laquelle quelques familles ont le triste privilège de connaître personnellement un ou plusieurs otages, parfois quelqu’un de proche), une question qui se pose est : « comment fêter Simkhat Torah ? ».
Cette année, et dorénavant.

C’est une question spécifique et générique.

Je suppose que selon les communautés, il va y avoir un prisme de modification du déroulement de la tefila ce jour-là, depuis les communautés, les synagogues où rien ne sera modifié (je crains qu’elles ne seront les plus nombreuses) jusqu’à celles où cette fête sera occultée, en passant par les multiples degrés d’insertion de quelque chose qui rappellele 7 octobre dans la célebration. 

Chez nous, il est question de maintenir le rituel, y compris les « hakafot » au cours desquelles on tourne, et on danse avec les sifré Torah ( dans toutes les synagogues du monde), mais en en modifiant une ou deux, en les faisant silencieuses, une pour le souvenir des morts, civils ou militaires, une pour les otages.

Au plan générique, cela pose la question du « comment continuer? », comment intégrer à la vie, mais aussi à l’Histoire, à la transmission transgénérationnelle du judaïsme, ce nouveau chapitre.

D’une certaine manière, et de façon mi-tragique mi-étonnante, rien n’a changé.

Notre vie quotidienne est inchangée, les gens vont au travail, les enfants à l’école, les soldats à l’armée, les réservistes en milouïm, les boutiques sont approvisionnées, les services fonctionnent, les gens partent en vacances, et en même temps tout a changé.

Les otages sont omniprésents, dans les émissions de radio télévision et dans les esprits, que cela soit pour exiger l’arrêt des hostilités afin de faire un accord, ou pour soutenir l’opposé, de continuer au maximum l’intervention armée…afin de les ramener par force, et afin de remporter ce round.

Le pays est à la fois uni dans la mobilisation, et, dans la suite de l’an dernier, profondément divisé politiquement.

Le peuple israélien qui manifestait énormément moins que le peuple français semble avoir reéquilibré la balance. Les manifestations sont hebdomadaires et même pour certaines personnes quotidiennes, et ceci depuis bientôt deux ans, depuis que cette droite augmentée de l’extrême droite a remporté les élections de novembre 2022.

L’esplanade d’entrée du musée de Tel Aviv, ainsi que la place Dizengoff de la même ville sont comme rebaptisées, l’une étant devenue « place des otages », l’autre exposition permanente d’expression artistique de la situation du pays en guerre.

Dans le vaste monde, les condamnations sont très nombreuses, d’un Israël qui est non seulement insensible à la souffrance du peuple palestinien, mais qui oeuvre à le détruire (le mot couramment employé choque mon clavier au point qu’il ne figurera pas ici), tandis que vu de l’intérieur, Israël, à travers presque tous ses citoyens, se sent comme si personne de par le vaste monde (ou résolument trop peu de voix) ne manifestait son attachement, sa compréhension vis à vis de la partie qui se joue, vis à vis de la détresse israélienne provoquée par le massacre du 7 octobre, la prise en captivité des otages, leur maintien en horrible condition depuis, les bombardements quotidiens sur l’ensemble du pays, les populations déplacées.

Vu de l’intérieur, l’israélien que je suis assiste jour après jour à des manifestations verbales de vélléïté que ce pays n’existe pas, et reçoit concrètement sous forme de roquettes, missiles ou drones l’expression physique et potentiellement mortelle de cette vélléïté.

Même si le vaste monde peut se scandaliser de « l’indifférence israélienne » à la souffrance palestinienne, parce que réellement notre armée a fait à Gaza, continue de faire à Gaza, fait au Liban d’énormes dégats, matériels et en vies humaines, et parce que ce n’est pas un sujet chez la plupart des gens, il faut comprendre pourquoi ceci se produit, comment cette indifférence s’est installée.

Alors qu’un interlocuteur, de ces juifs français laïcs, qui se disent amis d’Israël mais manifestent contre tout ce que font Israël et le sionisme, tente de me convaincre que nous sommes paranoïaques et que personne ne veut notre destruction (il me conseille néanmoins de préparer mes valises pour l’avenir proche, entrevoyant la fin de l’état…), cette guerre aura été comme une confirmation que ce n’est pas de territoires occupés « illégalement » qu’il s’agit. 

Les barbares du 7 octobre ont bel et bien envahi un territoire souverain…en proclamant qu’il s’agit de leur terre. Le hamas ne s’en cache pas, et pour ceux qui scandent « from the river to the sea » dans les manifestations et soutiennent donc ce slogan, il s’agit de combattre l’existence même d’Israël.

Il ne s’agit pas de cela parce que nous sommes une super puissance colonialiste, impérialiste ou suprémaciste (c’est le dernier vocable à la mode, il serait dommage de ne pas l’utiliser), il s’agit d’un combat qui se poursuit encore depuis les tout débuts du sionisme, quand il ne ralliait à sa cause que quelques centaines de personnes, et quand les graffiti sur les murs des grandes villes européennes portaient « les juifs en Palestine », un combat qui a compris le massacre du goush etsion lors des pogroms de 1929, qui s’est poursuivi après la proclamation de l’état en 1948, alors que les habitants, et les soldats étaient surtout des rescapés des camps et de l’exil des pays du magreb, individus sans le sou pour la plupart d’entre eux. Un combat qui a pris en route la révolte contre les territoires occupés par la guerre de 1967, elle-même guerre d’auto-défense absolue.

Israël donc non seulement n’occupe pas la bande de Gaza (désengagement en 2005, et depuis, ni habitants juifs ni soldats. Contrôle effectivement - mais magistralement déficient comme les évènements de l’année passée l’ont prouvé - de ce qui y entre, mais nullement occupation) mais « occupe » tout son territoire.

Les israéliens constituent un spectre au regard des palestiniens, incluant ceux qui sont persuadés qu’Israël leur a pris leur terre, et à l’autre extrémité ceux qui font tout pour accélérer leur départ, mais tous ont été blessés par eux, que cela ait été en 1929 et depuis, ou le 7 octobre 2023. 

Les palestiniens vivent au jour le jour parmi les israéliens, indépendamment de leur statut civil, qui les « discrimine » au moment du passage des barrages de sécurité et pour bon nombre d’actions, mais nullement dans la vie et le contact avec les israéliens. On les rencontre dans les hopitaux, les universités, les moyens de transport et les lieux de villégiature, tous lieux où aucune différence n’est perceptible. Et il est bien clair qu’ils vivent incomparablement mieux que leurs pairs de Gaza, du Liban ou même de Jordanie où on ne les aime pas, « to say the least ».

A ce registre, le 7 octobre est perçu par les israéliens comme un coup de poignard dans le dos, surtout si on prend en compte que bon nombre d’habitants de Gaza se rendaient tous les jours en Israël, qui pour travailler qui pour se faire soigner, et étaient même soutenus ( convoyés) par bon nombre des habitants de la bordure de Gaza, pour beaucoup d’entre eux affiliés à la gauche israélienne et favorables à des accords de vie commune, et au retrait israélien des territoires. Ce sont les actes du 7 octobre, ajoutés aux situations de belligérance repétitives depuis les débuts du sionisme qui provoquent cette « indifférence »  à leur sort. 

Les israéliens sont aujourd’hui « occupés ». Ils doivent enterrer les morts, accompagner les déplacés et les familles dans lesquelles un ou plusieurs sont mobilisés, oeuvrer au retour des otages, s’occuper du post traumatisme, tant au plan physique qu’au plan psychologique, réfléchir comment poursuivre la vie…et la souffrance des habitants de Gaza n’est pas au premier rang des priorités. 

Et il y a de bonnes chances pour que ceci se prolonge pour quelques bonnes années. Même si les opérations de ces dernières semaines à Gaza et ces derniers jours au Liban (avec l’élimination de toutes les têtes du Hezbollah, Nasrallah compris) semblent indiquer une véritable victoire militaire israélienne, restent encore à Gaza quelques 100 otages.

Les israéliens, nous, n’auront de cesse que de travailler à leur retour, que de partager leur souffrance. 

Ceux qui versent des larmes de crocodile sur les pauvres enfants de Gaza devraient avoir un plus large regard au plan historique, et se demander comment ils ont laissé s’installer le hamas à Gaza, le Hezbollah au Liban et comment seules les opérations israéliennes les scandalisent, tandis que la guerre civile en Syrie, les massacres des opposants de la Turquie d’Erdogan, le négationnisme actif de l’Iran des ayatollas, la tyrannie du hamas ne les ont jamais même interpellés.. 

Israël est un des pays du monde où la sensation de bien être est la plus ressentie et partagée, et Israël déposera les armes le jour où ses opposants auront accepté le principe de son existence. Israël demeurera cependant « suprémaciste » parce que ce pays doit rester un pays juif, le pays des juifs, l’histoire ayant suffisamment prouvé que son existence est impérative. Les juifs doivent encore travailler ses caractéristiques, rechercher avec l’aide des textes traditionnels et modernes comment décliner ce paradoxe de pays qui soit juif et pays de tous ses habitants. Il s’agit non d’une épine à se sortir du pied mais d’un véritable challenge, que l’on ne résoudra pas par de stupides manifestations ou condamnations.

Ce billet tient lieu de missive annuelle de distribution de voeux de bonne année.

Nous allons bien mais les temps n’encouragent pas à la créativité - malgré quelques très belles expositions entre autres d’art-post 7 octobre vues récemment. Pour cela aussi, le paradoxe est là.



תכלה שנה וקללותיה תחל שנה וברכותיה.