Après bientôt treize mois de guerre, il semble que tous n’aient pas en tête les
tenants et aboutissants de la situation, et que les paramètres n’aient pas
conservé entre eux et chez tous l’ordre qui est le bon.
Il semble ainsi que dans les médias d’expression française en particulier,
l’essentiel soit la belligérance et ses dégats, avec surfocalisation sur les
destructions tant à Gaza qu’au sud-Liban, et sur le prix humain qu’elles
occasionnent, pertes et déplacements en particulier.
On peut donc lire abondamment sur la misère de la population, sur les horreurs
de la guerre, et on assiste à des mesures d’appel à embargo, boycotts ou
véritables mesures à l’encontre d’Israël, en ce qu’il commet toutes ces
atrocités que le monde civilisé ne peut tolérer…
Il semble ainsi qu’il y a la guerre, la sale, celle qu’il faut appeler de tous
ses voeux à sa fin, et la guerre de l’information, propre. La guerre des morts
et la guerre des images, des réseaux sociaux, des vidéos, la deuxième d’une
certaine manière dont la rue ne cherche pas la fin, et l’emportant au présent
sur la première, dérangeante et qu’il faut enfouir, que l’on pourra transformer
par le biais de la deuxième.
Et je voudrais revenir sur la première, sur les raisons qui nous ont mené à la
guerre, et sur le vécu de cette année écoulée, vu depuis Israël.
Du point de vue d’Israël, et je ne suis pas le porte-parole de la nation mais
je pense quand même vivre parmi la société et partager avec bon nombre ce que
je ressens, la guerre a commencé par le massacre inouï, le plus grand pogrom
commis à l’encontre de juifs depuis la shoah, le 7 octobre 2023.
Pour l’ensemble du peuple, il survint comme un coup de tonnerre dans un ciel
serain, et il attint en une matinée, en une journée, des sommets que personne
ne connaissait dans sa propre mémoire d’évènements. Le massacre était
accompagné d’énormément de destructions matérielles, de confusion teintée de
honte (« comment a-t-on pu se faire tant surprendre et la réaction
survenir si tard et si inadéquatement? »), et surtout de prise de près de
250 personnes de tous âges en otages.
La réplique militaire était incontournable, ne serait-ce que pour récupérer les
otages, ne serait-ce que pour rétablir la situation physique de bande
frontalière s’étant avérée si vulnérable.
La destruction qui s’est suivie à Gaza est directement le fruit de l’opération
du hamas, et de façon marginale uniquement, teintée de vengeance. Il fallait -
et il faut toujours pour 101 d’entre eux, dont des personnes très âgées, dont
des enfants en très bas âge - retrouver et ramener les otages, et il fallait
rétablir la situation militaire, détruire les moyens militaires, armement et
tunnels. La destruction imposait le déplacement de populations, le hamas ayant
entièrement imbriqué l’arsenal militaire avec la vie civile, armement et rampes
de lancements de roquettes dans les écoles, les hopitaux, les positions
prétendûment neutres (UNRWA), armes entreposées chez l’habitant, tunnels
débouchant dans les habitations privées. S’étant avéré de plus que les otages
sont emprisonnés au sein même de la population, par la population elle-même,
elle devient un peu une cible de façon implicite, phénomène qui vient s’opposer
à celui de punition collective agité par les bonnes âmes appelant au
cessez-le-feu afin que la population ne pâtisse pas de la situation.
Je tiens à revenir sur la dénomination « guerre de survie » qui a été
tellement rapidement occultée, balayée, et remplacée par une vague de
protestation tant à l’extérieur d’Israël (contre le pays colonisateur, qui
commet un génocide….avec jugement à la cour internationale de La Haye entre
autres) qu’à l’intérieur d’Israël avec l’association des manifestations pour le
retour des otages à la critique contre Netanyahou et les partis
d’extrême-droite de la coalition, association que je déplore personnellement.
Israël jouit d’une phénoménologie trompeuse, de pays surdéveloppé tant
militairement qu’universitairement, économiquement et peut-être socialement,
phénoménologie qui est la première responsable des critiques extérieures sus
mentionnées.
Israël qui passe pour le pays de cocagne du moyen orient, bien plus développé
que ses voisins, est d’une part assez loin de cela si on regarde sous le vernis
et surtout est loin d’avoir été cela dès sa création.
Israël n’a de raison d’être que dans sa relation à l’histoire juive et cela est
le sentiment le plus partagé parmi sa population, qu’elle soit religieuse ou
non.
Israël n’est ainsi aux yeux d’aucun de ses citoyens une implantation coloniale
dont le but est le contrôle de l’eau, du passage du pétrole, ou le maintien
d’une quelconque présence blanche en terre d’arabie malgré les démantèlements
consécutifs à la première guerre mondiale, sous couvert d’une concession d’abri
pour les rescapés de la shoah.
S’il n’était que cela, Israël n’aurait pas de raison d’être.
Tout citoyen israélien sait, constate et vit que se réalise ici un retour de
juifs du monde entier, un renouveau de la vie juive, et que ceci se produit en
relation étroite avec l’histoire juive.
Israël est par contre vu et décrit par certains politologues européens comme
émanation naturelle des mouvements économico politiques mondiaux des derniers
siècles , ce qu’il est peut-être en partie, mais cette description et ce regard
occultent entièrement pour la rue occidentale cette composante historique
tellement évidente pour tous les juifs du monde.
Sans cette composante, il serait possible de juger froidement ce pays sur ses
données actuelles aux plans économique, social, militaire, et le traiter en
comparaison avec les puissances coloniales du passé par exemple qui sont allées
conquérir telle ou telle portion de pays, en expulsant, massacrant ou
convertissant les populations locales, sans les prendre réellement en compte,
ou encore en voulant délibérément détruire leur culture comme ce fut le cas
dans le monde entier.
Avec la composante de l’histoire juive, il est impossible de voir Israël comme
tel.
Les populations arabes ont effectivement été bousculées voire violentées par le
sionisme mais il est impossible de ne juger le sionisme qu’à cette aune.
Le sionisme n’est pas une émanation surgie de la tête de Hertzl et imposée aux
arabes par le lobby juif international comme en sont persuadés les politologues
laïques et les observateurs.
Le sionisme n’est que l’émanation extérieure, la concrétisation du message juif
et du vécu juif des deux mille années qui précèdent la nôtre.
Dans quelle famille juive Jérusalem n’a-t-elle pas eu la place centrale des
voeux, des aspirations d’avenir ?
Que cela ait été en Pologne, en Irak, au Yemen ou en France ou ailleurs dans le
monde, pas un enfant juif qui n’ait reçu ce thème au biberon vingt siècles
durant, cet état de choses s’étant un peu modifié à partir de l’émancipation et
de façon nettement plus sensible après et depuis la shoah.
Je comprends la difficulté palestinienne à vivre une telle situation d’un état
se créant ex nihilo de son point de vue sur son espace vital et prétendant à la
suprématie, mais je pense que c’est sur cette base que doit se gérer la
situation, plutôt que sur base de dérives comme les analyses politiques
évoquées plus haut ou sur base de livres traitant du « mythe du peuple
juif ».
Thomas Szaz dans les années de l’anti psychiatrie s’était essayé au même mode
(« le mythe de la maladie mentale », « le mythe de la
psychothérapie ») mais il est tombé dans l’oubli, sort qui attend les
productions littéraires populistes, et principalement animées d’antisionisme de
Shlomo Sand.
Il est clair qu’Israël est émanation directe du fait juif - qui n’est que
« religion juive » que depuis Napoléon - et que ne réfutent cette
idée que ceux qui ignorent - ou refusent de connaître l’histoire juive.
Curieuse amnésie que celle concernant un des peuples les plus anciens de la
planète, le peuple des hébreux, que l’on présentait aux enfants des classes de
sixième comme un des peuples de l’antiquité, peuple éteint, omettant de
chercher le lien entre les enfants juifs assis dans la classe et ce même
peuple, ignorant les qualités de ce même peuple et son impact sur la
civilisation européenne, niant la richesse de son histoire, le contenu de son
énorme bibliothèque, et voulant ne pas connaître son éventuel attachement
jamais érodé à la terre de laquelle il avait été chassé, après une souveraineté
de 15 siècles.
Pour tous les amnésiques, juifs ou non, il n’y a pas de lien entre cette
antiquité et la création de l’état d’Israël en 1948. Le lien avec les hébreux
se manifeste tout au plus à travers l’idée qu’Israël était aussi manifestation
de compassion envers les victimes de la shoah. Mais alors il fallait que les
victimes demeurent éplorées, il fallait que ne se développe aucun pays. Aucun
pays où refleurisse le désert, se développent la science et l’université, et
encore moins qu’il prétende se doter d’une armée de défense…qui tue.
Il eut fallu que ses habitants se tiennent cois, et ne se défendent pas si on
venait à les attaquer.
Le monde occidental en ne donnant pas aux juifs d’aujourd’hui le crédit de
descendre des hébreux d’alors, se contraint à ce que cette guerre de 2023-24
déclenchée par le retour des pogroms ne soit à ses yeux que guerre facultative,
voire guerre expansionniste, guerre criminelle.
Vue par Israël, la création de l’état est inséparable de la guerre
d’indépendance. Après l’indépendance en 1948 s’est avéré soixante quinze ans
plus tard, que l’existence de l’état, qui paraissait un fait acquis depuis la
naissance de l’état et la fin de la guerre, n’est pas encore admise, en
particulier par les mouvances arabes représentées par le hamas et cyniquement
alimentées par l’Iran, mais aussi par bon nombre de personnalités européennes.
C’est en cela que la guerre de 2024 mérite son nom de guerre d’établissement.
Cette guerre est non moins historique que celle de 1948.
Elle met sur le champ de bataille tous les composants de la mosaïque culturelle
élaborée au cours des cent dernières années. Cette guerre va en fait souder ces
composants et insuffler à la société de demain la cohésion d’une nation.
Mais ceci ne s’accomplira qu’une fois la question des otages réglée. La guerre
ne s’arrêtera pas sans leur retour.
Et concernant les palestiniens, la guerre est double tout autant. Elle a sa
composante cruelle, en vertu de laquelle, ont été commises les atrocités du 7
octobre, a tué de très nombreuses personnes la réplique israélienne, mais elle
a aussi sa composante autre.
Tandis que l’opinion internationale est effarée et obnubilée par le nombres de
victimes, et parmi elles, les nombres de femmes et d’enfants, nombre très
élevé, retirant à Israël le statut d’agressé et lui redonnant ipso facto le
rôle de bourreau et d’agresseur, il est bien clair qu’occupe un rôle non moins
central l’autre composante.
Cette autre composante est celle qui me paraît être au centre du livre de
Gilles Keppel « holocaustes ». De quels holocaustes parle-t-il si ce
n’est du phénomène de sacrifice acté par le hamas dans le prolongement de la
politique d’Arafat depuis la création de l’olp, et qui consiste à miser sur le
maximum de misère humaine palestinienne ?
Le nombre de morts gazaouis qui fait pleurer dans les chaumières du monde
occidental tout entier n’est peut-être qu’une partie du projet. C’est
probablement au nom de ce projet et non par négligence ou manque de fonds que
rien n’a été mis en place à Gaza pour protéger la population. Il est peut-être
plus rentable qu’elle meure. De la même manière qu’il est plus rentable qu’elle
demeure réfugiée.
De la même manière, on entend le Liban déclarer que 37 localités ont été
effacées. Le public des lecteurs n’a pas besoin de savoir si ces localités ont
réellement été habitées ou si elles n’étaient que façades à des avant- postes
militaires. Si on peut faire passer Israël comme ayant effacé ces localités,
cela ne fait que renforcer l’image de génocideur qu’on a travaillé à lui
fabriquer.
L’opinion a déjà oublié le massacre du 7 octobre. Elle a aussi oublié les
otages, et elle n’a jamais vraiment pris conscience de la situation d’Israël,
pays bombardé quotidiennement depuis Gaza, depuis le Liban, depuis le Yemen,
depuis l’Iraq, depuis l’Iran…depuis maintenant 13 mois. Des bombardements qui
« ne comptent » pas puisque le nombre de morts est ridiculement bas.
C’est donc que les bombardements n’en sont pas. On a aussi pu lire ou entendre
qu’Israël (ou le grand méchant Netanyahou) a « étendu » la guerre au
Liban. De son initiative hégémonique. On a aussi compris que c’est à ces fins
que la population israélienne a été écartée. Ce n’est pas parce que le nord du
pays a été bombardé. Puisque les bombardements n’ont pas existé. ….au nom de la
seconde guerre.
Au nom de la première, Israël continue de subir la guerre qui lui a été imposée
à partir du 7 octobre. Même depuis que nous avons compris que c’est une guerre
d’importance historique, guerre d’établissement. Le nombre de victimes est
considérablement inférieur à ce de quoi « se targue » le hamas, mais
il est énorme à l’échelle de notre petit pays, dans lequel un mort compte
énormément, dans lequel la mort n’est en rien sanctifiée. Personne qui ne
connaisse un ou plusieurs, ou dix morts, membres de sa famille, de ses proches,
habitant de son quartier. Personne qui n’ait parmi ses proches, conjoint, fils,
frère, père ou cousin qui n’ait été mobilisé, ou qui le soit encore, pour
certains après avoir passé plus de 200 jours en uniforme, au combat, exposé au
cours de l’année passée. Personne qui ne connaisse une ou plusieurs personnes
déplacées par contrainte, afin de ne pas avoir été la cible de roquettes,
missiles, ou autre. Personne qui ne connaisse pas au moins un des dizaines de
milliers de blessés, de traumatisés au cours des derniers treize mois.
La vie n’est sûrement pas facile pour les gazaouis, ni pour les libanais, mais
nous les plaindrons plus tard. Chaque chose en son temps. Pour l’instant, la
plupart d’entre nous n’ont pas le loisir, n’ont pas les réserves compatisantes
suffisantes.
Il faudra travailler longtemps, si ce n’est très longtemps pour que puisse se
réinstaller un climat de confiance, pour que l’idée de négociations de paix,
pourtant indispensables à léguer aux générations futures, redeviennent
possibles.
Que déjà reviennent les otages.