mercredi 21 mars 2012

Le futur immédiat de notre présent est de devenir notre passé. 1



Apres avoir eu pendant cinq mois pratiquement sans interruption les yeux fixés sur le chantier, sur la construction de la nouvelle maison, n'est-il pas approprié, à peine huit jours avant l'emménagement, de poser un dernier regard sur la très bientôt ancienne maison ?

Une maison que nous aurons habitée 18 ans et 7 mois. Une maison dans laquelle est née Yaara, et où auront grandi tous nos enfants.

Une maison que nous n'avions choisi qu'en désespoir de trouver dans les limites de notre budget ce que nous cherchions vraiment, mais qui aura été le lieu central de notre noyau familial, lequel a commencé il y a déjà quelques années à se restreindre progressivement , et cela de façon irréversible.

Nous l'achetâmes sur deux étages et installâmes le troisième étage quelques trois ans plus tard, la rendant peut-être ainsi plus difficile à vendre qu'elle n'était déjà, mais lui octroyant ainsi une des caractéristiques qui resteront présentes et inséparables du souvenir qu'il en subsistera.

Les caractéristiques principales qui me sautent aujourd'hui à l'esprit sont loin de toutes être positives. 

Positive la terrasse-souccah qui sera presque impossible à dépasser si ce n'est à atteindre en qualité. Positive non moins la terrasse sur laquelle il nous prit un certain temps avant de comprendre qu'elle est la terrasse centrale et primordiale malgré la concurrence avec les quatre autres terrasses dont cette maison est pourvue.

Terrasse qui permit outre la construction et l'utilisation maximale de la souccah, la construction d'une bonne dizaine de meubles, ainsi que le repos quotidien, été comme hiver. Une terrasse protégée du vent, ensoleillée le matin et ã l'ombre l'après midi, une terrasse dans la verdure mais avec néanmoins une vue si on souhaite la vue.

Et positive non moins la terrasse-hamac, qui fut largement rentabilisée, et sur laquelle on totalisa plus de sommeil que dans beaucoup de souccot.

Positive la répartition des pièces de la maison, accordant espace privé à la plupart des habitants même en situation d'occupation maximale.

Positive l'exposition nord, nord-ouest  qui permit de ne jamais ou presque jamais souffrir de la chaleur même lors des étés les plus chauds.

Et largement positif ce même troisième étage où auront logé beaucoup beaucoup de gens, enfants et adultes, proches et moins proches.

Nostalgène le jardin public tout proche où jouèrent et jouent encore des générations d'enfants. Il n'était encore que terrain vague quand nous arrivâmes, et le resta bien plus de dix ans avant de devenir ce beau jardin ombragé par les eucalyptus et les pins demi centenaires que nous voyons dès la sortie de la maison, encore avant de descendre l'escalier, et que nous nous préparons à laisser derrière nous. Un terrain vague que les adolescents hésitaient à traverser le soir, où dormirent maintes fois sans abris et réfugiés en tous genres, un terrain vague qui devenait gigantesque flasque les hivers pluvieux, et où les balançoires grinçaient à chaque aller-retour, mais non moins, un jardin où nous passions au quotidien, où nous fîmes bon nombre de feux de Lag baomer et de pique-niques, où nous entendîmes les eucalyptus craquer les soirs d'enneigement de notre ville de montagne.

Et surtout, positive à mes yeux en particulier la vue extraordinairement dégagée depuis cet appartement, depuis notre chambre, depuis le coin ordinateur, depuis les terrasses. Je crains fort les bouffées de nostalgie à ce chapitre, moi qui ai toujours trouvé du réconfort dans la possibilité de regarder vers le loin, vers l'absence de point sur lequel poser son regard, vers une multitude détails, en particulier avec l'éclairage des premiers rayons du matin.


Il est cependant possible que la liste des qualités doive s'arrêter ici. Cette maison fut loin d'être exempte de défauts. Impossible ainsi au bout d'un hiver hyérosolimitain particulièrement sensible, impossible de ne pas mentionner comme premier défaut la difficulté presque insurmontable à chauffer cette maison. Matan, Yaara et nous, aurons eu le privilège d'occuper des chambres qui rivalisèrent en qualité réfrigérante. Nous avons hâte de laisser cet épisode derrière nous, même si la particularité du climat de Jérusalem est que le lendemain du froid, fin mars ou début avril, on l'oublie entièrement jusqu'au mois de novembre d'après.

L'autre défaut majeur de la rue Héletz est l'absence de coin-repas ou de salle à manger. J'ai toujours dit que l'architecte de la maison s'était senti dégagé de toute obligation une fois la maison pourvue d'une terrasse souccah et d'un coin lavage de mains à la sortie des wc. Ayant réglé ces deux points, il a laissé résolument hors champ la question du coin repas, ainsi que la question de l'isolation thermique.

Les dernières années la question du froid s'est aggravée, mais c'est dû à l'usure des fenêtres, qu'il aurait fallu remplacer. Nous aurions probablement dû mieux traiter ce sujet.

Un dernier défaut est celui de la rue elle-même. Une rue qui était charmante il y a vingt ans, où tous les habitants se connaissaient du fait qu'elle est une impasse. Une rue d'où il n'était déjà pas si facile que cela de sortir en voiture, du fait de la difficulté à traverser ce fleuve automobile qu'est Pierre Koenig, un fleuve au débit très lent et très grumeleux. Une rue qui est devenue très difficile à utiliser, non tant que le nombre de voitures par maison a augmenté, ce qui a créé un problème chronique de stationnement - ce problème existe réellement et il est difficile de trouver une bonne place si on arrive tard le soir - , mais dont le réel problème est la trop intensive utilisation de la rue comme parking par les non habitants, qui l'utilisent comme relais, comme lieu de stationnement gratuit à proximité de la zone payante. Ce problème est appelé à continuer à s'aggraver. Nous nous félicitons doublement d'avoir vendu la maison à une famille ne possédant aucun véhicule. Notre depart fait baisser de deux le nombre de voitures dans la rue, et nos remplaçants ne souffriront pas de ce problème. Nous ne leur léguons pas.

Le dernier "last but not least" défaut de cette maison aura assurément été de n'avoir pas su s'adapter à nos besoins en évolution. Une maison digne de ce nom aurait fait un minimum d'effort, est-ce que je sais ? Pour se transformer en maison sans escaliers, pour pouvoir y inclure un cabinet de psychologue, pour faire évoluer ses terrasses en jardin.

Je me sens insidieusement glisser, changer de sujet, retrouver des thèmes plus professionnels, plus psychologiques. N'est-ce ainsi pas Winnicott qui a écrit "tout commence à la maison"? N'ai-je pas moi-même commis quelques publications sur le thème du rôle de la maison par rapport à la constitution psychologique de l'individu ?

Ce revirement de sujet indiquerait-il que le sujet du déménagement va pouvoir bientôt s'effacer pour redonner de la place à d'autres sujets ? 

Quoi ? Il y a donc d'autres sujets dans la vie ? Nous qui croyions que sans démarches d'achat et de vente immobilière, sans démarches administratives d'obtention de permis de construire, sans réunions chez l'architecte, sans suivi des travaux au jour le jour, sans choisir des cuisines, des robinets, des dalles, des fenêtres, des carreaux, il n'y pas de vie...peut-être allons-nous ré-apprendre de quoi est faite la vraie réalité...


Ça ne sera probablement pas mardi prochain, jour de l'emballage de nos affaires, encore moins mercredi jour du déménagement, mais probablement qu'alors, la visibilité s'améliorera. 

1. Ce qui est en fait vrai de façon absolue...et paradoxalement atemporelle.

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