Les
pages du midrach Shmuel sont en contact très étroit avec le chant, et le
sentiment s'impose que c'est du livre Shmuel lui-même que provient l'élan.
Dès
son commencement, le livre de Shmuel annonce la couleur avec la prière de
Hanna, morceau magistral de prophétie (qui le mettra en musique ?), dont le
premier mouvement est un silence (la première prière - silencieuse - de Hanna),
et dans lequel Eli joue alors le rôle de celui qui applaudit entre les
mouvements de la symphonie, au moment où le silence est de rigueur, fait partie
de la musique.
Le
deuxième mouvement est un morceau d'anthologie sur la prophétie, dans lequel
Hanna montre combien sa vision du monde est large, couvre les générations,
envergure qui parait reprendre le thème d'une histoire du monde représentable
par l'allégorie du tissu, d'un tissu dont la tenture du Sanctuaire serait comme
une concrétisation, un tissu qui serait tissé par les générations l'une après
l'autre.
C'est
cette image que vient enrichir le mot de Daniel Epstein qui rappelle que le mot
hébraïque que l'on traduit par "traîté" (massekhet) est le mot qui
désigne aussi sur le métier à tisser, l'endroit où s'élaborent la trame et la
chaîne, ce sur quoi se tisse un tissu, les sages du talmud, les "talmidé khahamim"
pouvant ainsi être appelés "apprentis sages", eux qui se livrent à
l'étude du texte, à son apprentissage, à moins que l'on préfère écrire appren
tissage.
Au
chapitre 3 les évènements prennent une tournure dramatique : les enfants d'Eli
ayant agi par corruption, celui-ci se voit écarté. Il lui est annoncé que
l'Histoire ne se poursuit plus à travers sa descendance, condamnée à ne plus
mériter le vieillissement.
Le
midrach a conscience que le thème majeur du livre
Shmuel
est la transmission, est le redressement de l'Histoire d'Israël après
l'égarement de la période des Juges, est la première renaissance de l'Histoire
juive (il y en a d'autres, certaines mineures comme l'apparition d'Othniël Ben
Kenaz, le premier Juge, certaines plus marquantes comme celle ouverte par le
roi Ouzia), et les questions qu'il pose sont celles de la continuité.
Y
a-t-il un sens à l'histoire ?
Comment
voit-on ce qui permet de donner une réponse à la question ?
Quel
signe de prophétie doit-on chercher, doit-on attendre ?
L'homme
est naturellement porté sur le cinéma et ce à quoi il se prépare à s'attendre,
ce qu'il préfèrerait voir, est la version sans cesse modernisée des "Dix
commandements" de Cecil B. de Mille.
Il
y a une nostalgie universelle de ces grands moments. Le midrach l'exprime quand
il dit que la plus humble des servantes qui aurait assisté à l'ouverture de la
mer lors de la sortie d'Egypte dépasse le plus grand des prophètes, aura vu
mieux que le prophète Ezechiel qui reçoit la vision du chariot céleste.
Et
donc la question est posée par le midrach : "quel signe faut-il s'attendre
à observer ?". La réponse - qui n'est en aucun cas la seule vraie réponse.
S'il y avait une seule bonne réponse, on ne serait plus dans le midrach - est
que le signe ne viendra pas de l'extérieur mais de l'intérieur de toi-même. Le
signe viendra de l'expérience que tu auras de la situation.
Voici
une réponse existentialiste 1500 ans avant la naissance de l'existentialisme !
Puis
le midrach suit le texte et se penche sur la situation qu'il décrit : la
Présence Divine va s'adresser au jeune Shmuel qui dans un premier temps ne
l'entendra pas, ou plutôt ne saura pas qui lui parle.
Le
midrach n'en finit plus de s'extasier. Il chante la beauté d'un monde dirigé
au-delà de la capacité visuelle de l'homme.
Cette
biche, nous dit-il dans une envolée lyrique ne parvient pas à mettre bas, et la
Providence lui envoie un serpent qui la pique et provoque l'ouverture du col.
Puis, la même Providence suscite le développement de la plante qu'elle va brouter
pour que cicatrise la plaie.
Un
monde dirigé mais dont l'homme ne voit pas le mouvement, comme l'ignorant de la
musique qui est au concert et ne sait pas quand se taire ou applaudir.
Un
monde d'une continuité qui échappe à notre discernement, un monde qui n'obéît
pas aux lois de la monarchie où le fils succède au père, où l'aîné a le premier
rôle, mais un monde dont Ephraïm, le fils chéri, quoique numéro deux, est le
symbole. Un monde dans lequel Le Créateur s'est préoccupé que le tissu ne soit
pas troué mais dont l'homme ne voit pas le mouvement du tissage dans lequel il
est lui-même inclus.
Certains
personnages, comme Hanna, ont le secret de pouvoir prendre de l'altitude et de
comprendre le mouvement. D'autres, ont le privilège d'entendre la voix qui
s'adresse à eux et de suivre ses injonctions.
Shmuel
n'entendra la voix que si Eli réussit à surmonter sa douleur et à lui dire : ce
que tu entends est une parole divine à toi adressée.
Une
fois que le grand show du Matan Torah est passé - et même encore en cours de
show - la voix ne passe de D. à l'homme que par l'intermédiaire de l'homme.
Nous
sommes à la veille de l'anniversaire de cet autre évènement magistralement
représenté par le même cinéaste.
Faut-il
la mise en scène du Sinaï pour donner la Torah ? Très probablement. Par contre,
nul n'est besoin d'y assister pour recevoir la Torah.
Celle-ci
se transmet désormais - et depuis toujours - d'homme à homme, même - et du fait
qu'ils ne sont plus prophètes.
Et
surtout, cette parole n'est pas seulement un contenu verbal, elle est aussi
musique.
Deux
morceaux sont ainsi joints à ce texte, deux morceaux de choix de ce que le
peuple d'Israël d'aujourd'hui sait exprimer de son expérience du passé, comme
l'illustration vocale d'une certaine continuité, ou d'une continuitė certaine.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire