Aujourd'hui 10 Tébet – mais aussi
par hasard 25 décembre, jour de Noël – est un jour bien particulier.
Certains juifs ne jeûnent pas
ce jour. Parfois parce qu'ils ne sont pas juifs pratiquants et ne se plient pas
aux consignes du rituel, parfois parce qu'ils ne "sentent" pas ce
jeûne, qui figure dans les calendriers traditionnels comme commémorant la
première brèche faite dans la muraille de Jérusalem par Titus, qui détruisit
ensuite le temple, six mois plus tard, le 9 av de l'année +70 (3828 selon le
compte depuis la création du monde, compte selon lequel nous sommes dans
l'année 5781), considérant que cet évènement du 10 Tébet est peut-être
largement dépassé : pourquoi jeûner pour cette première brèche quand c'est en
fin de compte toute la ville qui a été
détruite ? pourquoi jeûner pour la destruction d'une ville qui a été
reconstruite depuis longtemps ?
Certains juifs jeûnent ce
jour, parce qu'ils sont juifs pratiquants, parce qu'ils se plient aux consignes
du rituel, ou parce qu'ils regardent ce jour comme tragique du fait qu'il a
marqué le commencement de la fin, on ne doit pas seulement marquer
l'aboutissement d'un processus de destruction mais remonter à sa source.
Certains juifs, cependant,
jeûnent ce jour pour une raison supplémentaire : le 10 Tébet depuis trente ans
a été déclaré "jour du kaddish indéterminé", c'est-à-dire jour où on dit
le kaddish pour les individus dont on ne connaît soit pas la date exacte de
décès, soit pas le lieu de sépulture.
Cette déclaration a permis à
ceux qui ont perdu un proche par exemple lors de la shoah, n'ont pas su le jour
exact de l'extermination et n'ont pas de tombe sur laquelle aller se
recueillir, de pouvoir dire le kaddish pour eux "en compagnie", de
pouvoir bénéficier d'une reconnaissance publique de cette disparition et de leur
deuil.
Mon père a ainsi perdu sa
mère et a bénéficié de cette décision de mise à jour de la halakha.
Tristement, cette décision
sert aussi à alimenter une autre controverse : celle qui est née de la
proclamation du 28 Nissan comme "jour anniversaire de la shoah et de l'héroïsme",
par les autorités israéliennes et sionistes dès après la proclamation de l'état
d'Israël en 1948. Certains ne voulurent pas honorer cette décision par
désaccord idéologique avec ses proclamateurs, soit qu'ils étaient en désaccord
avec le sionisme et ses réalisations, soit qu'ils ne s'identifiaient pas à la
réunion de la shoah et de l'héroïsme militaire de l'armée israélienne ou des
juifs qui ont vaincu l'opposition antisémite ou antisioniste, refus de
s'identifier soit politique soit religieux.
Je m'associe quant à moi non
tant pour saisir une occasion qui m'est donnée que pour saluer ce pas. Un très
juste et heureux pas en avant qui atteste d'une trop rare capacité des
décisionnaires du judaïsme religieux de faire preuve de clairvoyance et de
capacité de décision et d'impact.
Je jeûne le 10 Tébet en tant
qu'il est le jour où s'est trouvé marquée la tragique disparition de ma
grand-mère à Auschwitz en 1943, en souvenir d'elle, et pour m'associer au deuil
de ceux qui ont aussi perdu un/e proche dans ces circonstances et ils sont
nombreux.
Je ne jeûne pas par contre du
fait de cette brèche d'il y a 2000 ans, parce que je considère que jeûner pour
cette raison revient à nier l'histoire de ces dernières cent et quelques années,
histoire qui a permis et vu la proclamation de l'état d'Israël et par cela, la
réinstallation du peuple juif sur sa terre et la renaissance inégalée tout au
long de l'histoire du judaïsme de ce fait.
Depuis les débuts du
sionisme, l'hébreu a été ressuscitée comme langue parlée et écrite, et l'étude
de la Torah a été revivifiée. L'état d'Israël a permis l'accueil et le
sauvetage de milliers de juifs du monde entier et est le lieu d'un développement
(démographique, scientifique, culturel mais aussi moral et civilisationnel) qui
n'a pas son équivalent dans le monde. Israël est un lieu d'où émanent
énormément d'apports à l'humanité entière – même si je ne voudrais pas que l'on
oublie que ce tableau comporte encore bon nombre d'imperfections – et ce jour du
10 Tébet est témoignage et attestation de cela.
En ce jour, triste parce que
nous nous devons d'honorer la mémoire des disparus, mais honorable et solennel,
je salue tous ceux qui liront ce texte et s'y associeront, qui soient-ils et où
soient-ils de par ce monde.
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