Fondamentalisme et réaction sont les mammelles de la réforme. La fin de la crise ne viendra pas du seul souvenir des disparus pour la nation.
Beaucoup ont déjà écrit combien la crise actuelle est la plus importante que connait le pays depuis sa création. Non seulement j’adhère à cette analyse, mais je crois qu’il ne faut surtout pas prendre le sujet à la légére.
Tandis que l’occident regarde Israël d’un regard torve et que les manifestants crient qu’ils ne laisseront pas s’installer ici une dictature, c’est d’autre chose qu’il faudrait s’inquiéter. Je ne crains pas les vélléïtés dictatoriales ni de Bibi, ni de Lévine, ni ne me paraissent-elles être le véritable danger qui menace le pays, même si de façon théorique une réforme qui a pour but d’inféoder la justice au pouvoir ouvre la porte à une telle éventualité.
L’enjeu est ailleurs. Il s’agit du caractère juif du pays. L’ètat n’a pas de constitution non du fait que personne n’a eu le temps d’en créer une, mais bien du fait de ce qui constitue l’écueil aujourd’hui : une constitution serait basée sur des valeurs universelles, occidentales, laïques, contre lesquelles constitue aujourd’hui une coalition la frange du pays qui leur est idéologiquement opposée.
Les ultraorthodoxes sont la raison invoquée de ne pas avoir écrit de constitution en 1948 : ils ne veulent pas d’un pays dont la constitution ne serait pas la Torah. Il n’y a à leurs yeux aucun autre justificatif à la création d’un état juif que celui de le faire fonctionner sur les bases de la Torah. Ceci est le véritable et authentique projet à leurs yeux. La Torah n’est pas un livre religieux mais un programme de vie, qui entend gérer les questions individuelles, collectives et internationales, et quelqu’un d’ultraorthodoxe ne voit aucune autre option légitime de vie nationale juive.
Ceux qui craignent un fondamentalisme juif à l’iranienne (le regard occidental) ne comprennent tout simplement pas la situation. Il n’y a pas d’équivalent de la chariah dans la Torah, personne n’édictera que les femmes doivent porter une burqa et on ne coupera la main à personne. Même la réinstauration de la lapidation qui apparait dans la Torah n’est au programme de personne, elle a été rayée du programme ad vitam eternam par les sages du talmud il y a déjà 1500 ans. C’est d’un fondamentalisme plus axé sur l’authenticite qu’il s’agit. C’est d’un regard plus antagoniste vis à vis du christianisme qu’il s’agit. Pour la frange fondamentaliste, nous vivons actuellement dans un pays qui « souffre » des séquelles de deux mille ans sous domination catholique, et on répète et on étudie cela dans les yechivot jour après jour. Poussé à l’extrème, cela débouche sur le « torato oumanouto » (la consigne devenue nationale ultraorthodoxe israélienne de preférer la Torah à toute autre spécialisation professionnelle : c’est le rôle des hommes juifs, c’est de l’affiliation à ce rôle que viendra le Salut, et c’est pris au sens propre à méa shearim, à Bné Brak et aujourd’hui à Emmanuel, Betar, Bet Shemesh, Modiïn ilit et les autres localités champignons ultraorthodoxes qui ont surgi ces dernières années), ou vu sous un autre angle cela pousse au développement des implantations.
Il ne s’agit ni de refuser de servir dans l’armée ni de repousser et opprimer les arabes, il s’agit d’agir comme on comprend que la Torah le recommande : peupler le pays au plus large, donner à la Torah le maximum d’impact dans la vue quotidienne. C’est le fondamentalisme juif. Il n’est vestimentaire qu’au chapitre des péot, des manches longues et du monochrome, il n’est pas agressif ni dictatorial.
La réaction est le fait de non seulement se méfier du progrès (qui émane de « forces pseudo laïques mais en réalité catholiques, et donc envenimées » vont jusqu’à dire bon nombre de porte voix rabbiniques) mais de considérer qu’il est nuisible, qu’il véhicule derrière une façade de poussée technologique un risque de dépravation morale (internet et son diabolisme est le symbole de cette dépravation).
Aux yeux de ces fondamentalistes et réactionnaires (qui sont non uniquement représentés par les populations ultraorthodoxes affirmées) il y a urgence à réforme. Pour les ultraorthodoxes, mener un pays « à la laïque » est plus qu’une offense à la Torah c’est un danger. Pour les partisans de « l’implantation coûte que coûte » c’est de messianisme qu’il s’agit : le judaïsme attend le messie, et ce dernier viendra d’autant plus rapidement que le pays sera judaïsé.
Il y a comme une scotomisation des problèmes sécuritaire et racial. Les ultraorthodoxes sont convaincus que c’est D. et l’étude de la Torah qui nous protègent et en aucun cas (ou de façon très marginale) l’armée ou la technologie, les implanta-sionistes sont convaincus que les arabes doivent accepter la réalité c’est à dire que le peuple juif est revenu sur sa terre après deux mille ans d’exil, et ils doivent laisser la place au nom de l’Histoire du monde. Les notions de brimade, humiliation ou racisme sont à leurs yeux insignifiantes…
Le peuple est-il uni derrière les victimes de la reconstruction du pays comme nous le vivons en ces yom hazikaron et yom haatsmaout ? Et ces jours réussiraient-ils comme le recommande le président à sonner l’heure du réveil, à partir de laquelle on cesse de se disputer et on recommence à travailler main dans la main ?
Je crains que non. Je crains que non parce qu’il n’y a pas ici uniquement du désaccord, il y a des blessures.
Les laïcs sont blessés par la conception ultraorthodoxe qui se concrétise par la non participation à l’effort national (travail et armée),
Les implanta-sionistes sont brimés et blessés par cette haute cour qui déclare à gauche et à droite encore et encore une nouvelle implantation comme illégale…par inféodement illégitime aux lois scélérates laïques, occidentales et d’esprit chrétien (entendez antisémite).
Les ultraorthodoxes de shass sont blessés d’étre séfarades tandis qu’à leurs yeux le pays est outrageusement aux mains des ashkenazes,
Les ultraorthodoxes sont blessés (oui !) qu’on ne leur donne pas les mêmes conditions sociales qu’au reste du pays et qu’on les méprise alors qu’ils n’ont que le comportement que recommande la Torah (à leurs yeux).
Les partisans de la réforme sont blessés par les manifestations, et prises de position de la presse et du monde universitaire, entre autres par comparaison avec « leurs » manifestations d’il y a vingt ans (au moment du désengagement de Gaza) qui ont été alors (deleur point de vue) traitées par le mépris et ils ont cela sur l’estomac depuis.
Et donc, il faudrait pour que cesse la crise non uniquement se remettre au travail comme hier en souvenir pieux des victimes….il faudrait faire la paix, se pardonner, parce que toutes les rancoeurs sont ressorties pendant ces 16 dernières semaines.
Et c’est la grande erreur de cette coalition, qui ne pensait probablement pas mettre un tel feu aux poudres, et c’est la grande culpabilité des dirigeants qui ont profité de cette situation pour récupérer un pouvoir qu’il avait perdu, ce qui était un risque (celui d’étre condamné) et une humiliation.
Les appels lénifiants ne suffiront pas. Il faut des excuses. Et des résolutions….
Mais il reste encore possible de s’unir (ou n’est-ce trop sur le fil ?) autour des cérémonies , et de yom haatsmaout. Ce sont des jours très particuliers, très forts., auxquels tous (sauf ceux qui ne s’arrêtent pas au son de la sirène et travaillent à yom haatsmaout, et il y en a beaucoup…dans les lieux nommés ci-dessus) sont très attachés.
Analyse exacte mais il n'en reste pas moins que le vrai danger immédiat est la réforme.
RépondreSupprimerLes fractures, frustrations sont vraies mais exacerbées par les politiciens et leaders de tous les bords.