mardi 24 juin 2025

Images de l’occident.

 


Alors qu’Israël est depuis le 7 octobre 2023 embourbé dans une guerre qu’il n’a pas déclenchée mais dont la fin ne peut même être aperçue tant que restent des otages à ramener de là-bas, l’occident civilisé est surtout très alarmé des images de ruines et du nombre de victimes sur le champ de la bataille.

La bataille se déroule inévitablement en terrain habité puisqu’ainsi en a décidé le hamas, qui a installé toutes ses bases militaires au milieu et sous les maisons, hôpitaux et écoles, et puisque c’est en ces lieux que demeurent cachés les otages.

Mais c’est Israël que l’occident n’en finit pas d’accuser des tableaux « radeau de la méduse » que les photographes filment à l’envi. Encore des enfants en haillons, encore des populations affamées, encore des immeubles (gazaouis. Il y a aussi des immeubles détruits en Israël, mais ils sont bien moins photogéniques) effondrés.

La semaine dernière, le journal Haaretz, visage de l’occident, a publié une interview de ce Jean-Pierre Filiu, spécialiste français de haut niveau de Gaza. Monsieur Gaza pour ainsi dire. L’individu n’est pas seulement un spécialiste, il est aussi arabophone, enseignant à la prestigieuse « sciences-po ». Il est aussi un héros. Pensez ! En plein « génocide » (duquel Israël est abondamment taxé) il part sur les lieux, tel SuperDupont, s’aventure cinq semaines (cinq semaines ! Quel courage ! Nos soldats les plus vaillants se font bien sûr porter pâles après trois jours…) au milieu des décombres, des blessés, des affamés, des cadavres, de l’assistance humanitaire qui n’arrive pas…et c’est ce qu’il décrit. Les monstruosités israéliennes. Le bonhomme « n’a jamais rien vu de pire ! ». Il était envoyé spécial à Sodome et Gomorrhe il y a trois mille cinq cents ans et il a tout filmé. Ce n’était rien à côté de ce que font ces satanés israéliens.

Pas un mot sur les otages . Ceux-ci sont quantité négligeable. Les experts laïques français de gauche (donc diplomés humanistes et au service de la veuve et de l’orphelin) sont encore capables de vous expliquer que les otages ne comptent pas plus pour les israéliens aveuglés de soif sanguinaire, enragés d’expan”sionisme”, de colonialisme, de nettoyage ethnique, et accusés….de tout ce qu’ils ont vécu réellement il n’y a que 80 ans.

Les israéliens sont bien coupables. La preuve ? Ils n’ont presque pas de morts.

Ci-jointe une photo prise hier dans un abri public. On peut y voir quelques deux cents personnes, de tous les âges et de toutes les conditions physiques et sociales. Il y a aussi les matelas et les canapés apportés par les gens au fur et à mesure que les envois de missiles iraniens contraignent la population à re-rentrer encore et encore dans ces abris, disposés au fil des rues pour ceux qui n’ont rien dans leur immeuble ou leur appartement.

L’ambiance est bon enfant. Il y a aussi quelques chiens tenus en laisse, plusieurs bébés et mêmes quelques tables d’école. Quelques jeunes organisent des jeux et des activités pour les enfants.

Un psychologue en séance de supervision me racontait avant-hier de pareils témoignages d’un autre abri non loin de chez lui, où lui et sa famille s’étaient réfugiés quelques minutes la veille.

Israël aurait été insuffisamment couvert de tels abris dénoncent les journalistes et les spécialistes….

C’est probablement vrai, mais Israël qui a été visé de milliers de missiles, de roquettes, qui a dû déplacer des dizaines voire des centaines de milliers d’habitants au cours des bientôt deux dernières années, a protégé sa population, laquelle a brillé par la solidarité, l’esprit de dévouement, malgré une lourde période de désaccord politique, et de tension sociale (refus ultraorthodoxe de s’associer à l’effort national de protection et de défense).

Ces réussites n’intéressent pas les journalistes, et sont niées par ce Filiu-superDupont et ses lecteurs (puisque le héros s’est immédiatement assis à sa table de travail, a mis son écharpe palestinienne sur le dos de la chaise et a produit rapide comme l’éclair un « ouvrage » documenté, savant et détaillé sur Gaza. Dans toutes les bonnes librairies depuis trois jours. Le bonhomme connait Gaza. Le bougre se paie le luxe de déclarer à la journaliste qu’il connait la source de l’erreur israélienne (à part ses penchants criminels Israël est aussi ignorant) : ils ne comprennent pas Gaza. Quelle erreur de ne pas avoir ainsi lu ni Filiu, ni Sand, ni Pappé, ni Laurens !

On aurait lu, on aurait compris !

On aurait compris pourquoi tout l’argent récolté depuis l’europe, le Qatar, l’Iran n’a jamais servi à protéger (on ne parle même pas de développer) la population.

Il y a plusieurs centaines de kilomètres de tunnels sous Gaza mais aucun d’entre eux n’est destiné à la protection de la population.

La population est réduite à attendre l’aide humanitaire et à piller les camions alors que des milliards de dollars ont été collectés et versés.

Il y a au Qatar un village olympique entier vide depuis la coupe du monde de football, qui aurait pu à peu de frais accueillr et protéger les enfants gazaouis, de la même manière que les anglais ont protégé les enfants londoniens du blitz en 1940. 850000 enfants évacués en trois jours de Londres. Personne, personne parmi les brillants experts, les merveilleuses ong, les médecins sans frontières et tous les héros affiliés, les organisateurs de la guerre pour inclure un tel programme.

Et Israël ne comprend pas.

On croît rêver.

Cher monsieur Filiu tdc, merci de nous éclairer.
Cher journaliste de haaretz merci d’un tel honneur accordé à SuperDupont dans les colonnes du « journal des gens qui réfléchissent »..

Vive le savoir géopolitique, l’université, l’humanisme de gauche, et le journalisme éclairé.

Israël devra panser ses plaies. La guerre avec Gaza se terminera bien un jour, et les souvenirs de ces mouvements de solidarité feront concurrence aux douleurs qui les auront reveillés.

Israël fera peut-être la paix avec les palestiniens mais la dernière belligerance exigera de longues années de restauration de la confiance.

Il ne faudra en tout pas compter sur aucun des corps de métier mentionnés ci-dessus pour faire avancer ces processus.

Ces fossoyeurs ne vivent que des morts, ne prévoient pas de se reconvertir dans le regard bienveillant et l’éducation.

Mais, heureusement, ces forces ne font pas défaut parmi la population polyculturelle de juifs venus du monde entier de ce pays déjà plus si jeune mais encore dans son essor.




jeudi 1 mai 2025

Bon anniversaire ?


77 ans âge limite d’abonnement au journal Tintin, et dernier anniversaire de l’état d’Israël ?

Sûr que nombreux de par le monde sont ceux qui le souhaitent (je connais même un zouave qui « diagnostique » ainsi la situation…mais à part l’attifement des dits il ne lui manque pas grand-chose…),

Et probablement que ceci était le rêve le plus intime des malades du hamas qui n’ont pas hésité pour sa réalisation à programmer le sacrifice de 75% des habitations de la bande de Gaza et de près de 50 000 de ses habitants.

Et on pourrait se demander si l’état de déchirement interne du paysage politique du pays, lancé près d’un an avant ce tragique 7 octobre, et à peine interrompu par la guerre n’oeuvre pas activement à cette triste fin.

Mais.

Il y a quand même un mais.

Ne manquent pas les analystes politiques pour déraciner les idées de mon triste zouave rouennais et les hauts parleurs du bds et pour regarder une situation moyen orientale plus optimiste : le conflit actuel, le plus long qu’ait connu le pays depuis sa création ne se déroule en fin de compte que contre une très faible partie du monde arabe, surtout si on compare à 1948, le niveau de développement de ce si jeune état reste impressionnant à tous les niveaux, et il convient de rajouter le paramètre qu’aucun des dignes universitaires que l’on lit ou écoute ne prend en compte : celui de l’examen de la situation au plan juif stricto sensu.

Malgré toutes les allégations antisionistes, au nom desquelles l’état d’Israël serait uniquement un colonialisme, pire encore le dernier colonialisme encore en activité, il est impératif d’estimer notre situation non à travers ces analyses, non à l’aune de comparaisons de notre situation par exemple avec l’indochine ou l’Algérie, mais avec un regard en profondeur.

Le peuple juif - n’en déplaise à de tristes Shlomo Sand - a trois mille cinq cents ans d’existence derrière lui et entre autres un gigantesque bagage intellectuel, au centre duquel se tient la Bible mais aussi et non moins le talmud et toute la littérature rabbinique, que l’on pourrait facilement chiffrer en centaines de milliers de pages si ce n’est plus.

Tandis que la France de la séparation de l’église et de l’état regarde tout cela avec un regard écoeuré (littérature religieuse fi ! ), un regard un peu plus fin (un tout petit peu de finesse uniquement est ici requise) permet de considérer ce patrimoine comme un trésor, si ce n’est comme une des principales sources du développement intellectuel, sociétal, moral du monde occidental.

Le fait que cette littérature (magistralement ignorée au double sens du terme par tous ces brillants analystes antisionistes) n’ait pas disparu est en soi un tour de force que l’on doit très probablement au religieux (ce sont les étudiants des yechivot qui ont non seulement lu et conservé mais aussi developpé cette littérature au fil des siècles).

Mais l’existence de l’etat d’Israël est le joker de ce trésor.

C’est grâce à son existence que tout juif au monde, et potentiellement tout individu au monde si il le souhaite, peut aujourd’hui prendre connaissance de ce bagage, le lire, l’étudier et lui aussi l’élargir. Et cela se produit ! Dans toutes les structures qui se sontmises en place et considérablement développées non uniquement en Israël mais très certainement du fait d’Israël, que cela soit au niveau orthodoxe, ultraorthodoxe ou conservative et religieux pour le versant « religieux » , ou au niveau universitaire où d’énormes quantités d’étudiants et de chercheurs consacrent leur vie à lire, étudier, et eux aussi, élargir ce bagage.

Et je ne parle pas de la composante linguistique, qui est bien entendu la pierre d’angle de cet édifice qu’est l’état d’Israël.

On y parle hébreu ! On y parle la langue de la Bible, la langue des Prophètes ! Avraham a vécu il y a 3500 ans, Moïse à peine moins, Ezechiel il y a 2650 ans et notre langue pour acheter à l’épicerie ou pour écrire prose et poésie est la leur !

Cette langue n’est pas seulement parlée par le peuple, mais par ses composantes qui ne se sont retrouvées que grâce à l’existence de ce pays.

Les juifs d’Irak, d’Ethiopie, de Russie, de France, d’Afrique du nord, se connaissaient-ils jusqu’au mouvement sioniste ?

A ma connaissance, le premier lieu où des juifs ashkenazes et sefarades se sont cotoyés est la France depuis 1961, mais Israël est le premier véritable lieu de leur remise ensemble…au point que de plus en plus nombreux sont les analystes qui considèrent le clivage ashkenaze sefarade comme dépassé.

L’état et le peuple israélien sont une véritable renaissance des composantes de l’identité juive et il est clair que c’est ce qui est le véritable moteur de ce développement prodigieux qui s’est réalisé ici en si peu d’années.

Malheureusement, la situation de laquelle j’écris ces lignes est une situation de guerre, de conflits, de clivage.

Guerre avec le hamas. Sommes-nous en guerre contre les palestiniens ? Probablement un petit peu. Ils sont le bastion du monde arabe qui n’a pas renoncé à s’opposer à l’existence de l’état d’Israël. Mais c’est principalement la mouvance hamas-frères musulmans-islamiste qui nous fait la guerre. Non guerre d’opposition a un quelconque colonialisme, guerre de religion.

Les deux millions d’arabes israéliens ne sont pas en guerre. La vie avec eux se poursuit. Elle n’est pas entièrement normalisée, mais ceci est vraisemblablement en cours.

Clivage intra israélien ? Peut-être celui-ci serait bien le plus grave de nos problèmes.

Comme dans le cas du hamas, ce sont les extrémistes de la situation qui l’enveniment, et ils sont malheureusement depuis la dernière consultation électorale au devant de la scène.

Peut-être la solution viendra-t-elle d’initiatives comme « le quatrième quart » qui tente de gérer ce quatrième quart du premier siècle de l’existence de l’état, à coup de rencontres, colloques, discussions, avec comme rèsolution de départ de donner plus d’impact aux 80 % des sujets sur lesquels seraient d’accord l’ensemble des citoyens qu’aux 20% qui les séparent.

Joli programme, à l’image de ce que ressent tout israélien je pense : cette population est bonne. Ce mixage a réussi, si on en juge au degré de solidarité, de bénévolat, de bonne volonté ambiants, composante qui paradoxalement paraît entièrement distincte de la représentation politique.

Il faudrait en déduire ce que beaucoup savent déjà : la démocratie est peut-être le moins mauvais système de société créé jusqu’ici mais il ne fait pas émerger les meilleurs, sinon ceux qui ont les coudes les plus aiguisés, et savent très bien mettre de côté la moralité, la rigueur, autres valeurs…ancrées dans le bagage ci-dessus mentionné.

Et les palestiniens de Gaza ? Ils sont apparemment le malheureux dindon de toute cette tragédie qu’on aurait bien préféré qu’elle ne soit qu’un débat, ou une farce..

Il n’y a en Israël pratiquement aucun apitoiement pour la guerre à Gaza, destruction et victimes humaines, et cela pose peut-être question.

Aucun doute que la principale réponse est le 7 octobre. Ils ont vraiment commis une énorme erreur, en plus d’un énorme massacre barbare ce jour. Ils ont attiré toute l’armée israélienne sur leur minuscule et surpeuplé territoire, et ils ont aussi creusé les tombes de la considération interpersonnelle de la part des israéliens.

Le hamas ne les a pas seulement ignorés pendant ces 18 ans de pouvoir durant lesquelles il n’a creusé que des tunnels offensifs, et n’a pas oeuvré pour la population autrement qu’en cultivant sa haine pour Israël et les juifs, il les a en fin de compte sacrifiés sur l’autel de son extrémisme religieux barbare.

Puisse cette 78 ème année qui s’ouvre aujourd’hui être une année de reprise, de réoptimisation de la situation, que les otages encore à Gaza reviennent bientôt, et que les morts de cette guerre non encore achevée ne l’aient pas été pour rien.

mercredi 9 avril 2025

Fêter la libération de l’esclavage d’Egypte ou le rétablissement de la parole éthique ?

Le midrach sur le psaume 114, psaume de la fête de Pessah' s'interroge sur les tenants et les aboutissants de la sortie d’Egypte et pose une question étonnante : "par quel mérite celle-ci s’est-elle opérée ?" Remarquons qu’il ne pose pas à cet endroit la question de ce qui fait que la sortie d’Egypte est devenue nécessaire, c’est à dire ce qui fait que les enfants d’Israël se sont retrouvés esclaves mais cette question fait l’objet de nombreux débats par exemple autour des textes de la Genèse qui exposent explicitement le programme ( Beréchit 15 « ta descendance sera étrangère dans un pays qui n’est pas le sien et ils seront opprimés quatre cents ans ». Une partie des midrachim souligne que la libération s’est effectuée non au bout de 400 mais de 210 ans parce que les enfants d’Israël n’auraient pas subsisté jusqu’au bout du programme prévu). Pas moins de neuf hypothèses sont proposées par les intellectuels du midrach pour traiter de la question. Les hébreux n’ont pas changé de nom, n’ont pas changé de langue, ne sont pas devenus pervertis au plan sexuel, n’ont pas révélé le secret qui les liait sont les raisons négatives proposées, tandis que viennent en miroir quatre raisons positives : ils ont été libérés par le mérite du sang du sacrifice de Pessah’ et le sang de la brit mila, par le mérite du sanctuaire, par le mérite des comparses de Daniel, Hananiah, Mishaël et Azaria, par le mérite de la génération du prophète Isaïe, et reste ni négative ni positive la raison proposée par rabbi Néhamyah : par le mérite de la Torah. Aucun ne donne la raison du temps écoulé, c’est à dire du programme divin, indépendamment de l’homme et de ses actions et son comportement. Ce qui est la première leçon. Le programme divin tient compte de l’homme si ce n’est dépend de lui selon les avis, qui sont en fait dégressifs sur ce sujet, depuis le sage pour lequel le rôle de l’homme est capital jusqu’à celui qui ne voit pas grande influence exercée par l’homme sur l’histoire du monde. Mais cette leçon demeure : la conception de tous ces sages est que l’homme est partie intégrante du programme. De l’histoire du monde, de l’histoire du peuple juif. Rabbi Yehouda me parait être celui qui attribue le rôle le plus direct à l’homme. l'homme reçoit au prorata de ses actes de piété. La sortie d’Egupte a eu lieu parce que les enfants d’Israël n’ont pas renoncé à la brit mila au fil des générations, et n’ont pas eu peur d’égorger en présence des égyptiens et alors qu’ils étaient au trefond des statuts sociaux de la société l’animal qui était sacré à leurs yeux. Ils les ont affrontés ouvertement et c’est là le mérite qui leur valut leur libération. Proche de lui est rabbi Abba bar Kahana qui dit que la génération du prophète Isaïe se singularise par sa capacitè d’opposition ouverte à l’oppresseur, à l’ennemi d’Israël. Rabbi Yehoshua ben Lévy, en bon prêtre fils de prêtre voit le service au temple comme ce qui conditionne le bien être de l’homme juif, ou de l’humanité. C’est de l’homme que dépend la résidence sur terre de la présence divine. Qu’il lui fasse sa demeure et l’esclavage, paradigme des souffrances humaines, disparaît. Rabbi Eléazar haKappar est un homme pieux qui voit le mérite dans la tenue à distance de la faute, faute par dépravation, faute par trahison passive (ne pas garder le secret, ne pas laisser filtrer aux yeux ou aux oreilles étrangers ce qui est notre spécificité), ou faute par assimilation. Le judaïsme pour lui ne serait pas tant exprimé par des actes positifs que par la tenue morale. Judaïsme vu comme une certaine noblesse. Judaïsme du « chez nous on ne s’abaisse pas à… ». Rabbi Nehemiah est d’une part celui qui est le plus exigeant. Il ne suffit pas pour lui d’appliquer les lois de la circoncision, du sacrifice de Pessah’ ou du service du temple, il faut garder toute la Torah, son message historique ainsi que les 613 commandements inclus…à moins que son avis soit plus universel : la Torah plus qu’apporte au monde, est la condition du monde. L’esclavage ne s’abolit pas de lui-même, mais par la mise en application d’un vaste programme moral et social dont la Torah est le détail et non uniquement le paradigme. Cela fait remonter les raisons au niveau divin, puisque c’est le Créateur qui donne la Torah au peuple juif, et par là au monde. Et on pourrait voir rabbi Nehemiah comme le plus maïmonidien de tous : le Créateur a son programme et la libération de l’esclavage n’est qu’une étape du programme. Le but est le don de la Torah et un des moyens de réaliser cela est d’orchestrer puis réaliser la sortie d’Egypte. Les niveaux d’humanité, de moralité, de piété, de fidélité, de fierté d’appartenance sont secondaires…à moins que l’on ne se souvienne que le midrach n’est pas le lieu du dialogue de l’exclusif. L’opinion de Rabbi Nehémiah ne l’emporte sur aucun autre avis. Tous les avis subsistent, et ce qui l’indique est toute la dialectique relative au don de la même Torah : la Torah existe en amont de la création du monde mais elle ne peut s’appliquer sur la terre que par l’intermédiaire de l’homme, qui doit la recevoir, lui trouver une place, la conserver, l’appliquer dans ses petits détails civils ou religieux comme dans ses dimensions philosophiques, et sociaux….ce qui confère non seulement un rôle à l’homme, mais le place en miroir du Maître de toutes choses, deuxième plateau de la balance sans lequel aucune pesée ne peut s’effectuer. Le séder de Pessah’ est par excellence le temps et le lieu de la transmission à la génération suivante de ces réflexions. Ce dialogue multiple est ce de quoi surtout le midrach est paradigmatique. Non de brillantes interprétations ou prises de position théologico-religieuses. Les sages du midrach avaient inventé bien avant l’heure, bien avant l’heure d’aujourd’hui, le dialogue éthique tel que Lévinas le developpe. Le bet hamidrach n’est pas une arène dans laquelle s’affrontent les idées et les opinions. Non une société dans laquelle on se jette mutuellement à la figure les mêmes accusations comme notre monde postmoderne, qui se voulait plus que moderne, meilleur que celui de nos parents, est aujourd’hui tristement le théatre. Nous vivons dans un monde où en Israël une moitié du pays accuse l’autre de détruire la société, de savoir ce qui est le droit chemin et la loi, tandis que l’autre moitié prétend exactement le contraire. Les uns nommés par la première moitié refusent ces nominations et ne se veulent pas représentés par les dits nommés, et ils prétendent nommer en place d’autres que les premiers ne reconnaitront pas. En dehors d’Israël, les mots d’apartheid, génocide, ont perdu leur sens premier et sont aujourd’hui assénés contre ceux-là même qui avaient eux-mêmes vécu les mêmes fléaux. Et le peuple pour peu qu’il ne soit ni spécialiste en la question israélo-palestinienne, ni en droit et en sciences politiques, pris en étau entre deux parties qui s’affrontent comme dans un combat de gladiateurs, n’a d’autre refuge que la prise de parti. Les uns prennent parti pour un camp, les autres pour l’autre camp et le clivage est généralisé, national autant qu’international. Il n’y a pas discussion ni dialogue mais hurlements, injures, colère et haine. Puisse la fête de Pessah’ être comme la déconstruction de son nom l’indique, fête du dialogue, fête de la parole constructrice et non partisane et guerrière, lieu de parole ethique où l’un cherche non à faire taire l’interlocuteur, objet de sa haine, mais à le laisser s’exprimer tandis qu’il l’écoute. À l’instar du dialogue midrachique. Mettons nous en situation de mériter la sortie d'Egypte, la libération des otages, la fin de la guerre, le retour à une situation sociétale plus saine.

mercredi 2 avril 2025

Sur la joie de la libération et la profondeur de certaines interventions midrachiques.



Le psaume de Pessah’ (Psaume 114)  est celui de la sidération provoquée par la sortie d'Egypte.

Evènement de haute portée, de dépassement de l'esclavage.

Et pourtant, quelle joie demande le midrach ? Et il est vrai que si les notions de soulagement, ou d’achèvement s’imposent, celle de joie ne saute pas aux yeux, n'apparait pas dans le psaume.

Pessah’ à la différence de Souccot n’est pas « yom simh’aténou » (jour de notre joie) mais « yom héroutenou » (jour de notre liberté)…et donc s’interroge le midrach : « de qui est la joie? » pour proposer une réponse quelque peu étonnante : non seulement il n’est pas clair qui des hébreux ou des égyptiens s’est réjoui le plus, mais il semblerait que les égyptiens aient été les plus heureux.

Heureux ? De quoi ? D’avoir soudain perdu la force de travail qui les accompagnait 210 ans durant ? Ne véhicule-t-on pas la légende que les hébreux auraient bâti les pyramides ?

Et du côté hébreu, doit-on parler de joie ? À en juger par les récréminations sans cesse exprimées par le peuple toutes les années qui ont suivi on peut réellement avoir tendance à contredire le terme. Soulagement oui, progrès social certainement, mais joie ?

Et le psaume est loin de mentionner ouvertement cette joie…au point qu'on ne la trouve que dans un mot « sollicité » : la joie, selon le midrach, se dissimulerait derrière le mot « loez » (qui signifie « étranger ») au prix de l’inversion de ses lettres et le « forcer » à devenir « aliz » (joyeux)…mais, nous rassure le midrach, on sait que joie il y eut…puisqu’on connait cet autre psaume (105, 38) qui relate ouvertement la joie vécue… par l’Egypte du fait de la sortie d’Egypte.

À moins que l’idée examinée ici soit celle du niveau d’humanité de la société…pour venir proposer que de l’abolition de l’esclavage bénéficierait peut-être plus l’ancien maître que l’ancien esclave.

L’esclave acquiert sa liberté, notion précieuse sur laquelle repose toute la fête de Pessah’…mais on dit quand même pendant le seder que sans l’action majeure de la sortie d’Egypte, nous serions encore aujourd’hui esclaves en Egypte, ce qui veut dire que nous n’aurions pas disparu sous le joug de cet état. Et ne dit-on pas que seul un cinquième du peuple s’est associé à l’évènement ? Ce qui veut dire quoi concernant les quatre cinquièmes ? Exterminés par les égyptiens ? Par l’ange de la mort ? Ou restés en Egypte…comme peut-être aujourd’hui où des juif sont restés, même en Iran, même en Algérie…même dans de nombreux pays dans lesquels ils ne sont pas esclaves. Mais sont-ils heureux ? sont-ils libres ?

Et qui ne sent pas se profiler dans la première demi-page de ce texte la silhouette de qui disait déjà au lendemain de la guerre des six jours qu’il n’y avait rien de plus urgent que sortir de ces territoires miraculeusement annexés à Israël…de peur de devenir pervertis par l’oppression d’un autre peuple ? Qui ne comprend pas à qui je fais ici allusion est convié à regarder la série en trois volets sur Ishayahou Leibovitz. Même Ariel Sharon que l’on ne peut soupçonner de gauchisme a effectué le désengagement de Gaza en 2005 en proclamant que "le peuple juif n’a pas vocation à dominer un autre peuple"…

Comme pour dire que dans l’abolition de l’esclavage, l’esclave accède à une meilleure condition sociale mais celui qui s’est réellement élevé est celui qui a renoncé à la domination et l’oppression de l’autre.

Le midrach poursuit son investigation par une autre profonde réflexion, et je veux au passage encore une fois souligner l’impressionnant niveau de réflexion auquel nous convient si régulièrement les « docteurs du talmud » comme les qualifiait Lévinas, dont nous connaissons les noms et, modestes parmi les modestes, les compilateurs-rédacteurs-rapporteurs anonymes de ces "colloques d’intellectuels" ainsi mis en textes et que nous appelons « talmud de Babylone », « talmud de Jerusalem », « midrach rabba ». Certains sont signés (pirké de Rabbi Eliézer, meam loez, et bien d’autres) mais les « anonymes » du fait qu’ils mettent en page chaque fois divers avis, diverses opinions et idées, sont plus riches de ce seul fait. Ces compilateurs ne jouissent pas du mérite qui leur revient. Ils sont les équivalents des rédacteurs de nos encyclopédies modernes, éminents professeurs dont les noms ne figurent qu’en fin de volume et qui ne sont connus que de ceux qui vont aller s’entêter à lire les « petites lignes ».

Le midrach poursuit donc l’étude de notre psaume par la question soulevée par le mérite de l’association libre chère à la psychanalyse : si on a parlé de joie, c’est parce que celle-ci figure dans un autre psaume, un autre texte (nos docteurs du midrach savent bien entendu par cœur toutes les sources qu’ils citent, chacun est une Concordance sur pieds, et ne doivent rien à google), mais aussi réapparait dans un autre verset où est dit qu’il faut glorifier l’Eternel, qui domine le monde, chevauche dans les nuées, que son nom est Yah (« beYah chemo »), et qu’il convient de le célébrer dans la joie ( psaumes 68, 5).

Rabbi Yehouda Hanassi, l’éminent rédacteur de la michnah interroge sur cette formule un rabbin, dont le nom ne s’élève pas au-delà du présent texte, et reçoit de ce dernier une réponse pourtant fracassante de sagesse. Fracassante au point qu’elle plonge Rabbi Yehouda dans la mélancolie « quel malheur que ta réponse me parvienne alors que Rabbi Eleazar n’est plus de ce monde. Je lui avais posé la même question mais il n’a pas su approfondir au point de trouver la réponse que tu viens de donner ! ». Sagesse de l’antiquité, sagesse du moyen âge, sagesse que nous avons tellement été encouragés à mépriser lors de nos années passées chez Jules Ferry, où on enseignait ce moyen âge comme ayant été « la cuvette de l’Histoire », comme une sombre période de primitivisme. François 1er aurait découvert l’usage de la fourchette tandis que ses ancêtres se nourrissaient avec leurs mains, nourriture servie dans des trous creusés dans les tables.

Quelle arrogance ! Quel regard paternaliste, méprisant et dévalorisant ! Quelle ignorance de la profondeur de ce qu’ont été capables de produire l’école française des Rachi et des tossefot. L’école de Provence, l’école d’Espagne ! Aucun doute que chez de pareilles têtes on ne mangeait pas dans un trou creusé dans la table. Une table qui ne servait pas qu’à manger mais à poser les manuscripts que l’on lisait et écrivait…et dont la puissance est telle qu’on les lit et étudie encore mot à mot dix siècles plus tard…et bien malheureux qui n’a aucun recours à cela, aucun accès à cela, aucune conscience de cela.

Et quelle est donc l’explication fracassante de notre semi anonyme rabbi Shmouel bar Nah’man ? : « Il ne faut pas lire « beYah chemo » mais « biyah chemo », dit-il.
On doit comprendre de cette évocation en deux mots « qu’il n’est pas d’endroit au monde où l’homme n’est pas responsable de sa biyah. »

Qu’est-ce donc que cette biyah ? S’appuyant sur plusieurs sources talmudiques, que notre docteur connaît aussi par cœur, le mot biyah a plusieurs significations. Le sens premier remonte à la racine verbale b.a. et signifie la venue. Mais le mot a d’autres significations plus élargies, comme par exemple le fait de faire régner la justice, ou l’acte sexuel. Fort de ces significations, on est invités par notre rabbi Shmouel fils de rabbi Nahman à comprendre que ce par quoi le créateur domine le monde et justifie qu’on le célèbre dans la joie, est le souci de la justice dans le monde. Et l’enseignement ajouté est que l’homme est tenu d’appliquer cette qualité « où qu’il se trouve dans le monde ».

Nous apprenons de cela effectivement une leçon fracassante : la joie de la sortie d’Egypte est une joie multidimensionnelle. Elle irradie le maître et l’esclave en ce qu’elle élève l’humanité à un nouveau niveau. Non seulement niveau de liberté individuelle mais niveau de responsabilité universelle. Le mouvement profond de la sortie d’Egypte consiste à muter l’humanité du degré maître-esclave au degré de responsabilité de l’homme pour l’homme. C’est une mutation qui a de quoi générer la joie.

Autre enseignement en marge du précédent et qui vient enrichir notre lecture habituelle et littérale de l’ouverture du traîté Kiddouchin du talmud : « la femme s’acquiert par trois voies, argent, contrat ou acte sexuel » (« kessef shtar oubiyah »).
De nos yeux européens du 21ème siècle, nous nous offusquons de ce texte plutôt qu’autre chose. Le monde primitif ne donnait aucun statut à la femme. On l’achetait comme une marchandise, et il n’y avait même pas besoin d’argent. Un regard plus approfondi et moins imbu de notre modernisme permettrait d’accéder aux autres dimensions incluses dans cette michna : la relation homme-femme doit être gérée par la société. Il faut publier les bans. Il faut un contrat. En son absence, l’argent peut être mis dans la balance comme preuve du sérieux de la démarche. Et surtout, ne pas se leurrer et se persuader qu’un acte sexuel peut être gratuit et sans lendemain. Acte sexuel, même quand il n'origine aucune naissance équivaut à engagement, implique responsabilité, et est pris en compte par la société comme acte dont la responsabilité de l’individu qui le commet ne saurait être dégagée nulle part.

Que cette fête de Pessah' 5785 soit celle de la libération des esclaves dans le monde, des otages de Gaza, et de dépassement du niveau ethique actuel de notre société.