Alors que pour le
français les paroles s’envolent et les écrits restent, l’hébreu et son codex se
sont préoccupés depuis les temps les plus anciens de savoir comment effacer ce
qui découle de la parole et qui, sinon, pourrait demeurer indélébile.
Le monde juif voit la parole comme recelant un pouvoir majeur. Au delà de la tradition selon laquelle c'est par la parole qu'a été créé le monde, la question de l'impact de la parole de l'individu sur son quotidien est un sujet envisagé sous de multiples facettes.
Rappelons-nous aussi que le livre de la Genèse est aussi un livre qui relate l'édification de ce poids de la parole. On y évolue du stade où les individus ne se parlent pas et se frappent jusqu'au stade ultime de la prise de responsabilité envers autrui par le biais de la parole, en ayant eu au passage plusieurs variations sur le thème du serment, de la place de la parole dans le rôle que pourra ou non tenir l'individu, et sans oublier la place accordée à l'interprétation des rêves.
Peut-être Freud
était-il habité de cette conscience de l’Antiquité, lui qui prétendait que le
cerveau humain n’oublie rien, que tout y reste inscrit, toutes les paroles
entendues enregistrées.
C’était une
préfiguration de ce que les récentes recherches en neuropsychanalyse permettent
de confirmer, et que le cerveau droit est le substrat neuronique qui fournit l’espace,
le disque dur sur lequel sont enregistrés tous ces messages, en particulier
selon un mode d’inscription crypté, subliminal.
Ce ne sont pas
les textes dans leur syntaxe qui sont engrangés en ce lieu, ce sont les
sensations, les odeurs, les contextes émotionnels.
Curieusement,
leur empreinte est probablement au moins aussi déterminante de ce qu’est l’individu
que le texte des mêmes paroles, qui est, lui, enregistré dans le cerveau
gauche, sous sa forme originelle.
Dans le contexte
d’un dialogue imaginé entre le Créateur et Moïse au moment de l’épisode du Veau
d’or, le midrach nous dévoile que le miracle de cette prégnance de la parole
proférée est qu’il existe une possibilité non de la nier, non tant de la corriger,
mais surtout, de l’annuler. En exécutant certaine procédure, il serait possible
de remettre le compteur à zéro, non celui du dernier parcours, que l’on sait
aisément remettre à zéro à chaque passage à la pompe, celui qui n’est commandé
par aucun bouton.
L’individu, qui « sait »
- en termes de cerveau droit, c'est-à-dire sans le savoir – que la parole
proférée est inscrite, cherche par tous les moyens et depuis son plus jeune âge
ce bouton, il cherche inconsciemment toute sa vie durant comment faire cette
opération, comment effacer ce qu’il croit être indélébile.
Les moyens
psychiques mis en œuvre à l’aube de l’existence et dans les constructions
psychiques précaires ou atteintes par la maladie, sont la déconnexion et le
clivage. L’infans est persuadé qu’il a effacé alors qu’il n’a qu’enfoui, ou
refoulé en profondeur.
L’enfant plus
grand atteint une méthode plus semi-consciente et apprend qu’il est possible de
nier, de mentir.
L’adulte un peu
léger – ou psychopathe - entérinera ce phénomène et s’installera dans un mode d’être
quelqu’un qui « n’a pas de parole », tandis que l'adulte lambda reste condamné au conflit interne, ai-je eu raison de dire ? n'aurais-je pas dû dire ? devrais-je dévoiler ? etc..
La Torah propose
la sublimation de ces phénomènes échafaudés maladroitement et sans succès par
le psychisme soumis aux contraintes de la dure réalité : l’interpersonnel,
et non l’intrapsychique, est la structure qui permet d’être délivré du poids de
la parole indélébile.
C’est déjà cet
interpersonnel qui permet de donner corps à cette parole, qui n’a en fait de
poids que si elle est entendue. Le rêve est l’anti – ou l’anté – parole. Tant
qu’il n’a pas été prononcé, traduit en acoumène, il n’est que vent. Une fois
prononcé et entendu, il devient concret et est une parole inscrite. A ce stade,
nous apprennent le talmud autant que la psychanalyse, le rêve est devenu
message, la lettre a été ouverte et lue.
Les prophéties
ont du poids si elles ont été dites et entendues par l’oreille. Consignées sur
papier, elles ont le devenir du papier.
La parole a du
poids quand elle a résonné dans une oreille et que le texte, sous forme de vécu
émotionnel pour une part et sous forme syntaxique pour une autre part, a été
consigné. A ce stade, le déni, le refoulement, le mensonge sont inefficaces, la
parole demeure.
Seul l’interpersonnel
peut défaire ce terrible mécanisme de solidification accompli par le cerveau
humain. Il est possible de défaire, de délivrer, de délier, de rendre nul le
serment, le vœu, la parole qui aura été prononcée. Seulement par le truchement
de l’interpersonnel sera-t-il possible de corriger le mouvement que la parole
aura imprimé à l’univers.
Dans le contexte
post moderne, la cure est le lieu de cette délivrance, de cette conjuration,
après que pour le monde catholique, la confession en ait été l’ébauche, alors
que pour le monde juif le cerémonial interpersonnel
d’annulation du voeu en est le corollaire.
L’établissement d’un
dialogue est le mécanisme par le truchement duquel ce qui est inscrit
séparément dans les deux hémisphères cérébraux se trouve catalysé en texte qui
a à la fois force concrète et qu’il est possible de « traiter ». La
cure est le lieu où ce traitement est optimal et permet à l’individu, par l’élaboration
interpersonnelle qu’elle offre, d’atteindre un troisième niveau, supérieur au
premier niveau, celui des tentatives intrapsychiques imparfaites, préférable
aussi au second niveau, aux mécanismes uniquement binaires, que sont la
confession ou le cérémonial d’annulation du vœu.
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