mercredi 26 décembre 2012

Ta parole, ma parole...(Léo Ferré - années 60)



Alors que pour le français les paroles s’envolent et les écrits restent, l’hébreu et son codex se sont préoccupés depuis les temps les plus anciens de savoir comment effacer ce qui découle de la parole et qui, sinon, pourrait demeurer indélébile.

Le monde juif voit la parole comme recelant un pouvoir majeur. Au delà de la tradition selon laquelle c'est par la parole qu'a été créé le monde, la question de l'impact de la parole de l'individu sur son quotidien est un sujet envisagé sous de multiples facettes.

Rappelons-nous aussi que le livre de la Genèse est aussi un livre qui relate l'édification de ce poids de la parole. On y évolue du stade où les individus ne se parlent pas et se frappent jusqu'au stade ultime de la prise de responsabilité envers autrui par le biais de la parole, en ayant eu au passage plusieurs variations sur le thème du serment, de la place de la parole dans le rôle que pourra ou non tenir l'individu, et sans oublier la place accordée à l'interprétation des rêves.

Peut-être Freud était-il habité de cette conscience de l’Antiquité, lui qui prétendait que le cerveau humain n’oublie rien, que tout y reste inscrit, toutes les paroles entendues enregistrées.

C’était une préfiguration de ce que les récentes recherches en neuropsychanalyse permettent de confirmer, et que le cerveau droit est le substrat neuronique qui fournit l’espace, le disque dur sur lequel sont enregistrés tous ces messages, en particulier selon un mode d’inscription crypté, subliminal.

Ce ne sont pas les textes dans leur syntaxe qui sont engrangés en ce lieu, ce sont les sensations, les odeurs, les contextes émotionnels.

Curieusement, leur empreinte est probablement au moins aussi déterminante de ce qu’est l’individu que le texte des mêmes paroles, qui est, lui, enregistré dans le cerveau gauche, sous sa forme originelle.

Dans le contexte d’un dialogue imaginé entre le Créateur et Moïse au moment de l’épisode du Veau d’or, le midrach nous dévoile que le miracle de cette prégnance de la parole proférée est qu’il existe une possibilité non de la nier, non tant de la corriger, mais surtout, de l’annuler. En exécutant certaine procédure, il serait possible de remettre le compteur à zéro, non celui du dernier parcours, que l’on sait aisément remettre à zéro à chaque passage à la pompe, celui qui n’est commandé par aucun bouton.

L’individu, qui « sait » - en termes de cerveau droit, c'est-à-dire sans le savoir – que la parole proférée est inscrite, cherche par tous les moyens et depuis son plus jeune âge ce bouton, il cherche inconsciemment toute sa vie durant comment faire cette opération, comment effacer ce qu’il croit être indélébile.

Les moyens psychiques mis en œuvre à l’aube de l’existence et dans les constructions psychiques précaires ou atteintes par la maladie, sont la déconnexion et le clivage. L’infans est persuadé qu’il a effacé alors qu’il n’a qu’enfoui, ou refoulé en profondeur.

L’enfant plus grand atteint une méthode plus semi-consciente et apprend qu’il est possible de nier, de mentir.

L’adulte un peu léger – ou psychopathe - entérinera ce phénomène et s’installera dans un mode d’être quelqu’un qui « n’a pas de parole », tandis que l'adulte lambda reste condamné au conflit interne, ai-je eu raison de dire ? n'aurais-je pas dû dire ? devrais-je dévoiler ? etc..

La Torah propose la sublimation de ces phénomènes échafaudés maladroitement et sans succès par le psychisme soumis aux contraintes de la dure réalité : l’interpersonnel, et non l’intrapsychique, est la structure qui permet d’être délivré du poids de la parole indélébile.

C’est déjà cet interpersonnel qui permet de donner corps à cette parole, qui n’a en fait de poids que si elle est entendue. Le rêve est l’anti – ou l’anté – parole. Tant qu’il n’a pas été prononcé, traduit en acoumène, il n’est que vent. Une fois prononcé et entendu, il devient concret et est une parole inscrite. A ce stade, nous apprennent le talmud autant que la psychanalyse, le rêve est devenu message, la lettre a été ouverte et lue.

Les prophéties ont du poids si elles ont été dites et entendues par l’oreille. Consignées sur papier, elles ont le devenir du papier.

La parole a du poids quand elle a résonné dans une oreille et que le texte, sous forme de vécu émotionnel pour une part et sous forme syntaxique pour une autre part, a été consigné. A ce stade, le déni, le refoulement, le mensonge sont inefficaces, la parole demeure.

Seul l’interpersonnel peut défaire ce terrible mécanisme de solidification accompli par le cerveau humain. Il est possible de défaire, de délivrer, de délier, de rendre nul le serment, le vœu, la parole qui aura été prononcée. Seulement par le truchement de l’interpersonnel sera-t-il possible de corriger le mouvement que la parole aura imprimé à l’univers.

Dans le contexte post moderne, la cure est le lieu de cette délivrance, de cette conjuration, après que pour le monde catholique, la confession en ait été l’ébauche, alors que pour le  monde juif le cerémonial interpersonnel d’annulation du voeu en est le corollaire.

L’établissement d’un dialogue est le mécanisme par le truchement duquel ce qui est inscrit séparément dans les deux hémisphères cérébraux se trouve catalysé en texte qui a à la fois force concrète et qu’il est possible de « traiter ». La cure est le lieu où ce traitement est optimal et permet à l’individu, par l’élaboration interpersonnelle qu’elle offre, d’atteindre un troisième niveau, supérieur au premier niveau, celui des tentatives intrapsychiques imparfaites, préférable aussi au second niveau, aux mécanismes uniquement binaires, que sont la confession ou le cérémonial d’annulation du vœu.  

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