Voici un texte écrit primitivement en août
dernier, en relation avec ce film "la jupe" projeté dans les cinémas
il y a neuf ans.
Je m'y demande comment l'analyser en 2015,
après les attentats de ces trois dernières années, après la proclamation de
l'état islamique.
Je ne l'ai pas publié fin août et nous
voici à peine trois mois plus tard presque dans un autre contexte, après un mois
d'attentats au couteau un peu partout en Israël.
Mon texte est-il déjà caduque ? Je vous
laisse le lire et vous retrouve après la dernière phrase d'août.
La jupe. Pour les profs.
"La journée de la jupe" par
Lilenblum (2006), est en effet un film bien plutôt pour leur famille, leur
conjoint, leurs parents ou enfants, ou le grand public, afin qu'ils se rendent
compte combien le prof. est en première ligne.
Dans ce film bien monté et qui tient le
spectateur en haleine du début à la fin, se trouvent évoquées l'une après
l'autre bon nombre de questions face auxquelles sont confrontées la
France ou l'Europe d'aujourd'hui, et sont aussi ébranlés l'un après l'autre
quelques stéréotypes de ces sociétés.
Isabelle Adjani en professeur de français
enfant d'immigrés arabes, rejetée par les siens parce qu'érodée et stérilisée
par Jules Ferry et le rouleau compresseur républicain français, tente
maladroitement de contenir une classe d'adolescents dans un collège de banlieue
parisienne hard...jusqu'au moment où lors d'une des innombrables altercations
physiques entre eux, tombe soudain un revolver du sac de l'un d'entre eux.
Elle réussit à rassembler suffisamment
d'autorité pour que l'arme se retrouve entre ses mains, et le film va
accompagner la suite, qui évolue au gré de ses effondrements et reprises
d'elle-même jusqu'à une fin tragique (alors qu'elle leur enseigne Molière qui
n'a pourtant écrit que de la comédie..!).
Les élèves paraissent tous - sauf un, dans
le difficile rôle de la caution française de souche - arabes ou au moins
musulmans, et le film entier est constamment ponctué d'insultes, souvent
antisémites ("fais pas ton feuj!" et autres).
Isabelle Adjani parait pêter un plomb dès
l'apparition de l'arme et elle transforme la séance dans la salle de théatre du
collège en prise d'otages, sans paraître avoir elle-même compris comment elle
en est arrivée là.
Ce que le film montre particulièrement bien
c'est d'une part l'atmosphère et l'extrème difficulté à être enseignant en
pareil lieu de confrontations culturelles, c'est la façon dont les enseignants
sont seuls en première ligne, et en parallèle, la futilité de leur affiliation
politique ou syndicale. Ils sont présentés ici comme lâchés jour après jour,
semaine après semaine dans une sorte de fosse aux lions. Enseigner en pareilles
conditions, c'est du struggle for life.
Ont aussi dans le film un important rôle le
brigadier de police, et une ministre (de l'intérieur ?)que le film malmène
intelligemment.
Le brigadier - lui-même en parallèle aux
prises avec un grave souci conjugal dans sa phase aigüe - est présenté comme un
professionnel des prises d'otages, jouant un rôle de psychologue des cas
d'urgence, et c'est précisément cette psychologie que le film juge, lui faisant
un véritable procès, montrant comme c'est elle qui fait tourner la situation au
tragique. C'est le dialogue et la douceur qui sont ici présentées comme n'ayant
abouti (si ce n'est conduit) qu'à l'envenimement et à la violence
incontrollée.
Mais plus encore que le policier, ce sont
la ministre ainsi que l'administration dans son ensemble qui sont ici
présentées comme déconnectées complètement de la réelle situation sociologique
sur le terrain. La ministre est celle qui donne les ordres, apparemment le plus
arbitrairement possible et surtout dans une préoccupation surtout
électoraliste, animée avant tout de la crainte de la façon dont les choses
apparaitront à la télévision, et dans une complète méconnaissance - et le
désinteressement plus total - de l'affrontement des cultures qui se livre
derrière ce fait divers.
Et, climax du film, tandis que la prof. de
français, amenée malgré elle à se trouver dans la peau d'une preneuse d'otages
et à énoncer des conditions, réclame un jour annuel de la jupe, la ministre -
en pantalon - rétorque avec dédain : "après qu'on ait en fin de compte
obtenu le droit pour les femmes au pantalon, que vient-elle nous casser la
baraque avec sa jupe ?".
Cet affrontement culturel réduit au conflit
jupe-pantalon est finement analysé. Il met en lumière l'écart culturel et
l'ignorance totale du côté de la bourgeoisie vis à vis du monde des classes
basses, dont font partie les immigrés, et ici, principalement les musulmans
(même si un tout petit rôle de quelques secondes est donné à un asiatique -
probablament par souci de correction politique). Chez ces derniers, c'est la
précarité qui domine toute la scène. Les garçons sont aux prises au racket, et
les filles au viol, situation dont ne paraissent avoir conscience aucun des
représentants de l'ordre ou de l'administration, jusqu'au principal du
collège, et que portent donc seuls sur leur dos, comme la tortue sa
carapace, ces pions de l'échiquier sociétal que sont les profs.
"L'agenda" de cette prof. dont l'extraction s'avère en coup de
théâtre, est aux antipodes de ce combat qui a abouti au droit des femmes à
aller en pantalon.
L'essentiel de son combat est dirigé contre
une société musulmane sexiste, réactionnaire et raciste, dans laquelle la femme
est humiliée et menacée physiquement quotidiennement, et dans laquelle mettre
une jupe consiste à se mettre en danger physique réel.
Tandis que le combat pour le pantalon a pu
être mené dans un monde occidental où il fallait avant tout obtenir le droit
pour les femmes à ne pas être défavorisées socialement, la prof. émerge d'un
milieu, celui de tous les élèves de cette classe, où la femme est encore une
proie, ne rêve même pas d'une inégalité salariale tant son statut est loin en
deça de cela.
Un article de slate.fr (Jonhatan Schel ) s'en prend violemment à ce film,
qu'il descend au plan technique (je suppose, avant tout parce qu'il se veut
critique de spectacle : son rôle a priori est de trouver tout mauvais), mais
surtout parce que le film est coupable à ses yeux d'être en fait anti arabe, de
façon trop crue pour...la gauche, ou pour une certaine gauche.
Outre que je n'ai pas cette opinion - comme
exprimé ci-dessus - sur le film, je me demande comment écrirait le même
Schel en 2015, après Ilan Halimi, après Mohamed Merah, Nemmouche, Charlie,
hyper casher, Thalys, et en bref avec l'évolution, surtout depuis la
proclamation du califat en juin 2014, du sinistre état islamique.
La France est bizarrement un pays où se
lèvent rapidement à gauche beaucoup de voix anti conformistes- anti
capitalistes, anti colonialistes, anti réactionnaires, anti clichés. En
parallèle, la même France de l'accueil des immigrés et de la mobilisation pour
les damnés de la terre, a cette spécialité de banlieues (93), de provinces
(Trappes, la banlieue lyonnaise, Marseille) dans lesquelles non seulement
perdure une situation sociale mauvaise, mais surtout où s'est dégagé déjà
jusqu'à l'heure où j'écris, un préoccupant creuset de combattants djihaddistes,
avides de rejoindre la Syrie ou autre champ de bataille, et peu enclins à
l'adhésion aux droits de l'homme, aux valeurs de la démocratie, et au combat
social, quand ce n'est pas porte-voix d'un discours ouvertement anti-français.
De plus, il s'est avéré ces cinquante
dernières années que ces voix de gauche ont comme déraillé en ce qui concerne
le monde arabe face à Israël. Elles se sont rassemblées très souvent, et très
spontanément pour condamner encore et encore un soi-disant état voyou, suppôt
de toutes ces infamies, alors qu'elles se taisent singulièrement quand il ne
s'agit plus des juifs contre les arabes, et même quand par exemple les mêmes
palestiniens sont massacrés...en Syrie, par des arabes et non des juifs.
Ce n'est pas qu'il n'y ait pas eu d'arabes
israéliens qui soient aussi allés rejoindre les rangs de Daesh, mais il me
semble d'une part que l'atmosphère sociale dans le pays voyou est bien
meilleure que dans le 93 - et pas du fait d'un quelconque vissage de la
population, mais bien plus probablement du fait qu'il fait peut-être mieux
vivre comme palestinien en Israël qu'immigré dans le 93 (voir par exemple la
production littéraire de Sayed Kashoua). On y entend en tout cas moins de
nationalisme anti étatique, et peut-être même moins de radicalisation.
Ceci devrait quand même pouvoir pousser ces
Saramago qui avaient comparé Ramallah aux camps de concentrations, ces
Salingue, Cohen ou Besancenot-Mélanchon et leur soutien apparemment
inconditionnel à la cause du pauvre palestinien éternellement brimé par
l'horreur sioniste, à regarder à nouveau le monde dans lequel ils vivent.
Il est temps que ces défenseurs du pantalon
pour les femmes entendent la véritable souffrance et non celle qu'ils
imaginent, et se demandent si, concernant ces populaces qu'ils prétendent
défendre, ils ne sont pas dans certains cas, ce que l'on disait il y a quelques
années au sujet des racistes, des gens qui se trompent de colère.
Ajoût du 8 novembre :
Je lisais un matin de la semaine
dernière un article publié sur un portail palestinien européen, où ce mouvement
du dernier mois était présenté comme ayant deux facettes principales. Une le
désavoeu des gouvernements palestiniens, tant celui de Ramallah que celui de
Gaza, l'autre le désespoir d'une situation pourrie par Israël.
Je recevais par ailleurs un après-midi
une patiente qui, née et éduquée en France, est ici depuis trente ans et dirige
une entreprise rattachée au secteur de la construction. Elle emploie de façon
stable un nombre important d'ouvriers, arabes, qui proviennent comme c'est
souvent le cas, d'un même village, proche de Jérusalem.
Ma patiente avait précipitemment annulé son
rendez-vous d'il y a trois semaines, du fait d'une situation qui paraissait
embrasée.
Le travail avait été interrompu un jour
dans son entreprise, principalement du fait du renforcement de la sécurité
rendant les barrages presque infranchissables, et il avait déjà repris le
lendemain.
Elle était en proie avec des clients
israéliens qui avaient tenté de lui imposer de ne plus employer d'arabes, et à
qui elle avait répondu : "ce sont mes équipes. J'ai confiance en eux.
C'est à prendre ou à laisser".
Ce jour, je m'enquiers de la situation.
Elle est elle-même surprise du décalage presque effarant entre la situation de
son travail, dans lequel elle ne décèle plus aucun ralentissement, équipes
travaillant au jour le jour, barrages redevenus normaux, et la couverture
médiatique de la même situation.
Le peuple a besoin de vivre, de travailler,
et il travaille.
Les gouvernements ont leur agenda et ils
continuent à faire marcher leur fonds de commerce, qui pour enflammer les
individus, qui pour les contrôler.
Tandis que la presse et les politologues,
orientalistes ou historiens, ont aussi leur propre agenda qui est de souhaiter
de l'action, eux aussi pour alimenter l'ébullition de leurs marmites.
Et donc quelle est la situation ? Il y a
probablement une couche de la société israélo-palestinienne qui souffre du
manque d'accords de paix.
Il y a aussi une incontestable incitation à
la violence, assortie à une dévalorisation de la vie et une survalorisation de
la mort, dans de nombreux discours musulmans, et celle-ci fait apparemment des
adeptes.
Mais il y a aussi un désir et un besoin de
vie normale.
Ce soulèvement est peut-être passé-presque
passé, ou peut-être ne l'est-il pas, mais dans un cas comme dans l'autre, le
comprend-on réellement ? Qui le comprend réellement ? Les assassins ne parlent
pas. Tout au plus lancent-ils l'invocation de la grandeur de leur dieu, parfois
s'expriment-ils par écrit pour annoncer leur souhait d'être chaïd, c'est à dire
leur intention de mourir, si possible en ayant fait quelque dégat, contre quoi
? Cela n'est pas très clair. Contre les barrages ? Contre les infidèles plutôt,
ceux qui souilleraient la grandeur du prophète. Apparemment pas contre une
quelconque discrimination qui est bien plus le cheval de bataille des égarés de
l'extrème gauche qui s'entêtent à voir ici un apartheid. Quelqu'un sait les
comprendre ? Il ne manque pas de porte-voix qui n'hésitent pas à imposer leur
interprétation, qui du fait d'une ou autre idéologie, qui pour des raisons de
manipulation politique, mais je doute qu'ils expriment autre chose que leur
propre idéologie. Mais il reste par contre des gens en première ligne, et ce ne
sont ni les ministres ni les inspecteurs. Que disent les enseignants ?
Qu'entendent-ils sur le terrain ? Qui sait leur rôle et qui les forme et les
accompagne pour les aider à éduquer en pareil contexte ? Ils sont en position
clé pour tout ce climat actuel, que ce soit dans le 93, à Ramallah, Gaza ou
Jėrusalem.
Il y a effectivement surtout un trouble du
message. Alors que nous sommes des adultes qui pensent avoir inculqué un
message de paix et d'avenir meilleur, est-ce le message qui parvient
aujourd'hui aux oreilles de ceux que les profs ont en face d'eux ?
Il faut donner la parole aux éducateurs.
Il faut les responsabiliser. Ils doivent porter le pantalon !
Mon cher Jean,
RépondreSupprimerBien sur que le role des educateurs est tres important, et implique une prise de conscience, en meme temps qu'une part importante de responsabilites, La responsabilite dun individu a un autre est toute aussi importante, en meme
temps que le respect des differences.
.De plus chaque pays presente des dificultes d'ordre different selon les domaines politiques, economiques ou sociaux.
La France, ayant etee Etat de droit, laisse la place
actuellement a un champ de bataille moyenageux, Comment le jeune qui reve de societe democratique doit-il s'exprimer pour survivre ? en se taisant, en s'exilant ou en se revoltant et en prenant un revolver ? Ceci pour les "deux cotes" de la societe francaise,c'est a dire le francais qui reste attache a ses racines et privileges, et l'emigre qui lui aussi veut conserver son identite -parfois au refus d'une integration- et recevoir les meme avantages.
La souffrance est differente mais elle est commune des deux cotes...cela a donne lieu a une societe inhabituelle et a cela doit correspondre des methodes inhabituelles pour etablir l'ordre. ce qui est certain c'est que cela prendra beaucoup de temps, le temps d'une generation pour les uns d'accepter de faire de la place a l'emigre, mais aussi a l'autre de faire les efforts necessaires pour se faire accepter.
Le probleme est totalement different en Israel, pays d'emigration, creuset ou bouillonne des centaines de cultures et mentalites, mais ou il existe un ingredient indispensable de liaison : "juif" ! Ce trait d'union, meme si le judaisme est orthodoxe ou laique, quelque soit la couleur ou la forme de la kipa,-ou son absence- reste primordial. Israel a bien sur, des lacunes a corriger, mais il faut admettre que nous reconnaissons Ismael fils d'Avraham, mais eux ne veulent pas, ni nous connaitre, ni nous reconnaitre, malgre l'heritage commun.
Israel doit rechercher une solution au conflit israelo-arabe
et en meme temps assurer la reconquete de sa propre histoire, deux aventures voisines et concurrentes.
Souhaitons-le, avec l'aide de D.ieu, il y arrivera....amities DL