mercredi 6 janvier 2016

Retour de voyage en période ramifiée.



Je suis donc parti pour une petite semaine vers une destination à la fois très familière (Paris et ses alentours, le stage annuel des eis, le gris de l'hiver parisien, les illuminations pré-Noël et jour de l'an), et à la fois un peu nouvelle si ce n'est préoccupante (situation post Bataclan, avec menaces de nouveaux attentats), pour de valorisantes perspectives (on m'invite à parler, on me remet un lion de bronze..!) et accompagné de quelques mises en garde (le ministère des affaires extérieures israéliens qui déconseille la France comme destination, et en particulier les aéroports - et donc, partir à la nage ? - et les questions anodines :"t'as pas peur d'aller là-bas? C'est quand même un peu dangereux, non ?").

Le gris était au rendez-vous mais le froid laissait du répit (eux paieront sûrement leur "Noël au balcon" par le traditionnel "Pâques au tison" mais je n'y serai pas..). Les amis, les eis étaient là, et chaleureux, et je suis rentré les bras chargés d'un plus grand et encombrant diplôme que celui du doctorat, et comme à l'accoutumée (12 ans d'interruption de cette activité ne m'avaient pas laissé l'oublier) le public était pétillant et interessé. Mais il me faut revenir sur un ou deux points.

Le stage réunissait quelques 250 stagiaires, animateurs eis de la France entière (et même du nouveau groupe local israélien Ron Arad) et le thème global était "ani veata". Mes interventions, comme celles des quelques autres 26 intervenants, devaient comme ressusciter deux jours d'une "école d'Orsay", laquelle avait été initiée après guerre par Castor, et Fleg, dans le but de remettre à flot une communauté juive presque décimée par la shoah.

Je ne me souvenais plus trop si le thème de mes interventions m'avait été vraiment clarifié et je gardais en mémoire que j'avais toujours plutôt été un enseignant de judaïsme dans les stages eis. 
Après une première intervention dans laquelle je développais le thème de "religion d'adultes" à travers la fin du sefer Beréchit et le rôle de l'animateur ei comme maillon de rattachement au judaïsme auprès des enfants dont il a la charge, dans laquelle j'avais eu à coeur de rappeler l'enseignement de Manitou et son incidence sur moi et sur les élèves de la vraie et historique école d'Orsay, Karen me rappela qu'elle attendait en fait surtout de moi que je parle de mon expérience d'israélien.

Je fis donc le deuxième jour à la file quatre interventions sur le dit sujet, pour rentrer globalement de France avec la réflexion qui suit :

On dit en hébreu "ma chéroïm micham lo roïm mikanne", (on ne voit pas la même chose selon qu'on l'observe de là-bas ou d'ici), et c'est vraiment ce qui résume au mieux ce qui me reste de ces interventions, ainsi que de mon contact avec l'ambiance parisienne de ces six jours.

Me reste en mémoire une réaction au cours d'une de ces séances du mercredi. Je parlais d'Israël en ayant à coeur d'inscrire le présent dans le plus large laps de temps, et donc en mettant en exergue la place constante qu'a eu Israël le pays, et Jérusalem, dans la conscience juive, encore avant le premier exil. Je parlais de l'importance extrème à mes yeux pour l'animateur lambda de ne pas seulement voir le sujet Israël à la lumière de l'actualité (avec les guerres contre les palestiniens, avec les questions de pseudo colonialisme ou gouvernement dit d'extrème droite) mais au prisme de toute la place qu'occupe ce thème dans la conscience juive de toujours, et je décrivais en grandes lignes l'histoire du 20ème siècle.

Au moment où je racontais combien la guerre des six jours avait en fait été un miracle, combien son issue avait été non seulement dramatique mais complétement inattendue, j'entendis comme l'expression d'un profond désaccord.

Et c'est de ce désaccord que je parle maintenant (même s'il ne vint ouvertement que d'une seule personne, même s'il n'a pas forcément été représentatif de ce que ressentait le public dans son ensemble) parce qu'à mes yeux il résume le sentiment qui m'accompagne en rétrospective :

Je crois qu'alors que cette guerre des six jours est vraiment restée dans les mémoires des israéliens de tous bords, religieux ou non religieux, comme une sorte de miracle, tant la population en mai 67 était persuadée que la catastrophe de destruction du pays (qui n'avait alors que 19 ans et qui était bien loin d'être une puissance, et surtout de se considérer comme tel) était imminente, en France (et y compris chez beaucoup de juifs) le regard est complètement autre et tient plutôt à la réaction d'alors du général de Gaulle, le président français de l'époque qui avait alors parlé de "peuple fier de lui et dominateur". Dans une logique française de pseudo laïcité (puisque la France est restée très longtemps la fille aînée de l'eglise, puisqu'à l'école laïque, les fêtes catholiques sont comme naturellement une partie du paysage) on ne saurait voir le miracle d'Israël. Et quand bien même le verrait-on qu'il y a comme un impératif laïque à le reléguer au second plan. 

Ces derniers jours, l'académie israélienne du langage vient d'annoncer l'introduction de quelques deux mille nouveaux mots au vocabulaire hébraïque, et c'est une autre facette de ce qui éloigne le monde européen (beaucoup de juifs y compris) du monde israélien.

L'Europe, la France, même si de façon nuancée, combattent la puissance d'Israël. Ils sont tous, même si de façon non univoque, préoccupés (ou sans cesse interpellés) par la question des ripostes proportionnées ou disproportionnées de l'armée israélienne, par la question des territoires (développer ou non, ce qu'il est licite ou non d'appeler colonies.., et qu'il faudrait à la fin du compte impérativement rendre parce qu'il s'agit d'occupation illicite, peut-être pour certains à la grande honte d'Israël le pays, si ce n'est Israël le peuple...) et c'est ce qui est le plus grand fossé entre eux et ce qu'est Israël.

Israël, le pays, que l'on se situe ou non dans une perspective messianique (et le discours messianique post 67 parait aujourd'hui bien anachronique, y compris à la majorité des oreilles israéliennes), ne saurait être vue autrement que comme un miracle.

Il ne s'agit pas uniquement de la victoire en six jours sur les armées de tous les pays environnants, il s'agit de qui - côté juif - habite ce pays, il s'agit de comment il s'est édifié, en si peu de temps, à base de quel point de départ. 

Il s'agit non seulement d'un pays qui grandit sans cesse de façon - pour le coup - réellement disproportionnée, il s'agit d'un pays qui a absorbé il y a vingt ans, pratiquement d'un coup, près d'un million d'immigrants alors que sa population totale n'atteignait pas 5 millions, il s'agit du pays où se sont bel et bien retrouvés les descendants de tous les exils des deux mille dernières années, polonais comme yemenites, comme indiens, algériens, irakiens, éthiopiens, et la liste est trop longue, pour non seulement constater qu'ils pratiquaient la même religion à quelques différences de prononciation ou de musique près, mais pour se remettre à tous parler la même langue, non parlée - mais jalousement gardée - durant un si long laps de temps.

Le fait que tout ici se gère en hébreu est peut-être la principale part humaine du miracle d'Israël, les multiples avancées scientifiques, le développement économique, l'intégration des populations les unes avec les autres (arabes y compris) n'en étant que des corollaires ou des conséquences, les victoires militaires représentant incontestablement la part divine de ce miracle.

Et c'est cette indifférence au miracle d'Israël, doublée d'un refus moderne et laïque de s'y même arrêter, qui est le point de plus grande divergence entre Israël et l'occident, occident des goyïms et occident des juifs confondus.

Les commentaires sur la sortie d'Egypte sont nombreux à mettre l'accent sur le fait que malgré 210 ans d'esclavage, les hébreux avaient conservé leurs noms, leur habit, et leur langue.

Le monde reconnaîtra Israël au sens large au prorata de combien le peuple d'Israël lui-même a la mémoire de son histoire, s'il inscrit le présent dans l'histoire, s'il sait vivre ses valeurs, s'il sait parler et lire sa propre histoire dans le texte, et les juifs de France et d'Europe sauront apprécier Israël le pays en fonction de ce qu'il est au prorata de leur familiarité à l'hébreu.



2 commentaires:

  1. Bonjour,
    Etant originaire des Pyrénées-Orientales et mon Père de Prades, votre histoire de votre grand-mère maternelle dans les années 40 m'intéresse.
    Pourrions nous échanger par mail ?
    Merci
    LB

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    1. Bonjour. Pardon, je ne vois votre comme taire que très très tard...un peu confus. Oui, nous.pourrions échanger par mail, avec plaisir. Jeanpisante@gmail.com

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