Shemuel tourna les talons. Il l'agrippa par le manteau et
il se déchira (Shemuel 1. 15, 27). Quel manteau ? demande le midrach
(midrach Shemuel 18, 5). Celui de Shaül ou celui de Shemuel ?
Un
pinaillage superflu serait-on prêts à répondre, presque agacés que ces rabbanim
perdent ainsi leur temps à de telles questions ?
Aux
frais du contribuable, entendrait-on tout de suite après, de la bouche de
quelque israélien laïque.
Et
le midrach sur ce sujet est long. Trois réponses à la question sont ainsi
présentées, avant que ne suivent d'autres questions sur le même sujet, mais
chacune dans un autre contexte historique, et avec la même construction
syntaxique : "le manteau de qui ? Suivi des mêmes trois réponses données
par les mêmes intervenants, Rav, Lévi, et Rabbi Shemuel bar Nahmani.
Rav
répond toujours dans un sens, et Lévi toujours à son opposé.
Mais
c'est l'avis de Rabbi Shemuel bar Nahmani qui semble être celui dont le midrach
nous entretient. Comme si Rav et Lévi étaient le décor, comme si dans chaque
question concernant l'humanité, on allait immanquablement se retrouver
polarisés, avec Rav d'un côté, Lévi de l'autre, Hillel d'un côté, Shamaï de
l'autre, mais comme si cette polarisation ne faisait avancer personne.
Comme
vu aujourd'hui sur facebook en réaction à l'assertion : "avec des armes,
vous tuez les terroristes, avec de l'enseignement vous tuez le
terrorisme". Les talkbacks sont donc - immanquablement, obligatoirement -
polarisés entre les partisans de cet avis, et leurs opposants. Il manque un
Rabbi Shemuel bar Nahmani pour nous aider à réfléchir.
Finalement,
entre Shaül et Shemuel c'est la même répartition. Un est "aux
commandes", à l'exécutif. Il a les armes. Va-t-il éradiquer le terrorisme
en tuant les terroristes ?
Notre
contexte est précisément juste au moment de la dispute entre Shemuel et Shaül,
après que ce dernier ait exterminé les soldats d'Amalek (les terroristes
sont-ils quelqu'un d'autre ?) mais ait épargné Agag, le roi d'Amalek, suite à
quoi Amalek subsiste, suite à quoi le terrorisme continue d'exister dans le
monde.
Pour
rabbi Shemuel bar Nahmani (il s'appelle Shemuel, ce n'est certainement qu'une
coïncidence), il faut d'abord comprendre ce qu'est ici le manteau.
D'aucuns
diraient qu'il est le symbole de la royauté, de la gloire , et partant,
diraient que la royauté est sortie tachée de cette erreur de Shaül. Entachée au
point que lui-même est licencié, et même au point que la royauté elle-même ne
s'en trouve endommagée.
Mais
voila qu'existe un passage de la guemara (Sanhédrin 102 b) sur lequel sans
doute s'appuie Rabbi Shemuel et qui vient suggérer que le manteau est bien ce
dont on se couvre, mais qu'il s'agit surtout des valeurs desquelles on est vêtu
- beaucoup plus que du faste. Et c'est apparemment ce qui le pousse à dire
:"c'est du manteau de Shemouel qu'il est ici question". Comme pour
dire :"ce qui est taché ce n'est non tant les attributs de la royauté, la
gloire d'Israël, que l'enseignement de Shemouel qui n'est pas
"passé".
Comme
pour dire : le véritable enjeu n'est pas tant la force militaire, que la force
morale, l'extermination des terroristes que la capacité à répandre un message,
une éducation telle que le terrorisme ne suscitera pas de nouveaux terroristes.
Le
midrach est éblouissant de virtuosité, à déterrer ainsi d'un tanakh' que ces
rabbanim semblent décidément connaître par coeur, encore et encore un exemple
d'ambiguïté du texte, encore et encore un cas où la question :"de qui ?
duquel des deux?" peut se poser.
Et
pour chacun des cas étudiés, celui du manteau de Jéroboam face à Ahia de Shilo
(Rois1, 11, 30), celui de la sandale de qui, de Boaz ou du parent (Ruth 4, 5),
celui de qui de Aviah ou de Jeroboam a été frappé par D. (Chroniques 2, 13,
20), celui de qui de Yehoïakim ou de Evil est mort (Rois 2, 25, 30),
l'avis de Rabbi Shemuel bar Nahmani est finalement toujours le même :
parfois même contre le sens obvï du texte, il prend toujours la même position :
ce qui est important vraiment, c'est combien l'enseignement aura porté, c'est
combien les valeurs auront été malmenées.
Rabbi
Shemuel bar Nahmani pourait rester dans notre mémoire comme "encore un
idéaliste", ou même dirait-on peut-être "encore un
intellectuel", à moins de ne se retrouver à dire "encore un
gauchiste". Ces gens-là sont toujours à réfléchir au lieu d'agir. Avec
quelques bons tanks, avec quelques interdictions, quelques censures, quelques
expulsions, quelques privations d'identité, quelques destructions de maisons,
on réglerait plus vite, plus facilement, plus radicalement les problèmes.
Cela
ne semble pas l'avis de rabbi Shemuel, qui parait décidément penser que
l'histoire (celle d'Israël en tout cas, mais ne serait-on pas ici dans une
perspective paradigmatique ?) n'est pas tant faite par les dirigeants que par
les valeurs qui soustendent leurs actes.
C'est
de ces valeurs et de leur enseignement, et de l'audience et de la portée de ces
enseignements qu'il faut réellement se préoccuper.
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