Le traîté makot du talmud traite de
catégories de prolongement de ce qui est à l’étude dans le traîté
« Sanhédrin » (qui le précède) où sont abordés les thèmes de justice
terrestre (avant de parler de justice céleste au chapitre 10).
Dans Makkot, il est ainsi question des témoins
(le système juridique hébraïque repose uniquement sur l’interrogation des
témoins, et non sur les apports de preuves), puis des villes de refuge dans lesquels
sont envoyés - ou non les meurtriers involontaires.
Au chapitre 2 michna 5 (page 9b), interviennent
deux thèmes qui pourraient peut-être jeter un éclairage sur un sujet actuel,
sujet de controverse actuelle entre nos contemporains et en particulier nos
amis. Un éclairage, non une solution.
Le texte en aramééen (duquel existe une traduction en
français aux éditions Verdier) :
מתני' הסומא אינו גולה דברי רבי
יהודה ר' מאיר אומר גולה השונא אינו גולה רבי יוסי אומר השונא נהרג מפני שהוא
כמועד רבי: שמעון אומר יש שונא גולה ויש שונא שאינו גולה זה הכלל כל שהוא יכול
לומר לדעת הרג אינו גולה ושלא לדעת הרג הרי זה גולה: גמ' ת''ר {במדבר
לה-כג} בלא ראות פרט לסומא דברי רבי יהודה רבי מאיר אומר בלא ראות לרבות את הסומא
מאי טעמא דרבי יהודה דכתיב {דברים יט-ה} ואשר יבא את רעהו ביער אפילו סומא אתא בלא
ראות מעטיה ורבי מאיר בלא ראות למעט בבלי דעת למעט הוי מיעוט אחר מיעוט ואין מיעוט
אחר מיעוט אלא לרבות ורבי יהודה בבלי דעת פרט למתכוין הוא דאתא: ר' יוסי אומר
השונא נהרג כו': והא לא אתרו ביה מתניתין רבי יוסי בר יהודה היא דתניא רבי יוסי בר
יהודה אומר חבר אינו צריך התראה לפי שלא ניתנה התראה אלא להבחין בין שוגג למזיד:
רבי שמעון אומר יש שונא גולה וכו': תניא כיצד אמר רבי שמעון יש שונא גולה ויש שונא
שאינו גולה נפסק גולה נשמט אינו גולה והתניא ר' שמעון אומר לעולם אינו גולה עד
שישמט מחצלו מידו קשיא נפסק אנפסק קשיא נשמט אנשמט נפסק אנפסק לא קשיא הא באוהב
והא בשונא נשמט אנשמט לא קשיא הא רבי והא רבנן
Etude de ce texte en français :
Précision préalable : Les villes
de refuge sont une institution proposée par la Torah pour protéger des
individus que le tribunal ne met pas à mort mais pour lesquels le
« vengeur de sang » ne sera pas condamné s’il tue la personne jugée.
Le cas typique proposé par la Torah (Deutéronome 19, 5) est celui du bûcheron
dont la cognée se détache du manche de la hache et s’en va tuer quelqu’un aux
alentours. La michnah puis la guemara ont pour tâche d'élargir le sujet énoncé
brièvement dans la Torah. On envisage par exemple dans la michna le cas de
celui qui jette une grosse pierre et que celle-ci atteint quelqu’un et provoque
sa mort.
Dans les michnaïot et les guemarot qui précèdent
la notre sont étudiées successivement plusieurs variations. Si par exemple ce
n’est pas la cognée qui vient frapper la victime mais si c’est la branche de
l'arbre frappé par elle, si la cognée s’est détachée lors de la montée du bras
ou lors de la descente, si il ne s’agit pas d’une hache mais d’une charge
hissée par une corde et que la corde se brise, ou encore que celui qui la hisse
lâche la corde, ou encore s’il s’agit de quelqu’un qui hisse vers le haut, ou
vers le bas, s’il s’agit d’un juif ou d’un idolâtre, ou d’un étranger habitant
en Israël.
Et dans la michna 5 deux cas apparemment sans
lien l’un avec l’autre : le cas de l’aveugle (souma), et le cas de celui qui
est connu comme haïssant la personne (sonéh) qui a été tuée
« involontairement ».
Et la question à l'étude est la question de
l’exil. Le « coupable » est vu comme meurtrier involontaire (ou non),
comme coupable ou non, et son exil est en question, étant entendu que cet exil
est à double tranchant : cela le protège, mais c’est bien évidemment une peine.
Est à noter la première controverse de la
michnah, qui s’ouvre comme un jeu de mots, mais tout en étant une proposition –
sinon LA proposition : rabbi Yehouda dit « l’aveugle (souma) n’est pas
sujet à exil, et rabbi Meïr répond « il y est sujet. C’est l’ennemi (le
sonéh) qui n’est pas sujet".
Et la discussion se poursuit dans
l’enchevètrement de ces deux notions, celle de l’aveugle (qui dans une
discussion talmudique en un autre endroit en fait se révèle n'être pas aveugle
mais borgne, pour aveugle on dit « iver », et « souma »
désignerait aveugle d’un seul œil), et celle de l’ennemi.
Le cas conflictuel dans notre contexte actuel,
auquel je pense, est bien entendu celui de Pétain. Pétain qui a en plus vu sa
peine de mort commutée en exil – hasards/clins d'œil de l’Histoire ? - et qui
est mort à l’île d’Yeu où il avait été exilé….mais qui a reçu l’autorisation de
sortir finir ses derniers jours hors de son isolement (peut-être en analogie
supplémentaire avec ce qui est la loi thoranique : l’exil peut se trouver
interrompu si le cohen gadol meurt).
Pétain pour lequel la question de la mort de
juifs pour les uns et la survie de juifs pour certains autres a brusquement
réapparu et fait discorde.
Qui est l’aveugle de qui il est question dans la
michna ? Celui de qui certains disent qu’il n’est aveugle que d’un œil…
autrement dit, ne s’agirait-il pas de l’individu qui a le champ de vision
restreint, qui ne voit pas tout le tableau et qui commet donc un acte dont il
ne voit pas toutes les conséquences, ou, se demanderait-on, peut-être s’agit-il
d’un individu qui n’est pas aveugle mais fait abstraction d’une partie et est
donc comparable au borgne. C’est ce qui fait le lien avec la deuxième partie de
la michna, puisque la question de savoir s’il est bien ou mal intentionné est
la question qui va tenter de départager, est, pour rabbi Méïr, la vraie
question, le noeud du problème : les intentions de l’individu, qui feront de
lui un « ohev » (bienveillant) ou un « sonné
»(malveillant), et non les circonstances physiques, s’il voit tout ou
seulement une partie, sont la vraie queston.
Le plus singulier est que le débat dans la
guemara n’est finalement pas tranché : et il n’est pas tranché par ce qui
parait être une contradiction non entre deux individus, mais concernant un seul
individu : rabbi Chimeon semble se contredire lui-même concernant l’attitude à
adopter face au soneh, et la guemara explique les raisons de cette
contradiction mais sans pour autant la résoudre.
Le cas est bien entendu très différent selon
qu’il s’agit de la mort d’un ou de milliers d’individus, selon le degré de responsabilité
de l’accusé, mais d’un autre côté, le point important de cette étude est de
mettre au centre du débat - mais sans le résoudre ! - l’intention du criminel
et non la quantité ou la proportion de gens ayant échappé à la mort.
Regarder le tableau sous cet angle pourrait
peut-être contribuer à rétablir dans notre débat actuel l’entendement, sinon
l’entente, là où il n’y a plus que discorde.
Le cas de Pétain, s’il était échu aux khakhamim,
aurait visiblement été jugé du fait de la mort causée par l’individu, les
circonstances éventuellement atténuantes ayant été son champ de vision pour une
part, n’influant que partiellement, surtout au regard de ce qui aurait été au
centre des débats : ses intentions-sentiments.
Et surtout il y a bien à croire qu’il n’aurait
pas été condamné à mort, n’ayant ni de ses mains ni au vu de témoins assassiné
personne, mais bel et bien à l’exil, pour les deux composantes de ce châtiment
: celle qui justifie ceux qui auraient résolu de le tuer d’une part, celle de
la mise au ban de l’individu pour une autre part, mais aussi parce qu’il
apparaît clairement que le désaccord aurait subsisté même une fois le châtiment
prononcé.
Peut-être un peu comme pour montrer qu’il est de
certains cas de demeurer conflictuels.
Faut-il dépasser le conflit ? L’histoire et
l’expérience semblent nous enseigner au contraire, que les conflits dans de
nombreux sujets (et notre covid actuel semble bien être un nouveau cas de cette
espèce) ne se résolvent pas par la preuve, mais par les attitudes des
contradicteurs.
L’histoire - et la guemara en particulier -
semblent nous inviter à la réflexion. Il faudrait probablement surtout
continuer à réfléchir, y compris au sujet de nos propres positions, par exemple
en regardant l’opinion adverse non comme celle à abattre, mais comme celle qui
vient nourrir le débat et augmenter le doute.
J ai aime ta conclusion conciliante, mais est elle applicable ds tous les cas? Pas d’exception?
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