lundi 28 août 2023

Pour qui le temps travaille-t-il ?



La Judée Samarie est forcément au coeur de la sensibilité juive. C’est là-bas qu’est né le judaïsme, les patriarches vivaient sur cette chaîne de montagnes et nullement dans la vallée habitée par les philistins. Avraham s’installe à Beer Sheva (située sur les monts du Neguev, qui prolongent la chaîne vers le sud) mais c’est à « Kyriat Arba, qui est Hevron » (Genèse 23, 2.) qu’il achète le lieu de sépulture de Sarah, sa femme.
Pour la tradition juive, ce ne sont pas seulement les trois patriarches et leurs femmes qui sont enterrés dans ce caveau, ce sont aussi Adam et Eve, premier couple de l’humanité d’après la Bible.

Les juifs ont pendant 2000 ans évoqué quotidiennement Jérusalem (on prie pour la reconstruction de Jerusalem trois fois par jour lors de la prière, et aussi dans la bénédiction de fin de repas), située au coeur de cette chaîne, et Hevron, dans leur vécu religieux, ont souhaité de tout temps la reconstruction de Jérusalem, détruite par Nabuchodonosor, reconstruite puis redétruite par Titus en l’an 70, et …continuent de pleurer sur cette destruction, malgré le million d’habitants qui la parcourent au quotidien…du fait que le temple, lui, n’a pas été reconstruit.
Pour une frange du peuple juif, la guerre des six jours n’a pas seulement été une victoire militaire miraculeuse, elle a été l’évènement qui a fait passer la Judée Samarie de mythique à réelle.
Jérusalem n’a jamais été désertée par les juifs, une communauté parfois plus nombreuse parfois extrèmement réduite y est toujours restée. C’est un peu le cas de Hevron, ce n’est pas le cas de la Judée Samarie.
La frange israélienne émerveillée par la guerre des six jours a vu l’éspérance messianique se réaliser.
Il devenait possible d’habiter les lieux bibliques, Tekoa la ville du prophëte Amos, Bet El, Shiloh, Elon Moreh sont autant d’implantations nommées bibliquement authentiquement, parce qu’elles sont sur les lieux exacts de leur mention historique.
Vivre sur de tels lieux historiques tient du miracle, surtout quand leur souvenir a survécu à deux mille ans d’exil.

Le problème tient précisément à cette actualisation de l’histoire. Si elle a énormément ému une partie du peuple israélien, elle a laissé indifférente l’entière communauté internationale non juive, et a révolté le monde arabe. Ses dirigeants qui se sentent menacés par ce retour (le point de litige le plus menaçant étant le fameux mont sur lequel se tiennent le dôme du rocher et la mosquée Al Aqsah : les juifs vont-ils pousser l’ivresse jusqu’à reconstruire leur temple, c’est à dire jusqu’a détruire ces hauts lieux de l’Islam ?) et la population arabe qui vivait sur place, a continué à vivre sur place et s’est aussi énormément développée (en partie du fait de la reconstruction d’Israël : quand Israël construit en Judée Samarie comme Efrat, Ariel, Betar et encore de nombreuses autres, qui sont les ouvriers du bâtiment ? Sinon les arabes locaux, auxquels se joignent les cousins éloignés domiciliés par exemple en Irak et qui accourent se « relocationner » pour raisons économiques !). Toute cette population est hostile, qui plus fortement qui de façon un peu plus tiède, à l’installation juive en Judée Samarie.

Le résultat est connu et ne fait pas qu’exploser de nos jours : le conflit autour de cette Judée Samarie a donc 56 ans, ces territoires ayant conservé depuis la guerre des six jours l’ambigu statut de « territoires occupés ».

Que va-t-il se passer ? Me demandait ce matin un cousin par alliance domicilié aux USA aujourd’hui mais après avoir habité quelques années en Israël, et inquiet de notre situation nationale et internationale de cette année 2023.

Que va-t-il se passer ? Je l’ai déjà écrit plusieurs fois : le sujet de notre crise n’est pas le mode d’élection des juges, ou la réforme judiciaire. Celle-ci n’est que l’instrument. Si elle est menée, elle permettra l’annexion des territoires, c’est en tout cas ce qui est visé expréssément, même si non évoqué à voix haute.

C’est expréssément visé, souhaité, rêvé, prié par toute la population religieuse de Judée Samarie en particulier, qui voit en Ben Gvir, Smotritch, Struck leurs sauveurs, ceux qui réalisent leurs rêves, tandis que le reste de la population les perçoit comme des individus dangereux, menant Israël et la région au désastre. Heureusement, même si elles sont rares, des voix se font entendre depuis le judaïsme religieux pour émettre des réserves si ce n’est condamner cette position reposant sur le principe de plaisir et sur le rêve, dans le mépris pour toute la population arabe reléguée au dernier rang des priorités, loin derrière la terre, ce qui est mépris pour les nombreux versets de la Torah ordonnant un comportement moral vis à vis du non juif résidant en Israël.

C’est le noeud de toute cette crise. La réforme judiciaire, les dispenses de service national des ultraorthodoxes ne sont que des corollaires, des sujets qui ont chacun leur importance mais qui ne sont nullement le centre du problème, centre tenu par cette énorme question des territoires.

S’ils sont annexés, outre le fait que cela se fait en contradiction avec le droit et l’opinion internationale, cela accentue crucialement un problème, peut-être inextricable, de droits de l’homme : quel statut recevraient les plusieurs millions d’habitants arabes de ces territoires ? Si le statut de citoyens, cela mettra Israël en péril, du fait de l’accroissement brutal de population non juive et hostile au sionisme que cela provoquera. Si le statut de non-citoyens, Israël devient un pays officiellement d’apartheid.

Situation inextricable.

Le temps semble être le seul élément qui ne provoquera pas de séïsme politico social.

Netanyahou l’a d’une part bien compris, en maintenant systématiquement le sujet sous le tapis tout au long de son mandat, mais malheureusement, tout en ayant compris, Netanyahou a fait l’autruche, a donné le problème en héritage à ses successeurs.

La stratégie Ben Gvir-Smotritch-Struk est bien différente, et complètement explosive comme le prouvent ces derniers huit mois. Leur attitude engendre la violence. Délibérément. C’est du messiannisme actif, militant. Leurs actes forceront le cours de l’histoire croient-ils.

Cela se passera-t-il dans le sens souhaité par eux ? Nul ne le sait…et surtout, une bonne frange d’habitants du pays expriment semaine après semaine qu’ils ne s’identifient pas à cette vision et ne laisseront pas se faire ce renversement magistral de situation internationale.

Où continuer ?

Il n’existe qu’une solution : celle de la parole…adjointe au temps, c’est à dire à la patience.

Tant que des évènements échappant à la réalité ou à la vision humaine (et la guerre des six jours appartient à cette catégorie) ne se produisent pas, il n’y a que la force (la violence) ou la parole.

Tout devrait pousser à la seconde. Elle est difficile. Nos ennemis ne veulent pas dialoguer disent les extrémistes. Même si cette réponse est forcément partielle (certains palestiniens voudront dialoguer, tous ne sont pas activement des ennemis), commençons par dialoguer entre israéliens, qui tous, veulent la continuation du projet sioniste et la paix pour leurs enfants, et veillons à notre langage et à notre conduite. Pour que le temps nous serve au lieu de servir à la haine, au lieu de nous désservir.

1 commentaire:

  1. Beaucoup aime ton article au coeur du probleme, et qui me tient tant a coeur...

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