La Judée Samarie est forcément au coeur de la sensibilité juive. C’est là-bas
qu’est né le judaïsme, les patriarches vivaient sur cette chaîne de montagnes
et nullement dans la vallée habitée par les philistins. Avraham s’installe à
Beer Sheva (située sur les monts du Neguev, qui prolongent la chaîne vers le
sud) mais c’est à « Kyriat Arba, qui est Hevron » (Genèse 23, 2.)
qu’il achète le lieu de sépulture de Sarah, sa femme.
Pour la tradition juive, ce ne sont pas seulement les trois patriarches et
leurs femmes qui sont enterrés dans ce caveau, ce sont aussi Adam et Eve,
premier couple de l’humanité d’après la Bible.
Les juifs ont pendant 2000 ans évoqué quotidiennement Jérusalem (on prie pour
la reconstruction de Jerusalem trois fois par jour lors de la prière, et aussi
dans la bénédiction de fin de repas), située au coeur de cette chaîne, et
Hevron, dans leur vécu religieux, ont souhaité de tout temps la reconstruction
de Jérusalem, détruite par Nabuchodonosor, reconstruite puis redétruite par
Titus en l’an 70, et …continuent de pleurer sur cette destruction, malgré le
million d’habitants qui la parcourent au quotidien…du fait que le temple, lui,
n’a pas été reconstruit.
Pour une frange du peuple juif, la guerre des six jours n’a pas seulement été
une victoire militaire miraculeuse, elle a été l’évènement qui a fait passer la
Judée Samarie de mythique à réelle.
Jérusalem n’a jamais été désertée par les juifs, une communauté parfois plus
nombreuse parfois extrèmement réduite y est toujours restée. C’est un peu le
cas de Hevron, ce n’est pas le cas de la Judée Samarie.
La frange israélienne émerveillée par la guerre des six jours a vu l’éspérance
messianique se réaliser.
Il devenait possible d’habiter les lieux bibliques, Tekoa la ville du prophëte
Amos, Bet El, Shiloh, Elon Moreh sont autant d’implantations nommées
bibliquement authentiquement, parce qu’elles sont sur les lieux exacts de leur
mention historique.
Vivre sur de tels lieux historiques tient du miracle, surtout quand leur
souvenir a survécu à deux mille ans d’exil.
Le problème tient précisément à cette actualisation de l’histoire. Si elle a
énormément ému une partie du peuple israélien, elle a laissé indifférente
l’entière communauté internationale non juive, et a révolté le monde arabe. Ses
dirigeants qui se sentent menacés par ce retour (le point de litige le plus
menaçant étant le fameux mont sur lequel se tiennent le dôme du rocher et la
mosquée Al Aqsah : les juifs vont-ils pousser l’ivresse jusqu’à reconstruire
leur temple, c’est à dire jusqu’a détruire ces hauts lieux de l’Islam ?) et la
population arabe qui vivait sur place, a continué à vivre sur place et s’est
aussi énormément développée (en partie du fait de la reconstruction d’Israël :
quand Israël construit en Judée Samarie comme Efrat, Ariel, Betar et encore de
nombreuses autres, qui sont les ouvriers du bâtiment ? Sinon les arabes locaux,
auxquels se joignent les cousins éloignés domiciliés par exemple en Irak et qui
accourent se « relocationner » pour raisons économiques !). Toute
cette population est hostile, qui plus fortement qui de façon un peu plus
tiède, à l’installation juive en Judée Samarie.
Le résultat est connu et ne fait pas qu’exploser de nos jours : le conflit
autour de cette Judée Samarie a donc 56 ans, ces territoires ayant conservé
depuis la guerre des six jours l’ambigu statut de « territoires
occupés ».
Que va-t-il se passer ? Me demandait ce matin un cousin par alliance domicilié
aux USA aujourd’hui mais après avoir habité quelques années en Israël, et
inquiet de notre situation nationale et internationale de cette année 2023.
Que va-t-il se passer ? Je l’ai déjà écrit plusieurs fois : le sujet de notre
crise n’est pas le mode d’élection des juges, ou la réforme judiciaire.
Celle-ci n’est que l’instrument. Si elle est menée, elle permettra l’annexion
des territoires, c’est en tout cas ce qui est visé expréssément, même si non
évoqué à voix haute.
C’est expréssément visé, souhaité, rêvé, prié par toute la population
religieuse de Judée Samarie en particulier, qui voit en Ben Gvir, Smotritch,
Struck leurs sauveurs, ceux qui réalisent leurs rêves, tandis que le reste de
la population les perçoit comme des individus dangereux, menant Israël et la
région au désastre. Heureusement, même si elles sont rares, des voix se font entendre
depuis le judaïsme religieux pour émettre des réserves si ce n’est condamner
cette position reposant sur le principe de plaisir et sur le rêve, dans le
mépris pour toute la population arabe reléguée au dernier rang des priorités,
loin derrière la terre, ce qui est mépris pour les nombreux versets de la Torah
ordonnant un comportement moral vis à vis du non juif résidant en Israël.
C’est le noeud de toute cette crise. La réforme judiciaire, les dispenses de
service national des ultraorthodoxes ne sont que des corollaires, des sujets
qui ont chacun leur importance mais qui ne sont nullement le centre du
problème, centre tenu par cette énorme question des territoires.
S’ils sont annexés, outre le fait que cela se fait en contradiction avec le
droit et l’opinion internationale, cela accentue crucialement un problème,
peut-être inextricable, de droits de l’homme : quel statut recevraient les
plusieurs millions d’habitants arabes de ces territoires ? Si le statut de
citoyens, cela mettra Israël en péril, du fait de l’accroissement brutal de
population non juive et hostile au sionisme que cela provoquera. Si le statut
de non-citoyens, Israël devient un pays officiellement d’apartheid.
Situation inextricable.
Le temps semble être le seul élément qui ne provoquera pas de séïsme politico
social.
Netanyahou l’a d’une part bien compris, en maintenant systématiquement le sujet
sous le tapis tout au long de son mandat, mais malheureusement, tout en ayant
compris, Netanyahou a fait l’autruche, a donné le problème en héritage à ses
successeurs.
La stratégie Ben Gvir-Smotritch-Struk est bien différente, et complètement
explosive comme le prouvent ces derniers huit mois. Leur attitude engendre la
violence. Délibérément. C’est du messiannisme actif, militant. Leurs actes
forceront le cours de l’histoire croient-ils.
Cela se passera-t-il dans le sens souhaité par eux ? Nul ne le sait…et surtout,
une bonne frange d’habitants du pays expriment semaine après semaine qu’ils ne
s’identifient pas à cette vision et ne laisseront pas se faire ce renversement
magistral de situation internationale.
Où continuer ?
Il n’existe qu’une solution : celle de la parole…adjointe au temps, c’est à
dire à la patience.
Tant que des évènements échappant à la réalité ou à la vision humaine (et la
guerre des six jours appartient à cette catégorie) ne se produisent pas, il n’y
a que la force (la violence) ou la parole.
Tout devrait pousser à la seconde. Elle est difficile. Nos ennemis ne veulent
pas dialoguer disent les extrémistes. Même si cette réponse est forcément
partielle (certains palestiniens voudront dialoguer, tous ne sont pas
activement des ennemis), commençons par dialoguer entre israéliens, qui tous,
veulent la continuation du projet sioniste et la paix pour leurs enfants, et
veillons à notre langage et à notre conduite. Pour que le temps nous serve au
lieu de servir à la haine, au lieu de nous désservir.
lundi 28 août 2023
Pour qui le temps travaille-t-il ?
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Beaucoup aime ton article au coeur du probleme, et qui me tient tant a coeur...
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