À l’école maternelle, dans le cercle familial où évoluent de petits enfants,
les conflits sont nombreux et surgissent souvent. « Il m’a pris la place à
laquelle je voulais être assis ! Il joue avec cette voiture qui est à moi ! Il
a reçu plus de gateau que moi ! Lui, on lui donne toujours raison ! ».
Autant de situations auxquelles sont confrontées les institutrices de petite
section, et qu’elles gèrent différemment selon leur approche mais aussi selon
leur niveau. Certaines vont étudier telle ou telle approche, celle de
Montessori, celle de Steinee, certaines vont user de leur personalité, de leur
charisme, de leur charme, de leur contact personnel avec les enfants et faire
ainsi régner ou revenir l’ordre et la paix dans les coeurs. Certaines, moins
bien dotées auront plus de mal, recoureront plus à l’autoritarisme, élèveront
la voix. Certaines useront de violence, menaces de correction, ou correction.
À l’école primaire ces situations perdurent mais elles se font plus rares, et
on a coutume d’y voir l’effet températeur de la maturité. Les enfants sont
moins vulnérables, ont acquis de la capacité verbale, de la finesse, de la
patience, de la tolérance. Par eux-mêmes mais aussi grace à une éducation par
laquelle on leur a enseigné cet affinement progressif de la confrontation avec
autrui qui me prend ce que je pense être à moi, qui est en conflit avec moi,
qui peut être jaloux de moi, ou qui peut même me détester pour différentes
raisons, incluant la couleur de ma peau ou mon appartenance ethnique ou
religieuse.
À l’école maternelle il n’y a en général ni racisme ni antisémitisme, mais il y
en a à l’école primaire, et il y en a encore plus au collège ou au lycée. Parce
que les conflits ne sont plus les mêmes que durant la petite enfance.
Pourtant parfois, le langage est le même. Ce n’est plus « il a pris ma
place, ma voiture » mais cela peut devenir « ces étrangers prennent
notre travail! » ou encore « tes parents ont tué Jésus ! Mes parents
me l’ont dit! ».
Le rôle de l’éducation ici aussi est primordial et l’enseignement doit ici
intervenir, doit être l’adulte de qui l’autorité doit s’imposer mais de façon à
laisser le dialogue et la raison se faire entendre. On croit encore que
l’enseignement par exemple des faits de la shoah pourra aider à limiter
l’apparition de l’antisémitisme dans les conflits interpersonnels au lycée.
Qu’en est-il de l’âge adulte ?
Est-on dans la même perspective ?
Les adultes qui ont des conflits interpersonnels, des conflits d’argent ou des
confluts territoriaux ou inter éthniques, intercommunautaires sont-ils le
prolongement des conflits de l’école maternelle ?
Il faut bien admettre une certaine similitude, une certaine analogie.
Mais il est indispensable de voir au moins deux différences majeures : les
conflits adultes découlent généralement d’idéologie ou les intérêts sont
teintés idéologiquement dans la plupart des cas « il me prend ceci parce
que cela ! », et deuxième différence, il n’y a plus de situation d’enfant
face à adulte. L’adulte est représenté par le juge et par le policier et
ceux-ci n’ont aucun rôle pédagogique. Ils n’interviennent que quand l’incendie
s’est déclaré, quand il y a eu infraction.
Et cependant l’analogie subsiste parce que l’individu qui sort de ses gonds
émotionnellement, ou idéologiquement (adhère à une cause qui fera de lui tôt ou
tard un agresseur ou un meurtrier) est un individu qu’il faut sinon éduquer au
moins encadrer, accompagner, raisonner.
Le conflit antisémite a-t-il disparu de la surface de la terre ? Sûrement pas.
Même une fois qu’ont été sus et montrés les terribles faits engendrés par lui,
que cela ait été au cours des croisades, de l’inquisition ou de la shoah. Les
mouvements néonazis ont refait surface, l’antagonisme duquel les sources sont
une croyance religieuse ont perduré, et la xénophobie continue d’être bien
présente, surtout quand l’humanité rencontre le phénomène de migration.
Comment comprendre la persistence de ces phénomènes ? Comment gère-t-on cela ?
Les adultes reçoivent d’une bonne éducation le message que les conflits doivent
se gérer par la parole plutôt que par la force, et ils doivent avoir acquis la
conscience que l’agressivité, la violence, le vol, le viol et le crime sont non
seulement répréhensibles mais réprimés.
C’est le rôle de la société. Créer des villes et les administrer, avec des
structures, des autorités, des juges et des policiers. Et les adultes mettent
en place des structures de dialogue, de mise en place de lois. Les adultes étudient
ces sujets à l’aide d’outils intellectuels et peuvent ainsi ne pas seulement
avoir recours à la force et à la violence. Le réalisme convainct - ou devrait
convaincre - même les plus pacifistes que les armes et les armées demeurent
indispensables, parce que les situations ou l’individu doit se défendre sont
soit le pain quotidien de certaines situations, soit peuvent surgir.
L’état d’Israël est ainsi un état dont l’existence a été votée à l’ONU, mais à
laquelle se sont opposés tous les pays arabes principalement, ce qui a provoqué
la guerre d’indépendance et ce qui justifie pleinement l’existence d’une armée
(qui s’auto-désigne « armée de défense d’Israël », désignation qui
peut et doit être une source de fierté de chaque israélien), et l’investissement
massif dans le perfectionnement des moyens d’assurer cette défense.
La guerre d’indépendance a été miraculeusement gagnée, et ainsi en a-t-il été
de la guerre des six jours, cette deuxième repoussant encore plus
miraculeusement les frontières de notre petit pays bien au-delà des accords
votés à l’ONU en 1948.
Et voici comment s’est trouvée crée une situation de conflit territorial, qui
rappelle curieusement l’école maternelle. Chacune des deux populations en
présence prétend à la souveraineté sur ces territoires que sont la
Judée-Samarie, le Golan, et la partie est de Jérusalem.
Après 67, le Sinaï faisait partie de cette liste mais il a été rétrocédé à
l’Egypte en 1977.
Pourquoi rendre le Sinaï, annexer Jérusalem et le Golan, et ne pas rendre la
Judée-Samarie ?
Il y a controverse internationale sur ce sujet qui dure maintenant depuis 56
ans, et dont la gravité empire au rythme de la démographie : il y a maintenant
énormément plus de population directement concernée par cette situation qu’il
n’y en avait au lendemain de la guerre des six jours en 1967.
Dans le paysage politique israélien, les termes de « gauche » et de
« droite » n’ont quasiment plus aucune signification sociale et
économique, mais ils sont devenus exclusivement consacrés à cette question
territoriale, la gauche souhaitant la restitution au moins partielle des
territoires aux palestiniens, la droite les revendiquant farouchement, qui au
nom de la récente histoire d’Israël (les frontières de 48 ne sont pas vivables,
la guerre des six jours était une guerre de défense et ses résultats sont la
situation avec laquelle les voisins et le monde doivent composer), qui au nom
de l’histoire pluri millénaire du peuple juif (c’est à Hevron, Bet El, Shekhem,
Shilo, Bet Lekhem qu’ont vécu les patriarches, qu’est née l’entité Israël puis
qu’a vecu le peuple juif durant 1500 ans jusqu’à la destruction du templa par
les romains en 70 et l’exil qui s’en est suivi).
L’actuel gouvernement est une coalition de droite tandis que les gouvernements
de la majorité des périodes de l’histoire récente ont soit officiellement été
des gouvernements d’union nationale soit dans la réalité.
Israël peut-elle être administrée tout entière sur base de l’idéologie de
droite ? C’est ce que prétend ce gouvernement.
Cela fonctionne-t-il ? Nous sommes après huit mois de manifestations et
de recrudescence du terrorisme ainsi que d’une explosion de la violence au sein
de la population arabe.
La situation se calmera-t-elle comme à l’école primaire et au collège, du fait
que les adultes feront régler l’ordre et empêcheront la violence ? C’est
l’illusion de laquelle se bercent les partisans farouches de l’actuelle
politique, sans se rendre compte que si l’enfant qui élève la voix parce qu’on
lui a pris son jouet n’est qu’un enfant qui va se laisser raisonner par un
adulte, l’adulte qui conserve le même mode de réaction et d’exigence devient
fasciste et dictatorial à son insu.
Sommes-nous dans une situation d’éducation ? Il faudrait pour cela que le pays
soit gouverné par des adultes responsables, ceux de qui l’autorité est
reconnue, en raison des rôles dont ils sont investis mais aussi en raison de
leur comportement, de leur autorité morale, intellectuelle, religieuse.
Est-ce notre situation ? Quand le ministre de la sécurité intérieure et la
ministre affectée aux territoires ont des discours et des comportements plus
pyromanes que pompiers ? Quand leur discours et leurs exigences sécuritaires
transforment le rôle de l’armée et la pervertissent, la font devenir non plus armée de
défense mais armée d‘occupation. Quand les ministres du trésor, de la
communication parlent et agissent de façon ouvertement discriminatoire ou
coercitive si ce n’est liberticide ? Quand de surcroît le ministre de la
justice et le député en charge de la commission du droit et de la justice
mènent à grand bruit et avec énorme agressivité une politique de réforme visant
à restreindre si ce n’est supprimer les limites aux décisions qui seront prises
par le gouvernement ?
Quand semble-t-il l’autre moitié (même si la coalition dispose de 64 voix
contre 56 à l’opposition, les voix exprimées lors de la dernière consultation
électorale sont bel et bien à 50-50, certains partis comme meretz ou une partie
du vote arabe n’ayant pas atteint le seuil de l’éligibilité ils ne sont pas représentés
à la knesset mais leurs voix existent bel et bien ) ne peut s’associer ni même
composer avec ce mouvement « à droite toute » !
Il parait clair que non. Nous ne sommes pas dans une situation de collège ou
d’éducation, et il n’y a pas au gouvernement ni dans la coalition les adultes
qui pourraient faire revenir ou conserver l’ordre. Il y a des individus qui
parlent et agissent comme les enfants dans la classe non tenue ou la cour de
récréation, mais ayant acquis au passage les outils guerriers que l’on proscrit dans les écoles.
La démocratie n’étant pas uniquement le fait qu’il y a un gagnant et un perdant
aux élections, ce qui donnerait le droit à la majorité de cesser de tenir
compte de la minorité, notre situation n’étant pas par ailleurs une situation
de réelles majorité et minorité mais une situation de confrontation de deux
parties égales en nombre, notre pays étant par ailleurs encore en situation
sécuritaire vulnérable et la question de la Judée Samarie le nœud de cette extrasensibilité
territoriale, il parait évident que « raison retrouver » s’impose, au
nom de la raison, au nom de la sécurité, au nom de l’avenir de nos enfants, au
nom de notre présent, au nom de notre renommée internationale (à laquelle des
comportements, des déclarations et des décisions tels ceux de Ben Gvir, Struk, Smotritch,
Amsallem, Karei et cie nuisent énormément et probablement à long terme), et
aussi au nom de la préférence pour une solution démocratique et raisonnée aux
conflits plutôt qu’une solution autoritariste ou dictatoriale.
J’appelle donc encore à un retour non à la consultation (il y aurait encore
cette égalité, ce 50-50, et nous avons trop de fois été aux urnes ces dernières
années) mais à la raison, à la réflexion, à la discussion.
Il n’y a pas en Israël de sénat, de lieu où puissent siéger et travailler non
des politiciens en quête de siège et de pouvoir mais des personnages de niveau,
émanant du monde universitaire, du monde rabbinique, de l’islam, de la science,
et c’est l’urgence. Il faut créer aujourd’hui une telle instance.
Il faut laisser ce gouvernement - si à droite soit-il - travailler, à condition
qu’il se reprenne, qu’il ajourne ses déterminations auxquelles s’omposent la
seconde moitié du pays, et qu’il accepte de se limiter à la gestion sociale,
économique et sécuritaire du pays, tandis que ce sénat s’attellera à la lourde
tâche de la mise en place de cette Constitution qui fait défaut depuis 75 ans,
laquelle devrait aider à gérer ces difficiles « vivre ensemble »
desquels ce pays s’est donné le challenge.
C’est un extraordinaire challenge ! Ne le laissons pas se noyer dans la
violence, dans le racisme, dans les conflits religieux ! C’est la raison d’être
de l’état d’Israël et l’humanité israélienne en premier lieu, et l’humanité
toute entière sont en attente de son aboutissement.
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