Quel est notre
agenda, quand nous ne sommes pas au front, quand nous ne faisons pas
directement le deuil d’un proche, aux moments où nous ne sommes pas aux côtés
de quelqu’un à accompagner affectivement et émotionnellement?
Certains sont rivés aux informations, aux articles, certains passent à la phase
des accusations, des règlements de compte, et recherchent qui a la
responsabilité de cet immense échec, de ce gouffre dans lequel nous sommes
brusquement tombés samedi aux aurores, quand, alors que nous fêtions Simkhat
Torah, un ennemi barbare réussissait à nous surprendre et à assassiner plus de
1000 innocents, de tous les âges, à kidnapper plus de 200 civils et militaires.
Je suis persuadé que notre agenda le plus important et le plus urgent, le plus
constructif est d’étudier. Etudier pour apprendre. Apprendre aussi à réfléchir.
Lévinas, en marge de sa lecture talmudique dans le cadre du colloque des
intellectuels juifs consacré au pardon (première lecture du recueil “quatre
lectures talmudiques) …enseigne la leçon biblique de l’épisode de la grande
famine qui frappa le pays sous le règne de David ( Shmuel II 21).
David, en chef d’état, ne resta sûrement pas inactif et oeuvra à nourrir la
population, mais ce n’est pas ce que nous raconte le texte. Peut-être comme
pour dire que le texte n’est pas là pour conter l’évidence. Le texte nous
raconte que David réfléchit. Il cherche les causes de la situation.
La situation est une situation de famine, donc de catastrophe que nous
qualifierions aujourd’hui de catastrophe naturelle, et il cherche la cause.
Peut-être est-ce la première leçon : agir certes, être aux côtés d’autrui,
combattre, mais aussi réfléchir. Intégrer le présent dans une structure
cause-conséquence. Peut-être est-ce aussi cela “être juif”.
Donc il réfléchit, il cherche, et il aboutit à une première conclusion, qui est
peut-être la deuxième leçon :”c’est de ma faute”. Peut-être cette conclusion
nous paraît-elle un peu excessive. J’aurais tendance à l’exprimer plutôt :”je
vais chercher ce en quoi je peux avoir apporté ma contribution à cette
situation de famine”. Peut-être ceci indique-t-il ce qui va être le plus
potentiellement fructueux dans ma réflexion : chercher le coupable chez autrui
ou me plonger en introspection…on semble ici être nettement conduits par le
texte vers la deuxième option.
Et David parvient à la conclusion qu’il a une part de responsabilité dans le
massacre (pourtant effectué par Shaül quand il le poursuivait lui, David !) de
la ville de Nov, massacre qui a lésé les guiveonim dont l’entretien et le
service des habitants était la principale source de revenus.
Shaül a fait un massacre parmi les cohanim (Nov était une ville de cohanim. N’a
survécu que Eviatar) et la faute que s’attribue David est une faute qui parait
vraiment au delà des limites de sa responsabilité (mais, et c’est probablement
la troisième leçon, peut-être le chef de l’état n’a pas le privilège de plaider
son innocence, peut-être doit-il assumer la responsabilité de tout ce qui se
passe tandis qu’il est en poste).
Et David se tourne vers les guibeonim et leur demande comment il peut réparer
le préjudice qui leur a été causé. Et ceux-ci exigent que leur soient livrés
cinq fils de Shaül. Et David les livre, et les guibeonim se comportent avec eux
comme des barbares. Ils les mettent à mort et les clouent sur la muraille de la
ville.
Et la famine cesse.
Le talmud tire de ce conte un étonnant enseignement : c’est cet épisode qui met
fin au serment fait par Josué quatre cents ans plus tôt aux guibeonim. De ce
moment, les hébreux ne sont plus tenus à responsabilité vis à vis d’eux.
Pourquoi ? Parce qu’ils ont prouvé qu’ils n’ont rien appris au contact
d’Israël, ils ne sont pas devenus “rahmaniim bné rahmaniim. Ils n’ont pas
développé la pitié, la compassion qui caractériserait Israël à en croire le
talmud.
Quatrième leçon : on ne reste pas indéfiniment tenu aux serments de nos
ancêtres. Les évènements influent sur la morale, ce n’est pas que l’inverse est
absolu. Il faut devenir capable de demander pardon. A autrui.
Mais il y a peut-être ici une dimension que ni le talmud ni Lévinas
n’envisagent et qui est peut-être la cinquième leçon de cette histoire
pluricentenaire : Josué a été berné par les guibeonim lors de la conquête du
pays et il s’est trouvé contre son gré et au détriment du peuple, sur plusieurs
générations, contraint à vivre avec eux.
Il n’avait pas choisi leur présence et elle lui a été imposée.
Le peuple juif a ainsi admis en son sein une peuplade qui lui était étrangère,
qui n’avait aucun droit à la loi du retour.
Et cette peuplade lui a finalement été une plaie jusqu’à l’épisode, douloureux
lui aussi, qui a permis la rupture du contrat.
Mais n’aurions-nous pas aujourd’hui un autre regard ? Ne dirions-nous pas que
cette condition de sous citoyens dans laquelle ont été maintenus par les
hébreux les guibeonim a été la raison - ou au moins a joué dans le sens - de
leur non intégration, la raison de leur stagnation à un niveau humain de non
clémence, non élévation ethique ?
Sommes-nous, israéliens d’aujourd’hui face à une situation analogue ?
Saurons-nous retirer la substantifique moelle de notre Histoire et ainsi
justifier ce H majuscule ?
Ce serait probablement plus urgent et plus fructueux que de se jeter à corps
perdu dans la chasse aux sorcières.
Jean,
RépondreSupprimerJ'ai bien suivi le résumé de la leçon de Levinas, de la nécessaire introspection afin de tirer les leçons d'une situation atroce mais ta conclusion finale selon laquelle nous serions en fin de compte responsables de la non clémence) quel joli euphémisme (des palestiniens, m'amène a deux pensées: la première tend plus vers le masochiste tandis que l'autre serait plus optimiste, voir utopique.
Pourquoi masochiste? Parce que nous rendre responsable de leurs tares reviendrait à dire que " si tout le monde hait tant les juifs c'est qu'il y a bien une raison'. En d'autres termes, les Juifs sont toujours responsables de ce qu'ils subissent. Cette idée pourrait bien correspondre à la responsabilité infinie chère à Levinas, qui nous rend responsable aussi d’autrui, mais il me semble que Levinas lui-même n'était pas aussi naïf que cela pour croire que cette exigence éthique ne souffre pas d exceptions (cf Heidegger)). Selon cette logique implacable nous serions responsables des pogroms des communautés de Worms, Spur et Mayance, responsables aussi de l'expulsion d'Espagne et de l’Inquisition, responsables aussi de la non clémence de Khmelnytskyï et de Hitler… et tu sais parfaitement qui tient ce genre de discours.
Et maintenant pourquoi optimiste ou utopique? Parce que c'est supposer que si nous pouvions avoir un jour une attitude irréprochable, les autres peuples cesseraient alors de nous faire souffrir puisqu'ils n'auraient plus de raisons de nous haïr.
Je suis beaucoup moins optimiste que toi. Non pas parce que nous ne pourrions pas être un jour irréprochable mais a cause du midrash racontant que Nabuchodonosor ayant disperse les Nations nous ne pouvons plus savoir qui est Amalek; mais est ce que le fait de ne plus savoir qui il est, nous empêche t’il de combattre le Mal? Peut être que le fait de ne plus savoir qui il est spécifiquement justement ne nous permet plus d'éradiquer le Mal une fois pour toute, mais que son mélange entre les Nations lui assure une pérennité: que si nous avions pu espérer un jour que le Mal aurait une fin, que le progrès ne serait pas seulement un progrès scientifique et technologique mais qu' il serait aussi un progrès éthique qui nous mènerait a une Paix universelle et bien non. Amalek est toujours présent, désormais ineradiquable; apparaissant chaque fois sous d'autres facettes, et d'autres noms. Pour le Rav Soloveitchik dans Kol Dodi dofek, il s agissait de Nasser et Choukery, aujourd'hui il s'appelle Hamas, Hizbolah ou Haminahi.
Tu sais aussi que les commentateurs se demandent pourquoi La Thora a gâché des versets pour nous nommer la descendance d' Esaü qui étaient tous de mauvaises gens, et bien nous dit Maimonide dans le Guide pour que tu saches qu' il y a des degrés dans la Mal: des gens mauvais il y en a beaucoup mais Amalek il n y en a qu'un seul. Et toujours selon Levinas, un homme sait toujours intuitivement ou est le Bien, alors il sait aussi tout aussi surement ou est le Mal. Et cette semaine nous le savons tous.
Alors, je suis prêt a être responsable d'autrui pour bâtir un Monde meilleur; mais pas a être responsable d'Amalek: je m'en rendrais complice: nous nous devons de le dénoncer et de le combattre même si nous savons pertinemment que nous ne pourrons en venir a bout définitivement. Quand le Messie viendra, alors…
En attendant a nous de nous améliorer, de rebâtir une union qui nous a fait cruellement défaut ces derniers temps et que dans ce domaine aussi chacun de nous, comme David, devrait se demander en quoi n'est il pas responsable de cette situation !
merci de ce commentaire, mais alors que je fais le maximum d'efforts pour peser mes mots , et les termes que j'emp^loie, pourquoi ne pas essayer de faire de même dans le commentaire ? autrement dit, pourquoi partir sur les chapeaux de roue et m'incriminer de dire que nous sommes responsables de la non clémence de qui que ce soit ? est-ce ce que je dis ? j'ai tenté de dire que l'exemple donné ici par le roi David consiste à se demander quelle est sa part de responsabilité dans ce qu'il est conraint de vivre, pas consiste à prendre sur lui l'entière responsabilité des fautes commises par autrui. La preuve est le prix que la tradition pense qu'il faut faire payer aux guibeonim. Chercher quelle est sa propre part de responsabilité aide juste à sortir de l'éternel jeu de ping pong selon lequel on renvoie toujours la responsabilité sur l'autre. Dans tout ce qu'il m'arrive j'ai forcément une possibilité de jouer sur la part que je prends. Cela ne dédouane en rien l'autre de ses actes et de la responsabillité qu'il a, que la justice lui donnera, que ses enfants hériteront de lui.
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