lundi 30 octobre 2023

Lekh lekha et vayéra de l'année 2023

texte publié à l'occasion de la bat mitzva de ma cousine, ce shabbat à Paris.

 

Les deux parchiot lekh lekha et vayéra sont en général considérées comme une unité, et, ainsi que le précise Y.Leibovitz, bien que le thème central en soit Avraham, il faut ne pas considérer ces deux textes comme la biographie d’Avraham.

Le texte est ainsi extrêmement avare de détails de vie, la naissance d’Avraham et sa mort appartiennent à deux autres parchiot, et les évènements de sa vie au sens où on l’entend généralement (mariage, vie professionnelle, réussites, échecs, états d’âme)  n’apparaissent en fait que partiellement et parcimonieusement dans le texte biblique.

De façon générale on peut être à plusieurs reprises étonné à la lecture du texte de combien il n’est qu’une illusion de récit chronologique. Ainsi par exemple, on nous relate l’arrivée en terre d’Israël, et le texte précise qu’ “à ce moment le cananéen habite la terre” (Genèse 12, 6) . On s’attend à ce que nous soient détaillés ce que cette phrase implique, or le texte passe directement à “il y eu une famine” (Genèse 12, 10), qui conduit Avraham à aller en Egypte, où a lieu le bizarre épisode induit par l’étonnante consigne donnée par Avraham à Sarah “dis que tu es ma soeur” (Genèse 12, 12), épisode qui parait donner immédiatement lieu (Genèse 12, 19) au renvoi d’Avraham d’Egypte…mais alors qu’on s’attendrait à ce qu’Avraham ait à nouveau à se mesurer avec la famine, il n’en est plus question, au contraire, Avraham est devenu riche.

Quand et comment ceci s’est-il produit ? combien de temps s’est écoulé ? Ce n’est pas le sujet du récit biblique.

La suite porte surtout sur ses relations à son neveu Loth avec lequel ils se partagent le pays (Genèse 13, 8) afin de ne pas se quereller, et tout de suite après se produit l’enlèvement de Loth par des rois qu’Avraham poursuit jusqu’à Dan (Genèse 14) pour y reprendre kidnappés et butin dérobé, c’est à dire afin semble-t-il de nous conter un épisode d’agression non justifiée contre sa famille ayant eu lieu dans le sud du pays, ayant fait l’objet de la réaction la plus morale qui soit de la part d’Avraham (Genèse 14, 22 et 23) et ayant eu  des répercussions jusqu’à la frontière nord.

On voit donc Avraham plus occupé à gérer ses relations interpersonnelles, avec son neveu, avec ses voisins (Pharaon, Avimelekh) et face à l’hostilité locale (kidnapping et la répétition des noms des peuples qui vivent à ce moment dans le pays) qu’à mener sa vie personnelle.

Et il est bien difficile de ne pas voir en quoi ces parchiot que nous lisons dans le texte semaine après semaine, ne sont pas en synchronie avec notre vécu de ces jours-ci vraiment.

 

Ce qui nous mobilise, tout le peuple d’Israël, intramuros et à travers le monde, ce n’est pas notre croissance économique, l’éducation de nos enfants, nos réussites ou échecs personnels ou nationaux, c’est notre relation à un ennemi que nous considérons comme voisin et qui ne souhaite que notre disparition, un ennemi qui vient de se livrer à une agression spontanée ayant causé la mort d’un très grand nombre de gens de toutes sortes (militaires et civils, bébés et vieillards, valides et invalides, juifs et non juifs, israéliens et non israéliens).

Comme si ce texte racontait une histoire générique, que peut avoir à rencontrer répétativement le peuple juif, plutôt que le témoignage d’une histoire s’étant une seule fois produite avec un héros bien précis.

 

Comme si la Torah n’était pas un livre d’histoire des hommes mais le livre de l’histoire de l’humanité de l’homme.

Ceci est bien l’histoire d’Avraham, en ce qu’il prend sur lui l’élévation de l’humanité à un plus haut et plus moral niveau.

Dans la paracha Noah’ surgissait dans le texte hébraïque (Genèse 6, 11) le mot Hamas (dont la traduction littérale est violence ou iniquité et dont la traduction en araméen selon Onquelos est…”kidnappés”), et on nous présentait Noah’ comme le seul individu jugé digne de survivre, comme celui qui recevait l’injonction “fais pour toi une téva” (Genèse 6, 14) , ce mot dont la signification est aussi bien “une arche” qu”un mot”. Noah sait faire l’arche et dans la progression de l’humain vers l’humanisme il faut attendre Avraham pour qu’un individu prenne sur lui de faire progresser l’humain par des mots, par le premier message humaniste de l’histoire de l’humanité.

Dans la paracha lekh lekha, lue cette semaine, il y a entre autres cet enlèvement de Loth et la mention deux fois réitérée des habitants du pays qui ne sont pas sans résonner dans nos oreilles éprouvées d’une dure actualité.

Être juif signifie prétendre à un niveau d’humanité selon lequel la vie d’un kidnappé est la chose primordiale, celui-ci fût-il un cousin avec lequel les relations sont plutôt fraîches.

Être juif signifie frapper son ennemi mais en gardant visage humain même si celui-ci a manifesté la plus grande déchéance humaine possible.

Un des assaillants du hamas du 7 octobre explique au cours de son interrogatoire que le quartier général de l’organisation - qui n’est pas digne d’être qualifiée politique ni même terroriste tant elle s’est affichée au-delà, comme criminelle et inhumainement meurtrière - est situé sous le plus gros hôpital de Gaza parce qu’ils savent qu’Israël n’attaquera pas un hôpital ni une école, aussi utilisées par le hamas comme arsenals, lieux d’où sont tirées les roquettes.

La paracha lekh lekha contient aussi un élément à faire frissonner et c’est la prédiction au sujet d’Ishmaël appelé à ne pouvoir que se distinguer comme “un sauvage dont la main est partout et qui s’approprie tout” (Genèse 16, 12). “Et il se maintiendra à la face de tous ses frères” conclut tragiquement le verset. Est-ce inéluctable ? Irréparable ? Les évènements du 7 octobre sont une dramatique illustration…

Parmi les assaillants de la boucherie du 7 octobre se trouvaient aussi des travailleurs des villages assaillis, travailleurs jusqu’à la veille en bonne relation avec leurs employeurs (20000 gazaouïtes recevaient au quotidien l’autorisation de passer la frontière pour venir travailler en Israël), et qui viennent s’associer à leur massacre aujourd’hui. Parmi les victimes et les kidnappés se trouvent bon nombre d’individus dont l’occupation majeure était le militantisme pour la paix, le convoi régulier de malades gazaouïtes vers les hôpitaux israéliens.

Dès le 7 octobre, après dix mois de crise de politique intérieure, qui incluait de la part de la moitié du pays un vif désaveu de la majorité au gouvernement, le pays israélien entier est unifié derrière le combat et le soutien, gauche et droite, religieux et séculiers, avec un niveau de volontariat rarement égalé, que ce soit pour consoler les familles des victimes, pour prendre en charge les individus déséquilibrés mentalement par le choc du 7 octobre, pour soutenir les individus déplacés pour raisons militaires, pour aider à l’agriculture et plus encore.

Le monde extérieur a manifesté sa désapprobation de l’action du hamas, tous ne se joignant cependant pas à la condamnation de la cruauté, et l’impression dominante est que ce mouvement de soutien pour beaucoup aura été d’extrêmement courte durée, vite remplacé par un tollé de condamnation de la force militaire réactive d’Israël, très souvent encore avant l’examen des faits réels, comme par exemple l’incident du 9 ou 10 octobre. Ce jour, un feu tomba sur le lieu d’un hôpital de la partie sud de la bande de Gaza. Il ne s’était pas passé plus de quelques minutes que le “massacre des cinq cents victimes commis par Israël” était dénoncé, que ce soit par le sinistre chef de l’autorité palestinienne qui décrétait sur le champ trois jours de deuil national, et qui parlait de “génocide israélien du peuple palestinien”, que ce soit par notre “ami” de toujours le président turc, que ce soit par la gauche européenne et américaine…avant qu’il apparaisse que rien de tout ce qui était dénoncé ne s’était produit. Il ne s’agissait ni d’un bombardement israélien, ni de feu tombé sur l’hôpital, ni de plus de quelques dizaines de victimes…d’un tir palestinien qui n’avait pas réussi à sortir de la bande de Gaza et était tombé (accidentellement ou volontairement?) sur le parking de cet hôpital faisant quand même quelques morts mais ne s’approchant pas de la cheville du “massacre israélien” dénoncé spontanément.

Dénoncé spontanément par des gens qui avaient déjà oublié qu’un “massacre pour de vrai” avait été commis, par leur propre peuple en ce qui concerne Abou Mazen, deux ou trois jours plus tôt. Un massacre qui dépassait de loin le niveau pogrom, qui avait inclus des bébés, des vieillards, des invalides, un massacre qui avait été accompagné de tous les actes les plus vils auxquels sait recourir l’humain, même quand il descend lui aussi d’Avraham.

Le message d’Avraham n’est pas qu’un message de paix, de bienveillance, de fraternité. Il est un message de révolution.

L’individu doit se révolutionner pour savoir ne pas tomber dans les agissements les plus vils. Ishmaél peut-il aussi se révolutionner et donner naissance à un islam qui rejettera cette partie de lui-même ? C’est un challenge qui leur incombe. C’est le véritable challenge qui devrait animer cette gauche qui se dit militer en faveur du peuple palestinien. Rien ne peut plus enfoncer le peuple palestinien que la justification internationale de ce massacre. Rien ne peut plus aider le peuple palestinien que la renonciation à ce combat armé accompagné de négation de l’humain.

Le judaïsme exprime cela sous la forme des mitzvot. C’est avant tout le rôle des mitzvot : mettre en action au quotidien un niveau d’exigence maximal de soi.

C’est par ce niveau d’exigence qu’Avraham dépasse de loin le programme noahide. Pour la tradition juive, Noah aussi émet des obligations, des mitzvot, au nombre de sept.

Avraham mis en mots par la Torah porte ce nombre à 613, un chiffre encore augmenté à 620 par les sages de l’après destruction du temple et envoi en exil du peuple juif par les romains.

Le peuple juif depuis Avraham vient s’installer sur la terre d’Israël et y est mal reçu.

Sans retourner vers l’Antiquité, le présent est témoin du caractère générique conté par la Torah à travers le procès intenté aujourd’hui contre le sionisme, vu par certains comme une excroissance coupable du judaïsme, alors qu’il n’est rien d’autre que la réactualisation du projet avrahamique, vu par certains comme un colonialisme alors que les juifs ne sont venus s’installer sur cette terre non en colonisateurs impérialistes, riches et arrogants, mais uniquement en tant qu’individus, meurtris des coups donnés par l’histoire récente qui était la leur, forts de leur seule force de travail et de leur intention de faire fructifier la terre et l’humanité, comme le fit Avraham. Un mouvement vu par certains comme un crime à l’encontre de la population locale alors que les terres sont au départ toutes achetées, alors que la population locale non seulement n’est pas exterminée mais croît en nombre et en niveau socio-économique en parallèle de celle d’Israël.

Le phénomène d’antisionisme contemporain est finalement identique à une certaine opposition rencontrée par Avraham, puis par son fils et son petit-fils, mais le vingt et unième siècle vient montrer non seulement qu’il y a de la place pour vivre côte à côte selon les chiffres de l’an 1900 quand vivent sur place une poignée de juifs et guère plus de population locale, non encore désignée comme palestinienne, mais aussi selon les chiffres de 2023, qui sont de près de huit millions de juifs pour quatre ou cinq millions de palestiniens.

Il y a non seulement la place pour tous, mais il y a la possibilité de vivre côte à côte - tout au moins jusqu’au 7 octobre 2023 jour de l’aube d’une ère nouvelle qui n’est pas encore définie mais qui change la donne.

Il y a la place pour tous, tout n’est question que de décision.

La Bible montre les alliances contractées entre Avraham et les voisins, ou les habitants locaux, contractées par Ytshak et les mêmes, qui ont entre-temps rompu les alliances, par Yaakov qui semble plus concentré sur l’édification physique et morale de sa famille qui se mute en peuple que sur les relations extérieures.

Le message avrahamique est encore actuel, ne serait-ce que par le fait qu’il est lu dans toutes les synagogues du monde année après année, qu’il est enseigné aux enfants juifs depuis les plus petites classes. Me concernant, le premier texte biblique qui m’a été enseigné, aux alentours de l’âge de 7-8 ans est celui-là.

On lit ces parchiot non en souvenir d’une histoire ancienne, l’histoire des hébreux comme on nous l’enseignait en classe de sixième chez Jules Ferry, histoire selon laquelle le peuple des hébreux existait durant l’Antiquité puis avait disparu.

Le ministère de l’éducation français ne vit pas dans les années 50 et 60 du vingtième siècle qu’il y avait comme une perversion cynique de l’histoire à ainsi persister à cantonner le peuple d’Israël à son histoire ancienne, à peine cinq ou dix ans après que l’europe et le monde entier aient connu le plus formidable déferlement d’antisémitisme de l’histoire de l’humanité, et en ignorant superbement 2000 ans de judaïsme scandé au quotidien par “l’an prochain à Jérusalem” et fort de centaines de milliers de pages écrites, lues et enseignées (le talmud et toute la littérature rabbinique ininterrompue au long de vingt siècles).

Le monde éclairé aujourd’hui ne dénonce pas assez cet antisionisme qui est la forme moderne de l’antisémitisme, au nom duquel associé à un prétendu humanisme n’hésitent pas moult représentants des pays du monde aux mains les plus engluées de sang, à accuser les juifs - représentés aujourd’hui par les israéliens et leur armée - de crimes dont ils sont eux-mêmes les plus éminents et fréquents acteurs.

Ceci tandis que les israéliens ne se livrent pas à des massacres mais au contraire ont développé le seul système connu et utilisé au monde de “frappe à la porte”, pour avertir que telle cible - dans laquelle se trouvent des civils ou des enfants cyniquement utilisés comme boucliers humains - va être “chirurgiquement” frappée (cibles atteintes avec la plus grande précision) et qu’il faut incessamment la quitter.

Ceci tandis que les israéliens ont développé un système qui leur permet de ne pas voir leur population massacrée par l’envoi incessant de roquettes hautement meurtrières. Ce système – associé peut-être à une certaine « protection divine » ? -  permet que plusieurs milliers de roquettes aient été tirées sur tout Israël et que la population n’ait pratiquement pas été touchée.

Ceux, à l’extérieur de nos frontières, qui identifient le peuple israélien d’aujourd’hui avec Avraham ne font pas légion.

Ceci est peut-être la preuve de l’actualité du texte biblique et de la nécessité de s’en imprégner, d’imprégner l’identité juive moderne mais aussi l’identité humaine afin qu’Avraham (qui change de nom au cours de son histoire, devenant “père de l’humanité” - sens littéral de ce nom hébraïque) devienne véritablement celui qui a élevé le niveau moral de l’humanité.

Ce n’est pas encore réalisé.

 

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