texte publié à l'occasion de la bat mitzva de ma cousine, ce shabbat à Paris.
Les deux parchiot lekh lekha et vayéra sont en général
considérées comme une unité, et, ainsi que le précise Y.Leibovitz, bien que le
thème central en soit Avraham, il faut ne pas considérer ces deux textes comme
la biographie d’Avraham.
Le texte est ainsi extrêmement avare de détails
de vie, la naissance d’Avraham et sa mort appartiennent à deux autres parchiot,
et les évènements de sa vie au sens où on l’entend généralement (mariage, vie
professionnelle, réussites, échecs, états d’âme) n’apparaissent en fait que partiellement et
parcimonieusement dans le texte biblique.
De façon générale on peut être à plusieurs
reprises étonné à la lecture du texte de combien il n’est qu’une illusion de
récit chronologique. Ainsi par exemple, on nous relate l’arrivée en terre
d’Israël, et le texte précise qu’ “à ce moment le cananéen habite la terre”
(Genèse 12, 6) . On s’attend à ce que nous soient détaillés ce que cette phrase
implique, or le texte passe directement à “il y eu une famine” (Genèse 12, 10),
qui conduit Avraham à aller en Egypte, où a lieu le bizarre épisode induit par
l’étonnante consigne donnée par Avraham à Sarah “dis que tu es ma soeur”
(Genèse 12, 12), épisode qui parait donner immédiatement lieu (Genèse 12, 19)
au renvoi d’Avraham d’Egypte…mais alors qu’on s’attendrait à ce qu’Avraham ait
à nouveau à se mesurer avec la famine, il n’en est plus question, au contraire,
Avraham est devenu riche.
Quand et comment ceci s’est-il produit ? combien
de temps s’est écoulé ? Ce n’est pas le sujet du récit biblique.
La suite porte surtout sur ses relations à son
neveu Loth avec lequel ils se partagent le pays (Genèse 13, 8) afin de ne pas
se quereller, et tout de suite après se produit l’enlèvement de Loth par des
rois qu’Avraham poursuit jusqu’à Dan (Genèse 14) pour y reprendre kidnappés et
butin dérobé, c’est à dire afin semble-t-il de nous conter un épisode d’agression
non justifiée contre sa famille ayant eu lieu dans le sud du pays, ayant fait
l’objet de la réaction la plus morale qui soit de la part d’Avraham (Genèse 14,
22 et 23) et ayant eu des répercussions
jusqu’à la frontière nord.
On voit donc Avraham plus occupé à gérer ses
relations interpersonnelles, avec son neveu, avec ses voisins (Pharaon,
Avimelekh) et face à l’hostilité locale (kidnapping et la répétition des noms
des peuples qui vivent à ce moment dans le pays) qu’à mener sa vie personnelle.
Et il est bien difficile de ne pas voir en quoi
ces parchiot que nous lisons dans le texte semaine après semaine, ne sont pas
en synchronie avec notre vécu de ces jours-ci vraiment.
Ce qui nous mobilise, tout le peuple d’Israël, intramuros
et à travers le monde, ce n’est pas notre croissance économique, l’éducation de
nos enfants, nos réussites ou échecs personnels ou nationaux, c’est notre
relation à un ennemi que nous considérons comme voisin et qui ne souhaite que
notre disparition, un ennemi qui vient de se livrer à une agression spontanée ayant
causé la mort d’un très grand nombre de gens de toutes sortes (militaires et
civils, bébés et vieillards, valides et invalides, juifs et non juifs,
israéliens et non israéliens).
Comme si ce texte racontait une histoire
générique, que peut avoir à rencontrer répétativement le peuple juif, plutôt
que le témoignage d’une histoire s’étant une seule fois produite avec un héros
bien précis.
Comme si la Torah n’était pas un livre d’histoire des
hommes mais le livre de l’histoire de l’humanité de l’homme.
Ceci est bien l’histoire d’Avraham, en ce qu’il
prend sur lui l’élévation de l’humanité à un plus haut et plus moral niveau.
Dans la paracha Noah’ surgissait dans le texte
hébraïque (Genèse 6, 11) le mot Hamas (dont la traduction littérale est
violence ou iniquité et dont la traduction en araméen selon Onquelos
est…”kidnappés”), et on nous présentait Noah’ comme le seul individu jugé digne
de survivre, comme celui qui recevait l’injonction “fais pour toi une téva”
(Genèse 6, 14) , ce mot dont la signification est aussi bien “une arche” qu”un
mot”. Noah sait faire l’arche et dans la progression de l’humain vers
l’humanisme il faut attendre Avraham pour qu’un individu prenne sur lui de
faire progresser l’humain par des mots, par le premier message humaniste de
l’histoire de l’humanité.
Dans la paracha lekh lekha, lue cette semaine,
il y a entre autres cet enlèvement de Loth et la mention deux fois réitérée des
habitants du pays qui ne sont pas sans résonner dans nos oreilles éprouvées
d’une dure actualité.
Être juif signifie prétendre à un niveau
d’humanité selon lequel la vie d’un kidnappé est la chose primordiale, celui-ci
fût-il un cousin avec lequel les relations sont plutôt fraîches.
Être juif signifie frapper son ennemi mais en
gardant visage humain même si celui-ci a manifesté la plus grande déchéance
humaine possible.
Un des assaillants du hamas du 7 octobre
explique au cours de son interrogatoire que le quartier général de
l’organisation - qui n’est pas digne d’être qualifiée politique ni même
terroriste tant elle s’est affichée au-delà, comme criminelle et inhumainement
meurtrière - est situé sous le plus gros hôpital de Gaza parce qu’ils savent
qu’Israël n’attaquera pas un hôpital ni une école, aussi utilisées par le hamas
comme arsenals, lieux d’où sont tirées les roquettes.
La paracha lekh lekha contient aussi un élément
à faire frissonner et c’est la prédiction au sujet d’Ishmaël appelé à ne
pouvoir que se distinguer comme “un sauvage dont la main est partout et qui
s’approprie tout” (Genèse 16, 12). “Et il se maintiendra à la face de tous ses
frères” conclut tragiquement le verset. Est-ce inéluctable ? Irréparable ? Les
évènements du 7 octobre sont une dramatique illustration…
Parmi les assaillants de la boucherie du 7
octobre se trouvaient aussi des travailleurs des villages assaillis,
travailleurs jusqu’à la veille en bonne relation avec leurs employeurs (20000
gazaouïtes recevaient au quotidien l’autorisation de passer la frontière pour
venir travailler en Israël), et qui viennent s’associer à leur massacre
aujourd’hui. Parmi les victimes et les kidnappés se trouvent bon nombre
d’individus dont l’occupation majeure était le militantisme pour la paix, le
convoi régulier de malades gazaouïtes vers les hôpitaux israéliens.
Dès le 7 octobre, après dix mois de crise de
politique intérieure, qui incluait de la part de la moitié du pays un vif
désaveu de la majorité au gouvernement, le pays israélien entier est unifié
derrière le combat et le soutien, gauche et droite, religieux et séculiers,
avec un niveau de volontariat rarement égalé, que ce soit pour consoler les
familles des victimes, pour prendre en charge les individus déséquilibrés
mentalement par le choc du 7 octobre, pour soutenir les individus déplacés pour
raisons militaires, pour aider à l’agriculture et plus encore.
Le monde extérieur a manifesté sa désapprobation
de l’action du hamas, tous ne se joignant cependant pas à la condamnation de la
cruauté, et l’impression dominante est que ce mouvement de soutien pour
beaucoup aura été d’extrêmement courte durée, vite remplacé par un tollé de
condamnation de la force militaire réactive d’Israël, très souvent encore avant
l’examen des faits réels, comme par exemple l’incident du 9 ou 10 octobre. Ce
jour, un feu tomba sur le lieu d’un hôpital de la partie sud de la bande de
Gaza. Il ne s’était pas passé plus de quelques minutes que le “massacre des
cinq cents victimes commis par Israël” était dénoncé, que ce soit par le
sinistre chef de l’autorité palestinienne qui décrétait sur le champ trois
jours de deuil national, et qui parlait de “génocide israélien du peuple
palestinien”, que ce soit par notre “ami” de toujours le président turc, que ce
soit par la gauche européenne et américaine…avant qu’il apparaisse que rien de
tout ce qui était dénoncé ne s’était produit. Il ne s’agissait ni d’un
bombardement israélien, ni de feu tombé sur l’hôpital, ni de plus de quelques
dizaines de victimes…d’un tir palestinien qui n’avait pas réussi à sortir de la
bande de Gaza et était tombé (accidentellement ou volontairement?) sur le
parking de cet hôpital faisant quand même quelques morts mais ne s’approchant
pas de la cheville du “massacre israélien” dénoncé spontanément.
Dénoncé spontanément par des gens qui avaient
déjà oublié qu’un “massacre pour de vrai” avait été commis, par leur propre
peuple en ce qui concerne Abou Mazen, deux ou trois jours plus tôt. Un massacre
qui dépassait de loin le niveau pogrom, qui avait inclus des bébés, des
vieillards, des invalides, un massacre qui avait été accompagné de tous les
actes les plus vils auxquels sait recourir l’humain, même quand il descend lui
aussi d’Avraham.
Le message d’Avraham n’est pas qu’un message de
paix, de bienveillance, de fraternité. Il est un message de révolution.
L’individu doit se révolutionner pour savoir ne
pas tomber dans les agissements les plus vils. Ishmaél peut-il aussi se
révolutionner et donner naissance à un islam qui rejettera cette partie de
lui-même ? C’est un challenge qui leur incombe. C’est le véritable challenge
qui devrait animer cette gauche qui se dit militer en faveur du peuple
palestinien. Rien ne peut plus enfoncer le peuple palestinien que la
justification internationale de ce massacre. Rien ne peut plus aider le peuple
palestinien que la renonciation à ce combat armé accompagné de négation de
l’humain.
Le judaïsme exprime cela sous la forme des
mitzvot. C’est avant tout le rôle des mitzvot : mettre en action au quotidien
un niveau d’exigence maximal de soi.
C’est par ce niveau d’exigence qu’Avraham
dépasse de loin le programme noahide. Pour la tradition juive, Noah aussi émet
des obligations, des mitzvot, au nombre de sept.
Avraham mis en mots par la Torah porte ce nombre
à 613, un chiffre encore augmenté à 620 par les sages de l’après destruction du
temple et envoi en exil du peuple juif par les romains.
Le peuple juif depuis Avraham vient s’installer
sur la terre d’Israël et y est mal reçu.
Sans retourner vers l’Antiquité, le présent est
témoin du caractère générique conté par la Torah à travers le procès intenté aujourd’hui
contre le sionisme, vu par certains comme une excroissance coupable du
judaïsme, alors qu’il n’est rien d’autre que la réactualisation du projet
avrahamique, vu par certains comme un colonialisme alors que les juifs ne sont
venus s’installer sur cette terre non en colonisateurs impérialistes, riches et
arrogants, mais uniquement en tant qu’individus, meurtris des coups donnés par
l’histoire récente qui était la leur, forts de leur seule force de travail et
de leur intention de faire fructifier la terre et l’humanité, comme le fit
Avraham. Un mouvement vu par certains comme un crime à l’encontre de la
population locale alors que les terres sont au départ toutes achetées, alors
que la population locale non seulement n’est pas exterminée mais croît en
nombre et en niveau socio-économique en parallèle de celle d’Israël.
Le phénomène d’antisionisme contemporain est
finalement identique à une certaine opposition rencontrée par Avraham, puis par
son fils et son petit-fils, mais le vingt et unième siècle vient montrer non
seulement qu’il y a de la place pour vivre côte à côte selon les chiffres de
l’an 1900 quand vivent sur place une poignée de juifs et guère plus de
population locale, non encore désignée comme palestinienne, mais aussi selon
les chiffres de 2023, qui sont de près de huit millions de juifs pour quatre ou
cinq millions de palestiniens.
Il y a non seulement la place pour tous, mais il
y a la possibilité de vivre côte à côte - tout au moins jusqu’au 7 octobre 2023
jour de l’aube d’une ère nouvelle qui n’est pas encore définie mais qui change
la donne.
Il y a la place pour tous, tout n’est question
que de décision.
La Bible montre les alliances contractées entre
Avraham et les voisins, ou les habitants locaux, contractées par Ytshak et les
mêmes, qui ont entre-temps rompu les alliances, par Yaakov qui semble plus
concentré sur l’édification physique et morale de sa famille qui se mute en
peuple que sur les relations extérieures.
Le message avrahamique est encore actuel, ne
serait-ce que par le fait qu’il est lu dans toutes les synagogues du monde
année après année, qu’il est enseigné aux enfants juifs depuis les plus petites
classes. Me concernant, le premier texte biblique qui m’a été enseigné, aux
alentours de l’âge de 7-8 ans est celui-là.
On lit ces parchiot non en souvenir d’une
histoire ancienne, l’histoire des hébreux comme on nous l’enseignait en classe
de sixième chez Jules Ferry, histoire selon laquelle le peuple des hébreux
existait durant l’Antiquité puis avait disparu.
Le ministère de l’éducation français ne vit pas
dans les années 50 et 60 du vingtième siècle qu’il y avait comme une perversion
cynique de l’histoire à ainsi persister à cantonner le peuple d’Israël à son
histoire ancienne, à peine cinq ou dix ans après que l’europe et le monde
entier aient connu le plus formidable déferlement d’antisémitisme de l’histoire
de l’humanité, et en ignorant superbement 2000 ans de judaïsme scandé au
quotidien par “l’an prochain à Jérusalem” et fort de centaines de milliers de
pages écrites, lues et enseignées (le talmud et toute la littérature rabbinique
ininterrompue au long de vingt siècles).
Le monde éclairé aujourd’hui ne dénonce pas
assez cet antisionisme qui est la forme moderne de l’antisémitisme, au nom duquel
associé à un prétendu humanisme n’hésitent pas moult représentants des pays du
monde aux mains les plus engluées de sang, à accuser les juifs - représentés
aujourd’hui par les israéliens et leur armée - de crimes dont ils sont
eux-mêmes les plus éminents et fréquents acteurs.
Ceci tandis que les israéliens ne se livrent pas
à des massacres mais au contraire ont développé le seul système connu et
utilisé au monde de “frappe à la porte”, pour avertir que telle cible - dans
laquelle se trouvent des civils ou des enfants cyniquement utilisés comme
boucliers humains - va être “chirurgiquement” frappée (cibles atteintes avec la
plus grande précision) et qu’il faut incessamment la quitter.
Ceci tandis que les israéliens ont développé un
système qui leur permet de ne pas voir leur population massacrée par l’envoi
incessant de roquettes hautement meurtrières. Ce système – associé peut-être à
une certaine « protection divine » ? - permet que plusieurs milliers de roquettes
aient été tirées sur tout Israël et que la population n’ait pratiquement pas
été touchée.
Ceux, à l’extérieur de nos frontières, qui
identifient le peuple israélien d’aujourd’hui avec Avraham ne font pas légion.
Ceci est peut-être la preuve de l’actualité du
texte biblique et de la nécessité de s’en imprégner, d’imprégner l’identité
juive moderne mais aussi l’identité humaine afin qu’Avraham (qui change de nom
au cours de son histoire, devenant “père de l’humanité” - sens littéral de ce
nom hébraïque) devienne véritablement celui qui a élevé le niveau moral de
l’humanité.
Ce n’est pas encore réalisé.
Superbe
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