Nous vivons, nous israéliens, nous juifs, nous juifs
israéliens des temps très difficiles depuis ce 7 octobre.
Temps de guerre.
Très difficile d’être en guerre, d’être en
inquiétude, en incertitude, en attente d’informations, de dénouements. Et très
difficile d’être « en guerre », c’est à dire en attente de victoire,
en atmosphère de violence, de nouvelles répétitives de la mort d’un ennemi,
d’un soldat, d’une victime.
Mais là n’est pas pour moi le pire. C’est une
nouvelle guerre que nous n’avons pas initiée, elle n’est pas la première et
fasse le ciel qu’elle soit la dernière mais tous savent que ces paroles sont un
voeu pieux.
La guerre est une horreur mais elle n’est pas
pour moi le pire.
Le pire est les phénomènes afférents. Le pire
est l’atmosphère de haine qui ruisselle, qui parvient jusqu’à nous, réveil de l'antisémitisme, manifestations d'hostilité à Israël, alors que cette guerre nous a été imposée lors d'un évènement si rapidement gommé, alors que les otages sont encore en captivité, tandis que
notre quotidien est tellement autre, tandis que notre quotidien illustre si tristement que le mécanisme automatique des habitants de ce pays est l’aide, le
dévouement, le soutien, l’empathie.
Je suis bien plus tourmenté par ce qui
accompagne cette tragédie des otages. Ce silence, ce déni, cet oubli.
Le fait que tant de gens aient pu ainsi si vite
s’abstraire de cette horreur qui s’est déroulée aux yeux du monde le 7 octobre,
horreur barbare, horreur de déchéance humaine si rarement atteinte, horreur des
massacres et de la destruction, et horreur de la prise d’otages.
Il y a ainsi quelques 240 otages, de tous les
âges ( il y a de tous petits enfants, il y a des personnes du quatrième âge, et tous ceux qui sont
dans l’intervalle entre ces deux extrêmes), de plusieurs nationalités et
religions, et ils n’en finissent pas d’être oubliés ou niés.
Encore hier, l’Autorité Palestinienne publiait
un avis selon lequel l’aviation israélienne et personne d’autre était l’auteur
des horreurs du 7 octobre. L’avis a été effacé quelques heures plus tard mais
sans commentaire. Entre temps il avait été publié.
Et ce déni est la chose qui m’est
personnellement la pire. C’est un déni que je ne peux analyser qu’en relation
avec l’antisémitisme.
Même si je peux enrôler d’autres spectres
d’analyse, me demander s’il ne s’agit pas ici d’un phénomène psychologique
universel, qui pousserait le monde au déni par réflexe de survie, par
incapacité mentale à garder en mémoire de telles horreurs, il me semble que
dissocier cette indifférence et ce déni du paramètre antisémitisme serait plus
artificiel que naturel.
Une étudiante israélienne actuellement en France
pour un semestre dans le cadre d’un échange universitaire a été contactée pour
intervenir dans les stages de formation des eis le mois prochain, et s’est
adressée à moi pour prendre conseil sur le langage à tenir, sur la méthode par
laquelle communiquer au mieux aux stagiaires le vécu israélien de cette guerre.
Alors qu’elle aurait eu tendance à enseigner le
sionisme, à remonter à Ben Gourion, Golda Méïr et d’autres pour étayer son
propos, je lui ai dit que par expérience je conseillerais de remonter bien plus
loin. Je lui ai conseillé, si le stage doit avoir lieu la semaine où le peuple
juif lira dans la Torah la paracha vayekhi, de commencer par vayekhi. De
commencer par une paracha dans laquelle sont décrites les douze tribus d’Israël
et de raconter cela, la genèse de ces tribus, avant de montrer comment le pays
d’Israël a dans un premier temps été réparti entre ces douze tribus, le même
pays que l’on nous conteste aujourd’hui, nous qui sommes les descendants de
cette famille de Jacob.
Remonter à la Torah parce que j’ai moi-même vécu
combien rattacher le présent à notre passé biblique est riche, suscite
l’intérêt le plus profond, le plus vif et le plus authentique, et aussi parce
que je pense que c’est de l’absence d’un tel rattachement qu’est né cet
antisémitisme.
Comme beaucoup de gens, j’ai été effaré du fait
divers Sophie Pommier. Et après avoir vu cette séquence et avoir eu
l’impression que la femme qui criait « Israël assassin » après avoir
arraché les photos d’otages du 7 octobre était une française du cru, image de
la France profonde, j’ai découvert qu’elle n’est pas la femme de la rue, qu’elle
est versée dans le sujet du moyen orient, au point d’avoir été contractuelle au
quai d’Orsay, au point d’avoir écrit et publié sur le sujet.
Et j’ai découvert une analyse la faisant
remonter à un certain Henry Laurens de qui elle serait l’émanation.
Je suis donc allé à la recherche de ce
personnage, éminent universitaire, enseignant dans le lieu français le plus
prestigieux, le collège de France, spécialiste de très haut niveau de l’islam,
de l’orient, de la langue arabe. Je me suis installé à l’écouter et j’ai
compris.
Pour cet éminent universitaire français, pur
produit de l’école laïque et de la séparation de l’église et de l’état,
l’histoire de la Palestine n’inclut pas (ou de façon très marginale peut-être :
je n’ai pas écouté tous ses cours, lu tous ses livres) la Bible.
Ce qu’il se passe dans notre partie du monde est
à ses yeux un phénomène avant tout politique, produit des conflits d’influence
qui remontent à l’empire ottoman et aux années 1500 de notre ère.
La guerre actuelle serait le résultat d’un
colonialisme, qui porte le prénom sionisme mais qui est avant tout une alluvion
de cette gigantesque mouvance qui a empoisonné et continue d’empoisonner le
monde.
Je sais qu’il y a aussi en Israël des citoyens
dont l’israélianisme ne remonte pas à la Bible, mais outre le fait que très peu
d’entre eux sont identifiés à une quelconque démarche colonialiste, ne les
analyser qu’à travers le prisme laïque des évolutions de la politique
internationale ressortit à une démarche au moins partielle si ce n’est
partiale.
Les juifs ne sont en Israël QUE en référence à
leurs sources bibliques. Situer la source de la création de l’état d’Israël
dans la démarche sioniste de la fin du 19ème siècle, ou même dans les
mouvements géopolitiques du bassin méditerranéen au 16ème siècle consiste à
gommer l’historique du peuple juif.
Un Ariel Sharon, célèbre icône du monde
israélien moderne, figure militaire aucunement religieuse, général devenu homme
politique, clamait à qui voulait l’entendre que son livre de chevet n’était
autre que la Bible. Le même Sharon (pour lequel je n’aurais pas voté pour un
empire tant il était aux antipodes des idées que j’aime faire avancer par ma
voix) est celui qui a fait se retirer Israël de la bande de Gaza en 2005, au
nom de l’idéologie que « nous n’avons aucune vocation en tant que peuple à
dominer un autre peuple » (sic).
Analyser lsraël au regard de la real politique
du bassin méditerranéen revient à ignorer ou à scotomiser la composante juive.
J’appartiens moi-même à une famille qui vivait
aux premiers jours du vingtième siècle dans une communauté hassidique de
Pologne dont le chef spirituel, Haïm Israël Morgenstein, admor de Pilev,
petit-fils du rabbi de Kotsk, avait écrit le premier livre religieux sioniste :
« Shalom Yeroushalaïm ».
Je suis un juif qui lit et comprend ce qu’il lit
au jour le jour dans le rituel de prières dont les textes sont une compilation
pluricentenaire (et pour une part plurimillénaire : certaines parties de ce
rituel étant attribuées à des personnages ayant vécu et exercé en - 500 ou plus
loin encore) à base d’extraits bibliques et rabbiniques et il y est question de
Jérusalem et de retour du peuple en Israël de façon omniprésente. La grande
majorité du peuple juif prend part chaque année au repas de la fête de Pessah’,
repas nommé « seder » au cours duquel on lit la fameuse hagadah de
Pessah’ qui se termine par l’affirmation « l’an prochain à
Jérusalem ». Les juifs les moins religieux, souvent appelés « juifs
de Kippour », se sont trouvés au moins une fois dans leur vie à la
synagogue à la fin du jeûne de Kippour, et la prière se termine par « l’an
prochain à Jérusalem ».
Ne pas prendre en considération ce paramètre
ressortit à l’ignorance ou à certaine idéologie.
Le catholicisme et l’islam ont oeuvré à déconnecter
le peuple juif d’aujourd’hui, et partant, la population israélienne, des
hébreux de l’Antiquité. Au lycée, en classe de 6ème, on enseignait l’histoire
des hébreux comme peuple de l’Antiquité qui parlait l’hébreu, une langue
aujourd’hui morte. Le message catholique classique est que les juifs ont été
maudits de n’avoir pas reconnu Jésus comme messie et ont été de ce fait
condamnés à l’errance. L’islam considère que le sacrifice raconté en Genèse 22
n’est pas celui d’Isaac, le deuxième des trois patriarches bibliques, mais
Ishmaël, premier fils d’Avraham et père de l’Islam.
Il y a des gens qui ne veulent avoir sur les
évènements du proche orient, sur le conflit israélo palestinien, qu’un regard
géopolitique par ignorance. Par exemple si ils ont été formés à observer ce
conflit à base des cours de leur classe de sixième, ou aux cours de certains
professeurs illustres du collège de France.
Mais il y a aussi des gens qui ont choisi leur
camp, qui ne veulent pas que cette histoire de l’Antiquité réapparaisse. À
leurs yeux, qui la fait ressurgir est coupable et doit disparaître.
Ce sont ceux qui préfèrent les juifs morts aux
juifs vivants, et certains parmi eux ont même des parents et un nom juif. Mais
ils sont antisémites. Parfois en se leurrant et en étant persuadés de n’être
qu’antisionistes, en tant qu’à leurs yeux le sionisme n’est qu’un colonialisme
coupable, complice de l’impérialisme. Ils peuvent même avoir parmi leur famille
des parents qui savent que les premiers juifs à s’être installés en Israël n’avaient
pas un sou et seulement la peau sur les os et étaient venus au moins autant par
rejet de leur pays que par sionisme idéologique et pseudo colonialiste. Ils
savent que les juifs ayant eu des ancêtres en Pologne, en Allemagne, en
Algérie, en Irak, n’ont pas quitté leur pays par choix et pour la plupart ne
pourraient y retourner, ils savent que les israéliens n’ont atteint que
tardivement un niveau de vie encore non au niveau européen mais s’en
rapprochant, mais ils préfèrent gommer ces faits.
Ils gomment les faits qu’Israël encore faible et
dèbutant a dû se mesurer à une guerre face à des ennemis qui souhaitent la
disparition du pays et de ses habitants, Ils gomment aussi le massacre du 7
octobre, et les 240 otages de ces bêtes humaines que sont les hommes du hamas,
qui ne se contentent pas d’installer des bases militaires dans les écoles et
les hôpitaux de Gaza, mais qui savent assassiner comme l’a été Noa Marciano les
otages dans un lieu qui est un lieu de soins médicaux.
Ils gomment parce que ces évènements sont
l’anéantissement de cet enseignement universitaire en foi duquel le sionisme
n’est que le coupable à combattre et à abattre.
Les évènements du 7 octobre 2023 sont une
collision frontale avec leur idéologie. Il leur est plus facile de les nier que
de les regarder en face. Ils préfèrent démoniser le sionisme, avaliser les
accusations de Abou Mazen selon lesquelles Israël commet un génocide. Il est
plus facile d’analyser de loin une situation, de qualifier le sionisme d’échec
(puisque « plus de juifs en meurent en Israël que dans les autres
pays ») que de regarder la société israélienne et ses qualités, de
regarder les gens et de voir la société multiethnique et multiculturelle qui se
developpe ici, incluant d’ailleurs les arabes. Ils préfèrent parler de génocide
des palestiniens cinq minutes après le massacre à vocation génocidaire du 7
octobre tandis que la population palestinienne n’a fait que croître au cours
des cent dernières années, ils préfèrent continuer à parler de vol de la terre,
comme au début du vingtième siècle quand il y avait moins d’un million
d’habitants en tout, alors qu’il y en a aujourd’hui plus de quinze millions,
preuve incontestable qu’il y a ici de la place pour tout le monde. Ils
préfèrent continuer à nier aux israéliens le lien au passé, à l’Antiquité, à la
Bible, tandis que l’hébreu est ici parlé, écrit, développé, tandis que l’étude
de la Torah et des textes s’y rapportant connait une expansion exponentielle.
Ce sont ces recours volontaires à la cécité qui
constituent un des aspects de l’antisémitisme du vingt et unième siècle, quand
on nie à l’autre son identité juive, l’identité qu’il proclame lui-même, qui me
sont plus indigestes que la guerre elle-même, et contre lesquels il faut
éduquer la génération montante.
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