Le tracteur tire une
plate -forme et avance cahin-caha sur le chemin secouant les quelques
vingt personnes assises à l’arrière, dans un magnifique paysage, sous un ciel bleu vif et un soleil bas.
Paysage israélien classique d’activité de kibboutz.
Pourtant les passagers ne sont ni des scandinaves des années soixante, en
volontariat pour vivre « l’expérience kibboutz », ni de jeunes
lycéens, ni des travailleurs thaïlandais, mais des soixantenaires et
septentenaires locaux, des quatre coins du pays, eux-mêmes n’en revenant pas
d’être dans cette posture « si quelqu’un m’avait dit que je serai à mon
âge sur un tracteur » entend-on plusieurs fois au cours du trajet qui nous
emmène à travers routes et champs.
Sur la route, on croise quelques barrages militaires, desquels les soldats sourire jusqu’aux oreilles nous saluent chaleureusement. Dans les terrains non cultivés en bordure, les chars qui étaient stationnés il y a encore quatre semaines ne sont depuis longtemps plus là, et la bande son est beaucoup plus dans les tons batterie que dans ceux des « allez allez mon troupeau » de Hugues Aufray.
Jours de bénévolat au kibboutz Karmiya, au nord de la bande de Gaza, dans laquelle Israël livre sa énième guerre contre les velléités de sa disparition, aux sons du canon.
Sont venus ce jour quelques quatre vingt personnes, de tous les âges et de tous les lieux ( un bus de retraités de la police, deux jeunes telaviviennes qui remplacent la plage par les champs et n’oublient pas de se protéger du soleil à grand recours de crème à bronzer, une famille religieuse d’une ville proche, deux belges venus pour une semaine faire du volontariat , et encore quelques autres dont notre petit groupe d’anciens eis…) à l’exploitation agricole organique installée là depuis son repli de l’intérieur de la bande de Gaza évacuée il y a 17 ans, et en grandes difficultés de fonctionnement depuis le 7 octobre dernier.
Ses quelques 150 employés (dont bon nombre de thaïlandais) se sont dispersés . Ne sont restés que les plus fidèles, parmi lesquels ces quelques bédouins des environs, et c’est avec l’aide du bénévolat que le patron tente de minimiser la catastrophe, encore accrue depuis la destruction de son usine de tri de légumes. Une machine de coût astronomique détruite par une chute de morceau de roquettes qui y a mis le feu.
Il raconte à la pause repas et la situation de l’exploitation et la vie ici quelques cinq kilomètres au nord de la bande de Gaza, juste au sud de la zone industrielle d’Ashkelon. Les roquettes ne tombent pas ici dit-il, elles nous passent au-dessus de la tête. Par contre, les batteries de dôme de fer installées non loin les interceptent juste au-dessus de nous et sont à l’origine de ces chutes. En cas d’alerte, il faut se coucher par terre les mains sur la tête..et prier pour que rien ne vous tombe dessus.
Le public, occupé à se refaire des forces avec le repas servi à la bonne franquette (viandes grillées, salades des produits locaux, le tout succulent) ne bronche pas. Tout au plus certains échangent-ils quelques regards mi figue-mi raisin.
La journée s’ouvre par l’accueil des volontaires « vous arrivez et vous repartez à l’heure que vous choisissez », par le sourire, l’inscription à fins d’assurance, et le briefing, fait ce jour par un septuagénaire volontaire lui aussi, mais sur place depuis un mois dit-il au passage, sur le bras duquel on aperçoit un numéro. Quoi ? Un rescapé de la shoah ? Mais quel âge a-t-il ? Et puis la position de son bras change et je peux lire le numéro : 7.10.2023….
La première serre dans laquelle commence le travail d’aujourd’hui est une serre de tomates. Notre accompagnateur - un français d’origine installé à Ashkelon - nous met en garde : « elles sont moches les tomates, la serre a souffert du manque de main d’œuvre. » Et de raconter comment l’exploitation est en difficulté…pour finir par avouer que sa présence ici est due à la fermeture - provisoire espère-t-il - de sa propre exploitation située, elle, à Kerem Shalom, à l’extrémité sud de la bande de Gaza.
Les tomates ont bien souffert, il ne reste plus rien à cueillir ou si peu…nous continuons bientôt dans un champ où nous plantons de la menthe, travail facile en apparence, prendre des brins de menthe, les dénuder un peu, les couper, puis les insérer dans la terre sableuse le long du tuyau d’irrigation. Trois heures plus tard, se relever est un véritable projet ! Qui me laissera des souvenirs douloureux plusieurs jours durant…
La journée de travail s’achève vers les deux heures de l’après-midi (mais le patron a bien précisé que qui veut rester jusqu’à cinq heures le peut, qui veut dormir sur place recevra un dîner et un petit déjeuner. Il le dit sur le ton de la blague mais il est sérieux.
Je repars, une caisse de légumes dûment payée dans le coffre, nos téléphones encore réglés sur le sud du pays font encore entendre quelques alertes d’envoi de roquettes, et les nouvelles que nous entendons pendant le retour parlent du retour espéré imminent des premiers otages à être libérés.
Tandis que certains de mes proches s’opposent à cet accord, qui serait scandaleux pour les extrémistes (libération de terroristes en échange, et interruption de l’action militaire..), qui serait maladraoit pour d’autres au plan stratégique, je pense quant à moi qu’un otage libéré…est libéré…et que ces libérations sont le seul but de cette opération militaire.
Notre principal objet en tant qu’Israël n’est pas de coloniser, n’est pas de dominer, n’est pas la vengeance. Notre principal objet est de vivre et de répandre le mode éthique enseigné par la Torah de la présence sur terre : le prix de la vie humaine et la libération d’un otage sont selon Maïmonide un des commandements les plus urgents de tout le codex.
La destruction du hamas est aussi importante si ce n’est vitale, mais elle n’est pas nécéssairement un projet militaire.
La bande du sud d’Israël restera un lieu de ressources agricoles, les habitations seront reconstruites et se développeront.
Les tracteurs se déplaceront sur les routes et entre les champs sans les bruits de bombardements. Puissent-ils transporter volontaires, lycéens et travailleurs de toutes les ethnies, mais…
Puisse la frontière avec la bande de Gaza être hermétiquement close, ne se réouvrir que sous plusieurs générations, à condition que le message éducatif ait été changé la-bas.
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