Provoqués par quoi justement ?
Manifestations presque quotidiennes depuis….depuis le 7 octobre ? Depuis bien
avant semble-t-il…
Manifestations contre le gouvernement d’extrême droite ? Contre un premier
ministre opportuniste et indifférent ? Contre les harédim qui ne savent plus
comment faire honte au peuple juif ?
Un texte du rav-psychologue-petit-fils d’Ychayahou Leibovitz, Ilaï Ofran,
circule depuis ce matin. C’est un pamphlet pour ne pas dire un
« pachkevil » (affiches de dénonciation, d’appel à prières, à
révolte, à boycott…que l’on voit surtout dans les quartiers ultraorthodoxes )
contre les positions planquées des harédim, positions qui viennent d’être
ancrées dans la loi par les sus mentionnés gouvernement (de crapules) et
premier ministre (toute honte bue).
Ilaï Ofran est virulent si ce n’est ultravirulent, contre tous ces impies qui
se prétendent agir au nom de la Torah alors qu’ils la déforment…on retrouve la
verve de son grand-père, on dirait qu’il n’a eu qu’à laisser sortir cette rage
qui est son ADN et qu’il dissimule en général derrière un discours mesuré.
Malheureusement, ce ton l’associe à ce que fut son grand-père : un prophète
vitupérant….que peu de gens écoutent ou suivent, surtout du fait de
l’extrémisme de son discours, surtout du fait du ton employé, surtout du fait
du clivage sur lequel il s’édifie.
Ilaï Ofran a raison, Ychayahou Leibovitz avait raison, les manifestants ont
raison, mais à quoi ceci nous avance-t-il ?
En matière de prévention routière prévaut en Israël le slogan « n’aie pas
raison ! Sois avisé ! »
Qu’Ilaï Ofran ait raison convaincra-t-il ne serait-ce qu’un ultraorthodoxe ?
fera-t-il revenir un seul otage à la maison ? Aboutira à la chute du
gouvernement, à la fin des carrières politiques de Netanayahou ? de Ben Gvir ?
de Smotritch ? de Struck ? de Karei ? de Lewin ? Mènera-t-il à la victoire
contre le hamas ? À la mort de Sinwar ? De Nasrallah ?
Les extrémistes doivent assumer l’échec du 7 octobre, et des huit mois qui ont
suivi et démissionner. Les ultraorthodoxes doivent descendre de leur perchoir
et réaliser que leur comédie a assez duré, le hamas doit disparaître, et le
hizbaklah doit retirer ses troupes au nord du Litani mais rien de cela ne se
produira du fait du pamphlet de Ofran ou de quelqu’un d’autre.
Il est temps de réaliser que les manifestations sont le symptome et non la
solution du problème, c’est à dire que le malaise, la fracture, la corruption,
le complotisme, le wokisme, sont le problème.
Les manifestations « contre » l’attitude du gouvernement face aux
otages, face aux ultraorthodoxes, face aux populations déplacées du nord du
pays n’ont fait que relayer les manifestations contre la réforme judiciaire, et
semble-t-il, n’ont été que la face émergée du malaise de la société.
Pas uniquement notre société israélienne. Il y a un malaise, une crise qui
traverse le monde.
Il ne faut pas avoir raison, il ne faut pas annihiler l’ennemi, il ne faut pas
que l’autre réalise qu’il a tort, il faut prendre du recul et trouver le moyen
de remettre en place les ponts qui ont disparu entre lui et moi.
Le vénerable sociologue de 102 ans Edgar Morin (au nom juif francisé depuis la
résistance) proclame que les idées humanistes et émancipationistes ont cédé la
place au suprémacisme et à la xenophobie. Je serais tenté de décrire une
situation dans laquelle on a régressé d’une posture visant à l’harmonie et au
bien-être, vers une posture « schizo-paranoïde » comme on dit en
psychanalyse. Une posture, une attitude de repli,
de méfiance, de rejet, et quand ce n’est pas contre celui qui « pense aux
antipodes de ce que je pense », alors c’est contre celui « qui est
religieux aux antipodes de comment je le suis », à moins que ce ne soit
contre celui « qui voit le judaïsme autrement que comme je le vois »,
à moins que ce ne soit contre celui « qui occupe telle ou telle terre à ma
place », à moins que ce ne soit contre celui « qui dit que je dois être
en confinement », à moins que ce ne soit contre le statut accordé aux
palestiniens, aux immigrés, aux sans logis…
Il s’agit d’une posture de repli, de crainte, de haine.
C’est là le vrai problème. Celui de cette régression vers une attitude
« méfiante absolument » à l’égard de tout ce que je ne pense pas.
Ilaï Ofran combat en particulier les ultraorthodoxes et leur attitude insensée
à ses yeux et dépourvue soi disant d’enracinement authentique.
Or, dans le midrach sur le psaume 149 qui tout à coup passe d’un discours de
louange à un registre de haine et de vengeance, le texte marque expressément
que « l’épée du peuple juif est sa bouche », que « le Créateur
livre la guerre et combat les ennemis et délivre de l’oppression » à
l’aune de la consécration juive dans la prière et l’étude de la Torah….!!!
Peut-être faudrait-il tant du côté des ultraortodoxes que de celui de Ilaï
Ofran ne pas s’accrocher à la lettre des textes.
Ils diront ce qu’on cherchera à leur faire dire, ils diront une chose et son
contraire, ils renforceront la conviction d’avoir raison…et n’apporteront
aucune solution, aucune libération, aucune rémission.
On ne règlera pas les profonds différends qui nous déchirent année après année,
en se muant d’un contexte à l’autre, à coup de textes prouvant que nous avons
raison. Il faut « autrement qu’être » si vous voyez ce que je veux
dire..
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