Kippour et roch hachana sont le moment phare de l’introspection.
De quoi vient donc se mêler rav ? Après tout, si le boucher l’a offensé, qu’il
fasse lui-même ses propres comptes. Pourquoi aller le titiller, le brusquer,
l’offenser finalement ?
Je suppose pour une raison dérivant de la leçon du shofar. Le shofar symbolise
l’introspection, favorise l’introspection, et la mitzva n’est pas de sonner du
shofar mais bien d’écouter le son du shofar.
La mitzva est d’écouter autrui non nécessairement qui vient vous parler, vous
faire la morale. Quelqu’un qui vient rappeler que nous ne sommes pas seuls. Mes
actes ne me renvoient pas uniquement à ma conscience personnelle de laquelle
personne ne doit se méler au nom de la discrétion, au nom d’un « ce sont
des affaires personnelles, n’intervenons pas ».
Je suis toujours parmi les humains, et si je suis parmi les humains juifs, ils
ont non seulement un droit mais un devoir d’intervention.
En vayikra 19 17 on trouve le « ne haïs pas ton frère dans ton coeur,
adresse lui ton reproche » et ce verset suit directement celui de l’interdiction
de dire du mal de son prochain, de colporter du négatif à son sujet.
On ne peut se détourner de la responsabilité à l’égard d’autrui, surtout quand
on le voit dérailler. On le peut très bien au nom des habitudes françaises de
fermer les volets quand du bruit provient de la rue ou de chez les voisins, au
nom du « ce sont leurs affaires ».
En matière d’atteintes sexuelles ou corporelles à l’encontre de quelqu’un
dépourvu de moyens de défense, la loi israélienne ordonne d’intervenir et
déclare contrevenant qui se sera soustrait à cette obligation.
Certains diront que l’intervention de rav est inadequate d’entrée de jeu : il
intervient au nom d’un registre qui n’est que le sien et non celui de son
contradicteur.
Pour rav, ne pas intervenir revient à causer indirectement plus de mal que
toute intervention. Il considère en effet que si le boucher ne fait pas son
travail d’introspection de kippour, il met son âme en danger, il se coupe de
l’absolution qu’il obtiendrait à kippour, qui est bloquée tant qu’il n’a pas
obtenu le pardon du boucher.
Le boucher, lui, pense tout autrement.
Que la dispute entre deux individus soit ou non relative à kippour, l’écart est
probablement toujours existant entre deux personnes, chacune voyant midi à sa
propre porte.
Et alors, que faire ? Qu’aurait conseillé rav Houna ? Lui qui réfléchit
cependant avec les mêmes outils que ceux de rav mais qui prédit que le
tentative de rav sera plus aggravante qu’apaisante ?
Encore une fois, je propose de remonter à une distinction émise dans le texte
numéro 3 autour de kippour. Comment va-t-on regarder la chose ? Au chapitre de
la culpabilité, du shaming, de la vindicte, ou au chapitre de la souffrance ?
Quelqu’un qui calomnie, quelqu’un qui coupe les relations, est en général
quelqu’un qui le fait à la place de ressentir sa souffrance et de trouver un
meilleur moyen de s’en sortir que l’aggressivité physique.
L’intervention d’autrui n’est vue comme intrusive que si on reste au registre
de la médisance. Autrui aura interféré, se sera mêlé de ce qui ne le regarde
pas, aura implicitement empiété sur le domaine privé, et il colportera.
Si on regarde depuis le registre de la souffrance, peut-être verra-t-on
l’intervention extérieure comme bénéfique ou potentiellement bénéfique,
celle-ci visant à réduire la souffrance, elle-ci visant à aider l’individu à
sortir de l’ornière dans laquelle il s’est trouvé coincé.
C’est d’ailleurs comme cela à mon sens qu’il faut comprendre l’obligation
d’intervenir dans les cas de violence domestique ou d’atteintes sexuelles. On
suppose que quelqu’un est victime et qu’il faut intervenir pour modifier et
assainir la situation, pour aider l’aggresseur à cesser son aggression (et de
nombreuses études ont montré combien les parents violents sont d’anciens
enfants battus, comme l’aggression peut decouler de la souffrance convertie
inconsciemment en aggression), pour aider l’aggressé à retrouver son espace de
respiration.
Ici, l’intervention est comme intercession, comme venir intercéder en faveur de quelqu'un, face à ce que la souffrance occasionne.
On intervient, propose d’intervenir, ou dans certains cas on exige d’intervenir
en place d’accuser, de diagnostiquer sur base de données erronées, de justifier
l’action violente en réaction à une violence antérieure, faisant ainsi rester
les protagonistes, et le monde extérieur, prisonniers de cette violence…qui
n’était peut-être que souffrance, qui n’est peut-être dans beaucoup de cas
qu’essentiellement expression de souffrance.
Dans un monde pensé par l’altruisme, il faut intervenir, même quand on a
l’impression que l’individu auprès duquel il faudrait intervenir « est
monté tellement haut que personne ne saura le faire redescendre ».
Quand un vulgaire chat de gouttière se trouve ainsi perché sur une branche, si
haut qu’il ne sait plus comment en descendre, on n’hésite pas, on envoie les
pompiers et leur grande échelle.
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