Plusieurs fois, si ce n’est
souvent, chaque année ?, je me suis
interrogé – et en particulier à l’approche de Kippour – sur deux épisodes du
talmud, l’un directement rattaché à Kippour, l’autre non.
Le premier épisode est celui
du traité Yoma (p. 85-86) où on voit Rav aux prises avec un boucher. Le talmud
laisse joliment l’ambiguïté de la situation : un a offensé l’autre mais le
talmud ne dit pas qui. La veille de Kipour, rav, vraisemblablement tracassé par
l’épisode en ce jour critique, décide de faire le geste, de monter à Canossa, d’aller
lui chez le boucher…qui n’est nullement prêt au dialogue et l’épisode se
termine tragiquement : alors qu’il s’emporte contre l’apparition de Rav,
un os se détache de la tête de veau qu’il était en train de marteler, entre
dans sa gorge et l’étouffe.
L’autre épisode est celui de
l’amitié tumultueuse de Rabbi Yokhanan et Rech Lakish. Elle court sur plusieurs
pages au long du talmud (on peut en trouver les détails dans la célébration talmudique
de Elie Wiezel). Ils auraient grandi ensemble, avant que Rech Lakish ne change
de voie…pour ensuite revenir, qu’ils deviennent beaux-frères, étudient ensemble…jusqu’au
moment où survient une dispute définitive entre eux, suite à laquelle l’un puis
l’autre meurent. La dispute se produit quand Rabbi Yokhanan à court d’arguments
sur un sujet non rattaché envoie une pique à Rech Lakish ….qui se trouve
vexé jusqu’au tréfond, en meurt, ce qui plonge Rabbi Yokhanan dans la
dépression profonde…de laquelle il finit par mourir lui aussi.
Lévinas qui commente le
premier épisode (première des quatre premières leçons talmudiques) souligne
comment est mise ici en exergue la dimension morbide des disputes entre
amis : cela fait, peut faire, de lourds dégats.
La vexation en général, la
vexation entre proches encore plus.
L’ambiguïté de la situation
reflète probablement ce que l’on retrouve dans tous les cas : chacun est
persuadé que c’est l’autre qui l’a offensé. Ou que si lui a offensé, c’est en retour
à un acte précédent.
Et la fin tragique de ces
deux histoires vient montrer combien cela donne des situations non seulement
inextricables mais dangereuses pour la santé des protagonistes.
L’élément clé que le talmud
ne sait pas encore nommer mais qu’un siècle de psychanalyse a permis de
conceptualiser est l’élément narcissique.
Les protagonistes sont chacun
meurtris au plan narcissique, c'est-à-dire sur un terrain très friable, de
façon très difficilement récupérable parce qu’il faut pour cela une finesse,
une adresse…qui manque visiblement autant à Rav qu’à rabbi Yokhanan. Les deux
déclenchent l’issue fatale, pour le premier ….en ayant tenté de raccommoder les
morceaux face à un individu non disposé, non encore mûr, pour le second en ne
mesurant pas suffisamment ce qu’a pu coûter à Rech Lakish – au plan narcissique
- son parcours tumultueux.
Si j’ai offensé un.e de mes
ami.es et qu’il/elle lise ces lignes, qu’il/elle sache que je suis loin d’être
indifférent à la situation, que je suis désolé si de son point de vue c’est moi
qui a offensé, et que je participerai volontiers à tout effort de réparation.
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