vendredi 10 mai 2024

La force de la rumeur, la faiblesse de l’évènement concret

 

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Les évènements encore en cours entre Israël et le Hamas sont accompagnés d’un retentissement mondial massif.

Il est en soi ahurissant que ces évènements volent la une non seulement de la presse mais aussi des populations estudiantines, de l’opinion des banlieues, de façon complètement disproportionnée à ce qu’ont pu recevoir quantité innombrable d’évènements, de catastrophes de bien plus grande envergure.

Le plus difficile de ce retentissement, pour le juif israélien que je suis, est bien entendu la vague d’antisémitisme qui l’accompagne, antisémitisme désormais complètement synonyme d’antisionisme. Si jusqu’à récemment on pouvait émettre une réserve quant à l’opposition au sionisme et la considérer différente de l’antisémitisme, la distinction n’est plus possible.

Pour la rue mondiale, pour le citoyen lambda, le sionisme est le pire des fléaux, pire que le colonialisme, l’impérialisme, les dictatures auxquels il n’était jusqu’alors que comparé. Le sionisme, dans l’imaginaire collectif, devient le paradigme de ce que peut faire de pire un peuple à un autre.

Comme on peut dire dans bien des cas, ça serait drôle, tellement c’est grotesque, si ce n’était pas notre histoire.

Je vais quand même prendre quelques lignes pour rappeler quelques notions de base.

Le sionisme, pour ceux qui le pratiquent, c’est à dire ceux qui associent leur judéïté à la vie en Israël, à prévoir de vivre en Israël, ou à soutenir cette idée, n’est en rien un colonialisme ou une menace contre un autre peuple. Le sionisme, pour ces gens desquels je suis, est intrinsèque au judaïsme, ce dernier étant une appartenance au peuple juif, lui-même décrit dans l’histoire biblique comme ayant évolué du niveau individu (Avraham) au niveau famille (enfants de Yaakov), au niveau de peuple, peuple qui sort d’Egypte puis reçoit la Torah dans le désert et entre en Israël, le tout annoncé encore depuis l’étape Avraham.

Le sionisme est exprimé par le peuple juif dans la prière quotidienne et dans les moments clés du calendrier (Yom Kippour, Pessah’) par la phrase vieille de deux mille ans : « l’an prochain à Jérusalem ». La Torah prévoit et préconise la vie en compagnie d’autres ethnies.

Le peuple juif n’a pas été souverain à Jérusalem entre le début du christianisme et le début du vingtième siècle, ayant été chassé puis exilé, et n’ayant pas trouvé au cours de ces presque deux mille ans l’énergie et la conjoncture qui permettaient le retour.

Ce sont tristement l’antisémitisme et la shoah (résultante on ne peut plus concrète et radicale de cet antisémitisme) qui ont fourni l’élément déclenchant de la création de l’état d’Israël, proclamé à l’ONU le 14 mai 1948.

L’état juif est donc un état souverain, aux frontières votées par la plus haute instance internationale, et même si ces frontières sont l’objet de conflits et de mouvements consécutifs aux nombreuses guerres menées contre Israël depuis lors, le pays dispose de quelques 16000 kms qui devraient ne pas être remis en question, même s’ils sont résolument insuffisants.

Or ce n’est pas le cas. Parmi les évènements de foule qui accompagnent les six derniers mois, est répété régulièrement le slogan « from the river to the sea Palestine will be free »,  qui n’est autre qu’un slogan d’appel à la non existence (qui signifierait quoi ? L’exil, l’extermination ?) des 7 à 8 millions de juifs israéliens, certains (la majorité) nés sur place, certains venus par conviction (la plus grande minorité), certains venus par force de la situation (réfugiés de la shoah, d’avoir été chassés des pays arabes suite à la proclamation de l’état), certains sauvés par Israël et amenés spécialement en opération extraordinaire (juifs de l’ancienne URSS, juifs d’Éthiopie, juifs yéménites).

On notera au passage que la plupart des habitants de ce pays y sont donc arrivés en situation de précarité majeure, et ne ressemblent en rien à une « puissance occupante, une force coloniale ». Le pays jouit aujourd’hui d’une situation extraordinaire de hauts niveaux de vie, de développement scientifique, et de puissance militaire (par la force des choses, le pays ayant été agressé depuis le jour de la décision de le créer,  le 29.11.1947, et heureusement si on regarde a posteriori et au triste présent : sans cette force militaire, au développement imposé par la menace omniprésente, Israël aurait été détruit maintes fois, la dernière en date étant l’agression iranienne par les airs du 14 avril dernier). On peut et on doit rajouter que la création de cet état a permis la résurrection de la langue de la Bible, l’hébreu, et a redonné un magistral élan à l’étude des textes juifs, caractéristique qui a toujours été centrale et propre au peuple juif mais dont l’amplitude se voit plus que décuplée ces cent dernières années.

Dans les années soixante du vingtième siècle Israël jouissait d’une excellente réputation internationale, ce mérite de la création d’un pays qui permette ainsi une telle alternative à l’exil, accompagné de tant de performances dans tant de domaines, valait à Israël l’admiration mondiale.

Qu’a provoqué un tel retournement, en 60 ans ? Retournement au bout duquel le citoyen de la rue sera plus prompt à parler d’état voyou, si ce n’est état colonisateur, si ce n’est état impérialiste, si ce n’est état criminel, si ce n’est état maudit, que d’état miracle, état modèle, état étalon ?

Qu’est-ce qui fait que sont si facilement effacées parmi l’opinion mondiale toutes ces réussites d’Israël ? Réussites et qualité de vie et de population. Qu’est-ce qui fait que le citoyen du monde lambda ne peut imaginer l’ambiance bon enfant, solidaire (bien plus en temps de paix que de guerre mais notable cependant, surtout en comparaison de la vie en Europe ou dans beaucoup de lieux dans le monde), les relations quotidiennes juifs-arabes (oui juifs-arabes, si, juifs et palestiniens, qui se côtoient sur les lieux de vie, lieux de travail et même de villégiature, et pas seulement à Haïfa ou dans les autres villes mixtes, et il y en a beaucoup), qui parait ici dominante ?

Et pourtant a eu lieu le 7 octobre, jour noir de l’histoire d’Israël, mais aussi jour noir de l’histoire palestinienne si ce n’est de l’histoire mondiale.

Et pourtant. Ce qui domine sur la scène médiatique internationale, sur la scène politique, sur la scène estudiantine, n’est pas le 7 octobre, oublié dès le lendemain.

La déléguée nationale des étudiants de France peut dire placidement sur un plateau le 25 avril 2024 « un génocide est en cours », le titre en première page de Ouest France peut être « guerre à Gaza, violences sexuelles, disparitions forcées… », et je ne parle pas de fanatiques anti sionistes comme LFI, NPA, UJFP, ou organes de presse tels Al Jazeera, mais je préfère noter le frère d’une amie résidant en France qui peut soudain dire mi-avril qu’il ignore que des soldats israéliens tombent régulièrement depuis octobre, un ami en visite chez nous peut dire début mai qu’il ignorait que des roquettes continuent de tomber presque au quotidien sur Israël (en particulier tandis que j’écris ces lignes et que se fait entendre la sirène dans le sud du pays) alors que sa mobilisation pour la situation est indéniable.

Israël vit quotidiennement au rythme des otages, kidnappés le 7 octobre parmi toutes les tranches d’âge et toutes les catégories sociales et politiques de la population, kidnappés non d’une partie d’Israël contestée mais depuis un territoire souverain, envahi ce jour du 7 octobre à fins de commettre crimes et destruction..

Israël vit quotidiennement avec plusieurs proches, très proches, encore mobilisés réservistes à l’armée (mon fils âgé de 35 ans a été mobilisé plus de 160 jours entre le 7 octobre et le 2 mai, et il n’est ni soldat d’unite d’élite ni une exception),

Les habitants des localités frontalières du nord d’Israël (lieux non contestés mais appartenant à Israël dèfinie internationalement) sont déplacés depuis octobre, vivent dans les hôtels du pays, ne peuvent se livrer à leurs occupations habituelles si elles sont locales (agriculture en particulier). Ce sont cent mille personnes.

Et Israël a été et est bombardée en permanence, au sud, au nord, sur tout son territoire lors de l’attaque iranienne (entre 300 et 600 obus, missiles, drônes…en une nuit ! rappelez-moi en quoi Israël offense/menace/agresse l’Iran). Et le petit nombre de victimes et le moyen impact matériel ne sont dûs qu’à la capacité emblématique d’Israël de développer techniquement sa défense mais aussi de veiller à ce que chaque citoyen puisse avoir où se protéger physiquement.

Et donc qu’est-ce qui démonise tellement Israël ? Ne répondez pas que c’est le nombre de morts, de victimes de l’agression militaire, tellement plus grand à Gaza qu’en Israël.

Ne répondez pas cela parce que tout organe de presse responsable vous dira que le nombre exact des victimes de Gaza ne provient que de source hamas et n’est pas vérifiable, ne saurait être fiable.

Israël n’est démonisée que dans la droite ligne de la rumeur d’Orléans, la rumeur de meurtre rituel, la rumeur de Montigny les Metz, ou ce titre de Ouest France que je relate ci-dessus.

Bien sûr que rien n’existait derrière la rumeur d’Orléans, bien sûr qu’aucun juif n’a jamais commis le moindre meurtre rituel, et comme on le lit dans le corps de l’article lamentable du torchon, il n’y a aucune attestation de viol ou de torture à imputer aux soldats israéliens depuis la création de l’état. Et s’il y a eu dérives, elles ont toujours été jugées et condamnées, par l’appareil judiciaire et par l’opinion. L’article ne fait que donner la place de choix à des craintes de développement hypothétique de la situation. Il n’existe pas en Israël de liesse populaire consécutive à massacre ou bombardements. Tout juste y en aura-t-il quand sera annoncée la mort de Sinwar.

Mais de la même manière que l’existence des chambres à gaz pourtant monstrueuse dans le concept et dans la quantité, pourtant avérée, témoignée, a pu être ou tranquillement qualifiée de « parenthèse de l’histoire » ou purement et simplement niée (et pas seulement par Faurisson, L’Iran nie officiellement, le président de l’Autorité palestinienne doit son titre de docteur à la rédaction puis la soutenance d’une thèse négationniste), les évènements du 7 octobre ont cédé la place dès le lendemain matin au lever de bouclier anti israélien, anti colonialiste, anti impérialiste, anti puissance occupante, ponctué par moult accusations qui sont une calomnie après l’autre mais qui ont plus d’impact que les faits eux-mêmes.

L’imaginaire, la rumeur, frappent plus les esprits que les faits, fussent-ils terribles dans leur ampleur, dans leur caractère exceptionnel, dans leur cruauté.

Freud questionné sur la guerre, sur la question de savoir s’il n’était pas étonné que débute la seconde guerre mondiale alors que le souvenir de la première était encore cuisant, avait répondu que le contraire l’aurait étonné.

L’être humain est capable apparemment des pires crimes (et Lévinas nous enseigne que c’est le principal objet de la Torah, que de répandre une alternative à cela dans l’humanité) ET s’en assortit fort bien par le mérite de l’amnésie, de la scotomisation, de la rationalisation, de tout l’arsenal du psychisme qui permet de « passer à autre chose » même après que se soient déroulées les pires catastrophes.

La rumeur échappe à ce phénomène…parce qu’elle est du domaine de l’imaginaire parce que l’esprit n’a été percuté par aucune scène de violence qu’il doit évacuer.

Goebbels disait « mentez, il en restera toujours quelque chose » et ce message nazi s’est bien implanté.

Puisse cette gigantesque vague d’anti-israélianisme, qui est antisionisme et qui est antisémitisme, devoir à son amplitude sa brièveté et son obsolescence rapide, de la même manière que les guerres qui menacent l’existence d’ Israël depuis sa création auront permis le développement de son exceptionnelle capacité à se protéger.

Puisse cette guerre se terminer, puissent les otages kidnappés être libérés, puissent les déplacés retourner chez eux, puissent la rumeur actuelle jouir du même sort que celle du meurtre rituel aujourd’hui caduque, puissent les Roger Waters perdre leur impact, puissent les calomniateurs recevoir les punitions qu’ils méritent, puissions-nous revenir à une vie normale et reprendre notre développement national, afin qu’il aboutisse à une cohabitation pacifique avec nos voisins.

 

 

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