dimanche 25 septembre 2022

Rajasthan 2022, troisième et dernier texte

 Et si le thème général de ces écrits sonnait un peu tendancieux, un peu inconditionnellement pro-indien, ne reste-t-il pas cette douloureuse question des sans-abris ? Ceux que l’on ne peut pas manquer et dont les bas-côtés des boulevards des villes sont le seul et unique logement ?


Si l’Inde est un pays éminemment civilisé, tant au niveau de sa puissance technologique qu’à celui de sa volonté clairement marquée de faire citoyens actifs ses habitants, il reste néanmoins beaucoup à faire…






Mais il n’en demeure pas moins que l’on revient de quinze jours de couleurs, quinze jours de plaisirs du palais…et de visites de palais de maharajas, de quinze jours de dépaysement total, et surtout, de quinze jours de communication optimale, que ce soit au nombre de fois où on s’est fait dire combien l’Inde et Israël sont les meilleurs amis de la planète, ou plus encore au nombre d’échanges verbaux en anglais bégayant mais en anglais quand même, depuis le chauffeur de rickshaw jusqu’aux étudiants côtoyés dans l’avion en partance pour huit ans d’études qui en Angleterre, qui au Canada et qui n’ont que curiosité affable et sourires par lesquels exprimer la multitude de questions qui leur débordent de la bouche ?

Quelques personnages :

Narandra. Après avoir été tentés de ressortir nos sacs à dos, au placard depuis quelques bonnes années, nous nous sommes rangés à la raison de l’âge et avons opté pour un voyage semi-accompagné. Narandra est donc notre chauffeur pour neuf des quinze jours de notre séjour. Il est du rajasthan et nous dit très rapidement, et fièrement, qu’il est rajpout, autrement dit, descendant de guerriers du rajasthan dont la virtuosité au combat est célèbre dans toute l’Inde. Il est aussi étudiant en second cycle de géographie mais investi depuis déjà quelques huit ans dans la conduite et le tourisme. Il ne semble pas que la voiture dans laquelle nous voyageons est la sienne, mais il en prend soin comme si c’était la sienne, paraissant plus attentionné à passer doucement dans les nids de poule pour la ménager elle que pour nous ménager nous. 



Il est cependant très attentionné, ne s’adressant à moi par écrit qu’avec la désinence « sir », nous accueillant chaque matin avec chacun une bouteille d’eau minérale fraîche, tout en restant très réservé, son anglais très minimal étant certainement une part de cette réserve. Nous apprenons qu’il a deux frère et sœur, et que s’il vit désormais à Jaïpur, il est originaire d’un village. Il est hindi, sa famille possède trois vaches et un buffle, ainsi qu’une moto. Il conduit très bien, et prudemment, mais à l’indienne, c’est à dire qu’il avance toujours, et au klaxon, même en situation où il faudra probablement laisser le passage. Et il ne s’énerve que très rarement contre tant conducteurs imprudents que piétons ou....vaches au milieu du chemin, l’un étant aussi fréquent que l’autre.

Le « joueur » de tambour de la procession de Agra. Tandis que je sue à grande eau en cette première fin de journée indienne où il ne fait pas moins de 35°, il considère visiblement qu’il est le chef d’orchestre de la procession…martelant son tambour de ses deux mains avec le plus d’autorité possible…tandis que personne ne se comporte à son rythme. Lui martèle et assourdit, et les participants dansent au rythme qui est le leur…ce qui ne paraît finalement pas lui entamer le moral d’une quelconque manière. Et lui, ne sue nullement....




Le père du patron de la Jaipur heritage haveli. Bon grand-père vêtu de sa très digne kurta claire, il sert très cérémonieusement un après l’autre les plats des repas servis à la haveli. Ici, contrairement à ce qui passe dans la plupart des hôtels où on peut recevoir un room service, on s’inscrit ou non au repas…qui n’est pas à la carte, mais varie d’un jour à l’autre, tout en restant "pure veg". Il nous sert, et donne ses instructions au garçon, de qui il nous explique au passage qu’il faut lui pardonner ses erreurs, puisqu’il est encore en formation. 






Le propriétaire et son père ont longuement vécu aux USA, ont travaillé dans le commerce des diamants (dont ils nous racontent sans antisémitisme aucun qu’il serait contrôlé au niveau mondial à 70 % par les juifs et 30% par les indiens), et sont revenus au pays, pour magnifiquement restaurer cette maison de la vieille ville de Jaipur qui leur appartient depuis trois générations. Sa présence et celle de son fils contribuent à faire de leur haveli notre meilleure résidence de ces deux semaines.

Serge Gainsbarre, guide du fort de Jaisalmer, qui a à disposition d’autres noms selon qu’il guide en français, en anglais, ou en italien. Il nous aborde à notre descente de voiture, un parmi une petite foule, et obtient sa place en exprimant doucement mais fermement qu’il était le premier. Il nous explique sans détour que prendre un guide sera la seule solution pour nous pour échapper au sinon incessant bourdonnement de harcèlements de propositions de services. 



On se souvient soudain que l’on pourrait aussi ne pas se déclarer uniquement israéliens mais aussi français…et voici qu’alors qu’il nous avait abordés en anglais qu’il guide aussi en - très honorable - français. Un français qu’il a appris au contact des touristes puis perfectionné par les bons soins de l’alliance française pour être aussi capable de lire et écrire. Il n’a pas travaillé depuis deux ans et a énormément de mal à joindre les deux bouts, ne sachant que travailler dans le tourisme pour une part, et ne voulant pas se reconvertir par exemple en vendant dans une boutique, du fait de la coutume qui consiste à ne pas payer l’employé les deux premiers mois « puisqu’il apprend », pour ensuite le licencier au troisième ou quatrième mois. 



Il nous propose pratiquement ouvertement de nous communiquer ses coordonnées pour que nous puissions envoyer nos contributions à l’éducation de ses deux jeunes garçons, pour lesquels il doit payer l’école, souhaitant pour eux une meilleure éducation que celle qu’ils recevraient à l’école gouvernementale. Au rajasthan, énormément de respect pour le maharajah, très très peu pour les services gouvernementaux.

Vijay, de l’Umaid heritage art school de Jodhpur. Ressemblant en cela beaucoup à Elie, de qui j’appris la menuiserie, le tournage, la sculpture, puis la lutherie, Vijay est un artisan qui sait faire de l’art, et qui a choisi de vivre de ses capacités et de son amour de l’enseignement. Dans sa art school d’une ruelle de la vieille ville de Jodhpur, il enseigne l’art de la miniature, avec les matériaux et les outils traditionnels, couleurs provenant des minéraux locaux, et pinceaux en poil d’écureuil.




 Son contact est très agréable, il a la dextérité de qui manie le pinceau et les couleurs depuis trente ans, et il sait encourager le débutant, en particulier par son humilité « j’ai fait moins bien la première fois que j’ai tenté de pratiquer cet art ». Il nous montre fièrement son livre d’or…de présentation très indienne et nous invite à nous y insérer, ce que nous faisons avec plaisir et respect, avant de repartir émus comme en cours préparatoire nos productions à la main..

Arun Singh du Pleasant Haveli hôtel de Jaisalmer. Lui aussi ne vit à Jaisalmer que parce qu’il y travaille tandis que sa famille (femme, deux enfants, deux sœurs, un frère et une mère) vit au village. Ses enfants vont à l’école mais lui n’a pas bénéficié du même régime. Il a été chamelier pendant vingt ans, avant de passer le permis de conduire et de devenir guide de safaris-chameau dans le désert. Il n’a appris l’anglais qu’au contact des touristes, et a néanmoins atteint un niveau des plus impressionnants.




 Il chante les louanges du patron de l’hôtel chez qui il est employé qui n’a pas licencié ses travailleurs pendant les deux ans où le corona lui a fermé la boutique. Lui aussi souhaite surtout qu'on lui écrive une bonne critique dans internet, mais raconte et prouve comment une ancienne touriste, de Jérusalem, est restée en contact avec lui et lui envoie régulièrement quelques menues contributions à l’éducation de ses enfants.

Le garçon de Pushkar. Il n’a pas dix ans, nous aborde dans la rue et nous explique qu’il ne demande pas d’argent…mais qu’on achète pour lui de quoi apporter à manger à la maison. Il dit chapati, mais veut qu’on achète du ghee…et l’obtient malgré le regard sévère du vendeur qui nous reproche de lui avoir donné le paquet sans l’ouvrir, « ce qui l’aurait empêché de le revendre ». Je ne suis pas opposé à ce qu’il le monnaye, lui qui a déjà obtenu bien plus que ce que notre mauvaise conscience nous aurait fait lui donner. D’autant qu’il a manœuvré autant intelligemment qu’agréablement…tout en ayant déjà bien assimilé que patience et longueur de temps font plus que force ni que rage, restant aussi tenace que tout indien qui vous accoste…et ne renonce qu’après multiples et nombreux refus.

Et les femmes ? Me croira-t-on si je dis que nous n’avons eu aucun contact avec une femme ? Que tout ce qui se fait au niveau administratif, hotelier, restauration, vente en boutique ne se fait qu’avec des hommes ? Pas de douanière, de policière, de serveuse, de vendeuse ? C’est un peu inexact. A Jaipur, la femme du patron de la super haveli a été celle qui nous a accueillis….pour pratiquement ne plus réapparaitre par la suite….gérée par les hommes de la maison. Dans un magasin de Jaipur, le contact était avec une femme. Bon, y a -t-il un homme qui vende du parfum ? Au musée Royal Albert, il y avait des soldates gardes. Dans la rue, il y a énormément de femmes. Ce sont elles qui la balaient, et bon nombre conduisent leur scooter (en gros, la moto est masculine, le scooter est féminin mais il y a des exceptions). A l’université nous avons vu un nombre presque équivalent de femmes à celui d’hommes. Mais surtout, combien de sourires, et de demandes de photos n’avons-nous pas eu !! Cela mettait aussi des hommes en scène, mais la majorité provenait de femmes. C'est-à-dire qu’elles n’ont pas l’attitude retenue, prude, puritaine que peut avoir la femme du pays ou de la société patriarcalo-religieuse…mais nos contacts furent pour l’essentiel avec des hommes quand même.




Les innombrables passants, vendeurs, conducteurs de rickshaws, enfants ou simples passants qui t’abordent constamment, souriants, demandant ta provenance, toujours prêts à te vendre un service mais aussi à entrer en contact, demandent à se faire photographier, tout seuls, avec toi.







Et ces mignons étudiants de qui je ne parviens pas à retenir les prénoms, qui sortent d’Inde pour la première fois, à fins d’études universitaires et qui ont question sur question, autant de réserves de sourires, et qui se séparent de nous après une discussion d’un quart d’heure comme si on s’était côtoyés toute une semaine. Ils insistent beaucoup pour qu’on n’oublie pas de nous rendre à Amritsar lors de notre prochain voyage en Inde.

Y a-t-il ainsi un autre pays duquel on revienne tant nourri de rencontres et de merveilles après un si court séjour ?


 

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