vendredi 25 décembre 2020

Le 10 Tébet 5781.

 

Aujourd'hui 10 Tébet – mais aussi par hasard 25 décembre, jour de Noël – est un jour bien particulier.

Certains juifs ne jeûnent pas ce jour. Parfois parce qu'ils ne sont pas juifs pratiquants et ne se plient pas aux consignes du rituel, parfois parce qu'ils ne "sentent" pas ce jeûne, qui figure dans les calendriers traditionnels comme commémorant la première brèche faite dans la muraille de Jérusalem par Titus, qui détruisit ensuite le temple, six mois plus tard, le 9 av de l'année +70 (3828 selon le compte depuis la création du monde, compte selon lequel nous sommes dans l'année 5781), considérant que cet évènement du 10 Tébet est peut-être largement dépassé : pourquoi jeûner pour cette première brèche quand c'est en fin de compte  toute la ville qui a été détruite ? pourquoi jeûner pour la destruction d'une ville qui a été reconstruite depuis longtemps ?

Certains juifs jeûnent ce jour, parce qu'ils sont juifs pratiquants, parce qu'ils se plient aux consignes du rituel, ou parce qu'ils regardent ce jour comme tragique du fait qu'il a marqué le commencement de la fin, on ne doit pas seulement marquer l'aboutissement d'un processus de destruction mais remonter à sa source.

Certains juifs, cependant, jeûnent ce jour pour une raison supplémentaire : le 10 Tébet depuis trente ans a été déclaré "jour du kaddish indéterminé", c'est-à-dire jour où on dit le kaddish pour les individus dont on ne connaît soit pas la date exacte de décès, soit pas le lieu  de sépulture.

Cette déclaration a permis à ceux qui ont perdu un proche par exemple lors de la shoah, n'ont pas su le jour exact de l'extermination et n'ont pas de tombe sur laquelle aller se recueillir, de pouvoir dire le kaddish pour eux "en compagnie", de pouvoir bénéficier d'une reconnaissance publique de cette disparition et de leur deuil.

Mon père a ainsi perdu sa mère et a bénéficié de cette décision de mise à jour de la halakha.

Tristement, cette décision sert aussi à alimenter une autre controverse : celle qui est née de la proclamation du 28 Nissan comme "jour anniversaire de la shoah et de l'héroïsme", par les autorités israéliennes et sionistes dès après la proclamation de l'état d'Israël en 1948. Certains ne voulurent pas honorer cette décision par désaccord idéologique avec ses proclamateurs, soit qu'ils étaient en désaccord avec le sionisme et ses réalisations, soit qu'ils ne s'identifiaient pas à la réunion de la shoah et de l'héroïsme militaire de l'armée israélienne ou des juifs qui ont vaincu l'opposition antisémite ou antisioniste, refus de s'identifier soit politique soit religieux.

Je m'associe quant à moi non tant pour saisir une occasion qui m'est donnée que pour saluer ce pas. Un très juste et heureux pas en avant qui atteste d'une trop rare capacité des décisionnaires du judaïsme religieux de faire preuve de clairvoyance et de capacité de décision et d'impact.

Je jeûne le 10 Tébet en tant qu'il est le jour où s'est trouvé marquée la tragique disparition de ma grand-mère à Auschwitz en 1943, en souvenir d'elle, et pour m'associer au deuil de ceux qui ont aussi perdu un/e proche dans ces circonstances et ils sont nombreux.

Je ne jeûne pas par contre du fait de cette brèche d'il y a 2000 ans, parce que je considère que jeûner pour cette raison revient à nier l'histoire de ces dernières cent et quelques années, histoire qui a permis et vu la proclamation de l'état d'Israël et par cela, la réinstallation du peuple juif sur sa terre et la renaissance inégalée tout au long de l'histoire du judaïsme de ce fait.

Depuis les débuts du sionisme, l'hébreu a été ressuscitée comme langue parlée et écrite, et l'étude de la Torah a été revivifiée. L'état d'Israël a permis l'accueil et le sauvetage de milliers de juifs du monde entier et est le lieu d'un développement (démographique, scientifique, culturel mais aussi moral et civilisationnel) qui n'a pas son équivalent dans le monde. Israël est un lieu d'où émanent énormément d'apports à l'humanité entière – même si je ne voudrais pas que l'on oublie que ce tableau comporte encore bon nombre d'imperfections – et ce jour du 10 Tébet est témoignage et attestation de cela.

En ce jour, triste parce que nous nous devons d'honorer la mémoire des disparus, mais honorable et solennel, je salue tous ceux qui liront ce texte et s'y associeront, qui soient-ils et où soient-ils de par ce monde.