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Et qu'est-ce qui fera de lui un
"bien" ou "mal" nommė ?
Lui dont le père évoqua,
partiellement, ce midrach de Beréchit Rabba 37, 7, où au sujet du nom que reçut
le fils de Ever : " et Ever eut deux fils, le nom du premier Peleg "
trois thèses s'affrontent, sont en dialogue.
Pour rabbi Yossi, "les pères,
dont l'ascendance était connue de tous, nommaient les enfants en fonction de
l'actualité, nous autres, dont l'ascendance n'est pas connue, les nommons des
noms de leur père, grand-père ou aïeul", tandis que pour Rabban Shimeon
ben Gamliel : " les pères, qui recevaient l'inspiration divine, nommaient
leurs enfants en fonction d'icelle, nous autres, qui n'avons plus l'inspiration
divine, les nommons des noms de leurs ancètres".
Cette controverse, que l'on va
essayer d'explorer avec nos maigres moyens, parait comme "mise en
abîme". D'une part, elle parait déjà précéder ce dialogue rabbinique,
parait déjà habiter le texte biblique. Par ailleurs, le thème évoqué est précisément
celui de la controverse, de la dispute, de l'incommunication. Ainsi, Rabban
Shimeon ben Gamliel et Rabbi Yossi dialoguent-ils ou ne sont-ils qu'en conflit
? La suite va peut-être nous montrer qu'il n'y a pas de dialogue entre eux,
qu'à travers eux ce sont bien deux thèses diamétralement opposėes qui
s'affrontent.
Controverse déjà dans le texte
biblique ? Le texte de Beréchit poursuit ainsi : " Peleg, fut nommé ainsi
parce que la non-communication fut la caractéristique centrale de son époque,
et le nom de son frère fut Yoktan", sans explication du nom...comme si la
fin du texte manquait. On s'attendrait à trouver l'explication du nom, comme
dans le cas de son frère, mais elle n'y est pas. Comme si Ever n'ait été habité
d'esprit divin que pour le premier enfant ! Comme si un nom était signifiant et
l'autre non (nom?) ? Comme si le texte biblique lui-même s'insérait dans le
dialogue et venait dire : parfois le nom a un sens, parfois il n'en a pas...
Le midrach complète le texte biblique
et explique le nom de Yoktan : "il fut ainsi nommé parce qu'il était
modeste, amenuisait -maktine- sa propre importance".
Le midrach doit compléter, parce que
le texte biblique s'il dit en référence à quoi (la tour de Babel) dut
nommé Peleg, ne dit pas au regard de quel évènement fut nommé Yoktan.
Et l'explication du midrach est qu'il
ne fut pas nommé au regard d'un évènement historique, mais que sa personnalité
était le reflet de son nom, ou l'inverse.
Dans le midrach, un peu de la même
manière, Rabban Shimeon parle d'inspiration divine, tandis que Rabbi Yossi
semble parler d'autre chose.
Rabban Shimeon Ben Gamliel semble
parler de l'impact du divin sur la création tandis que Rabbi Yossi parlerait
plutôt de l'impact, de la résonance de l'homme, sur sa propre réalité.
Comme si on avait ici deux
nominations obéïssant à deux mécaniques différentes, nomination prophétique
pour Peleg, nomination inspirée peut-être par l'observation de l'individu et de
sa psychologie pour Yoktan.
Mais cette incommunication de la tour
de Babel est, elle aussi, non tant une malédiction divine antérieure venant à
se réaliser que le produit d'une attitude humaine.
Et quelle est cette précision
"historique" du midrach selon laquelle du temps des patriarches
l'ascendance était connue tandis qu'aujourd'hui elle ne l'est pas ? Ne
l'est-elle pas ? Ne savons-nous pas les noms de nos ancètres ? Ne
connaissons-nous pas des gens qui connaissent leur ascendence de nombreuses
générations en arrière ?
Serait-ce de l'eau pour le moulin des
Schlomo Sand et autres négationnistes selon lesquels nous ne connaitrions
véritablement rien du tout, selon lesquels les liens du sang du peuple juif ne
sont qu'une invention ?
Ou ce dialogue viendrait-il en écho
aux enseignements de Yshayahou Leibovitz (à ne comparer en rien au précédemment
nommé !) selon lesquels le judaïsme n'est pas une question d'ascendance mais
d'éthique ?
Il est vrai que notre ascendance est
infiniment plus ramifiée que ne l'était celle des descendants directs de Noah,
mais le midrach parle-t-il de connaissance ou de notoriété ? Qui, connait
ou ne connait-il pas l'ascendance ?
Ce n'est forcément pas le père, celui
qui nomme, qui est en question, du simple fait que s'il donne le nom de ses
pères, c'est bien parce qu'il les connait..
Et donc, il apparaîtrait ici que le
sujet de la controverse du midrach, à moins que ce ne soit déjà le sujet de la
controverse biblique, pourrait être ce qui doit habiter l'esprit de celui qui
nomme son enfant.
Que cherche-t-on quand nous nommons
un enfant ? Cherche-t-on à donner une information ? Cherchons-nous à l'équiper
pour la vie ? Savons-nous ce que nous faisons quand nous nommons un enfant et
que nous avons peut-être un impact inconscient à travers cette nomination ?
On aurait l'impression que ces éléments
sont au coeur du débat qui sépare - et réunit - Rabban Shimeon ben Gamliel et
Rabbi Yossi. Rabban Sh. semble préoccupé de comment répercuter la volonté
divine dans le monde, semble préoccupé de l'humanité et du message à lui
communiquer, tandis que rabbi Yossi semble plus préoccupé de l'enfant
lui-même.
Mais Rabbi Yossi ben Halafta que le
midrach laisse prendre la parole en troisième temps donne un avis peut-être de
nature à apaiser la controverse : ce serait, à ses yeux, du fait de sa propre
personalité, de modestie extrème, que Yoktan produit et alimente l'humanité
: "du fait de cette qualité, il fut gratifié du mérite d'engendrer à
lui tout seul treize familles"(ibidem), et le mérite de son père est
d'avoir eu la révélation - ou d'avoir entrevu chez lui cette potentialité.
Et son avis est un troisième regard
sur le lien de la prophétie à la nomination des enfants. Pour Rabban
Shimeon ben Gamliel, la prophétie transcende l'humain. A-t-on la prophétie que
l'on se retrouve à surtout nommer l'humanité, et accessoirement nos enfants.
A-t-on l'inspiration divine que l'on peut influer sur le monde, et ceux qui ne
l'ont pas sont condamnés à la transmission d'informations anodines. Pour Rabbi
Yossi, nous nommons nos enfants en fonction de ce que nous ressentons être
notre besoin, le besoin de notre époque. Pour rabbi Yossi ben Halafta, là est
la prophétie : elle permet à l'individu de voir ce qui va sortir de son enfant.
Une prophétie non de ce que le ciel envoie, mais prophétie comme une certaine
capacité de comprendre et d'anticiper ce qui va arriver.
Faut-il avoir reçu le don de
prophétie pour voir un tel potentiel chez un enfant ? Est-ce prophétique de
savoir voir les aspects sous jacents de la personalité de son enfant ? Ou dans
l'autre sens, un individu qui voit qui est son enfant est-il habité de résidus
de cette prophétie supposée avoir quitté le monde ?
Pour Rabbi Yossi ben Halafta, Ever
est donc principalement prophète du fait de la descendance qu'il eut, que ce
soit à travers les treize familles de son fils, que ce soit du fait qu'il fut
le père du genre hébreu ( dont l'étymologie est précisément "descendant
d'Ever").
Un peu comme si ce docteur de la
tradition enseignait avant l'heure ce qu'enseigne Rav Adin Even Israël (
Steinzaltz) à notre génération : n'est pas tant juif celui dont le père est
juif (celui dont l'ascendance est connue) que celui dont le fils est juif
(celui dont les enfants vont perpétuer le judaïsme) (on remarquera au passage
que le sus évoqué Shlomo Sand est particulièrement mal équipé dans ces domaines
: il ne connait pas son ascendance et ne laisse rien de juif à sa descendance
"comment j'ai cessé d'être juif" a-t-il fièrement publié : voilà
quelqu'un qui parait n'avoir rien reçu, ne disposer que d'extrèmement peu
d'éléments pour comprendre ce qu'est l'identité juive. Nous ne l'envierons
pas).
Mais pour revenir à des individus
dont la réflexion parait incomparablement plus ancrée, nos trois contradicteurs
sont donc bel et bien occupés par l'interface de l'identité et du destin de
l'humanité, et on reste avec l'impression que Rabban Shimeon ben Gamliel était
le plus pessimiste des trois. Prophétie
ou annuaire téléphonique semble-t-il vouloir dire.
Les deux autres semblent exprimer une
plus grande confiance en l'homme.
Gageons, nous autres post-modernes,
que l'enfant qui naît recevra plus de parents occupés à déceler et développer
sa personnalité que de parents obnubilés par ce que le Divin a concocté pour le
monde.
Un enfant appelé "qui apporte la
lumière" reçoit au moins un message : il a un rôle sur terre. Quelqu'un
attend ce qu'il va apporter.
Un beau départ.
Prends ton temps Hillel Méïr. Tes
parents ont connu leurs ascendants, sont connus de leur entourage, sont même
précédés par leurs bonnes actions et leur savoir. Qu'ils te soient, eux, leurs
parents, et tes frère et soeurs le meilleur entourage possible !
כן
יזכו לגדלו לחופה לתורה ולמעשים טובים, עד מאה ועשרים.