mercredi 31 juillet 2019

Voyage aux sources polonaises. 1.



Préliminaires.

C’est fin juin que je réalise que ce voyage, qui ne se concrétise que dans quatre semaines, a en fait déjà bien commencé.

La phase de genèse de l’idée remonte à deux ans, quand Katarzyna a débarqué dans la communauté, avec son état d’israélienne encore proche de son passé non juif polonais, et quand a germé en moi l’idée de faire avec son aide ce voyage à Pulawy que je n’ai pas réussi à faire il y a onze ans lors de mon passage en Pologne avec les groupes de la « marche des vivants ».

Le groupe aussi s’est constitué avec quelques hauts et bas, illusions désillusions, mise au point du programme, et nous voilà aujourd’hui un groupe de neuf personnes, quatre couples de la communauté plus Michèle qui se joint à nous. Il s’agit d’un voyage semi-organisé, dans lequel deux jours sont « chacun son programme », tandis que les deux jours du début et les trois de la  fin sont organisés.

Les modalités de « qui va où, qui loge où, qui est seul, qui est en groupe » semblent au point,

Et commence à prendre sa place la partie personnelle et émotionnelle. Katarszyna avait proposé de prendre contact avec les diverses archives, civiles et juives, et ceci a commencé.

J’ai déjà reçu l’acte de naissance de Israël Tauber, né en 1880. 



J’ai déjà les relevés d’état civil des naissances de quatre sur cinq de ses enfants du premier lit, et il commence à apparaître....que tout n’apparaîtra pas.

Ce qui doit peut-être être le signe sous lequel il convient d’inscrire ce voyage d’entrée de jeu. La nature de l’homme est de fantasmer, et dans ce cas précis de mettre tous les espoirs de l’éclaircissement du brouillard du passé dans les éléments nouveaux : l’accès aux archives et le déplacement.

Il y a onze ans, j’étais rentré un peu dépité de n’avoir pas pu passer par Pulawy, j’avais constaté que la rue Chlodna où vivaient les Wajnberg à Varsovie avait été entièrement transformée, j’avais cru que toute trace de présence juive avait été effacée à Pulawy et j’avais en gros fait mon deuil.

Et voilà qu’arrive Katarszyna avec du nouveau. Et voilà que je découvre (ce qui n’existait pas il y a onze ans) un site « virtual shtetl » dans lequel je peux voir qu’ont été posées au moins plusieurs plaques et ce que je crois à ce stade être des tombes virtuelles à Pulawy, et que tout ceci fit repartir le fantasme.

Les préparatifs du voyage sont intensifs. Au niveau collectif ils incluent deux rencontres avec Shlomo Balsam (qui a déjà emmené 250 fois !! des groupes en Pologne, et à Auschwitz...alors que selon ses dires, lors de son premier voyage, en direction du village où étaient nés ses parents, il n’envisageait même pas d’entrer dans le camp, pourtant tout près. Si quelqu’un cherche des exemples de « retour du refoulé »...), une conférence donnée par Shmil Holland, spécialiste de l’histoire de l’installation en Pologne des juifs, du statut des juifs polonais aux diverses époques de l’histoire, et spécialiste du hassidisme, étant lui-même un descendant du rabbi de Kotzk, la lecture de « gog et Magog » de M.Buber, nombreuses recherches sur internet-wikipedia concernant Pulawy, les hassidé Kotzk, la mise à contribution de Benjamin qui envoie quelques documents sur les deux rebbes de Kotzk (petit-fils et arrière petit-fils du premier kotzker rebbe) qui ont exercé à Pulawy, la mise à contribution de ma mère pour localiser dans le « Pulav yzker bukhs » les passages directement informatifs, et celle de Michèle pour les traduire.

Marianne raconte aussi à Varda, son amie née en Pologne, ce que nous sommes en train d’entreprendre, et elle apporte un annuaire en polonais des rues de Varsovie et de leur histoire...


dans lequel je découvre l’adresse du lieu de rencontre de pépé et mémé. Ils travaillaient tous les deux chez les Heinsdorff, cousins directs de pépé et connaissances des Tauber, et je découvre l’adresse de cette épicerie de produits coloniaux, au 11 rue Karmelicka. Varsovie ayant été énormément bombardée, en particulier le ghetto, rien aujourd’hui ne ressemble, et je n’ai aucune chance de trouver l’immeuble, mais avoir l’adresse, et d’autant plus que c’est tout proche du musée juif, donnent la double possibilité de me promener sur place et d’humer.

A Pulawy, la situation semble similaire. Le livre m’indique assez précisément les lieux où se trouvait le bet midrash du rebbe, et la cour dans laquelle la plupart des hassidim (dont mes arrière grand-parents habitaient) mais le site virtual shtetl contient l’information que tout à Pulawy a été détruit encore avant la fin de la guerre, pierres des maisons juives et de la synagogue détruites, pour le renforcement d’une route, et pierres tombales pour les fondations d’une usine de gelatine, et vu qu’aucun juif n’est retourné se réinstaller à Pulawy après la guerre, il n’y a que très peu de chances que les maisons existent encore, même si elles n’ont pas été toutes bombardées..ce qui fait que la visite à Pulawy va aussi plutôt être du domaine de l’imaginaire que de celui de la constatation visuelle.

Plus nous approchons de la date du départ, plus nous nous rendons compte combien cela va probablement nous être émotionnellement dur. Le plus bizarre est que cela ne parait pas le cas de tous les participants, à moins qu’ils se dispensent de partager avec nous cette composante...

J’ai en tout cas bien compris que le fait de ne pas nous rendre dans les camps ne réussira pas à nous épargner la composante tragique de ce voyage. Toute la famille Fliederbaum qui était encore en Pologne a été envoyée à Treblinka - même si Jack émet des doutes sur cela, arguant par exemple que sa mère,serait morte,d’une crise cardiaque chez elle, et que les autres n’étaient peut-être pas dans le ghetto (et la découverte tardive de l’annuaire téléphonique de Varsovie de 1939-40 semble appuyer ses dires) - et les Tauber qui étaient restés à Pulawy, ainsi que les Borenztein, ont aussi été envoyés à la mort. Les preuves de tout cela apparaissent de la non réapparition d’aucune de ces personnes après la guerre.