lundi 30 octobre 2023

Lekh lekha et vayéra de l'année 2023

texte publié à l'occasion de la bat mitzva de ma cousine, ce shabbat à Paris.

 

Les deux parchiot lekh lekha et vayéra sont en général considérées comme une unité, et, ainsi que le précise Y.Leibovitz, bien que le thème central en soit Avraham, il faut ne pas considérer ces deux textes comme la biographie d’Avraham.

Le texte est ainsi extrêmement avare de détails de vie, la naissance d’Avraham et sa mort appartiennent à deux autres parchiot, et les évènements de sa vie au sens où on l’entend généralement (mariage, vie professionnelle, réussites, échecs, états d’âme)  n’apparaissent en fait que partiellement et parcimonieusement dans le texte biblique.

De façon générale on peut être à plusieurs reprises étonné à la lecture du texte de combien il n’est qu’une illusion de récit chronologique. Ainsi par exemple, on nous relate l’arrivée en terre d’Israël, et le texte précise qu’ “à ce moment le cananéen habite la terre” (Genèse 12, 6) . On s’attend à ce que nous soient détaillés ce que cette phrase implique, or le texte passe directement à “il y eu une famine” (Genèse 12, 10), qui conduit Avraham à aller en Egypte, où a lieu le bizarre épisode induit par l’étonnante consigne donnée par Avraham à Sarah “dis que tu es ma soeur” (Genèse 12, 12), épisode qui parait donner immédiatement lieu (Genèse 12, 19) au renvoi d’Avraham d’Egypte…mais alors qu’on s’attendrait à ce qu’Avraham ait à nouveau à se mesurer avec la famine, il n’en est plus question, au contraire, Avraham est devenu riche.

Quand et comment ceci s’est-il produit ? combien de temps s’est écoulé ? Ce n’est pas le sujet du récit biblique.

La suite porte surtout sur ses relations à son neveu Loth avec lequel ils se partagent le pays (Genèse 13, 8) afin de ne pas se quereller, et tout de suite après se produit l’enlèvement de Loth par des rois qu’Avraham poursuit jusqu’à Dan (Genèse 14) pour y reprendre kidnappés et butin dérobé, c’est à dire afin semble-t-il de nous conter un épisode d’agression non justifiée contre sa famille ayant eu lieu dans le sud du pays, ayant fait l’objet de la réaction la plus morale qui soit de la part d’Avraham (Genèse 14, 22 et 23) et ayant eu  des répercussions jusqu’à la frontière nord.

On voit donc Avraham plus occupé à gérer ses relations interpersonnelles, avec son neveu, avec ses voisins (Pharaon, Avimelekh) et face à l’hostilité locale (kidnapping et la répétition des noms des peuples qui vivent à ce moment dans le pays) qu’à mener sa vie personnelle.

Et il est bien difficile de ne pas voir en quoi ces parchiot que nous lisons dans le texte semaine après semaine, ne sont pas en synchronie avec notre vécu de ces jours-ci vraiment.

 

Ce qui nous mobilise, tout le peuple d’Israël, intramuros et à travers le monde, ce n’est pas notre croissance économique, l’éducation de nos enfants, nos réussites ou échecs personnels ou nationaux, c’est notre relation à un ennemi que nous considérons comme voisin et qui ne souhaite que notre disparition, un ennemi qui vient de se livrer à une agression spontanée ayant causé la mort d’un très grand nombre de gens de toutes sortes (militaires et civils, bébés et vieillards, valides et invalides, juifs et non juifs, israéliens et non israéliens).

Comme si ce texte racontait une histoire générique, que peut avoir à rencontrer répétativement le peuple juif, plutôt que le témoignage d’une histoire s’étant une seule fois produite avec un héros bien précis.

 

Comme si la Torah n’était pas un livre d’histoire des hommes mais le livre de l’histoire de l’humanité de l’homme.

Ceci est bien l’histoire d’Avraham, en ce qu’il prend sur lui l’élévation de l’humanité à un plus haut et plus moral niveau.

Dans la paracha Noah’ surgissait dans le texte hébraïque (Genèse 6, 11) le mot Hamas (dont la traduction littérale est violence ou iniquité et dont la traduction en araméen selon Onquelos est…”kidnappés”), et on nous présentait Noah’ comme le seul individu jugé digne de survivre, comme celui qui recevait l’injonction “fais pour toi une téva” (Genèse 6, 14) , ce mot dont la signification est aussi bien “une arche” qu”un mot”. Noah sait faire l’arche et dans la progression de l’humain vers l’humanisme il faut attendre Avraham pour qu’un individu prenne sur lui de faire progresser l’humain par des mots, par le premier message humaniste de l’histoire de l’humanité.

Dans la paracha lekh lekha, lue cette semaine, il y a entre autres cet enlèvement de Loth et la mention deux fois réitérée des habitants du pays qui ne sont pas sans résonner dans nos oreilles éprouvées d’une dure actualité.

Être juif signifie prétendre à un niveau d’humanité selon lequel la vie d’un kidnappé est la chose primordiale, celui-ci fût-il un cousin avec lequel les relations sont plutôt fraîches.

Être juif signifie frapper son ennemi mais en gardant visage humain même si celui-ci a manifesté la plus grande déchéance humaine possible.

Un des assaillants du hamas du 7 octobre explique au cours de son interrogatoire que le quartier général de l’organisation - qui n’est pas digne d’être qualifiée politique ni même terroriste tant elle s’est affichée au-delà, comme criminelle et inhumainement meurtrière - est situé sous le plus gros hôpital de Gaza parce qu’ils savent qu’Israël n’attaquera pas un hôpital ni une école, aussi utilisées par le hamas comme arsenals, lieux d’où sont tirées les roquettes.

La paracha lekh lekha contient aussi un élément à faire frissonner et c’est la prédiction au sujet d’Ishmaël appelé à ne pouvoir que se distinguer comme “un sauvage dont la main est partout et qui s’approprie tout” (Genèse 16, 12). “Et il se maintiendra à la face de tous ses frères” conclut tragiquement le verset. Est-ce inéluctable ? Irréparable ? Les évènements du 7 octobre sont une dramatique illustration…

Parmi les assaillants de la boucherie du 7 octobre se trouvaient aussi des travailleurs des villages assaillis, travailleurs jusqu’à la veille en bonne relation avec leurs employeurs (20000 gazaouïtes recevaient au quotidien l’autorisation de passer la frontière pour venir travailler en Israël), et qui viennent s’associer à leur massacre aujourd’hui. Parmi les victimes et les kidnappés se trouvent bon nombre d’individus dont l’occupation majeure était le militantisme pour la paix, le convoi régulier de malades gazaouïtes vers les hôpitaux israéliens.

Dès le 7 octobre, après dix mois de crise de politique intérieure, qui incluait de la part de la moitié du pays un vif désaveu de la majorité au gouvernement, le pays israélien entier est unifié derrière le combat et le soutien, gauche et droite, religieux et séculiers, avec un niveau de volontariat rarement égalé, que ce soit pour consoler les familles des victimes, pour prendre en charge les individus déséquilibrés mentalement par le choc du 7 octobre, pour soutenir les individus déplacés pour raisons militaires, pour aider à l’agriculture et plus encore.

Le monde extérieur a manifesté sa désapprobation de l’action du hamas, tous ne se joignant cependant pas à la condamnation de la cruauté, et l’impression dominante est que ce mouvement de soutien pour beaucoup aura été d’extrêmement courte durée, vite remplacé par un tollé de condamnation de la force militaire réactive d’Israël, très souvent encore avant l’examen des faits réels, comme par exemple l’incident du 9 ou 10 octobre. Ce jour, un feu tomba sur le lieu d’un hôpital de la partie sud de la bande de Gaza. Il ne s’était pas passé plus de quelques minutes que le “massacre des cinq cents victimes commis par Israël” était dénoncé, que ce soit par le sinistre chef de l’autorité palestinienne qui décrétait sur le champ trois jours de deuil national, et qui parlait de “génocide israélien du peuple palestinien”, que ce soit par notre “ami” de toujours le président turc, que ce soit par la gauche européenne et américaine…avant qu’il apparaisse que rien de tout ce qui était dénoncé ne s’était produit. Il ne s’agissait ni d’un bombardement israélien, ni de feu tombé sur l’hôpital, ni de plus de quelques dizaines de victimes…d’un tir palestinien qui n’avait pas réussi à sortir de la bande de Gaza et était tombé (accidentellement ou volontairement?) sur le parking de cet hôpital faisant quand même quelques morts mais ne s’approchant pas de la cheville du “massacre israélien” dénoncé spontanément.

Dénoncé spontanément par des gens qui avaient déjà oublié qu’un “massacre pour de vrai” avait été commis, par leur propre peuple en ce qui concerne Abou Mazen, deux ou trois jours plus tôt. Un massacre qui dépassait de loin le niveau pogrom, qui avait inclus des bébés, des vieillards, des invalides, un massacre qui avait été accompagné de tous les actes les plus vils auxquels sait recourir l’humain, même quand il descend lui aussi d’Avraham.

Le message d’Avraham n’est pas qu’un message de paix, de bienveillance, de fraternité. Il est un message de révolution.

L’individu doit se révolutionner pour savoir ne pas tomber dans les agissements les plus vils. Ishmaél peut-il aussi se révolutionner et donner naissance à un islam qui rejettera cette partie de lui-même ? C’est un challenge qui leur incombe. C’est le véritable challenge qui devrait animer cette gauche qui se dit militer en faveur du peuple palestinien. Rien ne peut plus enfoncer le peuple palestinien que la justification internationale de ce massacre. Rien ne peut plus aider le peuple palestinien que la renonciation à ce combat armé accompagné de négation de l’humain.

Le judaïsme exprime cela sous la forme des mitzvot. C’est avant tout le rôle des mitzvot : mettre en action au quotidien un niveau d’exigence maximal de soi.

C’est par ce niveau d’exigence qu’Avraham dépasse de loin le programme noahide. Pour la tradition juive, Noah aussi émet des obligations, des mitzvot, au nombre de sept.

Avraham mis en mots par la Torah porte ce nombre à 613, un chiffre encore augmenté à 620 par les sages de l’après destruction du temple et envoi en exil du peuple juif par les romains.

Le peuple juif depuis Avraham vient s’installer sur la terre d’Israël et y est mal reçu.

Sans retourner vers l’Antiquité, le présent est témoin du caractère générique conté par la Torah à travers le procès intenté aujourd’hui contre le sionisme, vu par certains comme une excroissance coupable du judaïsme, alors qu’il n’est rien d’autre que la réactualisation du projet avrahamique, vu par certains comme un colonialisme alors que les juifs ne sont venus s’installer sur cette terre non en colonisateurs impérialistes, riches et arrogants, mais uniquement en tant qu’individus, meurtris des coups donnés par l’histoire récente qui était la leur, forts de leur seule force de travail et de leur intention de faire fructifier la terre et l’humanité, comme le fit Avraham. Un mouvement vu par certains comme un crime à l’encontre de la population locale alors que les terres sont au départ toutes achetées, alors que la population locale non seulement n’est pas exterminée mais croît en nombre et en niveau socio-économique en parallèle de celle d’Israël.

Le phénomène d’antisionisme contemporain est finalement identique à une certaine opposition rencontrée par Avraham, puis par son fils et son petit-fils, mais le vingt et unième siècle vient montrer non seulement qu’il y a de la place pour vivre côte à côte selon les chiffres de l’an 1900 quand vivent sur place une poignée de juifs et guère plus de population locale, non encore désignée comme palestinienne, mais aussi selon les chiffres de 2023, qui sont de près de huit millions de juifs pour quatre ou cinq millions de palestiniens.

Il y a non seulement la place pour tous, mais il y a la possibilité de vivre côte à côte - tout au moins jusqu’au 7 octobre 2023 jour de l’aube d’une ère nouvelle qui n’est pas encore définie mais qui change la donne.

Il y a la place pour tous, tout n’est question que de décision.

La Bible montre les alliances contractées entre Avraham et les voisins, ou les habitants locaux, contractées par Ytshak et les mêmes, qui ont entre-temps rompu les alliances, par Yaakov qui semble plus concentré sur l’édification physique et morale de sa famille qui se mute en peuple que sur les relations extérieures.

Le message avrahamique est encore actuel, ne serait-ce que par le fait qu’il est lu dans toutes les synagogues du monde année après année, qu’il est enseigné aux enfants juifs depuis les plus petites classes. Me concernant, le premier texte biblique qui m’a été enseigné, aux alentours de l’âge de 7-8 ans est celui-là.

On lit ces parchiot non en souvenir d’une histoire ancienne, l’histoire des hébreux comme on nous l’enseignait en classe de sixième chez Jules Ferry, histoire selon laquelle le peuple des hébreux existait durant l’Antiquité puis avait disparu.

Le ministère de l’éducation français ne vit pas dans les années 50 et 60 du vingtième siècle qu’il y avait comme une perversion cynique de l’histoire à ainsi persister à cantonner le peuple d’Israël à son histoire ancienne, à peine cinq ou dix ans après que l’europe et le monde entier aient connu le plus formidable déferlement d’antisémitisme de l’histoire de l’humanité, et en ignorant superbement 2000 ans de judaïsme scandé au quotidien par “l’an prochain à Jérusalem” et fort de centaines de milliers de pages écrites, lues et enseignées (le talmud et toute la littérature rabbinique ininterrompue au long de vingt siècles).

Le monde éclairé aujourd’hui ne dénonce pas assez cet antisionisme qui est la forme moderne de l’antisémitisme, au nom duquel associé à un prétendu humanisme n’hésitent pas moult représentants des pays du monde aux mains les plus engluées de sang, à accuser les juifs - représentés aujourd’hui par les israéliens et leur armée - de crimes dont ils sont eux-mêmes les plus éminents et fréquents acteurs.

Ceci tandis que les israéliens ne se livrent pas à des massacres mais au contraire ont développé le seul système connu et utilisé au monde de “frappe à la porte”, pour avertir que telle cible - dans laquelle se trouvent des civils ou des enfants cyniquement utilisés comme boucliers humains - va être “chirurgiquement” frappée (cibles atteintes avec la plus grande précision) et qu’il faut incessamment la quitter.

Ceci tandis que les israéliens ont développé un système qui leur permet de ne pas voir leur population massacrée par l’envoi incessant de roquettes hautement meurtrières. Ce système – associé peut-être à une certaine « protection divine » ? -  permet que plusieurs milliers de roquettes aient été tirées sur tout Israël et que la population n’ait pratiquement pas été touchée.

Ceux, à l’extérieur de nos frontières, qui identifient le peuple israélien d’aujourd’hui avec Avraham ne font pas légion.

Ceci est peut-être la preuve de l’actualité du texte biblique et de la nécessité de s’en imprégner, d’imprégner l’identité juive moderne mais aussi l’identité humaine afin qu’Avraham (qui change de nom au cours de son histoire, devenant “père de l’humanité” - sens littéral de ce nom hébraïque) devienne véritablement celui qui a élevé le niveau moral de l’humanité.

Ce n’est pas encore réalisé.

 

mardi 24 octobre 2023

la leçon par la parabole

 

L’attaque du hamas ce 7 octobre 2023, qui nous trouve encore abasourdis aujourd’hui, qui laissera en nous des blessures sur des décennies, du fait de sa violence et de son caractère inhumain mais aussi du fait de notre faiblesse qu’elle a exposé au grand jour, cette attaque a eu lieu à une date bien précise.

Le 7 octobre est d’une part le lendemain même du jour anniversaire de la guerre de kippour, qui nous avait trouvés en même posture, et les journaux israéliens et même d’autres pays étaient pleins ces dernières semaines de la commémoration des cinquante ans de cette sinistre date.

Le 7 octobre était d’autre part jour de fête en Israël, paradoxalement le jour du summum de la joie, la fête qui clôt Souccot communément appelée la fête « par excellence », et la fête du bouclage de la boucle annuelle selon laquelle la Torah est lue par le peuple d’Israël d’année en année, la fête de la Torah.

Comme si cette coïncidence avait été choisie à dessein par les programmateurs de l’attaque, qui choisissaient ainsi de porter un coup supplémentaire au coup militaire.

Comme si cette guerre portait un élément visible, celui de l’opération purement militaire, très réussie pour un aspect, celui de la surprise, celui de l’envahissement très temporaire mais néanmoins réel, mais aussi un élément sous-jacent, peut-être de plus forte portée. Élément de démoralisation, qu’il est encore prématuré de savoir si telle sera sa portée.

Il y a une autre coïncidence de calendrier à laquelle se rattache cette attaque, qui a provoqué un état de belligérance qui dure depuis, qui va peut-être être long, et c’est celle de ce que raconte la Torah dans ce qui se lisait shabbat dernier dans les synagogues, l’histoire de Noé et du déluge.

Selon un courant très important dans le monde juif, courant directement induit par Maïmonide, le penseur juif qui vécut de 1140 à 1205, né en Espagne, passé en Israël , installé en Egypte puis enterré à Tibériade, les récits de la Torah sont avant tout des paraboles. Ils ne décrivent pas tant une réalité dont ils sont les témoins qu’ils sont le véhicule de messages masqués par le récit.

On ne sait donc pas si ce déluge a réellement eu lieu, quelles ont été ses dimensions, ses conséquences (les licornes ont-elles existé puis disparu dans le déluge comme le dit la chanson ?), mais on sait que le déluge est un événement universel qui appartient à l’histoire de l’humanité.

D’après le texte hébraïque, ce déluge est déclenché par le Créateur du fait de son diagnostic de l’état du monde, monde qui serait entièrement perverti, à tous les plans, situation décrite bizarrement par le terme hébraïque…. « hamas ».

C’est un mot relativement fréquemment utilisé au long de la Bible (quelques 50 occurrences) et dont le sens premier est « violence », tandis que sa première occurrence est le déluge dans lequel il décrit une situation au-delà de la seule violence, une situation qui justifie la remise à zéro des compteurs de l’humanité.

Ce déluge est décrit dans la Bible comme une situation d’enfermement, la famille de Noé et les spécimens des espèces d’animaux existant sur la terre se tenant enfermés dans l’arche le temps que la tempête et la pluie cessent et que la terre redevienne habitable, et que l’humanité puisse être reconstruite, repartir sur d’autres bases.

Il est difficile de ne pas voir une sinon plusieurs analogies entre ce texte et la situation que nous avons vécue et continuons de vivre.

Situation d’incroyable violence, qui dépasse les antécédents connus (on a beaucoup parlé du pogrom de Kishiniev de 1903…mais qui fit considérablement moins de morts que le seul 7 octobre), violence dont les pogroms qui se sont abattus encore et encore sur les juifs apparaissent aujourd’hui comme de faibles répétitions générales, comme ce qui a inspiré ceux qui ont fomenté cette attaque.

Et la question qui est présente chez tous est celle du lendemain.

Quoi souhaiter pour demain, œuvrer dans quelle direction ?

Israël doit bien évidemment œuvrer pour ne plus jamais être surprise de la sorte c’est une évidence. Israël va reconstruire et repeupler la région, probablement après l’avoir renommée (le terme encore en usage de « Otef Aza - ce qui entoure Gaza » doit disparaître, le terme Gaza doit disparaître du vocabulaire israélien), c’est une deuxième évidence.

Mais quelle suite avec les gazaouis ? Avec les palestiniens ? Avec les iraniens ?

Israël est encore menacée, comme il y a 75 ans (sa création), comme il y a 50 ans (la guerre de Kippour), et il y a cette question incontournable (sauf par les inconscients..et il y en a ) de la relation avec ces voisins, qui constituent aussi par exemple une main d’œuvre dans tout Israël et dans de nombreux domaines, dont la construction et la santé ne sont que les plus visibles).

Serait-il incongru de questionner le texte ? Ce texte écrit en premier lieu sous forme de paraboles et d’énigmes selon ce qu’en dit Maïmonide, afin de transmettre des messages pluri centenaires.

Des midrachim racontent comment cette question a occupé Noé et ses fils dans l’arche. Ils se seraient même opposés, les uns dessinant tel avenir, un autre et un autre une autre et une autre version.

Comment règle-t-on la question de la répartition du pouvoir dans le monde ? La question de la guerre dans le monde ? La question de la moralité dans le monde ?

Certains ont suggéré de regarder la situation comme si nous avions été radicalement changés, nous les israéliens et peut-être aussi le monde au sens plus large.

Peut-être avons-nous ainsi découvert que les nazis n’avaient pas atteint les sommets de la haine et de la cruauté et que d’autres pouvaient faire pire qu’eux ?

Certains disent que ces évènements feront tomber « la conception » selon laquelle des pourparlers de paix étaient imaginables, selon laquelle ont eu lieu les accords d’Oslo, camp David. Gardons en mémoire que les porte-paroles de cette opinion avaient déjà la même opinion avant le 7 octobre. Ils ne font que répéter ce qu’on les a entendu dire plusieurs décennies. Et ils répètent cela malheureusement sans penser au lendemain.

Ces arabes vont-ils disparaître ? Cet esprit de haine et avec lui ce désir d’anéantissement qu’ils ont acté il y a trois semaines vont-ils disparaître ?

Le premier ne disparaîtra pas. Pour sûr. Aucune ethnie ne disparaîtra comme par enchantement. Il s’agit d’un phénomène primaire.

Le second est par contre un phénomène secondaire. La conduite de l’homme n’est pas immuable. Nous avons assisté au fil des siècles à bien des modifications dans la carte géopolitique de l’europe, du monde, à bien des évolutions dans les relations interhumaines, interethniques.

Comme pourrait nous l’enseigner le déluge. En situation extrême, le Créateur intervient (est intervenu ? Et a prévenu qu’il n’interviendrait plus nous enseigne-t-on). Mais la suite revient à l’homme comme l’illustre le midrach qui imagine Noé et ses fils en discussion sur la mise en place de la société post diluvienne.

C’est à l’homme que revient le devoir de gérer la vie des hommes entre eux.

Et il n’y aura probablement aucune autre conception que « la conception ».

Mais les évènements vont peut-être dicter le rythme.

Aujourd’hui, les porte-paroles de la paix, de l’amitié entre les hommes sont complètement inadéquats. Ils doivent se taire. Laisser le temps aux plaies de se refermer.

A l’image de ce qui se passe entre deux individus qui doivent se calmer avant de se re rencontrer, les israéliens et les gazaouis doivent les temps à venir ne pas se côtoyer. Ne pas communiquer, ne rien avoir en commun.

Je rêve de deux frontières et peut-être cela se réalisera-t-il ? Une bande inhabitée et idéalement infranchissable devrait nous séparer.

Que les travailleurs gazaouis se débrouillent.

Si vient à naître une génération qui voit la situation différemment, alors nous dialoguerons avec eux.

Mais pas maintenant. Ils se sont comportés comme des gens qu’il convient de voir comme maudits.

Nous parlerons peut-être avec leurs petits-enfants.

mercredi 11 octobre 2023

tirer la leçon de l'Histoire

 

Quel est notre agenda, quand nous ne sommes pas au front, quand nous ne faisons pas directement le deuil d’un proche, aux moments où nous ne sommes pas aux côtés de quelqu’un à accompagner affectivement et émotionnellement?

Certains sont rivés aux informations, aux articles, certains passent à la phase des accusations, des règlements de compte, et recherchent qui a la responsabilité de cet immense échec, de ce gouffre dans lequel nous sommes brusquement tombés samedi aux aurores, quand, alors que nous fêtions Simkhat Torah, un ennemi barbare réussissait à nous surprendre et à assassiner plus de 1000 innocents, de tous les âges, à kidnapper plus de 200 civils et militaires.

Je suis persuadé que notre agenda le plus important et le plus urgent, le plus constructif est d’étudier. Etudier pour apprendre. Apprendre aussi à réfléchir.

Lévinas, en marge de sa lecture talmudique dans le cadre du colloque des intellectuels juifs consacré au pardon (première lecture du recueil “quatre lectures talmudiques) …enseigne la leçon biblique de l’épisode de la grande famine qui frappa le pays sous le règne de David ( Shmuel II 21).

David, en chef d’état, ne resta sûrement pas inactif et oeuvra à nourrir la population, mais ce n’est pas ce que nous raconte le texte. Peut-être comme pour dire que le texte n’est pas là pour conter l’évidence. Le texte nous raconte que David réfléchit. Il cherche les causes de la situation.

La situation est une situation de famine, donc de catastrophe que nous qualifierions aujourd’hui de catastrophe naturelle, et il cherche la cause.

Peut-être est-ce la première leçon : agir certes, être aux côtés d’autrui, combattre, mais aussi réfléchir. Intégrer le présent dans une structure cause-conséquence. Peut-être est-ce aussi cela “être juif”.

Donc il réfléchit, il cherche, et il aboutit à une première conclusion, qui est peut-être la deuxième leçon :”c’est de ma faute”. Peut-être cette conclusion nous paraît-elle un peu excessive. J’aurais tendance à l’exprimer plutôt :”je vais chercher ce en quoi je peux avoir apporté ma contribution à cette situation de famine”. Peut-être ceci indique-t-il ce qui va être le plus potentiellement fructueux dans ma réflexion : chercher le coupable chez autrui ou me plonger en introspection…on semble ici être nettement conduits par le texte vers la deuxième option.

Et David parvient à la conclusion qu’il a une part de responsabilité dans le massacre (pourtant effectué par Shaül quand il le poursuivait lui, David !) de la ville de Nov, massacre qui a lésé les guiveonim dont l’entretien et le service des habitants était la principale source de revenus.

Shaül a fait un massacre parmi les cohanim (Nov était une ville de cohanim. N’a survécu que Eviatar) et la faute que s’attribue David est une faute qui parait vraiment au delà des limites de sa responsabilité (mais, et c’est probablement la troisième leçon, peut-être le chef de l’état n’a pas le privilège de plaider son innocence, peut-être doit-il assumer la responsabilité de tout ce qui se passe tandis qu’il est en poste).

Et David se tourne vers les guibeonim et leur demande comment il peut réparer le préjudice qui leur a été causé. Et ceux-ci exigent que leur soient livrés cinq fils de Shaül. Et David les livre, et les guibeonim se comportent avec eux comme des barbares. Ils les mettent à mort et les clouent sur la muraille de la ville.

Et la famine cesse.

Le talmud tire de ce conte un étonnant enseignement : c’est cet épisode qui met fin au serment fait par Josué quatre cents ans plus tôt aux guibeonim. De ce moment, les hébreux ne sont plus tenus à responsabilité vis à vis d’eux. Pourquoi ? Parce qu’ils ont prouvé qu’ils n’ont rien appris au contact d’Israël, ils ne sont pas devenus “rahmaniim bné rahmaniim. Ils n’ont pas développé la pitié, la compassion qui caractériserait Israël à en croire le talmud.

Quatrième leçon : on ne reste pas indéfiniment tenu aux serments de nos ancêtres. Les évènements influent sur la morale, ce n’est pas que l’inverse est absolu. Il faut devenir capable de demander pardon. A autrui.

Mais il y a peut-être ici une dimension que ni le talmud ni Lévinas n’envisagent et qui est peut-être la cinquième leçon de cette histoire pluricentenaire : Josué a été berné par les guibeonim lors de la conquête du pays et il s’est trouvé contre son gré et au détriment du peuple, sur plusieurs générations, contraint à vivre avec eux.

Il n’avait pas choisi leur présence et elle lui a été imposée.

Le peuple juif a ainsi admis en son sein une peuplade qui lui était étrangère, qui n’avait aucun droit à la loi du retour.

Et cette peuplade lui a finalement été une plaie jusqu’à l’épisode, douloureux lui aussi, qui a permis la rupture du contrat.

Mais n’aurions-nous pas aujourd’hui un autre regard ? Ne dirions-nous pas que cette condition de sous citoyens dans laquelle ont été maintenus par les hébreux les guibeonim a été la raison - ou au moins a joué dans le sens - de leur non intégration, la raison de leur stagnation à un niveau humain de non clémence, non élévation ethique ?

Sommes-nous, israéliens d’aujourd’hui face à une situation analogue ? Saurons-nous retirer la substantifique moelle de notre Histoire et ainsi justifier ce H majuscule ?

Ce serait probablement plus urgent et plus fructueux que de se jeter à corps perdu dans la chasse aux sorcières.