Notre escouade se compose de trois véhicules, qui vont sillonner les routes
de l'Alsace et des Vosges, pendant cette semaine de fin d'hiver, accompagnés
d'une sarabande incessante de pluies, grêle, neige, et rayons de soleil.
Le but avoué était une ré-imprégnation familiale de souvenirs anciens,
d'atmosphère de vie en Alsace, souvenirs et traces ayant été communiqués à
certains d'entre nous de façon directe, et aux autres indirectement, le plan
sous-jacent, tenu jalousement secret par tous les participants, est un retour
de flamme de vacances familiales.
Au programme officiel, le village d'où est issue une partie de la famille
de Claude, la ville de Strasbourg où naquirent Mady puis Marianne, et où
vécurent Mady et sa famille proche jusqu'en 1982, date de l'alyah de Suzy
Kosmann. En dessous de table mais ne figurant pas moins au programme,
dégustations de saveurs aux frontières du licite, pillages organisés de
quelques lieux de dépense incontournables. Et autour de cela, visites de lieux,
de villages, de la campagne et la montagne.
On a ainsi maintes fois raconté la grisaille mais quand ce fut elle qui se
présenta pour nous accueillir en ce dimanche après-midi de fin mars,
l'impression physique - désagréable ? Bah ! Quand ce n'est une fois par décade,
c'est tout juste de l'exotisme - était elle aussi au rendez-vous.
Les yeux de ceux qui sont nés en France, y ont grandi, et ont été rassasiés
année après année de ces couleurs et teintes monochromes de ciel, de cette
instabilité climatique, enregistrent sans même le mentionner le vert de
la campagne, les façades des maisons, les arbres en pleine explosion de leurs
bourgeons.
L'effet est tout autre pour ceux qui n'ont qu'entendu parler de cela. Et
ont-ils entendu quelque chose ? On ne raconte pas à ses enfants ce que les sens
ont enregistré. On raconte les souvenirs, qui sont la plupart du temps
souvenirs évènementiels et non transmission d'impressions. Qui d'entre nous
sait, en quittant Israël à la période où la chaleur commence à s'installer,
qu'il va devoir remettre manteaux, gants et même bonnets, qu'il va devoir
marcher dans la boue, sous la pluie ? Si une partie était préparée à cela,
personne ne s'attendait à trouver de la neige comme nous en trouvâmes le
mercredi, y compris au point de devoir rebrousser chemin sur une route qui
devenait trop dangereusement enneigée, et dans une situation où nous marchâmes
- par choix, que dis-je ? par appétit ! - une heure et demi dans la neige, une
partie du temps sous la neige.
Le gîte est comme au cœur de la forêt. On l'atteint en sortant de la petite
route de campagne en un certain endroit - non indiqué, connu des seuls chanceux
dont nous sommes - et en escaladant promptement un abrupt sentier
forestier. La maison paraît nichée au creux des bois, elle même entièrement
construite dans ce matériau, au point qu'on reçoit en y pénétrant une
impression peut-être un peu trop rustique, si ce n'est inquiétante. Nous
protègera-t-elle de ce froid, de la pluie ?
Autour, se promènent en liberté quatre gros chiens de berger, deux ânes, et
un ou deux chats, qui nous voient arriver puis s'installer sans manifester
aucun étonnement.
Nous nous installons, pour découvrir rapidement que le confort est bien
plus au rendez-vous qu'il n'y paraissait. Ces quatre nuits vont être en fin de
compte plus qu'agréables, et cette maison, digne d'avoir logé Baba Yaga, sera
la base idéale à notre programme de visites.
Le premier jour nous trouve en route dès le matin pour la "volerie des
aigles", située dans les ruines du château de Kintzheim, au-dessus de
Sélestat.
Partis par la route des vins, nous progressons, voitures en queue leu leu,
à travers la petite route bordée de vignes, essuie-glace en position alternée
en ce matin de très légère pluie, mais sous un ciel aux tendances tantôt menaçantes,
tantôt éclatantes.
Nous arrivons bientôt à un rond-point auquel, alors que notre direction
devrait être vers la gauche, apparait soudain sur la droite le village de
Bergheim.
Nous n'y avons aucune source familiale, mais nous y sommes rattachés....par
Frankie, une des bornes de notre voyage, et qui y grandit. Il se trouve que
c'est un très joli village, dont nous reste le souvenir de la synagogue, vue
lors de notre précédent passage en Alsace et alors que n'étaient avec nous que
Naam et Yaara, et dans lequel je sais identifier, et - crois-je - retrouver la
maison de Frankie.
L'endroit est idéal pour une première étape-visite.
Alors qu'Elie, affecté à la garde de Yahav, endormie, reste dans la
voiture, nous sortons en première marche dans ce village coloré et très
accueillant (quoique désert..) dans la lumière du matin.
Il y a quand même un marché où nous achetons un pot de confiture locale -
et certainement authentique ! - et nous commençons à imprégner notre corps, nos
jambes, nos yeux, nos sens, de l'atmosphère locale.
La synagogue ( désacralisée comme bon nombre de ses semblables, dans tous
ces petits villages où vivaient naguère les juifs qui se sont maintenant
regroupés dans les villes ) est imposante...et fermée, n'ayant à nous offrir
que l'inscription gravée sur son frontispice. Nous la considérons cependant
avec le respect qui lui est dû, nous remémorons comment huit ans auparavant
nous avions grimpé le long du mur pour entrevoir çe que l'on pouvait voir à
l'intérieur à travers les fenêtres (nous avions surtout vu qu'y était installée
une exposition de tableaux dont le plus proche de notre regard ne représentait
rien moins que la figure la plus emblématique de la religion locale...un peu
incongrue dans une ancienne synagogue).
Cette religion est bien présente en ces jours d'avant Pâques, et les lapins
(qui en Alsace tiennent pour cette fête le rôle qu'ont les cloches dans le
reste de la France ) et les œufs abondent, dans les espaces publics et aux
balcons de bon nombre d'habitations.
Nous contemplons, admirons, et - non sans avoir montré à Eviatar sur le mur
d'entrée du village ce pittoresque bas relief évoquant malicieusement le droit
d'asile
- poursuivons notre route vers la volerie des aigles où se tient dans un froid de canard notre premier pique-nique et où nous
attendent d'autres sortes d'impressions.
A suivre.