dimanche 25 septembre 2022

Rajasthan 2022, troisième et dernier texte

 Et si le thème général de ces écrits sonnait un peu tendancieux, un peu inconditionnellement pro-indien, ne reste-t-il pas cette douloureuse question des sans-abris ? Ceux que l’on ne peut pas manquer et dont les bas-côtés des boulevards des villes sont le seul et unique logement ?


Si l’Inde est un pays éminemment civilisé, tant au niveau de sa puissance technologique qu’à celui de sa volonté clairement marquée de faire citoyens actifs ses habitants, il reste néanmoins beaucoup à faire…






Mais il n’en demeure pas moins que l’on revient de quinze jours de couleurs, quinze jours de plaisirs du palais…et de visites de palais de maharajas, de quinze jours de dépaysement total, et surtout, de quinze jours de communication optimale, que ce soit au nombre de fois où on s’est fait dire combien l’Inde et Israël sont les meilleurs amis de la planète, ou plus encore au nombre d’échanges verbaux en anglais bégayant mais en anglais quand même, depuis le chauffeur de rickshaw jusqu’aux étudiants côtoyés dans l’avion en partance pour huit ans d’études qui en Angleterre, qui au Canada et qui n’ont que curiosité affable et sourires par lesquels exprimer la multitude de questions qui leur débordent de la bouche ?

Quelques personnages :

Narandra. Après avoir été tentés de ressortir nos sacs à dos, au placard depuis quelques bonnes années, nous nous sommes rangés à la raison de l’âge et avons opté pour un voyage semi-accompagné. Narandra est donc notre chauffeur pour neuf des quinze jours de notre séjour. Il est du rajasthan et nous dit très rapidement, et fièrement, qu’il est rajpout, autrement dit, descendant de guerriers du rajasthan dont la virtuosité au combat est célèbre dans toute l’Inde. Il est aussi étudiant en second cycle de géographie mais investi depuis déjà quelques huit ans dans la conduite et le tourisme. Il ne semble pas que la voiture dans laquelle nous voyageons est la sienne, mais il en prend soin comme si c’était la sienne, paraissant plus attentionné à passer doucement dans les nids de poule pour la ménager elle que pour nous ménager nous. 



Il est cependant très attentionné, ne s’adressant à moi par écrit qu’avec la désinence « sir », nous accueillant chaque matin avec chacun une bouteille d’eau minérale fraîche, tout en restant très réservé, son anglais très minimal étant certainement une part de cette réserve. Nous apprenons qu’il a deux frère et sœur, et que s’il vit désormais à Jaïpur, il est originaire d’un village. Il est hindi, sa famille possède trois vaches et un buffle, ainsi qu’une moto. Il conduit très bien, et prudemment, mais à l’indienne, c’est à dire qu’il avance toujours, et au klaxon, même en situation où il faudra probablement laisser le passage. Et il ne s’énerve que très rarement contre tant conducteurs imprudents que piétons ou....vaches au milieu du chemin, l’un étant aussi fréquent que l’autre.

Le « joueur » de tambour de la procession de Agra. Tandis que je sue à grande eau en cette première fin de journée indienne où il ne fait pas moins de 35°, il considère visiblement qu’il est le chef d’orchestre de la procession…martelant son tambour de ses deux mains avec le plus d’autorité possible…tandis que personne ne se comporte à son rythme. Lui martèle et assourdit, et les participants dansent au rythme qui est le leur…ce qui ne paraît finalement pas lui entamer le moral d’une quelconque manière. Et lui, ne sue nullement....




Le père du patron de la Jaipur heritage haveli. Bon grand-père vêtu de sa très digne kurta claire, il sert très cérémonieusement un après l’autre les plats des repas servis à la haveli. Ici, contrairement à ce qui passe dans la plupart des hôtels où on peut recevoir un room service, on s’inscrit ou non au repas…qui n’est pas à la carte, mais varie d’un jour à l’autre, tout en restant "pure veg". Il nous sert, et donne ses instructions au garçon, de qui il nous explique au passage qu’il faut lui pardonner ses erreurs, puisqu’il est encore en formation. 






Le propriétaire et son père ont longuement vécu aux USA, ont travaillé dans le commerce des diamants (dont ils nous racontent sans antisémitisme aucun qu’il serait contrôlé au niveau mondial à 70 % par les juifs et 30% par les indiens), et sont revenus au pays, pour magnifiquement restaurer cette maison de la vieille ville de Jaipur qui leur appartient depuis trois générations. Sa présence et celle de son fils contribuent à faire de leur haveli notre meilleure résidence de ces deux semaines.

Serge Gainsbarre, guide du fort de Jaisalmer, qui a à disposition d’autres noms selon qu’il guide en français, en anglais, ou en italien. Il nous aborde à notre descente de voiture, un parmi une petite foule, et obtient sa place en exprimant doucement mais fermement qu’il était le premier. Il nous explique sans détour que prendre un guide sera la seule solution pour nous pour échapper au sinon incessant bourdonnement de harcèlements de propositions de services. 



On se souvient soudain que l’on pourrait aussi ne pas se déclarer uniquement israéliens mais aussi français…et voici qu’alors qu’il nous avait abordés en anglais qu’il guide aussi en - très honorable - français. Un français qu’il a appris au contact des touristes puis perfectionné par les bons soins de l’alliance française pour être aussi capable de lire et écrire. Il n’a pas travaillé depuis deux ans et a énormément de mal à joindre les deux bouts, ne sachant que travailler dans le tourisme pour une part, et ne voulant pas se reconvertir par exemple en vendant dans une boutique, du fait de la coutume qui consiste à ne pas payer l’employé les deux premiers mois « puisqu’il apprend », pour ensuite le licencier au troisième ou quatrième mois. 



Il nous propose pratiquement ouvertement de nous communiquer ses coordonnées pour que nous puissions envoyer nos contributions à l’éducation de ses deux jeunes garçons, pour lesquels il doit payer l’école, souhaitant pour eux une meilleure éducation que celle qu’ils recevraient à l’école gouvernementale. Au rajasthan, énormément de respect pour le maharajah, très très peu pour les services gouvernementaux.

Vijay, de l’Umaid heritage art school de Jodhpur. Ressemblant en cela beaucoup à Elie, de qui j’appris la menuiserie, le tournage, la sculpture, puis la lutherie, Vijay est un artisan qui sait faire de l’art, et qui a choisi de vivre de ses capacités et de son amour de l’enseignement. Dans sa art school d’une ruelle de la vieille ville de Jodhpur, il enseigne l’art de la miniature, avec les matériaux et les outils traditionnels, couleurs provenant des minéraux locaux, et pinceaux en poil d’écureuil.




 Son contact est très agréable, il a la dextérité de qui manie le pinceau et les couleurs depuis trente ans, et il sait encourager le débutant, en particulier par son humilité « j’ai fait moins bien la première fois que j’ai tenté de pratiquer cet art ». Il nous montre fièrement son livre d’or…de présentation très indienne et nous invite à nous y insérer, ce que nous faisons avec plaisir et respect, avant de repartir émus comme en cours préparatoire nos productions à la main..

Arun Singh du Pleasant Haveli hôtel de Jaisalmer. Lui aussi ne vit à Jaisalmer que parce qu’il y travaille tandis que sa famille (femme, deux enfants, deux sœurs, un frère et une mère) vit au village. Ses enfants vont à l’école mais lui n’a pas bénéficié du même régime. Il a été chamelier pendant vingt ans, avant de passer le permis de conduire et de devenir guide de safaris-chameau dans le désert. Il n’a appris l’anglais qu’au contact des touristes, et a néanmoins atteint un niveau des plus impressionnants.




 Il chante les louanges du patron de l’hôtel chez qui il est employé qui n’a pas licencié ses travailleurs pendant les deux ans où le corona lui a fermé la boutique. Lui aussi souhaite surtout qu'on lui écrive une bonne critique dans internet, mais raconte et prouve comment une ancienne touriste, de Jérusalem, est restée en contact avec lui et lui envoie régulièrement quelques menues contributions à l’éducation de ses enfants.

Le garçon de Pushkar. Il n’a pas dix ans, nous aborde dans la rue et nous explique qu’il ne demande pas d’argent…mais qu’on achète pour lui de quoi apporter à manger à la maison. Il dit chapati, mais veut qu’on achète du ghee…et l’obtient malgré le regard sévère du vendeur qui nous reproche de lui avoir donné le paquet sans l’ouvrir, « ce qui l’aurait empêché de le revendre ». Je ne suis pas opposé à ce qu’il le monnaye, lui qui a déjà obtenu bien plus que ce que notre mauvaise conscience nous aurait fait lui donner. D’autant qu’il a manœuvré autant intelligemment qu’agréablement…tout en ayant déjà bien assimilé que patience et longueur de temps font plus que force ni que rage, restant aussi tenace que tout indien qui vous accoste…et ne renonce qu’après multiples et nombreux refus.

Et les femmes ? Me croira-t-on si je dis que nous n’avons eu aucun contact avec une femme ? Que tout ce qui se fait au niveau administratif, hotelier, restauration, vente en boutique ne se fait qu’avec des hommes ? Pas de douanière, de policière, de serveuse, de vendeuse ? C’est un peu inexact. A Jaipur, la femme du patron de la super haveli a été celle qui nous a accueillis….pour pratiquement ne plus réapparaitre par la suite….gérée par les hommes de la maison. Dans un magasin de Jaipur, le contact était avec une femme. Bon, y a -t-il un homme qui vende du parfum ? Au musée Royal Albert, il y avait des soldates gardes. Dans la rue, il y a énormément de femmes. Ce sont elles qui la balaient, et bon nombre conduisent leur scooter (en gros, la moto est masculine, le scooter est féminin mais il y a des exceptions). A l’université nous avons vu un nombre presque équivalent de femmes à celui d’hommes. Mais surtout, combien de sourires, et de demandes de photos n’avons-nous pas eu !! Cela mettait aussi des hommes en scène, mais la majorité provenait de femmes. C'est-à-dire qu’elles n’ont pas l’attitude retenue, prude, puritaine que peut avoir la femme du pays ou de la société patriarcalo-religieuse…mais nos contacts furent pour l’essentiel avec des hommes quand même.




Les innombrables passants, vendeurs, conducteurs de rickshaws, enfants ou simples passants qui t’abordent constamment, souriants, demandant ta provenance, toujours prêts à te vendre un service mais aussi à entrer en contact, demandent à se faire photographier, tout seuls, avec toi.







Et ces mignons étudiants de qui je ne parviens pas à retenir les prénoms, qui sortent d’Inde pour la première fois, à fins d’études universitaires et qui ont question sur question, autant de réserves de sourires, et qui se séparent de nous après une discussion d’un quart d’heure comme si on s’était côtoyés toute une semaine. Ils insistent beaucoup pour qu’on n’oublie pas de nous rendre à Amritsar lors de notre prochain voyage en Inde.

Y a-t-il ainsi un autre pays duquel on revienne tant nourri de rencontres et de merveilles après un si court séjour ?


 

jeudi 22 septembre 2022

Rajasthan - 2ème texte

 

La propreté. Alors que la rue indienne est excessivement sale, les rues n’ont pas ou plus de trottoirs, dans de très nombreux endroits, ce n’est pas goudronné et l’égout est à l’air libre quand il n’a pas débordé, le nettoyage est constant et même scrupuleux. De même qu’alors que beaucoup d’indiens sont pieds presque nus ou sont peu vêtus, ils se lavent souvent. Pour les rues, ce sont en général les femmes qui sont affectées à cela, elles balayent les rues tous les matins, mais l’inefficacité de ce nettoyage est son élément principal.







 Notre hôtel à Jodhpur est à une des portes de la vieille ville, au bord d’un quartier résidentiel (où se trouve une université, un hôpital, une école militaire), il est lui-même refait à neuf et avec goût depuis peu de temps, robinetterie grohe, et il est à moins de trente mètres d’un endroit en contrebas de latrines, où l’égout coule en permanence et où l’amoncellement d’ordures est renouvelé chaque matin et est hallucinant de saleté. Mais c’est nettoyé jour après jour. Et les commerçants balayent avec soin devant leur porte chaque matin à l’ouverture. Le ramassage des ordures par contre est au moyen d’une charrette à l’air libre, tandis que les travailleurs n’ont aucune protection de leurs mains ou de leurs pieds. Dans la plupart des endroits, les vaches, zébus, buffles, chèvres, écureuils, rats, singes, parfois dromadaires, et chiens sont partie indissociable du paysage, ainsi que leurs déjections..tout ceci alors que tout ce paysage est extrêmement coloré, les gens vêtus des couleurs les plus vives qui font le plus bel effet avec la couleur très foncée de leur peau, lesquels vêtements sont en général propres, non tachés. 




On imaginerait facilement comment le ministre des infrastructures n’ait obtenu son poste qu’en représailles d’une quelconque infidélité, et qu’il soit en chronique désespoir, mais il faut admettre que ce n’est pas le cas. On n’a pas l’impression que les indiens ont honte de la saleté de la rue, de la même manière que beaucoup d’israéliens sont plus préoccupés de la saleté de leur propre pays que de celle d’un pays étranger. Les indiens paraissent tout à la fois accepter la (très) mauvaise situation d’hygiène de leur pays, mais sans en être désespérés ou découragés pour autant. Nous avons par exemple vu beaucoup de gens avec le masque sur la bouche et le nez alors qu’on s’attendrait à ce qu’ils soient indifférents au covid tant ils ont de raison de tomber malades sans cela. C’est sale, et ils nettoient…inefficacement mais selon nos critères, eux en ayant visiblement d’autres. Nous avons par exemple très bien mangé et surtout très bien digéré, n’ayant eu aucune fois à fermer les yeux sur une table ou une vaisselle qui auraient été sales.



 Mais il faut ne toujours pas boire autre chose que de l’eau minérale – qui est maintenant fournie automatiquement à la différence d’il y a 24 ans – et il convient de tremper les légumes ou les fruits non épluchables dans de l’eau iodée. L’espérance de vie reste très faible. Encore un sujet de contrastes.





Les castes existent toujours mais un guide - qui nous contait comment la guerre de Jaipur contre Jodhpur au 16ème siècle était pour cause de refus de marier une fille d’une caste avec quelqu’un d’une caste inferieure - nous explique que le système est assoupli aujourd’hui. Il y a les brahmanes, les guerriers, les agriculteurs et les intouchables, ou encore grand nombre de différentes castes, d’un état à l’autre par exemple, et le système subsiste bien qu’amoindri.

Le Rajasthan est un pays majoritairement peuplé de rajputs, c’est à dire de guerriers. Les brahmanes sont officiellement prêtres. Il subsiste vraisemblablement une discrimination due aux différences de castes, mais il doit falloir rester plus longtemps ou côtoyer de plus près la réalité pour la voir.




L’idolâtrie. La majorité du pays est hindoue, et les temples pullulent, à tous les coins de rue, que ce soient de gigantesques constructions - en général avec toits allongés et entièrement sculptés - ou que ce soient de simples maisons, dans l’alignement de la rue, qui sont en fait des temples, que l’on reconnait à la décoration intérieure et à ce qui pourrait bien n’être qu’une idole. De plus, les gens ont autour d’eux toutes sortes de petites représentations, sur les comptoirs, dans les voitures posées sur le tableau de bord.




Ou encore, à côté de la porte d'entrée de nombreuses maisons se trouve dessinée l'histoire du couple, quand il s'est formé, et une sorte d'attente que la maison soit bénie, en principe par la divinité de la prospérité.  On y trouve aussi la fameuse croix gammée, dont l'appropriation par les nazis est une insulte vécue comme temlle par les hindis, chez eux elle est le symbole de la paix et de la réussite, ainsi que le "Ommmm".




Il y a donc clairement représentations de divinités mais il ne semble pas qu’il s’agisse d’un système uniquement idolâtre et polythéiste. Il y a une divinité, une force créatrice unique qu’il est interdit de représenter et qui est seule à l’origine de l’univers. Brahma. Cette divinité a sous elle deux sous forces, l’une positive, constructrice, appelée Vishnou, et l’autre négative, destructrice appelées Sivah. Ces trois forces sont masculines et d’après la conception hindoue, le masculin doit toujours avoir le féminin en miroir. Ainsi, la force créatrice a un pendant féminin, nommée Sarsvathi, affectée à l’éducation, à l’intendance, la force constructrice a besoin de moyen pour réaliser et la force féminine lui correspondant Laxmi est affectée à l’argent, aux moyens, la force destructrice ayant besoin d’armes pour détruire et elles lui sont données par la force féminine en miroir, Parvathi. Les trois composantes, génératrice, organisatrice et destructrice forment les initiales du mot qui s’appellent en occident anglophone god.
Sous ces trois forces se trouvent une quantité variable (certains ont parlé de plusieurs dizaines de mille, certains ont parlé de millions, et elles sont vénérées, comme par exemple la divinité à tête d’éléphant, Ganessa, qui est affectée à la prospérité, et qui est donc celle qui se trouve à l’entrée des maisons, ou sur le comptoir de tel ou tel lieu de commerce.

En quoi ces représentations sont-elles différentes d’un St Christophe comme porte clé des clés de voiture comme il est courant d’en voir dans notre douce France ? En quoi sont-elles foncièrement éloignées de ce que nous invoquons chaque vendredi soir quand nous chantons « barekhou ni malakhé hachalom » ? qui sont ces anges dont nous attendons la bénédiction ? ne sont-ils pas des intermédiaires bien interdits dans notre monothéisme et pourtant bien présents dans l’esprit populaire ?

Combien est-on ici plus à du polythéisme ou du monothéisme aménagé pour les foules populaires ?




Ajoutons en dernier lieu que les foules qui descendant à grand bruit vers la rivière ou le lac à la nuit ne sont nullement en extase religieuse, elles sont en ambiance festive tout au plus. On est face à une attitude religieuse quand les hindous rentrent dans un temple, se déchaussent alors, embrassent de la main le seuil et adoptent une attitude de recueillement…non différente de celle du chrétien qui entre dans une église, ou du juif qui ente dans une synagogue. La différence fondamentale est dans la représentation. Ni les chrétien ni les hindous ne lisent ou ne respectent le 2ème commandement.


mardi 20 septembre 2022

Rajasthan 2022. Premier texte

 


De retour après 24 ans, impression similaire globale à celle vécue alors dans le nord de l’Inde : celle d’un pays qui grouille de monde à première impression, qui parait très sale, où l’idolâtrie est partout, où pullulent les sans abris….

...et qui laisse voir une toute autre dimension dans tous ces domaines, ainsi que dans de nombreux autres, après très peu de temps.

Notre première visite, du fort rouge de Agra, 



après trois heures de route depuis une Delhi où nous n’avons eu que très peu de temps, nous fait l’effet de devoir résister à un assaut, l’assaut que subit le touriste encore avant son arrivée, assaut destiné à le dépouiller au mieux, à profiter au maximum de son opulence. Cette impression pousse à répondre négativement à toutes les avances, de guide, de vente de colifichets, ou de transport en rickshaw.

La première impression aux abords de la rivière Yamouna vers la fin du même jour, quand un groupe après l’autre s’avance en procession tonitruante, de gens bariolés, dansant autour d’un chariot sur lequel est installée une statue entourée d’offrandes de toutes sortes, est d’assister à un culte incontestablement idolâtre.





Il fait aussi une chaleur torride…à laquelle nous étions préparés mais qui ne rend pas facile ces premiers contacts.

S’ajoutent à cela les lourdeurs administratives bien typiques de l’Inde et dont nous avons déjà goûté la veille au soir à notre arrivée : le douanier, gêné par une imprécision autour de mon numéro de passeport, celle d’un I qui peut se confondre avec un 1, reste de longues minutes devant son écran, reprend le passeport et l’examine, relit ce qui figure sur son écran, interroge son compagnon de la cabine voisine, reprend le passeport, prend l’air perplexe, ceci pendant que les gens passent et passent et que nous attendons…et ceci pour finalement nous donner notre visa d’entrée, et en s’excusant ! .

Ici, lors des examens de sécurité de mon matériel photo, disparait ( provisoirement) le jeton bleu que l’on reçoit à l’entrée du Taj Mahal et qu’il faut impérativement mettre dans la machine à la sortie…longs processus qui se terminent toujours bien (tout a toujours sa solution en Inde) mais qui pèsent sur ces premières impressions.

A notre seconde étape, du matin, après la nuit dans notre auberge pour hippies – non, nous ne faisons pas une régression : c’est l’hôtel duquel on a la meilleure vue sur le Taj Mahal.








 Il faut cependant y accéder, en affrontant le flot incessant des rickshaws qui entrent et sortent, se croisent, passent entre les piétons, les vaches et les motos. 

Pour le lendemain, nous adoptons pour la suggestion de notre chauffeur Narandra - et qui n’était pas à notre programme et nous nous rendons à Fadhepur Sikri.

Là, nous outrepassons notre tendance rituelle au refus et acceptons le guide…et en découvrons les nombreux avantages, celui de pouvoir dès lors circuler tranquille, ou quasi tranquille (les propositions d’achat de colifichets se poursuivent mais le guide fait barrage à bon pourcentage d’entre elles), celui de pouvoir découvrir des coins que nous n’aurions pas découverts par nous-mêmes, mais surtout de pouvoir interroger quelqu’un de local sur les spécificités de ce que nous visitons.






L’Inde n’est pas un pays. Plus qu’une grande péninsule, c’est un semi-continent, et ce que nous voyons n’est pas une culture mais une civilisation, plurimillénaire. Ce que nous réussissons à en apprendre au bout de quinze jours est l’équivalent de ce que retire le pinceau après avoir été juste pointé dans le pot de peinture. C’est peu, mais ça permet de dessiner parfois très joliment. Et donc, qui voudra réagir et corriger mes erreurs de néophyte sera le bienvenu.

Revenons donc un à un sur ces points déclinés en tête de page :

Le monde : il y a effectivement une surpopulation énorme mais alors qu’il y a 24 ans le slogan « two children is the best » était sur tous les murs, les appels sont aujourd’hui autres. Appels à ne pas gaspiller « do not waste food », appels à circuler prudemment « life is a gift. Drive safely ». C’est à dire qu’il s’agit d’une population d’individus auxquels on s’adresse, individus responsables, ou que l’on travaille à responsabiliser. 



Le nombre de vaccins administrés dépasse le milliard, et nombreux sont les endroits où le panneau « no mask no entry » est encore affiché. Le sentiment interpersonnel n’est nullement de mépris ou d’abus, ni du touriste, ni entre les indiens. On fait attention à ses affaires comme partout ailleurs en dehors de chez soi, mais on se rend bien compte que l’on n’est pas dans un repaire de brigands prêts à voler tout ce qui va dépasser ou non du sac. Le guide acheté avant le voyage définit l’Inde comme un pays sûr, et on ne se sent en danger de se faire agresser, dévaliser ou même pickpocketer à aucun moment. Circulent en Inde approximativement 200 millions de motos et scooters, qui font « grosse cylindrée » alors qu’il s’agit en général de 100 ou 160 cc, et elles sont toutes garées en tous endroits…et sans le moindre antivol. L’indien moyen arrête sa moto, éteint le moteur, enlève la clé et se suffit de cela. À côté de cela, les motos sont pour une, deux, trois, quatre ou même cinq personnes (le mieux que nous ayons vu mais que je n’ai pas eu le temps de photographier est cette moto conduite par un grand-père avec un petit enfant assis devant lui, et …trois derrière lui, visiblement à la sortie de l’école, les enfants étant tous vêtus des mêmes habits uniformes). Ils roulent le plus souvent à deux, l’homme conduisant, la femme assise derrière en écuyère, et ceci que ce soit en ville - c’est à dire au milieu de la cohue et du flot de véhicules zigzagant sans interruption - ou sur la route voire sur de très longues distances.




Cette surpopulation parait acceptée et même être la base de la vie en société, les gens sont serrés, sur les trottoirs (qui n’existent quasiment pas), sur la route ou dans les gares, aéroports, autobus ou autres. Les indiens ne montrent ainsi aucune réticence à la promiscuité dans aucune de ces situations mais ils ne se poussent pas. Ainsi d’homme à femme. On sent d’une part beaucoup de pudeur (les uns et les autres sont en général vêtus de manière à ne pas montrer leur corps) mais il n’y a pas cette retenue pudique d’un sexe à l’autre, ceci sans érotisation visible. Dans notre avion de retour, il y a un groupe d’étudiants. Passé un bref temps, deux filles viennent se joindre aux trois étudiants qui occupent la rangée à ma gauche, mais de telle étonnante manière qu’ils se retrouvent bientôt assis à quatre sur les trois sièges (dans lesquels trois personnes normales ne se sentent pas avec trop de place), et ils devisent paisiblement, et gaiement (parce que les indiens sont en général gais et rieurs dans leurs échanges verbaux) une heure durant, serrés et en s’en sentant au mieux, sans qu’aucune impression d’érotisation accompagne cela. C’est une séance non sexuée. Ils ne paraissent pas trop habitués à serrer la main mais se prêtent à cette coutume sans afficher de gêne ou de retenue a son égard. Sur la route, ils ne laissent pour ainsi dire jamais le passage, mais c’est parce qu’ils vont se retrouver serrés contre le véhicule auquel ils n’ont pas vraiment refusé la priorité mais tout près duquel ils circulent maintenant. Dans la rue ils ne se bousculent pas mais ils passent très très près, que cela soit à pied ou à moto, les motos circulent ainsi et se croisent dans les endroits les plus étroits. 




Quand il semble ne pas y avoir assez de place, il se passe que la place se crée, et que cela se produit sans animosité ou impatience…si on ne prend pas la quantité de klaxons comme critère de possible agacement. Ici le klaxon n’exprime pas l’agacement, juste la prévenance. Ils conduisent par ailleurs très habilement pour la plupart d’entre eux et à vitesse très modérée. Il ne faudrait quand même pas en déduire que l’on pourrait très bien louer un véhicule et conduire soi-même. Ce serait folie.

En clotûre de ce premier texte, une petite photo qui peut un peu résumer la situation de septembre 2022, en bordure de l'épidémie de corona, les gens viennent se photographier devant le taj Mahal dans leurs plus beaux atours, certains sont masqués, certains sont va-nu pieds, certains ont le meilleur matériel technologique, le tout en très bel assortiment de couleurs.


 

La suite au prochain numéro