midrach

Midrash

table des matières  :

1. Le poids du nom
2. L'interdiction de prêter au juif avec intérêt
3. Le ruffipenne de Tristram
4. La voie
5. Les anges
6. La terouma
7. La voie de la voix
8. L'oeuvre de D. La part de l'homme
9. A vos marques
10. Attraper la vie à pleines cornes
11. Judaïsme d'étude, judaïsme d'adultes
12. Les parures du Sinaï
13. L'impact du subliminal
14. Rideau, toile, sanctuaire et présence divine
15. David, Akhitofel, Shaül, Doeg...
16. Sur le manteau du roi..ou de l'enseignant
17. Sur le langage et le dessein
18. Houkat - divers remèdes à situations inextricables.
19. Les voies parallèles de la responsabilité
20. Le peuple juif et les peuplades qui occupent le pays
21. Critico émotio scribens. Une autre regard sur l'humanité
22. Sur quelques segoulot de la langue hébraïque
23. Houkat et Balak. En souvenir de Claude et de Daniel


Darké olam.
Quelques textes issus de la réflexion induite par l'étude du midrach.
Ils ne sont pas ici présentés dans l'ordre habituel anti chronologique du blog (le plus haut sur la page étant le plus frais) , mais dans l'ordre normal si on peut dire.

1. Le poids du nom

Le midrach au fil de son interrogation sur le verset
למטה יהודה  ראה קראתי בשם בצלאל בן אורי בן חור ("vois, j'ai nommé Betsalel fils de Ouri, fils de Hour, de la tribu de Yehouda" Exode 31, 2) nous livre plusieurs réflexions sur la question de la nomination, sur la question de l'impact de la nomination. 

Un sujet qui a fait couler beaucoup d'encre depuis "le Cratyle" (Platon)  mais, non tant du devoir d'approfondissement du sujet, qu'en reflet de son actualité, de son universalité.

Nommé-je tel ou tel enfant ou telle ou telle réalisation en acte personnel, ai-je été nommé ainsi par choix ? Conscient?  Inconscient ? ou n'ai-je fait-n'a-t-on fait- que répéter un éventuel savoir universel, n'ai-je fait  que perpétuer mécaniquement une tradition (comme celle de donner le nom d'un ancêtre, de génération en génération)? Ai-je ainsi le pouvoir d'innover ou ne serais-je que le haut parleur d'une science qui dépasse toute l'humanité?
Le midrach parait valider les deux extrêmes de la possible réponse à cette question.  Exprimant d'un côté que les individus et les espèces sont nommés ainsi depuis la création du monde, en référence au premier Homme, et de l'autre, que l'individu nommé de telle ou telle manière par le texte ne porte en fait ce nom qu'en reflet de ce qu'il a fait , qu'en reflet de ce que le texte a retenu de son action sur terre, comme si le nom d'un individu était non seulement le reflet de son temps, de ses actions, mais aussi comme s'il était purement circonstanciel, pur fruit de l'imagination ou de la réflexion du nommeur.

Chlomi Bat Divri, figure féminine thoraïque, mentionnée en Lévitique 24,11 n'aurait été nommée ainsi qu'en reflet de ce à quoi elle aura contribué à l'histoire d'Israël. Chlomi, dit Rachi, en raison de son comportement avenant à l'extrème (dit "chalom" à tout le monde) , Divri, du fait qu'elle papotait à outrance ("divri" de la racine "DBR, parler) . Les patriarches - dont le nom change au fur et à mesure qu'ils développent leur personnalité, leur impact -  de même, Betsalel itou.

Se rappellera-t-on de mon existence en tant que fils de mon père et de mes grands pères, ou retiendra-t-on ce que j'aurai réussi à réaliser en ce bas monde ? Se rappellera-t-on de moi, ou à travers moi, de mon ancêtre maternel ou paternel ? Ou serais-je prédestiné à tel ou tel sort du fait des mêmes noms ? 
Ce blog est-il celui de Jean, ou celui de Mordokhaï, ou d'Israël ? 

Mieux encore, que doit-on souhaiter que doive plus subsister du souvenir de quelqu'un ? Mieux encore, que devons-nous nous efforcer de retenir de quelqu'un ? Son état civil ? Son ascendance ? Sa descendance? Sa tribu ? Ses actes ? La nomination n'est-elle pas en fin de compte l'expression du souvenir, autant que l'expression de la conscience?

A suivre le déroulement du midrach on pourrait avoir l'impression que celui-ci nous amène d'une conception universaliste (on ne nomme qu'en référence à une science universelle) à une conception particulariste ( le midrach a ainsi plusieurs étapes successives à travers lesquelles on nomme d'abord de façon signifiante, pour ensuite exprimer que l'on fait connaître non un savoir mais un individu, que l’on nomme par attachement, pour enfin affirmer que l'on enracine un attachement parent-enfant par l'acte  de dénomination). 

C'est du coup l'acte de nommer qui reçoit presque plus d'importance que le nom lui-même. Nommer serait plus équiper, rattacher, protéger, que simplement associer.

Les  évènements en l'honneur du yom hashoa cette année étaient annoncés par une affiche sur laquelle un vieil homme était pris en photo au soleil oblique. L'après-midi. Curieusement, ce n'était pas son ombre que le soleil portait sur les pavés mais l'ombre d'une famille entière qui marchait autour de lui, tandis que sa propre ombre n'était pas celle d'un vieillard mais celle d'un enfant. Une bonne photo dit parfois tellement plus que le meilleur mémoire !

L'individu n'est jamais seul, ne vient jamais n'apporter que lui-même à une situation donnée. Il amène avec lui tous les signifiants dont il est entouré. Ce n'est pas seulement comme le disent tous les proverbes traitant du sujet, qu'ils soient chinois ou danois, ce n'est pas seulement que le même homme ne traverse jamais deux fois la même rivière,  c'est que la rivière est chaque fois traversée simultanément par plusieurs individus, même s'il apparait qu'un seul est sur le pont. 

La question est de savoir comment faire son choix dans toute cette profusion de signifiants. Qui va choisir l'individu d'être ? Ce choix aura-t-il un impact sur quelque chose ? 

C'est peut-être la réponse positive à cette question qui est le véritable objet de notre midrach : tu peux te retrancher dans l'illusion d'anonymat (littéralement-étymologiquement : dans l'absence de nom), te disant que tu n'es que chair et os, que ton nom ne subsistera pas au delà des quatre coudées de ta maigre existence. Tu peux aussi regarder plus loin, et réfléchir à ce qui peut, ce qui doit subsister, ce qui doit être ta trace.

Mieux. Tu peux influer sur la trace qui est celle de ceux qui sont venus avant toi. 

La réponse, le non anonymat, l'impact du nom,  viendra alors peut-être non tant d'une quelconque valeur absolue inaccessible, protégée par un quelconque secret connu de seuls éventuels cabbalistes ou cartomanciens, que de la signification que nous pourrons donner, que nous essaierons de donner.

C'est en tant que tel que le nom peut prendre toute sa valeur. Il participe à l'enracinement de l'individu, à l'ancrage de sa conscience, à la fructification de sa subjectivité. 

Le nom participe au lieu de l'existence. Le midrach exprimait en un autre endroit que le mot איפה ("eifa") dont le premier sens est une mesure de poids, désigne aussi l'âme en hébreu. Ce même mot qui renvoie aussi à la question: où? (eifo? En hébreu, homonyme de eifa ), comme pour suggérer que l'âme de l'individu, outre ayant peut-être -et même concrètement -un poids (comme le film "21 grammes" de Alejandro Iñarritu le suggère), a la potentialité d'être le lieu de l'individu, de l'aider à être enraciné, défini, non utopique. L'individu atteindrait d'autant mieux cette situation qu'il est plus nommé par d'autres, qu'il est plus interpellé, qu'il est plus entouré. 

C'est ce nom, le prononcé, le retenu, l'exprimé, l'aimé peut-être, qui a la valeur la plus marquante, qui participera le plus à l'impact de l'individu sur la terre. Plus que la mécanique répétition du nom de ses ancêtres.

L'individu interpelé, celui à l'instar d'Adam, à qui on demande :"où es-tu ?"  (ayéka - איכה en hébreu) sera peut-être comme protégé de tomber dans la situation où ce n'est plus ”ayéka” mais ”eikha”  (deux prononciations du même homonyme. La deuxième est le nom hébraïque du livre Les Lamentations attribué au prophète Jérémie et qui symbolise le deuil par excellence). 

2. L’interdiction de prêter de l’argent avec interêt à un juif, pourquoi ?

Non parce que ça serait mal en soi, disent tous les commentateurs, mais pour de plus profonds motifs.
Cela n’est pas que la chose soit positive en elle-même, et qu’on ne puisse trouver aisément des raisons de voir cette pratique comme malsaine : le prêt à interêt consiste par exemple à facturer à autrui le temps, chose qui ne nous appartient pas, ou encore le prêt à interêt consiste en fait à retirer à autrui encore plus d’argent que ce dont il ne dispose déjà pas…
Les commentateurs insistent bien sur le fait que ce n’est pas du caractère positif ou négatif de la chose qu’il est question mais de l’individu.
L’individu, sa relation aux autres membres de sa communauté et le niveau moral final de cette communauté seraient le centre de la mitsvah.
Shimshon Raphaël Hirsch éclaire par exemple les mots utilisés par la Torah : את העני עמך (Ex. 22, 24) qui est une formule un peu particulière, nous renvoie selon lui au fait que le mot עִם (avec) s’écrit (sans voyelle) avec les mêmes lettres que le mot עַם (peuple). L’utilisation ici par le texte biblique de ce vocable viserait à indiquer que le but principal de la mitsvah consiste à créer un עַם, une collectivité. Une collectivité qui soit plus collectiviste, plus holistique, plus préoccupée de son ensemble que du développement individuel de ceux qui la composent, mais sans pour autant se désintéresser(...) du sort de chacun des individus qui la composent. C'est un problème de quadrature du cercle dont la solution semble n'avoir encore ete trouvée nulle part.
Une collectivité qui ne cherche pas l’égalité des individus qui la composent, mais qui sans pour autant se réjouir de l’existence de pauvres en son sein (les midrachims sur le même texte n’omettent pas de mentionner combien il n’est de pire calamité que la pauvreté), semble soutenir ce qu’exprimait Lévinas : viser l’égalité est une sorte de simplisme, encore avant d’être une utopie. Le système préconisé serait celui d’une inégalité équitable. Non une inégalité par fatalisme, mais une inégalité souhaitée, ou mieux, gérée. Une inégalité dans laquelle le nécessiteux aurait à ses côtés un ou plusieurs individus aisés préoccupés de le soutenir. La mitsvah s’adresse en effet à l’aisé et les commentateurs soulignent qu’elle n’est pas cas de force majeure mais but premier.
L’individu ne doit pas consentir à prêter à celui qui s’adresse à lui, il doit chercher à lui prêter, et même, rajoutent les commentateurs de façon dés-interessée, aux sens multiples du mot. Sans intérêt et sans devenir jaloux de son bien. La Torah engage ainsi le créditeur à ne pas avoir de confrontation publique avec le débiteur, afin de ne pas lui faire honte, quitte à ce que le premier doive « changer de trottoir ».
L’argent ne t’appartient pas dit la Torah. Tu ne prêtes que parce que ça se présente à toi, que la possibilité t’en est offerte, mais l’argent appartient au Maître de toutes choses, c’est à lui que tu pourras le réclamer.
Le prêt dit encore le midrach est supérieur au don. Le don, ainsi, ne crée entre les hommes au mieux qu’une relation éphémère de commisération d’un côté peut-être même assortie de honte de l’autre côté. Le don est une opération éclair, qui ne crée aucun lien entre les deux individus concernés. L’un et l’autre continuent leur chemin, tandis que le créditeur et le débiteur restent liés l’un à l’autre et c’est une dépendance qui peut devenir saine ou malsaine au gré des attitudes de l’un et de l’autre. Le prêt dans son aspect idéal crée un mode grâce auquel les individus sont poussés à instaurer entre eux une relation.
Allant encore plus loin, le midrach rajoute que la répartition des richesses sur la terre est dynamique. Les richesses ne restent pas éternellement au même endroit. Riche aujourd’hui, tu peux demain te retrouver dans le besoin et voir la situation du prêt d’une toute autre perspective. Mais le midrach n’apprend pas de cette réalité une preuve que le monde est aléatoire. Au contraire, il s’agit pour lui d’un système qui non seulement est dirigé, mais qui est à la fois dirigé et laissé à l’homme. Une Providence un peu comme alternative, présente et absente tout à la fois.
Comme pris d’un accès de poésie, le midrach ( Chemot Rabbah 31, 15) se prend soudain à décrire l’univers comme entièrement mené au régime de la dépendance : le jour « prête » à la nuit (pendant les périodes d’été où il y a plus de jour que de nuit), et la nuit prête au jour l’autre moitié de l’année. La lune « prête » de sa lumière aux étoiles et leur en emprunte aux périodes de son cycle où elle disparaît. Le soleil prête à la lumière (en fournissant les « feux du couchant ») et la lumière prête à son tour au soleil les premiers phénomènes lumineux qui précèdent le lever du soleil. La Torah « prête » aux mitsvot (peut-être pour fournir un contexte à ses dernières) et leur emprunte en retour (peut-être en devant à ces dernières de lui permettre de ne pas être uniquement un livre de contes et légendes), la terre « prête » au ciel (par évaporation de l’eau) et emprunte à ce dernier (par l’apparition de la pluie). L’homme, à l’instar de toutes ces « créatures » (le jour et la nuit, le soleil et la lumière, la lune et les étoiles, le ciel et la terre) devrait s’inspirer de leur comportement : tous prêtent sans intérêt, sans venir jamais exiger le remboursement des dettes.
Mais on peut voir plus loin dans ce poème qu’une incitation moralisatrice à se plier à une hypothétique éthique universelle : en agissant comme les autres créatures, l’homme, qui est le seul d’entre elles à avoir reçu le libre arbitre et ,avec lui, la possibilité de tourner le dos à qui bon lui semble, peut choisir d’être cavalier seul ou de participer à l’univers. Il peut trouver par ce biais du prêt sans intérêt le moyen de s’inscrire dans le système, de contribuer à cette harmonie d’un monde à la fois dirigé et laissé libre d’une partie de son sort. L’homme inscrit dans le système devient libéré du manichéisme « croire ou être agnostique », tout justifier ou ne rien admettre. Voir partout la main de D. ou au contraire ne croire qu’au hasard dans toutes les situations de la vie.
L’homme qui prête sans intérêt s’assimile aux créatures, s’insère dans l’orchestre, mais en outre s’attire les faveurs du chef d’orchestre : D. serait, à en croire le midrach, à ce point investi à la restitution des prêts qu’il s’y trouve qualifié de servilement soumis au prêteur. L’homme, en créant une relation avec son prochain (horizontale) crée de par là même une relation verticale avec son créateur, faisant du prêt l’instrument par excellence de la communication idéale dans le monde, horizontale et verticale d’un seul coup. D’une pierre deux coups !
L’autre, étranger à nous, nous apparaît souvent un peu énigmatique. Nous ne comprenons pas ses mobiles, ses intentions, et il nous demeure d’autant plus incompréhensible qu’il est éloigné de nous. Entrer en communication avec lui amenuise les quiproquos, réduit les distances, nous fait mieux le comprendre et être de lui compris. Lui prêter de l'argent relève d'une(grande) étape de plus. Cela n'est pas seulement que nous avons condescendu à lui adresser la parole, nous nous sommes tournés vers lui, nous nous sommes enquis de son sort, et nous avons porté la main à notre poche pour l'aider, ce qui est très loin d'être trivial.
Peut-être pourrait-il en être ainsi de notre relation avec l’univers, avec lequel le prêt à autrui aurait le pouvoir de nous lier, nous le rendant par là-même plus familier, nous posant du même coup en meilleure situation face à lui, le comprenant peut-être un peu mieux, nous mettant sur la voie de comprendre une partie des "voies" qui le régissent.



3. Le ruffipenne de Tristram 

Toi ami(e) des oiseaux, qui les aime perchés
Blottis, serrés, au creux du nichoir enneigé
Je viens te dire l’histoire à ce roi attribuée
Maître d’Israël, figure de l’Antiquité.

Salomon, monarque aux multiples qualités,
Lui qui sut mieux que tous rendre justice et régner,
Léguer perles de sagesse à la postérité,
Sut aussi avec toutes les espèces dialoguer.

Cette courte fable va néanmoins te montrer
Que son trop vif amour de la féminité
Lui fit cette belle faculté dilapider,
Et être elle-même ombrage à sa sagacité.

De la reine de Saba s’étant un jour épris
Il lui fallut pour elle trouver à tout prix
La robe la plus belle et la plus chamarrée
Qui serait livrée par toute la gent ailée.

Il convoqua ainsi le plus beau des oiseaux
Celui dont le ramage égalait le plumage
Dont le nom à lui seul sonnait comme un hommage
Le rufipenne de Tristram, de tous le moins sot.

« Mande paons, aras, quetzals, coqs, martins pêcheurs,
Et ôte à chacun une plume en tribut royal ! ».
Le splendide animal, piqué dans son honneur
Voulut monnayer cette commande spéciale.

« Sire, il vous faudrait auparavant nous prouver
Qu’une extraordinaire qualité justifie
Pareille exigence. Les plumes seront données
Comme gage de votre victoire au jeu que voici :

Daignez majesté à votre serviteur poser
Trois questions. Si je ne leur trouve solution
Votre reine recevra sa robe colorée
En récompense de votre royale inspiration ».

La raison peut lâcher même le plus sage des hommes
Et qu’il surpassât tous en esprit lui faire croire.
Quant à l’impertinent rufipenne de Tristram
La fin lui montra ce qu’il n’avait su prévoir.

« Que recèle plus le monde, dit le monarque,
De la noire obscurité ou de la lumière ?
A quoi le bel oiseau sans pourtant être énarque
Répondit brillamment et de belle manière

Qu’il y a dans le monde égale répartition
Mais que l’homme tout à son ambition acharné
A atteindre ses buts sous toute condition
Vit le monde comme écrasé par l‘obscurité. »

« Que se trouve donc en plus grande quantité,
Poursuivit cependant le plus sage des hommes,
étonnamment sur la concurrence bloqué,
Sur les chemins de l’homme, descentes ou montées ? »

Le plus beau des oiseaux sut encore sans mal
Ni hésiter, bégayer, ni piquer du bec,
Et lui répliqua que malgré leur nombre égal
L’homme souffre des montées jusqu’à en être sec.

Pris au jeu, autant agacé que stimulé,
Ne sachant plus si parlait en lui, le séduit
L’écclésiaste ou le séducteur, il poursuivit :
« A qui de l’homme ou de la femme la primauté ? »

« C’est cette question, avertit le volatile,
Qui me paraît vraiment de loin la plus facile.
Chez les hommes sont pouvoir et biens le plus souvent
Mais le feu de la séduction les dévore tant… »

Le roi même sans sagesse eût pu découvrir
Qu’il avait perdu. De colère, il attrapa
Son encrier, sur le bel oiseau le lança,
Le faisant ainsi de la tête aux pattes noircir.

C’est depuis lors que le rufipenne est bridé,
De ses vives couleurs ne reste que le jupon.
Parure en dessous, au dehors austérité
Beauté contrainte à jamais à la discrétion.

Quant au « plus sage de tous » il nota la leçon
Et écrivit magistralement sa conclusion :
Les voies de l’amour n’ont de lien au monde ailé
Que leur absolue inaccessibilité.

Toi qui médites sur les voies de l’humanité
Sache de cette fable leçon retirer
Et te rappeler qu’à la beauté d’un plumage
S’est trouvé aliéné même de tous le plus sage.

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« Il est quatre mystères qui me sont entiers
La trace de l’aigle dans les cieux, celle de l’infâme
Serpent, indécelable sur le lisse rocher
Celle du navire à l’eau, et l’élan vers la belle femme. » (Proverbes, 30, 18-20).



4.  La voie.

« Il est quatre mystères qui me sont entiers
La trace de l’aigle dans les cieux, celle de l’infâme
Serpent, indécelable sur le lisse rocher
Celle du navire à l’eau, et l’élan vers la belle femme. » (Proverbes, 30, 18-20)
Est-ce que Salomon – auteur des Proverbes - ne parvient pas à comprendre la voie qui mène un homme vers une femme ? Ou la trace que laisse un homme en une femme ? Le secret des sources des choix d’objets amoureux ou les traces laissés par cet amour ? Les relations homme-femme ? Le mode d’organisation et de direction du monde ?
Est-ce que notre conclusion (in : le rufipenne de Tristram – darké olam 3 – pagehumeurs du blog) du fait que le plus sage des hommes n'a pu percer ces mystères, doit être que ceux-ci sont impénétrables ?
Ces mystères pourraient être le prototype des phénomènes du quotidien qui échappent à notre compréhension, dont les lois n’ont pu encore être établies.
Un sérieux parallélisme saute immédiatement aux yeux entre ces deux versets des Proverbes (30 18-20) et le texte de la guemara houlin 139b : « si tu rencontres sur ta route….qu’inclut le terme route ? la route peut-elle être aériene ( trajet d’un oiseau dans le ciel ? maritime – voie d’un bateau en mer ?...un nid peut-il être trouvé dans …le crâne d’un homme » (traduction libre et elliptique du passage – sujet déjà abordé sur ce blog in « Houfchat kaïtz » – à la page cinéma.). La guemara elle-même fait le lien, citant notre verset des Proverbes à cet endroit précis, dans le contexte de la voie aérienne.
Ce qui distingue le texte biblique du texte talmudique est la mention dans le premier du serpent sur le rocher, et celle dans le second du nid dans le crane d'un homme.
Ce qui les relie est l'interrogation sur « la voie ».
La guemara pose des questions sur ce qui mérite ou non le qualificatif de voie, sur ce qui est digne d’être qualifié de « voie » - vis-à-vis de laquelle l’homme a des devoirs - , tandis que le texte des Proverbes parle de ne pas comprendre les quatre voies mentionnées par lui. Il s’agit donc dans un cas du faire, dans le second, du comprendre.
La logique de la démarche des Proverbes n’apparaît pas de prime abord. Pourquoi mentionner ces quatre catégories spécialement ? Quel est le lien qui relie le vol de l’aigle, le bateau à flots, la progression des reptiles, et la liaison amoureuse ?
La voie, semble-t-il.
La guemara, elle, semble tenter de réfléchir sur la voie par l'intermédiaire de la trace. La voie n’existerait-elle que quand une trace s’inscrit ? semble-t-elle demander ? La voie implique -t-elle toujours la trace ? La réponse est clairement négative. La voie est digne de ce nom même - surtout ? - en l'absence de trace.
La voie accompagnée de trace est triviale, n'exige aucune réflexion. C'est la voie sans trace qui est compliquée.
L'homme laisse-t-il ou non une trace en la femme ? Physiquement, il ne laisse aucune trace, comme le bateau au sein de l'eau, comme l'aigle dans le ciel, comme le nid installé dans le crane d'un homme déjà mort et qui ne sent plus rien, qui ne se souvient plus de rien. Psychiquement, il est établi que les traces sont incommensurables.
Et si toutes ces voies qui paraissent ô combien signifiantes existaient réellement ? Et si la vraie question à se poser était celle de la découverte du registre sur lequel elles s’inscrivent ensemble ?
Ce n'est pas concrètement que la trace est importante. La trace laissée en un individu par un autre (et en particulier s'il est du sexe opposé) est généralement autant imperceptible qu’indélébile, et la question que pose la guemara est celle du devoir qui incombe à l'individu de ce fait.
L'individu qui, d'après la Torah, est soumis à une mitsvah du fait d'un incident qui se produit sur sa route, est-il convié à réfléchir sur ces incidents de sa route ? sur ce qui lui a occasionné une pareille route ?
Convié ou non, il semble qu’il n'ait guère le choix, surtout dans les cas où il reste aussi – voire plus - profondément marqué par l’incident que par ce que ses parents lui ont inculqué, que par ses souvenirs de prime enfance..
Notre texte de la guemara Houlin 139b, qui a pour objet une réflexion sur diverses sortes de voies, se poursuit sans transition sur de célèbres questions : « d’où nous survient dans le codex le personnage Moïse, et le personnage Haman ? et le personnage Esther ? et le personnage Mordokhaï ? ». Comme pour demander : « Quelle est la logique de leur apparition dans notre histoire, dans notre vie ? ».
Si on cherchait un lien entre le début du texte de la guemara – les questions sur la voie au sujet de laquelle on est tenu à la mitsvah– et les questions de la fin du texte – sur les occurrences de ces quatre personnages - , on pourrait peut-être proposer en réponse que le lien est la réflexion sur la composition de notre quotidien, sur ce qui le fait être tel ou tel, sur ce qui se juxtapose dans notre vécu, notre réflexion, sur ce qui de tout cela nous détermine - si ce n’est nous contraint - sur quelle réflexion cela doit déboucher.
Un premier brin du lien qui relie ces deux mitsvot de la Torah, celle du respect à manifester aux parents et celle du renvoi de la mère que l'on a rencontrée occupée à couver ses petits, est directement textuel. Comme on sait, le texte de la Torah indique expressément que s'acquitter de l'une comme de l'autre crédite des bienfaits de la fontaine de jouvence : « afin que tes jours se prolongent ».
A priori, aucun rapport entre ces deux mitzvot, et les juxtaposer tel quel ne donne pas grand-chose. C’est vrai que les deux se situent dans l’intergénérationnel, mais on s’arrête un peu là. Peut-être le brin de lien est-il constitué de cette idée de la voie, qui pourrait porter un début de rayon de lumière sur cette obscurité dont parle l’auteur des Proverbes.
Peut-être une des clés de la compréhension de ces curieux phénomènes de l’existence passe-t-elle par le déplacement du faisceau de lumière. Il conviendrait peut-être ainsi d'éclairer non le fils mais ses parents, non le promeneur mais la mère des oiseaux, la femme et non l'homme ?
Si la mitsvah en effet incombe à l’individu vis-à-vis de ses parents, vis-à-vis de l’oiselle, si c’est de sa longévité à lui que parle la Torah, ce sont les parents et l’oiselle qui sont les concernés immédiats par l’accomplissement de la mitsvah ou son non accomplissement. Ce sont ceux vers lesquels mène la « voie » de cet individu, ceux sur lesquels il laissera telle ou telle trace.
La Torah comme à son habitude ne nous invite pas à percer les mystères ni à comprendre les phénomènes à tout prix mais à agir dans un certain sens, selon une certaine ligne, une certaine voie.
Tout en nous précisant d'ailleurs que la solution à nos actions ne nous apparaîtra probablement pas. Il faut agir, il faut faire ces mitsvot et admettre qu'elles sont bonnes pour quelqu'un, et par contre coup bonnes aussi pour nous.
Il faut honorer ses parents, renvoyer la mère qui couve ses petits, peut-être pourrait-on ajouter à la lumière de notre réflexion : il faut voyager, il faut accorder du crédit à ses instincts amoureux, il faut être attentif à ce qui se présente sur la route même quand cela ne laisse que des traces indécelables comme le serpent sur le rocher ou l’aigle dans le ciel.
Il faut élargir son champ de vision, et en particulier sur l’axe interpersonnel et ce qui s’y rattache. Freud, peut-être dans cet esprit, nous a éclairé de la notion d’inconscient. "Prenez conscience non seulement de ce dont vous êtes conscients mais aussi de ce qui se déroule sous l’égide de votre inconscient" disait-il.
Peut-être devrait-on élargir encore le champ de vision ? Considérant que la notion d’Inconscient s’adresse à ce qui est mien, à ce qui a été suscité à l’intérieur de ma tête, tandis que l’intuition qui nous pousse vers quelqu’un, ou encore le souvenir laissé en nous par quelqu’un, appartiennent à un encore autre registre, qui semble avoir son origine à l’extérieur de notre tête.
Une origine peut-être très enigmatique, au point que le roi Salomon lui-même n’a su la démêler. Ou plutôt, une origine différente que celles avec lesquelles notre cerveau a maille à partir dans le monde du réel, de l'objectif et du quantifiable.

Et si les manifestations ayant echappé au savoir du grand roi étaient des notions qui ne s'appréhendent pas par le savoir ou la connaissance ? messages du vécu provenant d'un(e) autre, adressés à nous de façon subliminale, par la voie ou par la trace. Messages à ne point comprendre ni connaître mais à considérer comme prescriptifs, messages qui ont pour but de nous mettre en mouvement, de nous faire nous diriger plus encore vers cet(te) autre...

5. Les anges
Les voies dont est pavé notre vécu sont multiples, s’entendrait-on à se dire. Tentons un zoom-in sur une des plus exotiques, une des moins communément admises :  Les anges.

Qui sont les anges ? En rencontrons-nous sur notre route ? Ont-ils un lien avec elle ?

Le midrach, à ce sujet, s’interroge sur l’occurrence de l’annonce de l’arrivée inopinée d’un ange, dans le texte, en fin de paracha michpatim : « voici, j’envoie un ange au-devant de toi » (Ex. 23, 20) et en Ex. 23, 23 : « quand mon ange te précédera et te conduira vers les habitants du pays d’Israël… ».

Si certains commentateurs ne s’émeuvent guère et considèrent le terme « ange » comme synonyme d’envoyé, - comme si la Torah se distinguait par ses efforts de figures de style, en évitant les répétitions pour faire léger…- d’autres prennent le texte comme il est et admettent que ce texte nous mentionne apparemment l’irruption de quelque chose de nouveau dans notre quotidien, une surgescence au sein de l’immanence.

Le midrach étudie le sujet à partir d’un texte du prophète Jérémie où se trouve mentionné le mot « je ferai régner » (« achit » en hébreu). Comme à son habitude, il ne dévoile pas les sources premières de sa réflexion et
passe sous silence l’apparition princeps de cette racine verbale dans le texte biblique : elle est la racine du nom du père véritable de l’humanité, Chet, le troisième enfant d’Adam et Eve, après que les deux premiers aient commis les dégâts que l’on sait, troisième enfant né comme en réparation ou d’une impulsion plus mûre.

Dans le texte de l’Exode aussi, l’ange paraît survenir comme en second temps. En réparation ou en avalisation d’une certaine situation. Peut-être en conséquence du veau d’or, propose le midrach, peut-être du fait que l’homme ne peut se tenir au programme établi aux origines du monde : D. crée le monde par son omni présence puis le quitte et le laisse entièrement à l’homme.

Que ce soit par sa propension à détruire, soit qu’il soit coupable, soit qu’il ne soit plus prosaïquement que minable, l’homme tout seul « ne décolle pas », ou pas assez.

Et la situation sur laquelle cela nous fait déboucher est celle que nous connaissons : non plus celle de l’immanence pure, mais une situation bien plus subtile de présence divine en filigrane, aux règles échappant à l’esprit humain.

Il faudrait donc admettre de ce chapitre 23 de l’Exode qu’après la création puis le déluge, après l’esclavage d’Egypte puis la sortie d’Egypte, après la situation anté thoranique puis le Don de la Torah, les données sont que nous ne sommes pas, nous autres humains, tout seuls à gérer le monde (puisque nous ne le supportons apparemment pas…il fallait bien une béquille, une solution, des lunettes, quelque chose), mais qu’une instance a été introduite pour pallier à la situation de départ. Cette instance, nous l’appellerons « ange ».

Et donc, quel serait le rôle de cet ange ?

Il se pourrait que sa fonction première ne soit pas d’être un envoyé en situation extrême où l’individu se trouve soudain un pied dans le vide, mais bien plutôt de remplir deux fonctions principales de la Présence divine , l’une étant la béquille de l’individu, l’autre celle par laquelle l’homme peut créer des liens, des relations interpersonnelles.

Par ces deux aspects de sa présence, ne pourrait-il pas être une tentative de réponse, une fraction de réponse, aux données énigmatiques du quotidien ?

Nous ne serions ainsi depuis l’instauration de sa présence pas uniquement laissés au hasard, mais en ayant la route parsemée de perches (une sorte de « grand jeu » ?) ?

Une disposition qui nous permettrait peut-être de ne pas tout gâcher par excès de cécité, par excès d’impulsions.

Le midrach cité plus haut semble ainsi poser cet « envoyé » au beau milieu de la scène interpersonnelle. Il est celui qui vient en réparation des relations gâchées, comme dans les cas où Israël par son comportement a nui aux relations avec D. Dans le cas où l’homme et la femme n’ont pas réussi à maintenir entre eux une relation stable, par exemple, mais aussi dans celui où les relations intergénérationnelles se sont dégradées.

On serait tentés de souhaiter plus sentir leur présence. Peut-être comme dans le film de Wim Wenders (Les ailes du désir – 1987) ? On serait peut-être non moins tentés de souhaiter pouvoir constater ses bienfaits dans un plus grand nombre de situations, vis-à-vis d’un plus grand nombre d’individus, enfants orphelins, violés, maltraités ou assassinés comme seuls exemples…

Anges comme instrument de la transcendance potentielle mais à fonction imparfaite au niveau de l’immanence ? Peut-être ne faut-il voir en l’ange non tant le représentant de la justice et de la Présence divine et, partant, lui faire porter le poids de tout notre mécontentement, l’accuser de tous les défauts que nous serions tentés d’y trouver, mais faudrait-il seulement le voir comme un instrument ? l’instrument mécanique de la Providence, celui dont la tradition dit qu’à part ressembler à l’homme en touts points subsiste une différence d’avec ce dernier : l’ange ne possède pas d’articulation à la cheville, est dépourvu de la capacité d’initiative. Envoyé passif, créé pour aider et soutenir, non pour assumer les responsabilités de la situation. Ces responsabilités, rappelons-nous que c’est à nous qu’elles incombent.

Peut-être cette présence (ou la conscience de cette présence) aiderait-elle à restaurer le monde interpersonnel, tellement souvent en faillite ? Peut-être – en bonus – nous aiderait-elle à comprendre ces phénomènes sur lesquels nous butons tellement, sur les coïncidences, sur les rencontres, sur les situations que nous ne comprenons pas sauf à sentir que les attribuer au seul hasard est trop facile, trop insuffisant ?

Peut-être avons-nous conscience de cette présence particulière quand nous estimons que penser à quelqu’un lui est soutien partiel (ou malédiction..selon l’usage que nous faisons de nos pensées), quand nous rencontrons quelques irruptions de ce phénomène partiellement caché dans notre quotidien.

En résumé cela nous permettrait peut-être d’avancer sur la difficile question du hasard et de la nécessité : se reposer sur le hasard est décidément insuffisant, est un aveu d’échec, ne doit être que la pire des solutions. Il parait bien plus probable que le hasard n’existe qu’extrêmement rarement, peut-être dans les proportions suggérées par le modèle de fonctionnement du monde tel qu’il était avancé par Galien, père mythique de la pharmacie : le monde serait selon lui semblable à deux demi tonneaux placés l’un face à l’autre par le créateur, mais de manière non hermétique, en laissant un espace entre les deux parties, cet espace, cette ouverture représentant la place laissée au hasard, la place non couverte par la Providence Divine.

S’en remettre au hasard consiste en un dédouanement abusif. Il faut continuer à réfléchir. Comprendre ce qui est resté une énigme au plus sage des hommes serait-il un crime de lèse majesté ?

Pas de panique, il y a encore du chemin à faire. Et extraire le hasard du champ de  réflexion ne parait qu’être de nature à faire avancer la réflexion.



6. La terouma - chaînon manquant entre l'inné et l'acquis.
On la donne, et hop ! on est du voyage ?
Donner la terouma permettrait de s’élever (transcendance) – et non de s’appauvrir - et de se transposer en direction de l’au-delà de l’être, vers une nouvelle catégorie de l’humain que la Torah aide à développer.
Alors qu’un observateur extérieur pourrait être tenté d’interpréter l’ordre divin de faire donner par le peuple d’ Israël or et argent en quantité nécessaire à la construction d’un sanctuaire, comme une sorte d’impôt à la fortune destiné à la fabrication d’une sorte de chariot de transport d’une idole, le midrach épluche les détails de ce passage biblique (Exode 25-27) et nous suggère une métabolisation de cette approche profane.
Ainsi, on est conviés à découvrir qu’il ne s’agit pas d’une simple boîte destinée à devenir l’écrin à la hauteur du bijou qu’est la torah, mais plutôt que ce sanctuaire est comme la concrétisation de la présence divine parmi les hommes, représentée par ce qui leur aura été donné : non de simples tables de pierre gravées, mais un outil d’élévation de l’humain.
Comme le dit le midrach, alors que quand un individu acquiert un objet précieux il reçoit avec lui le souci d’y prendre garde, la Torah est un objet qui, une fois donné, garde son nouveau propriétaire. Comment le garde-t-elle ? D’aucuns associeront sur le thème de l’amulette et du porte bonheur ou de telle médaille destinée à protéger les voyageurs dans une civilisation que nous connaissons bien.
Le midrach ne parle pas du concret mais du symbolique. Le propriétaire ou plutôt le dépositaire de la Torah n’est pas protégé contre les forces de la tempête mais il reçoit la possibilité de s’élever humainement, et, partant, d’en sortir grandi, muni, prémuni, immunisé peut-être.
Le dépositaire n’acquiert ce nouvel état qu’à la condition de précisément « dé-réïfier » le cadeau. Il ne doit en aucun cas s’agir d’un objet – qui alors non seulement ne protègerait pas mais contiendrait en lui le risque de devenir plus exposés si ce n’est menacés * – mais il faut impérativement ne pas oublier qu’il s’agit d’un outil. Elle ne s’use pas si on s’en sert mais n’élève que l’individu qui s’en sert, qui pratique, qui respecte et accomplit.
En ce sens, elle n’est pas seulement héritage ou tradition reçue, elle est promesse, promise comme la fiancée vis-à-vis de laquelle la relation est encore chargée émotionnellement et pleine de promesse.
Est-elle héritage ? reçue du fait d’une quelconque appartenance génétique à une prétendue noble ascendance ? On peut se joindre à cette descendance. Ce serait comme le maillon intermédiaire entre l’inné et l’acquis. On peut se joindre, faire partie du voyage par simple – quoique circonstanciée – adhésion.
L’écrin n’est pas seulement un impôt prélevé sur la richesse, mais d’après le midrach, comme une sublimation de ce que symbolisent or et argent : la véritable richesse n’est pas la richesse matérielle, et la Torah permettrait d’en distribuer les clés. Plus riche que de possessions celui qui a une bonne renommée, mieux riche que les coffres pleins celui qui possède l’esprit et qui se tient à une conduite morale et de haut niveau d’humanité. Plus riche celui qui sait distinguer richesse humaine potentielle d’opulence matérielle.
La richesse humaine tiendrait dans une conduite non irréprochable mais assujettie à un système qui la bride et lui donne la possibilité de dépasser conduites inadaptées, elle tiendrait apparemment plus largement dans la conscience du dépassement de l’individu que symbolise la Torah.
Plein de cette conscience, j’ai accès à une nouvelle dimension de ce qu’est la capacité individuelle, conceptualisée généralement en termes de bagage génétique et de quotient intellectuel.
A l’individu qui ne regarde le niveau humain qu’à travers la lorgnette de l’intellect et des capacités cognitives, sont peut-être fermées les autres topiques. Le midrach nous enseigne une approche de la Torah et de la vie élargie d’autres voies. Les paramètres de l’existence et les notions du vivant sont à être abordés de façon plus large, par des voies multiples.
Il ne faut pas uniquement comprendre et apprendre la Torah, il faut aussi pratiquer les mitsvot, il faut aussi humer le loulav, il faut aussi se faire voir par la Présence divine lors des fêtes de pélérinage, il faut donner, il faut entendre, il faut bien se comporter avec l’étranger, avec autrui, et la liste de ces « voies » est très loin d’être exhaustive.
Il ne s’agit d’ailleurs pas de liste, le dépassement de soi ne procédant d’aucune addition ou cumulation de bonnes actions. Il s’agit de métabolisme. On n’additionne pas, on ingère, on nourrit, puis on digère, et au passage on assimile et on se développe.
A suivre.
* faute de français ? "syllepse" je dirais plutôt...

7. La voie de la voix.

Le manteau du cohen gadol, nous enseignent la paracha tetsaveh et le midrach shmuel (ce dernier au sujet du manteau dont était vêtu et par lequel était caracterisé Shmuel depuis sa plus tendre enfance), est dédié à la purification de l’individu.

Le cohen doit le porter impérativement pour entrer dans le Saint des Saints (une des raisons évoquées pour la mort qui frappe soudainement Nadav et Avihou est qu’ils seraient venus rendre le culte sans s’être vêtus de manteau) et les nombreuses interprétations données sur ses caractéristiques (couleur, tissu, mode de fabrication) se rapportent à cette purification.

Il serait ainsi appelé “meïl” du fait qu’il est potentiel réparateur de la meïila, du blasphème, de l’impureté du discours.
Le manteau comme chacun sait était bordé de clochettes et de grenades. Il y a controverse quant à leur disposition, entre ceux qui pensent que les clochettes se trouvaient à l’intérieur des grenades, et ceux qui pensaient qu’elles étaient intercalées, une grenade, une clochette et ainsi de suite le long du bas du manteau. Il y aurait eu ainsi 72  clochettes + grenades, en nombre équivalent à celui des sages du grand Sanhédrin, eux mêmes en nombre équivalent au nombre de justes sur lesquels repose le monde  dans chaque génération. 70 est le nombre générique de l’universel. Il y a pour le judaïsme 70 nations, et toujours on joue avec le 70 - 1 ou 70 + 1 ( lors de la descente en Egypte, ce sont 70 membres de la famille de Yaakov qui se rendent en Egypte et on compte et ne trouve que 69 noms. Sont-ils ainsi 70 en comptant la présence divine ? ou sont-ils 70 auxquels se rajoute la présence divine ? l’ambiguïté subsiste ).
Il est intéressant de noter que le manteau ayant deux pans, les clochettes et grenades qui bordent le tissu deviennent ainsi une moitié pour un pan et l’autre moitié pour l’autre pan. Ces pans sont appelés en hébreu « safa », ou autrement dit “lèvre”, ou “langage.
Selon la tradition, les 72 sages sont pour une moitié bné Israël, parlant hébreu,  pour l’autre moitié, parlant un autre langage.
Le langage est ce qui se parle. C’est par le langage qu’une grande partie de la communication s’installe et se fait, et c’est différemment selon le langage parlé que les messages s’énoncent, s’entendent.
Manitou enseignait que le don de la Torah avait été un phénomène universel. Reçu par Israël, cela se présente sous la forme de la Torah, en hébreu, avec ses récits et les 613 mitzvot intercalées au récit. Entendu par la Grèce, peut-être cela donne-t-il la mythologie grecque, par les hindous, l’hindouisme, et ainsi de suite ?
Les choses se disent différemment d’une langue à l’autre et c’est un phénomène dont la syntaxe de la langue n’est que l’ épiphénomène, comme le savent particulièrement les traducteurs et interprètes. Il ne suffit pas de traduire (on le constate amèrement si on est tenté d’utiliser google translate par exemple), il faut encore dire les choses dans la langue et le mode de discours dans lequel on parle.
Et l’obstacle de l’incommunication n’est pas uniquement tributaire de la langue parlée. Deux individus parlant la même langue peuvent ne pas se comprendre véritablement, ne pas “parler le même langage”.
Le texte de la paracha tetsaveh mentionne que les clochettes retentissaient quand le cohen marchait et ainsi, on l’entendait quand il se déplaçait à l’intérieur du Saint des Saints.  Que ce dispositif ait permis de vérifier auditivement que le cohen était encore en vie n’est que l’extrémité du phénomène. Les commentaires relèvent ce son qui accompagnait la marche comme participant intégralement au processus de purification : le cohen a pour essence d’être le purificateur, en particulier le jour de kippour. Cette purification porte sur les nombreuses facettes de l’humain, les nombreuses voies par lesquelles il est pur ou impur.
Le manteau viendrait gérer la voie auditive. A l’instar du shofar dont le son inarticulé est sensé déclencher l’auto examen, la techouva, le son émis par ces clochettes est le symbole de la purification de la parole, et ce serait par ce biais que le manteau serait “purificateur potentiel du blasphème”
Ce serait une des explications de cette alternance clochette et grenade : les grenades étant pleines par excellence, et les clochettes, vides aussi par excellence. Leur alternance serait comme le symbole de ce qui doit ou peut se passer par le biais de la parole : on peut  se “vider”, on ressent le besoin de se vider et l’alternance prend ici son sens du fait qu’on se vide en général non à la Démosthène qui parlait et cherchait à couvrir à lui seul le bruit de la mer, mais chez quelqu’un. Quelqu’un qui doit préalablement faire le silence, ou le vide en lui pour pouvoir entre ce que l’autre , plein comme une grenade, a à déverser en lui. Mieux, il ne s’agit pas tant de déverser comme d’un ustensile dans un autre, la clochette va émettre un son du fait d’avoir été  sollicitée, nous visons non uniquement à ce que l’autre entende, mais aussi à ce qu’il réponde, à ce que du fait de l’échange avec cet autre disponible et bienveillant,  le discours se trouve changé, le blasphémateur se trouve parler “propre”.
La psychothérapie ne vise nullement à purifier le discours blasphématoire, elle est par contre un dispositif interpersonnel dans lequel le rôle du thérapeute ressemble à la clochette, tandis que le patient arrive plein comme une grenade.
C’est du dialogue entre eux que sort un nouveau discours, que s’effectue le “processing”. Ce processus  est symbolisé par le manteau, et il est d’une certaine manière effectué dans le cabinet du thérapeute. C’est un processus auditif, ou qui s’effectue selon la voie auditive.


8.L'oeuvre de D. La part de l'homme.



Le midrach clôt son étude sur l'épisode du don de la Torah compliqué de la faute du veau d'or, par une sorte d'élaboration thématique à base de réflexion sur une seule racine trilitère : a - m - n.

Une racine très riche, de laquelle découlent les notions de foi (émouna), de confiance et de crédulité (émoun), de crédibilité et de fidélité (néémanout), mais aussi d'éducation (omna), d'effort en vue de perfection (imoun), d'artisanat (oumanoutiout) et d'art (omanout).

Le "oman" est l'artiste, tandis que le "ouman" est l'artisan - celui qui s'est formé et entraîné jusqu'à dominer son...art. 

Ce midrach viendrait ainsi théoriser la réconciliation entre le créateur et le peuple juif, malgré la faute, malgré l'apparent échec de l'alliance entre monde du haut et monde du bas que devait symboliser le don de la torah : cette réconciliation, ce qui permet de mettre quand même l'alliance en place, ce n'est pas seulement les arguments avancés par Moshé lors de sa plaidoirie, c'est une donnée supplémentaire de l'humain, véhiculée à travers les constructions linguistiques émanant de cette racine trilitère.

La plaidoirie de Moshé est un morceau d'excellence de langage, le morceau d'éloquence du plus célèbre bègue de tous les temps. 

Lui est un non moins célèbre pendant, dans le passé, la grandeur d'Avraham qui tente magistralement de sauver la ville de Sodome, dans son célèbre argumentaire face à D. Le midrach va jusqu'à détourner presque tout le Cantique des Cantiques en semblant dire : ces éloges de la beauté féminine ne sont que la métaphore de la grandeur du geste d'Avraham. Une grandeur de geste témoignant d'une véritable noblesse d'être.

Lui fait aussi écho dans les temps qui surviennent dans l'après Moshé le talent poétique du roi David, superbement mis au service de la repentance. Le roi David, dont les fautes sont presque innombrables, mais dont le travail personnel qu'il fait sur lui-même est majeur au point de produire le livre des Psaumes, l'appareil poétique qui accompagne tous les actes, rites et états d'âme du peuple juif au fil des siècles.

Ce don de la poésie, cette noblesse d'être, ce dépassement de soi-même concrétisée dans l'éloquence du bègue, sont pour le midrach de clôture de la paracha "ki tissa", ce qui sauve la situation de la catastrophe. Pour le midrach, D. Pardonne, donne quand même la Torah probablement du fait de sa miséricorde, mais non moins du fait de ces particularités dont est pourvu l'humain et qui sont les différentes facettes du dépassement de soi.

Un peu comme si non uniquement le savoir vivre (derekh eretz) était le préalable à la Torah, mais comme si la capacité d'auto dépassement de l'humain n'était pas moins fondamentale. 

Et le midrach ne fait pas l'impasse de l'inquiétude devant le danger d'une telle thèse : l'homme ainsi loué pour ses capacités innées, pour la capacité interne de s'autodépasser, n'est-il pas en danger de succomber au narcissisme ?

La réponse négative à cette question repose une nouvelle fois sur la richesse de la langue : la racine trilitère a-m-n ne contient pas seulement le don du savoir faire et du savoir dire, elle contient aussi la fidélité, la crédibilité. L'homme est menacé de narcissisme s'il est seul, s'il atteint seul ses sommets, après avoir éliminé ses partenaires considéré par lui comme ses concurrents. Il ne succombe pas au narcissisme s'il est pétri de sens du devoir et du souci de sa crédibilité, comme l'est Moshé.


Un éblouissant midrach de clôture, un morceau de choix (maasseh oman) de cette richesse inhérente à la littérature midracho-talmudique, qui a le secret de récéler des perles cachées. Le fait qu'il soit un véritable concerto sur deux consonnes et une voyelle (pour emprunter une formule de Marc Alain) n'apparait pas en première lecture, n'apparait pas au lecteur solitaire, cette richesse ne surgit que de l'étude en groupe, dans laquelle les voix se complètent comme les instruments d'un orchestre. 

On reste ébloui. Sont-ce les fois où il convient de dire : "amen" ? 


9.A vos marques


"Et Moshé ne savait pas que de son dialogue avec la divinité, son visage s'était mis à rayonner."

Cet épisode (Ex. 34 , 29) est peut-être un autre aspect du thème central du livre Chemot, c'est à dire la mise en place d'un monde dans lequel cohabitent présence Divine et caractéristiques de l'humain.

Ầ de nombreuses reprises, la tradition insiste sur cette polarité, depuis encore la Création elle-même au sujet de laquelle a été développé ce thème du tsitsoum, du rétrécissement ou de l'effacement de D. Le monde, si on prend au sérieux l'omniprésence du divin, n'aurait pu être créé qu'à ce prix.

Et pourtant le but de cette création parait clairement être la réunion de ces deux mondes, de ces deux entités qui paraissent tellement incompatibles. Quelle théologie ne cherche pas à conceptualiser ce lien, cette relation ?

Pour le sefer Chemot, qu'on le lise au premier niveau, celui du récit de la sortie d'Egypte puis de la traversée de la mer rouge et du désert, aboutissant au Don de la Torah, ou qu'on le lise - comme je tente de le faire - comme une sorte de seconde topique du thème central du livre Beréchit, aucun doute que c'est le sujet principal, la principale difficulté.

Le monde a été séparé, créé par séparation, et le seul but concevable à cette séparation ne peut qu'être l'atteinte d'un état meilleur que celui du commencement, un état où sont conciliés les deux éléments.

Et le projet parait presque irréalisable. Le peuple parait dans l'incapacité de s'y adapter, avec l'épisode du veau d'or comme paradigme de cette incapacité.

Moshé monte sur la montagne et reçoit la Torah. Cet épisode est ramifié, constitué de trois étapes - du fait du veau d'or - et parait aboutir : Moshé redescend, les tables dans sa main.

Et la lecture du texte biblique pousse à ne pas considérer cette scène comme un aboutissement mais comme le commencement de la vraie difficulté. 

Est-on libre parce qu'on a choisi la liberté ? 

Moshé est - comme Caïn peut-être ? Comme le peuple juif peut-être ? - affublé d'un signe qu'il ne voit pas lui-même.

Les rabbanim réfléchissent sur cette question en tentant de l’éclairer sous différents angles. 

Que "porte-t-il" sur ce visage ? Qu'est-ce qui fait de lui un juif ? C'est à la fois "comme le nez au milieu du visage" et imperceptible. Cela pourrait  peut-être n'être autre qu'un "signe de Caïn", qu'un signe d'infamie, que la preuve de toutes les mésactions qu'il a déjà commises et va sûrement continuer de commettre.

Il rayonnait, nous disent les rabbanim. Il rayonnait depuis l'épisode de la caverne, où il demanda à voir la divinité et où celle-ci, lui ayant refusé la vue, le laissa cependant s'imprégner de sa trace. Cette expérience le rendit radieux, il rayonnait, et ne le savait pas, comme l'adolescent illuminé qui, tout à son émerveillement, ne sait pas combien son visage le reflète. Comme si la mise en présence du divin aux côtés de l'humain était à la mesure de l'expérience majeure, sentimentale, mystique ou spirituelle. On en sort inchangé, juste avec meilleure mine, juste un peu augmenté...peut-être jusqu'à la nuit, jusqu'à ce que les choses se tassent. Comme si les rabbanim cherchaient ici à nous dire qu'il n'y a aucune raison d'avoir peur de cela. Cela ne fait pas mal, c'est juste agréable. Comme s'ils voulaient nous pousser à y aller aussi.

Rabbi Berekhia est posté différemment. Son projecteur n'éclaire pas les mêmes coins de la pièce. Il apprend du verset qui décrit la scène que Moshé ne portait pas vraiment les tables. Celles-ci se portaient elles-mêmes, et de plus seul un tiers était entre ses mains, un deuxième tiers était resté entre les « mains » du divin, et c'est de ce troisième tiers que le texte parle en utilisant le mot K.R.N. Keren, non comme pour dire rayon, keren comme pour désigner un fonds d'investissement. Comme pour dire : prendre sur soi la Torah n'est pas si lourd : elle se porte elle-même. Ce n'est pas nous qui "gardons" la Torah, c'est elle qui nous garde. De plus, c'est un contrat, tout ne repose pas sur nos épaules, seulement un tiers, qui n'est qu'à l'image de l'usufruit d'un héritage, dont l'intégralité ne nous reviendra que bien plus tard, dans un monde ultérieur. Comme pour dire, le changement n'est nullement cosmétique. Moshé ne descend pas illuminé mais investi. Son statut "bancaire" a changé mais il n'en a pas encore véritablement conscience, sa vie continue. L'homme peut faire cet investissement. L'homme juif pourra continuer à évoluer dans les mêmes lieux, et ne pas sentir le changement, au point de se bercer de l’illusion qu'il n'est pas changé, qu'il est identique au monde qui l'environne.

Rabbi Néhémia contemple au contraire le mot K.R.N. sous son angle le plus concret. Keren veut aussi dire corne ( comme le suggère sa prononciation), corne ou cal. Un cal produit par l'exercice physique de l'écriture, quand la plume reposée maintes et maintes fois sur le front du scribe tout à son ouvrage, finit par marquer sa peau. Comme pour suggérer que l'homme qui prend la Torah sur lui - et le fardeau que cela implique de respect de mitsvot - s'en trouve marqué jusque dans son physique, concrètement. On ne saurait devenir juif et ne pas le sentir dans sa chair. Alliance signée dans la chair comme chacun le sait.

Des épisodes que nous n'avons pas encore oublié -comme les désignait Lėvinas - sont là pour attester que l'homme juif en tout cas peut être repéré par certains aspects de sa physionomie. Certains diront qu'il n'est pas nécessaire de baisser le pantalon. Il y a une physionomie particulière, ou un habillement particulier, même si on ne porte pas le caftan. Peut-être s'agit-il d'une situation recherchée par l'humain lui-même, lui qui sait que porter la Torah consiste à être -à l'image de Dieu, à être reflet (tselem) de la divinité.

Peut-être enfin cet état est-il un état qui se porte sans le sentir, tout visible, tout physique soit-il, à l'instar de Moshé qui n'est pas conscient de combien son visage reflète sa nouvelle condition, d'homme ayant reçu la Torah.

Etre juif est un état indélébile, que ce soit du fait de l'encre avec laquelle est écrite la Torah, ou que ce soit de l'état d'éthique auquel la Torah peut hisser celui qui s'en imprègne. Pour le meilleur, ou pour le pire. Ceux qui te voient le lisent sur ton visage, quoi que tu fasses pour le dissimuler ou l'oublier.


Le dénominateur commun de tout cela pourrait bien être que marque il y a, quelque soit l'angle (keren zavit) sous lequel on regarde les choses. Le choix résiderait dans la forme que l'on souhaite donner à cette marque, soit celle que l'on donnera nous mêmes, à condition de prendre conscience, soit celle qui sera donnée par autrui, à la suite de Michel Ange, ou de plus tristes autres représentations.

10.Attraper la vie à pleines cornes.



Dans une envolėe universaliste - en continuité avec la description des dix paroles sur lesquelles aurait ėté créé le monde, les deux fois dix générations nécéssaires à l'apparition du message monothéïste dans le monde, les dix épreuves d'Avraham, et les dix commandements -, le midrach (Midrach Shmuel 4, 3.) nous enseigne qu'il y aurait dix "cornes", dix manifestations, dix significations différentes de ce que peut être la corne pour le monde.

Ce mot est effectivement particulier dans la multiplicité de sens qu'il embrasse : les cornes du bélier et celles de l'élan ( qui ne sont pas physiologiquement identiques, l'une étant apparentée à de l'ongle, l'autre à de l'os), peut-être comme pour indiquer que l'élan de l'animal peut être soit offensif soit constitutif, cornes comme armes ou comme saillie, ornement et parure dans les deux cas.

La corne est une parure dont Israël pourrait ainsi se parer, 

que cela soit dans son affiliation avrahamique, auquel est rapporté le coin du champ, keren, celui qui est abandonné au glaineur par Avraham, abandonné a priori et non a postériori, par la générosité et la largesse qui le caractérisent.

Que cela soit par l'abnégation d'Itshak  dont la confiance ne se ternit pas même amors qu'il est ligoté pour le sacrifice, peut-être de ce fait même, de cette confiance même, suscitant l'apparition du bélier retenu par....ses cornes,

Que cela soit par la fierté de Yossef à la stature duquel est rapportée la vigueur du cerf ou du taureau,

Que cela soit par le rayonnement (keren comme rayon), celui qui émane de la Torah, et celui qui se retrouve en miroir sur le front de Moïse, 

Que cela soit par cette vertu transmissive, dont Moïse est personnification et dont la prêtrise est symbole. Le premier transmet principalement par sa modestie et son effacement, tandis que les cohanim deviennent (doivent devenir, l'histoire a montré de tragiques déviations) le symbole de ce qui illustre ainsi la transmission de l'influx divin vers l'humanité, à travers les bras levės au moment de la bénédiction,

La keren est ainsi aussi corne d'abondance, est l'illustration de la possession du secret de la subsistance éternelle, celle par laquelle "passent" le courant, les ressources, la jeunesse, la transmission, la perennité.

Et la particularité ultime de cette corne serait ainsi de transmettre sans se vider, en demeurant "fonds" d'investissement pour le futur ("keren kaïemet leolam haba").

Les léviïm incarnent, eux, le privilège de l'utilisation auditive de cette corne,  qui devient alors shofar ou trompette, par lesquels on peut tout autant annoncer le départ à la guerre, que la victoire, ou...la repentance. Instruments d'un peuple qui revendique de savoir faire la guerre pour sa défense, ( et qui saura au vingtième et au vingt et unième siècle fouiller et développer les secrets de l'utilisation scientifique et guerrière du rayon leiser "keren" ), mais qui garde la préoccupation de la techouva.

Mais l'ultime sens de cette keren ne reviendrait-il pas au midrach lui-même, aux rabbins de tous les temps, de Rabbi Yokhanan Ben Zakaï à ....Lévinas, qui semblent avoir reçu le secret de l'autrement, secret de la pluri signifiance. Midrach qui recèle, des siècles avant Lévi Strauss ou De Saussure, les secrets de l'étude de la richesse de la parole.

Ne pourrait-on pas ainsi rapporter à nous mêmes ce mode d'analyse sémantique, qui nous ouvrirait sur cet "autrement de nous-mêmes" tellement inaccessible mais tellement salutaire ?


11. Judaïsme d'étude, judaïsme d'adultes.

J'ai eu cette semaine la chance - ou le privilège - de me trouver à relire le texte de Lévinas "une religion d'adultes", un des premiers textes de "Difficile liberté", et cela m'a été précieux, tant dans le contexte actuel, que dans le prolongement de notre discussion de lundi soir, lors de notre étude midrachique hebdomadaire.

La côte du religieux est en ce moment très basse, dirait-on pour le moins. Qui se réfugie dans le "heureusement que chez nous ce n'est pas comme ça", en parlant du judaïsme par opposition à l'islam, a de fortes chances de rencontrer bon nombre de visages incrédules ou même furieux.

Et quand le religieux se mèle d'opposer le dieu des uns à celui des autres, c'est peut-être encore pire.

Lévinas fait dans ce petit texte - parfaitement lisible à l'exception du mot noumène dont tous ne savent pas qu'il désigne la réalité intelligible, l'objet conceptualisé, et que Lévinas utilise sans traduction en langage populaire - une formidable synthèse de ce qu'est le religieux, ou plutôt de ce que peut être (doit être?) le "religieux" juif, principalement par le mérite d'au moins deux mille ans d'étude.

Etude, et non extase. 

Il cite cette fameuse controverse entre trois rabbanim du Talmud au sujet de la désignation de la phrase fondamentale du judaïsme, en disant qu'il s'agit de trois opinions dont la deuxième explique la première et la troisième donne la façon de les mettre en pratique. Une façon de proclamer que les trois opinions sont valables, éclairent la même scène depuis trois différents angles, en controverse mais principalement afin de se compléter.

Pour Ben Zoma, le premier, c'est le "shema Israël" qui contient la substantifique moëlle de tout notre bagage. Ce shema Israël  récité quotidiennement matin et soir, dernière phrase de la vie consciente. Ben Zoma s'exprime ici pour un judaïsme de foi. Etre juif consisterait d'abord à dire sa foi. Pour Ben Nanas, le second, c'est le "tu aimeras ton prochain comme toi-même " qui est l'essentiel. Un judaïsme d'alterité, de relation interhumaine. Un judaïsme agi et non seulement dit. Tandis que pour Ben Pazi, c'est un commandement sur les détails de l'offrande du sacrifice qui est à être placé au centre, arguant d'un judaïsme d'actes religieux. Religion de pratique, non uniquement de croyance ou d'adhésion.

Ce que venait préciser Ben Nanas étant que si quand même il parait souhaitable que la pratique soit enracinée dans une croyance, alors à nous d'intérioriser que cette croyance n'a de poids que dans l'éthique de la relation interpersonnelle.

Et ce qu'enseigne Lévinas, en plus de ce contenu, déjà immensément riche, est que c'est de l'étude que doit provenir le mûrissement de chacun autour de ces sujets, et des autres. 

L'étude. Pas l'endoctrinement asymétrique et reposant sur une vénération d'un sacré qui a de toutes façons tendance intrinsèque à être galvaudé, et nous n'avons pas à regarder bien loin pour le constater, autant chez nos cousins que chez nous (même si de façon incomparablement plus inoffensive chez nous).

Il faut lire (ou relire. La lecture de Lévinas est encore meilleure à chaque fois) cet article. Il n'a pas vraiment vieilli. C'est à dire que ce que Lévinas a à nous apporter sur l'approche de ce qu'est le religieux reste encore d'actualité, reste encore à être appliqué.

Combien a-t-il prôné, interprêté, ou reçu (de Chouchani) cette approche ? Comme à chaque fois que Lévinas appuie ses dires d'un texte talmudique, on ne peut que constater que ce qu'il nous dit n'est même pas l'interprétation : c'est déjà dans le texte. Au point qu'on pourrait rester avec l'impression qu'il est surtout quelqu'un qui sait lire, quelqu'un qui sait comprendre et enseigner ce qu'il a lu, ou entendu, ou étudié.

De même que sa lecture talmudique - sur "du sacré au saint", avec les regards sur la tendance humaine à chercher les miracles, les interventions personnelles, magiques ou non, et le détournement que cela représente - est aussi un apport pertinent à cette réflexion que nous avions cette semaine sur ce texte du midrach Shmuel.

Lévinas parle de "religion d'adultes" et les gens lisent souvent, et injustement, "religion d'intellectuels". C'est vrai qu'y est affirmée la prédominance impérative de l'étude sur la pratique. On le sait : depuis la destruction du temple, c'est par l'étude que sont remplacés les sacrifices, grâce à la vision phénoménale - et comme prophétique - de Rabban Yokhanan Ben Zaccaï.

Et c'est non tant cette étude que ses rapporteurs qui fait aujourd'hui cruellement défaut...avec quand même un très important bémol à ce regard alarmé :  

- le judaïsme n'a en fait jamais été à ce point étudié. Que ce soit du fait du nombre de juifs en Israël, et aux USA , et même en Europe ("limoud", "Akadem" sont de fabuleux exemples).

- le judaïsme est aujourd'hui "démocratisé" plus encore que par son élévation au grade de religion d'étude, par le fonctionnement de deux "institutions" informelles - mais c'est leur force : nul besoin de s'inscrire, nul besoin de se faire accepter - : 
. celle du "daf yomi" grâce à laquelle beaucoup de gens étudient jour après jour, 364 jours par an, une page de talmud par jour, (à l'initiative du rav Shapiro de Lublin encore avant la shoah, pratique qui a été comme ressuscitée il y a je crois dix ans)
. Et celle, tout à fait contemporaine du "929", selon laquelle on ne lit pas une page de Talmud, mais un chapitre de Bible par jour (à l'initiative du rav Béni Lau de Jérusalem).

Il semble quand même que manque à la résonance que devrait avoir cette étude un élément : elle n'atteint pas assez, ni le public juif, ni encore moins une audience extra juive. 

Je ne cherche pas les coupables d'une telle situation, elle provient probablement autant des enseignants que des enseignés, peut-être frappés en commun par un "air du temps" qui éloigne de l'étude, qui la fait apparaître insuffisante ou déplacée, ou dépassée.

Peut-être sont-ce les situations actuelles, aigües, qui font ressentir plus crûment encore l'absence de Lévinas..et avec lui d'autres grands noms, du judaïsme mondial, mais aussi de personnages qui s'associaient à lui dans le développement de ce qui s'appelle "l'école de Paris", qui avait su montrer la pertinence de ces textes et de leur étude dans la confrontation avec la vie moderne, et qui semble malheureusement trop appartenir au passé et à l'Histoire.

Au travail !

ולא נגענו אנו אלא בקצה קצהו של מאמר חשוב זה.


12. les parures du Sinaï




Le texte biblique, à la suite du triste épisode du veau d’or, indique que les enfants d’Israël se défirent des parures qu’ils avaient reçues au mont Horev, c'est-à-dire au mont Sinaï, c'est-à-dire lors de l’évènement que nous commémorons sous le nom de fête de Chavouot.

De quelles parures s’agit-il, étant entendu que le veau d’or est la partie « décadence » de ce gigantesque épisode « grandeur et décadence » de l’Histoire d’Israël, et d’une grande partie de l’humanité ?

Au mont Sinaï, 50 jours après la sortie d’Egypte, après la libération d’un esclavage de 210 ans, les hébreux massés au pied de la montagne, reçoivent la Torah. Ils reçoivent, d’après la tradition orale deux commandements de la Bouche Divine, les deux premiers de Dix Commandements (« Je suis l’Eternel ton Dieu qui t’ai fait sortir d’Egypte, de la maison d’esclavage » et « tu n’auras pas d’autre dieu que moi, tu ne te feras aucune représentation de ce qui est au ciel, sur la terre ou dans la mer, tu ne te prosterneras pas devant eux et tu ne les adoreras pas parce que je suis un Dieu jaloux qui conserve la faute des pères sur quatre générations et qui répand sa bienveillance sur mille générations pour ceux qui respectent ses commandements »), et le reste du décalogue, puis le reste de la Torah, avec ses 613 commandements par l’intermédiaire de Moïse.

Nul doute que cette cérémonie représente quelque chose de bien au-delà de ce que ne pourrait le figurer quelque Cecil B de Mille que ce soit. Il s’agit de l’accession à un statut de peuple dialoguant avec le Divin, statut de rencontre entre le Créateur et les créatures, statut paroxystique et d’aboutissement de l’histoire du monde. Statut auquel le terme parure correspond pour le moins.

Mais alors quelles parures ? De quoi se trouve revêtu le peuple ayant eu accès à cette haute distinction ?

Le midrach, comme à son habitude, en vertu de la vocation qui est la sienne d’être le support de la réflexion philosophique du monde talmudique, est un lieu propice de réflexion sur cette question.

En Exode Rabbah 45, 2, on trouve trois hypothèses, puis une quatrième  :
« pour Rabbi Hanin de Tsipori, il s’agissait de couronnes, similaires à des couronnes royales. Pour Rabbi Shimeon bar Yokhaï, il s’agissait de ceintures, et pour Rabi Simi, il s’agissait de bijoux, dans la suite de ce qui est écrit en Deutéronomme 26, 17-18 : tu as glorifié l’Eternel ton D. et …il t’a distingué aujourd’hui » et plus loin « pour Rabbi Shimeon Bar Yokhaï, ce furent des armes sur lesquelles était gravé le nom divin ». Une cinquième hypothèse ne figure pas à cet endroit mais est presque la plus célèbre : ils auraient reçu à cette occasion les Tefilins, en signe d’identification au Créateur.

Quelles idées sont-elles suggérées à travers ces hypothèses ?  De quoi peut-on se réclamer après avoir assisté à pareil évènement ? Pour Rabbi Hanin, manifestement, un tel peuple devient comme royal. Il est comme vêtu d’habits royaux. Il s’agirait ici d’une distinction du genre du costume d’académicien. Un peuple devenu subitement – et très provisoirement, le moment où ils se défont de ces parures intervenant à peine 6 semaines plus tard – noble.    

On a le sentiment que les autres avis présentés par le midrach sont très différents. Que représente la ceinture ? que représentent les bijoux ? l’épée ? les tefilins ?

La ceinture évoque plusieurs choses. Elle évoque le pantalon, celui porté par exemple dans le couple par celui des deux qui assume la responsabilité, elle évoque cette ceinture que se mettent les hassidim au moment de la prière et qui sépare le bas du haut du corps.
Comme si aux yeux de Rabbi Shimeon Bar Yokhaï, il était surtout question de responsabilité, de moralité.

Les bijoux par ailleurs sont d’une symbolique très claire, ils évoquent la beauté, le bonheur de la rencontre. Ils sont en phase avec les termes de distinction et de glorification qui apparaissent dans les versets du Deutéronomme. Restons un instant sur ces termes. Bien que traduits ici par deux mots différents, la Bible utilise deux fois le même verbe, une formule verbale qui est un apax, que l’on ne trouve nulle part ailleurs dans le canon.

Ce verbe est la 5ème  construction de la racine a-m-r qui correspond à la parole. Je parle : « ani omer ». Cette 5ème construction, traditionnellement considérée comme la forme factitive, devrait vouloir dire « je fais dire », et elle est traduite ici il t’a distingué, ou tu l’as glorifié, tout ceci probablement par la parole.

Cela renvoie à cette hypothèse selon laquelle cette distinction serait une façon métaphorique de parler des tefilins, que portent les hommes – et certaines femmes – juifs chaque matin sauf le shabbat, et que porterait aussi Dieu selon la tradition.

Pourrait-on voir dans ces bijoux et dans le verbe qui leur est accolé le signe qu’ils appellent à un nouveau niveau de parole, qu’ils représentent une nouvelle forme de dialogue. Un dialogue placé sous le signe de la beauté, de la noblesse.

On se rapproche du thème de la couronne et des habits royaux mais en ne pensant plus à la richesse ou à la noblesse au sens propre.

Comme si ces rabbins n’étaient en rien en désaccord mais essayaient de définir cette noblesse.

Une noblesse à laquelle on accède par le niveau de dialogue qu’on aura atteint avec son interlocuteur. Un interlocuteur auquel on ne fait pas que s’adresser, auquel on ne se contente pas de répondre, mais avec lequel on a comme une alliance verbale. Une alliance qui ne repose pas uniquement sur de la distinction mais sur la responsabilité et la morale. Une alliance marquée par les tefilins : les porte celui qui y est attaché, qui veut n’agir que sous de tels signes, qu’en respect de ce qu’elles représentent.

Comme si le peuple élu n’était en fait en rien de sang royal, comme s’il n’y avait aucune race mais au contraire une prise collective de responsabilité.

On n’est juif que du fait de ses actes et non par ascendance. Est juif celui dont les enfants sont juifs disait le rav Steinzaltz. Qu’est-ce à dire ? non uniquement qu’est juif celui qui aura réussi à faire passer le judaïsme à la génération suivante, est juif qui aura réussi à être dans ses actes le porteur de cette ceinture, de ces bijoux, de ces tefilins. Ceux-ci peuvent alors devenir comme des auréoles, comme des couronnes royales, ceux-ci sont le signe de l’humanité embellie.

Les enfants d’Israël ont été 6 semaines durant dans cette situation et en sont bien vite redescendus. Ils avaient fait le veau d’or, Moïse avait brisé les Tables de la loi.

Quelle fut la suite ? ils reçurent de nouvelles Tables, ils continuèrent.

Un texte talmudique considère qu’ils se vêtirent à nouveaux des parures mais là, c’est la question du « quand ? » qui se pose, même si la tradition considère que c’est la fête de Pourim qui est le signe de la réhabilitation du peuple, au moment où les juifs ont accepté les consignes et les ordres de Mardochée et l’autorité royale d’Esther.

Pour l’heure, les évènements sensationnels et paradigmatiques ont été dépassés. Ils étaient trop cinématographiques pour être durables. Et probablement que la collectivité n’était pas alors au niveau de ce qui était souhaité.

C’est aujourd’hui la même situation. La collectivité d’Israël n’est probablement pas digne d’arborer les parures. Il y a trop de failles, trop d’inaptitudes. Mais le potentiel est resté. Les éléments par lesquels on peut atteindre ce haut niveau d’humanité sont là, à portée de main. Et on peut donc considérer que ces parures existent.

Peut-être existent-elles quand Israël (le peuple ou le pays) se distinguent, peut-être existent-elles aux yeux des nations, qui paraissent ne pouvoir regarder Israël avec les mêmes yeux que ceux qu’ils portent sur les autres nations.

Ces parures seraient le signe qui nous distingue, ce qui fait qu’être Israël ne laisse que peu de chance d’être anonyme. Nous les portons même quand nous croyons ne pas les porter, et elles nous désignent.

A nous de les utiliser de manière à ce qu’elles nous désignent sous notre bon jour.

A nous de ne pas laisser les ennemis d’Israël les transformer en étoile jaune, à nous de nous montrer à la hauteur de la responsabilité qui découle de l’élection dont nous fêtons le souvenir.

Bonne fête.    



1 commentaire:

  1. Tout ce symbolisme de ces cinq parures m'est percu comme une empreinte identitaire..dont le peuple ne peut se departir..une empreinte, faite des "sediments" de l'histoire, de tous ces alluvions deposes dans la riviere du temps..-D.ieu merci nous n'en sommes pas devenus des fossiles !- cependant toutes ces generations ont transmis un heritage, pas sans souffrance, ni pressions diverses..comme une sorte de tampom, dont l'encre est la memoire, et le temoignage la parole...Il en ressort quelque chose d'indelebile, d'ineffacable..cette marque identitaire insulflee dans l'ame, a la naissance, est comme une graine dispersee par le vent, affrontee aux aleatoires du temps, et du terrain plus ou moins fertile..une etincelle de Lumiere, une lettre Divine qui ne cherche qu'a s'unir a d'autres lettres pour ecrire son livre..mais cette ame a deja une histoire, et un destin a accomplir, chargee du poids de son passe deja vecu...Il convient a chacun de rechercher la verite (emet)qui est un des noms de D.ieu, toute notre histoire commence par "bet", pas facile de prendre sans com-prendre ce "aleph" pour garder a temps le collage du Nom entier..
    Si dans l'episode de la sortie d'Egypte, ces esclaves liberes physiquement, mais non psychiquement ,etaient restes prisonniers dans des representations divines,devant la promesse du Sauveur, cette attente immature et deceptive(?) de leur guide, les fait pecher..Une tentative de remplacement de leur manque : le veau d'or..Une "tache" bien sale sur l'histoire du peuple juif..mais un diamant qui tombe dans la boue est sali, mais ne perd pas de sa purete !
    Voila pourquoi, tout ce symbolisme d'empreinte identitaire : de couronnes (noblesse)de bijoux (beaute du peuple juif)de ceintures(separation et distinction du saint et du profane) des tePhilines (acceptation du Sacre) ne peut se perdre.Il nous a ete donne en cadeau, un Tresor : la Torah.Ce qui est donne est donne. Parfois, certains dons sont mal reconnus, ou mal acceptes, cela n'enleve rien a leur existence. On dit que chaque peuple est represente par une petite etoile, la notre flotte sur notre drapeau une etoile a six branches..
    ""Ds le premier chap. des Pirkei Avot Chimon le Juste disait : le monde repose sur 3 choses :sur la Thora, sur le service du Temple et sur tous les actes de bienfaisance.Voila pour les trois premieres. Rabban Chimon ben Gamiel lui, disait : Le monde repose sur trois choses : sur le jugement, sur la verite, et sur la paix, comme il est explique"{verite et jugement de paix jugez a vos portes (Zac. 7, 16) voila pour les trois suivantes. Alors contradiction entre les deux Chimon ? Difference d'epoque et de situations> Le premier s'exprimait avant la destruction du Temple , le second apres celle-ci...Par suite ces six valeurs correlees. correspondant aux six directions et dimensions (notre etoile de David ?) de l'espace (...) par lequel le peuple juif assurera ses assises lors de la traverssee du plus incertain et le plus perilleux des deserts, celui que le prophete Ezechiel nommera (Ez.20-35) le desert des peuples (midbar heamim)"" ce texte a etait pris dans Totem et Tabou de Raphael Drai..
    Nous sommes le peuple du Livre et de l'Espoir, car nous avons confiance en la Parole Divine, alors...continuons a ap-prendre pour comprendre, tout est ecrit...il nous suffit de perseverer ,pour savoir lire...

13.L'impact du subliminal



Si le Don de la Torah, dans le prolongement de la fabrication du Tabernacle, peut être vu comme la tentative de mise en place d'un mode de rencontre entre le céleste et l'humain, entre le transcendant et l'immanent, il faut voir l'argumentation de Moshe (Ex. 32, 11-13), autour de la faute du veau d'or, et la volonté exprimée par le Créateur de détruire le peuple d'Israël, comme les premiers travaux pratiques de ce mode.

À l'échelle de la collectivité, c'est à dire à l'échelle du projet Divin tel qu'il est relaté par le livre de l'Exode, Moshé avait déjà eu un premier dialogue avec la Divinité, lors de l'épisode du buisson ardent, et le sujet était précisément cette rencontre : "comment croiront-ils que je suis ton envoyé?" demandait Moshé. Comment le monde d'en bas entre-t-il en correspondance avec le monde d'en haut ?

Les signes que reçoit Moshé en réponse à sa question sont des signes d'impact radical - et donc de domination totale - sur le monde d'en bas (bâton changé en serpent puis re-changé en bâton, peau passant instantanément et réversiblement d'un état sain à un état lépreux), suivis d'une définition de la Divinité "je serai celui que je serai", définition exprimant la toute puissance, la non dépendance absolue, relative à aucun paramètre, et ceci à travers les paramètres de la durée, sans limite.

À ce stade, il n'y a pas communication, il y a messages.  Ceux-ci, nous dit le texte, sont convaincants pour les hébreux, inacceptables par Pharaon, mais il n'y a pas dialogue.

Au cours de l'épisode du veau d'or, il y a un véritable dialogue entre Moshé et le Créateur, Moshé avance plusieurs arguments les uns après les autres pour finalement obtenir gain de cause, c'est à dire qu'il y a réussite de dialogue.

C'est l'évènement de l'Exode qui est le pendant de l'épisode de la Genèse où Avraham discute la décision divine de détruire Sodome et Gomorrhe. Alors, il y a dialogue, mais il y a échec relatif de l'aboutissement des négociations, à moins que l'on ne doive déduire que la négociation réussit mais le client de l'avocat se trouve ne pas remplir les conditions, ce qui aboutit au résultat que l'on sait : résultat significatif du signe sous lequel se déroule le livre de la Genèse , un individu est sauvé, la collectivité non.

Ici, dans le livre de l'Exode, les choses se déroulent à vitesse supérieure, on assiste à une semblable dynamique de création, de développement mais l'enjeu y est collectif. Ici aussi, le dialogue aboutit, réussit, c'est une collectivité qui est sauvée, la collectivité - et le Créateur aussi, si l'on peut dire - se montre à la hauteur du challenge qui lui avait été soumis.

L'examen des textes successifs de l'argumentaire de Moshé présentés par le midrach rabbah permet d'approfondir la réflexion sur les éléments du dialogue.

Sur quoi repose ce dialogue ? Quels sont les éléments de la rencontre entre le Divin et l'humain?ne s'agit-il que de dialogue? La rencontre entre le divin et l'humain peut-elle être embrassée par le langage ?

Arguments non verbaux ? Singulier avocat que celui qui se mettrait à dialoguer avec le tribunal de façon subliminale. Et pourtant, cela serait-il tellement inimaginable ? 

Maïmonide exprime (Guide des égarés) suffisamment clairement que le Divin et l'humain ne sont comparables en rien, qu'ils sont d'essences fondamentalement différentes (si tant est que l'humain ait une essence mais c'est un autre sujet), et que par conséquent le langage par lequel l'humain d'une part se singularise, mais en plus décrit le monde d'en bas, ne pourrait en rien aider à décrire le monde d'en haut ou la Divinité.

Donc, dialoguer verbalement avec le Créateur n'est possible qu'à certaines conditions.

L'image de Hour et de Aaron qui soutiennent les mains de Moshé pendant la guerre avec Amalek peut aider à éclairer encore. Hour est ici le prophète, celui qui véhicule de haut en bas la parole divine, tandis qu'Aaron est le prêtre, celui qui véhicule de bas en haut l'expression humaine. 

Il est commun de considérer que de notre temps la prophétie n'est plus en vigueur, mais la situation qui prévalait autour de la destruction du premier temple, situation de sur-développement de la parole prophétique est un classique de l'Histoire. La difficulté consistait alors à distinguer qui parlait vraiment le langage divin de qui était faux prophète, comme si le langage du prophète était quelque chose de particulier.

Le prêtre de son côtė est assigné à une part de ce dialogue, mais il ne parle pas, il fait (envoie sous forme de signaux de fumée ?) des sacrifices. 

Et ces deux précisions pourraient conduire à imaginer que le langage entre le Divin et l'humain doit être autre que le simple langage horizontal d'humain à humain, auquel a  tendance à le limiter la civilisation gréco-romaine.

Quand Moshé est présenté par le midrach (Exode rabba   44.1 et passim ) comme avançant l'argument de la jeunesse d'Israël ("il ne faut pas les détruire, ils viennent seulement de s'affranchir de leur condition d'esclaves"), il parle de la façon la plus rationnelle. Quand il dit que la destruction d'Israël risquerait finalement de porter atteinte au renom de la sortie d'Egypte ("que vont dire les peuples? C'est pour les détruire dans le désert qu'Il a fait tout le tararam de la sortie d'Egypte ?") c'est aussi un argument présenté sous forme de logique, c'est aussi un argument exprimé en mots.

Le midrach nous enseigne que ces deux arguments ne sont pas reçus, et que D. ne renonce à dėtruire le peuple qu'une fois que Moshé avance un troisième argument, celui du souvenir d'Avraham, Itshak et Israël.

Mais à ce stade, les interprétations se multiplient sur l'invocation de ce souvenir. Alors que certains midrachim ne voient en cela qu'un argument logique de plus, un autre argument à charge ("te contredirais-tu, toi qui a promis une descendance aux patriarches ?"), un midrach dissimulé parmi les autres attire l'attention du lecteur sur cette autre interprétation : 

« Celui qui s'attend à la récompense immédiate pour les actions qu'il aura commises, dit  Rabbi Pinhas Hacohen Ben Hama, est tel l'impie décrit par les Proverbes 11,21. qui ne prend en compte que lui-même d'une part, qui ne prend en compte que le présent d'autre part. Comment aurions-nous pu bénéficier du pardon au moment du veau d'or si Avraham, Itshak et Yaakov avaient reçu leur salaire de leur vivant ? » (Ex. rabba 44.3),

On peut lire ce midrach au premier niveau, comme un autre midrach qui vient évoquer la propriété des mérites des Pères (les Patriarches), si grands qu'ils s'étendent jusqu'aux enfants. Comme encore un midrach sur la dégénérescence de l'humanité au fil des générations. Ce serait un faux-sens.  Le midrach présente ce phénomène transgénérationnel de report du mérite comme indépendant des personnalités des Patriarches.
C'est ici le phénomène qui est au centre et non les personnages évoqués.
Et ce phénomène peut être pris à la légère ou au sérieux.
Dire que c'est le miracle des bonnes actions que d'être reportées sur les enfants, dire que c'est de la Bienveillance divine uniquement qu'il est ici question, revient à prendre le phénomène à la légère. C'est le ramener à un niveau enfantin ou primitif.

Prendre le phénomène au sérieux consiste à s'interroger sur ce dont parle Rabbi Pinhas Hacohen Ben Hama comme s'il était un personnage digne de respect, comme s'il était un Docteur du Talmud comme se plaisait à dire Lévinas.

Je suggère que ce Docteur essaie de faire passer ici la notion de la transmission des messages subliminaux. Comme s'il suggérait que quelque chose passe outre le langage, en deçà ou au delà du langage.

Comme si c'était de cette notion de certaines transmissions - en l'occurence sur l'axe du transgénérationnel mais peut-être aussi par d'autres voies - non verbales et pourtant non moins importantes - , que veut nous parler Rabbi Pinhas.

On traduirait alors que ce qui vaut au peuple d'Israël de ne pas être anéanti suite à la faute du veau d'or est la particularité d'avoir adhéré en tant que collectif aux valeurs du subliminal, aux valeurs de la communication non verbale comme non moins riche et prometteuse que la verbale.

Cela évoque un film que j'ai déjà mentionné dans ce blog. Le film israélien "le dauphin", documentaire qui relate la guérison d'un adolescent atteint d'un état traumatique violent, par la principale cohabitation avec des dauphins pendant un laps de temps. Après que toutes les autres méthodes aient échoué, c'est uniquement au contact des dauphins que cet adolescent réussit à revenir de l'état de dissociation dans lequel il est plongé, pour dans un premier temps retrouver la parole, pour revenir à lui-même par la suite.

Ce n'est pas la parole d'un ami, d'un proche ou encore d'un thérapeute qui lui fait retrouver la parole, c'est un autre contact, non-verbal, qui réinstaure le désir de lien et de communication avec les humains,

Dans le cas de ce midrach, Moshé présente le peuple d'Israël comme devenant implicitement affilié à ces valeurs, à travers la pratique des mitsvot, comme devenant le détenteur - non exclusif dirais-je cependant - des secrets de la transmission transgénérationnelle. La bonne raison pour renoncer à l’anéantir. On n’anéantit pas qui a les yeux tournés vers le passé et le futur, qui fonde la transmission de son bagage sur le langage augmenté de la dimension du subliminal.


14. Rideau, toile, sanctuaire et Presence Divine


"Il fit le voile, en étoffes d'azur, de pourpre, d'écarlate et de lin retors. Travail d'artiste, damassé de chérubins." Exode  36 35. 

Cette tenture de l'Antiquité, baldaquin d'ouvrage extrèmement circonstancié, était probablement une des splendeurs de l'Asie mineure. Réalisée une première fois lors de l'épopée des hébreux dans le désert du Sinaï, elle était tendue devant l'arche qui renfermait les Tables de la Loi, d'abord dans le Sanctuaire, plus tard, dans le temple de Jérusalem. Très épaisse, ce qui la rendait aussi lourde, il fallait selon la tradition trois cents prêtres pour la porter, à chaque fois qu'il était nécessaire de la tremper dans l'eau pour la purifier.

Majestueux tissu de 8 cm d'épaisseur, composé de soixante douze couches tissées en enchevêtrement de quatre couleurs, il fallait régulièrement en remplacer les couches extérieures qui se trouvaient souillées du fait du service pontifical, ou que les rudes conditions climatiques avaient usées ( Shekalim 8,5 ).

Il était composé de matières évoquant les quatre éléments de la nature, mais tout en étant comme le maximum de ce à quoi peut s'élever la créativité humaine. Sa réalisation visait, dans l'esprit de Betsalel fils d'Ouri fils de Hour, grand architecte du sanctuaire, à exprimer la version humaine, bi-dimensionnelle, de ce que sont les Chérubins, ces créatures célestes qui veillent sur le jardin d'Eden depuis que l'homme en a été chassé.


Selon certains versets, il était "ouvrage brodė" ("maassé rokem", Ex. 26, 36) tandis que selon certains autres, il était "oeuvre d'art" ( "maassė khochev", Ex. 26, 31), et Rabbi Youda, dans le talmud de Jérusalem, a une explication, propose une interprétation : "Dans le premier cas, il s'agit d'un seul visage, dans le deuxième cas, de deux visages" (Shekalim 8, 2). Comme pour dire que l'homme doit conceptualiser la rencontre avec l'autre pour s'élever au niveau de l'art. Comme pour dire que le niveau de l'art est aussi celui de la pluralité, du regard pluridimensionnel. Tant que l'homme ne voit qu'un seul visage, il reste au niveau ( quand même impressionnant ) de l'artisanat.

un visage de lion ? deux visages de lions ?

Des jeunes filles nubiles rompues à la technique du métier le tissaient, et différentes thèses ont été émises quant à son aspect. Certains disent qu'étaient brodés un taureau sur une face et un aigle sur l'autre, tandis que d'autres ne démordent pas d'autres versions, différemment zoomorphiques.

Son rôle était de séparer, de faire écran.

Ecran devant les tables de la loi dans le premier temple, mais écran devant le vide dans le second, l'arche et les tables n'y étant pas été réinstallées, ou encore écran pour l'homme face à la divinité, à moins que le Baldaquin n'ait été Lieu de la divinité elle-même?

Le Baldaquin symboliserait ainsi peut-être la pudeur, l'intimité. Ce de quoi on doit garder distance, ou encore ce qui aide à rester distant. Intimité d'Israël, symbole de l'intimité universelle. 

Titus, pénétrant dans le Saint des Saints, armé de son épée, flanqué d'une prostituėe, viole, au sens propre, l'intimité d'Israël - Guittin 56 : -. En conquérant, il profane la propriété, il anéantit l'identitė, il viole l'intimité universelle. En tant que lui-même, il se dévoile  individu brutal, dépourvu de sensibilité.

Dans le midrach, en Exode rabbah 50 4, dans un paragraphe un peu différent, ne contenant aucune référence à un quelconque "dit", est soudain cité ce qui pourrait apparaître comme le récit d'un rêve fait par Rabbi Eleazar fils de Rabbi Yossi : "j'ai vu le baldaquin à Rome". (Certains diront qu'il ne s'agit pas d'un rêve mais bien d'un souvenir, le talmud attestant en plusieurs endroits que ce rabbi fit partie d'une délégation de rabbanim qui se rendirent à Rome afin d'intervenir contre un décret antisémite, et il est même mentionné dans une autre source - Meïla 17: - qu'il avait en outre une question précise à poser au sujet des taches de sang que l'on voyait sur le baldaquin. Mais a-t-il réellement vu ce tissu ? À moins qu'ayant été considéré oeuvre d'art il n'ait été exposé par les romains au parlement ou en un quelconque autre endroit où se trouva Rabbi Eleazar...on se demande un peu si la chose a réellement pu se produire).

Que cela soit comme ci ou comme ça, laissons-nous aller à imaginer qu'il s'agit d'un rêve, imaginons que le Baldaquin représentant la Divinitė, il se soit joint à l'exil des hėbreux vaincus. Laissons-nous associer cette vision de Rabbi Eleazar à cette autre source talmudique citée ci-dessus selon laquelle Titus pėnėtra dans le Saint des saints, et transperça de son épėe ce dais, duquel jaillit...du sang ! 

Laissons nous ainsi nous demander ce qui occupe l'esprit de Rabbi Eleazar. Cherche-t-il, comme le suggère le contexte en Meïla 17, à donner une réponse hilkhatique à une question très précise concernant la pureté ou l'impureté de tel ou tel sang ? Ou, confronté à l'antisémitisme, et aux dures et nouvelles conditions auxquelles est contraint le peuple juif, ne prend-il pas ce sang au second degré ? Ne se pose-t-il pas des questions sur l'avenir de ce peuple, encore une fois menacé, et au sujet duquel la question la plus cruciale serait de savoir s'il est maintenant (depuis la destruction du temple, depuis la destruction de Jérusalem, depuis l'exil) encore protégé ?

Quelqu'un a des doutes sur le niveau de réflexion auquel peut s'élever un rabbi du talmud ? Il est possible que l'actualité mette à mal notre capacité d'apprécier le niveau auquel il convient de situer les rabbins, quand certains évoquent plus volontiers le curé des campagnes, quand leur voix se fait surtout entendre lors de leurs inombrables querelles de clochers, quand on les voit plus attachés à leur pouvoir politique qu'à la prestigieuse pensée juive, quand d'autres se font prendre en flagrant délit de plagiat, quand d'autres encore, comble de la déchéance, se retrouvent sur les bancs de la justice pour des délits parmi les plus variés et les plus indéfendables ?
Lévinas, qui les qualifiait de docteurs du talmud, n'avait pas de doute. J'ai aussi appris chez un autre maître à ne pas considérer le talmud comme une relique poussiéreuse mais comme un trésor qui ne s'est pas tant conservé du fait des soins qui lui ont été prodigués que du fait de sa haute valeur, du fait du haut niveau des débats dont il fourmille.

Et donc, qui Rabbi Eleazar a-t-il pu voir à Rome, entâché de sang, sinon le peuple juif lui-même, sinon la Présence divine elle-même ? 

Et la question à laquelle il convient de répondre n'est-elle pas la question de ce qui fit couler ce sang ? L'épée de Titus ou les sacrifices faits à Kippour par le grand-prêtre ? Peut-être comme pour demander ce qui menace réellement le peuple juif, l'épée du conquérant, l'Iran, ou l'impureté au regard des lois de la Torah ?

Et aujourd'hui, nous qui réfléchissons sur le Baldaquin, merveille de l'Antiquité, sur tous les articles de la Tente d'Assignation, doit-on les regarder comme autant de reliques archéologiques d'un passė révolu ou comme ayant étė les symboles de ce qu'était le judaïsme quand il y avait un temple à Jérusalem ?

Doit-on souhaiter la restauration de cette antique beauté, doit-on espérer le retour concret à ce glorieux passé, avec reconstruction du même temple ( ou, pourquoi pas, de la même tente ) et remise en route des sacrifices d'animaux par des prêtres vêtus de robes blanches, coiffés de tiares et affublés de plastron d'or ? Ou doit-on chercher ce qui est aujourd'hui le symbole vivant du judaïsme d'aujourd'hui ? Ce qui symbolisera au mieux ce que le judaïsme doit être pour ne pas être le boulet au pied d'un peuple, ni un anachronisme que l'on ne cherche qu'à retaper ou à enfouir ? 

N'avons-nous pas en nous de quoi fabriquer une si magnifique tenture d'aujourd'hui, qui nous servira à montrer au monde entier quelles sont les séparations que sait enseigner le judaïsme, quelle est l'impureté dont il faut à tout prix ne pas se souiller ? Impureté sexuelle ? Impureté sociale ? Impureté liée à la bouche ?

Le talmud nous enseigne que Titus pénètre accompagné d'une prostituée dans le Saint des saints où le grand prêtre risque sa vie s'il entre en état d'impuretė, qu'il y commet les pires actes au regard de la religion, de la sainteté, de la pudeur, de la dignité humaine, et qu'il ne lui arrive rien.

Le judaïsme mentirait-il donc à proclamer que le grand-prêtre risque sa vie ? 

Le judaïsme propose à l'homme un système pour devenir autre, pour l' "autrement qu'être". S'il est autre, pureté et impureté sont une partie des données de sa vie. À un certain degré d'adhérence et de responsabilité collective, comme dans le cas du grand prêtre affecté au pardon du peuple le jour de Kippour, il risque sa vie à se rendre impur. S'il se contraint à des lois qui caractérisent une sociétė saine, il se met en danger en les enfreignant. Si au contraire l'homme est un loup pour l'homme, s'il vit selon les lois de la jungle, il ne risque sa vie que du sang versé par l'épée d'une autre bête sauvage.

Le Baldaquin représente la beauté et la noblesse de cette Divinité, représente le poids de l'impureté sur l'ensemble du peuple. Et cela explique qu'une collectivité doit s'unir pour l'entretenir. Pour le déplacer, pour symboliser l'importance accordée au niveau d'humanité de la collectivité et aux moyens utilisés pour la protéger de l'impureté.

N.B. Sources talmudiques empruntées à un excellent article d'une certaine Rabbine Professeure Dalia Marx, par l'entremise de cette gigantesque tenture du monde moderne, nommée communément...internet. Une tenture sans majesté, que l'on consulte sur écran, à défaut qu'elle-même ne fasse écran. Une toile qui renferme son potentiel d'impureté, qui peut tout autant être potion de vie et d'enrichissement que poison.....une des merveilles du monde moderne en quelque sorte.




15. David, Akhitofel, Shaül, Doeg, Sheva ben Bikhri et Shimi ben Guéra, acteurs protoypes de notre monde intérieur, mis en scène par le livre Samuel.


Le midrach écrit que le roi David eut maille à partir avec cinq ennemis extérieurs et cinq ennemis intérieurs.
On peut prendre ces termes à la lettre, considérer David comme un roi antique, et ses ennemis comme les ennemis du royaume.
On peut fantasmer sur l'aspect physique de cette situation, s'interroger sur ce qu'était la réalité de l'époque, dans un palais dont on ne sait comment se le représenter. 
C'est donner dans l'historique et le concret au maximum. Ce qui est un regard bien réducteur. Rembrandt, David, et autres peintres l'ont-ils senti quand ils ont sans hésitation habillé ces personnages non de costumes et d'environnement de l'antiquité mais au contraire de vêtements hollandais du 16ème siècle pour le premier et ainsi de suite pour les autres : la Bible nous place devant une sorte de panorama qui nous donne le vertige.
Il est vertigineux de lire une histoire et de se remémorrer qu'elle s'est produite il y a près de 3000 ans. Quelqu'un lira-t-il notre quotidien dans un futur si lointain ?
Il y a de bonnes chances que non. De même que nous ne trouvons que de très rares récits de ce qui s'est passé du temps du moyen-âge ou de l'antiquité. 
Ne nous faudrait-il pas plutôt admettre que la Bible ne s'est pas conservée par hasard ou par chance, mais bien plutôt du fait de sa valeur, d'une valeur qui est bien au-delà de celle du journal intime du premier venu, d'une valeur qui est transcendante par rapport à ce que nous savons écrire ?

Et ainsi, nous accepterions plus facilement ce de quoi nous avons l'expérience, c'est a dire que la Bible peut se lire à plusieurs niveaux d'interprétation, ce qui n'est pas le cas du texte lambda, ce qui n'est par exemple pas le cas de ce texte que tu lis en ce moment-même.

Et ainsi, même si nos prénoms d'aujourd'hui sont parfois signifiants ( Claude = boiteux, Bruno = qui est foncé de peau ), ils sont bien souvent plutôt comme une litanie, la répétition du passé, en fonction de telle ou telle tradition qui dit coment nommer untel du nom de tel ou tel ancêtre (n'ai-je ainsi pas connu un Claude non boiteux ? Une Cécile voyante ? Un Bruno clair de peau ?)
La réalité d'il y a trois mille comptait-elle de nombreux David ? De nombreux Doeg ou Akhitophel ? Shimi était-il le prénom en vogue ? 
Nous sentons bien que la réponse est négative. 
Et ceci d'autant plus quand nous apprenons par le texte ou par déduction telle ou telle valeur exclusive ou paradigmatique de tel ou tel nom (Yaakov ainsi nommé parce qu'il tenait le talon de son jumeau...Ishmaël peut-être ainsi nommé par son père dans l'espoir que la prophétie s'accomplira par lui même alors que le couple Avraham-Sarah demeure obstinément stérile ?).

Nous avons comme l'intuition qu'on ne nous raconte pas forcément le récit d'une légende du passé, telle que le racontent les historiens ou les chroniqueurs des peuples et des époques, avec un ou plusieurs héros dont les noms ne sont pas tombés dans l'oubli, mais qu'il s'agit d'autre chose.

Que veut dire le midrach par cette phrase sur les cinq ennemis intérieurs et les cinq ennemis extérieurs ? Vient-il résumer ? Ou vient-il ajouter ?

Après tout, le midrach est apparenté à toute cette moitié de littérature talmudique, celle qui ne vient pas véhiculer la halakha mais autre chose.
Il y eut de tous temps, il y a encore aujourd'hui des gens - parfois très sérieux - pour lesquels toute cette moitié est futile sinon presque inutile.
Ma préférence va sans hésitation vers les autres, vers ceux qui voient dans cette littérature non hilkhatique l'équivalent des livres de philosophie d'aujourd'hui. En outre, je crains toujours que tirer un trait soit une démarche trop insuffisante, trop superficielle, et donc je suis résolument du côté de ceux qui affrontent les sujets avec sérieux, qui ne balaient pas du revers de la main ce qu'ils ne comprennent pas.

Je présuppose donc qu'un texte de Tanakh' contient plus que ce que son pshat donne à voir, et je vois le midrach non comme un "dit", ou comme seulement un témoignage du passé, mais comme un "dire", comme une ouverture, comme une invitation à réfléchir.

Et donc, réfléchissons. Et si ces ennemis intérieurs étaient plus intérieurs encore que là où nous serions portés de les situer ?
Et si le midrach était en train de peser ce à quoi David a eu à se mesurer, en mettant d'un côté la réalité (ennemis extérieurs), et de l'autre son monde intérieur ( ennemis...intérieurs). David qui a laissé à la postérité faits d'armes d'un côté, productions poétiques de l'autre.
Et voilà que la liste des ennemis intérieurs est signifiante. Il y a "le préoccupé", "le faux frère", celui de qui on doit prendre la place, et deux personnages d'importance semble-t-il moindre mais aux noms peu communs.

Shimi ben Guera. Ceci me renvoie à la liste des explorateurs de la paracha "chelakh lekha", ceux qui ont aussi des "noms à coucher dehors". Ceux au sujet desquels la guemara dit (sotah 34b), "nous avons une tradition selon laquelle les explorateurs sont prénommés d'après leurs actes"...il n'y aurait donc pas que moi à ne pas se contenter de lire des noms comme une simple liste d'évidences.

Shimi ben Guera a peut-être été ainsi inscrit à l'état civil, mais il est quand même aussi, "auditif issu de l'étrange(r)" ou encore "trace sonore du vide" (guera avec ayïn serait le manque, le passif), surtout dans la mesure où son nom n'en est pas un, donc il est surtout appel à interprétation. 

Il serait les murmures que nous entendons dans le silence, comme une inquiétude diffuse, mais il est celui que David conserve en mémoire jusqu'à ses derniers instants comme devant être liquidé...et pourtant descendra de lui Mordokhaï.

Comme s'il était cette partie de l'individu, dont on se demande toute notre vie durant pourquoi on ne l'a pas éliminée...sans même réaliser qu'elle est un des meilleurs aspects de nous-mêmes, celui duquel sortiront les meilleurs fruits.

Son comparse pourrait presque être le corrollaire de cela. Lui, Sheva ben Bikhri, qui pourrait être "sept - ou multiple - ou abondance (sova) - ou la déchéance de mon aîné en septième.

Les ennemis de l'homme serait-ils cette inquiétude multiple qui parait être ici articulée, inquiétude provoquée tant par le silence que par le sentiment d'insuffisance, que par la peur du lendemain, que par le traître potentiel, que par celui qui vous poursuit encore et toujours.

Shaül ennemi intérieur de David !!
Shaül qui ne serait (un peu, aussi, peut-être...) que la projection des angoisses de David. On en finirait presque par se demander si David ne s'est pas en fait jeté un javelot sur lui-même..

Très beau psychodrame donc que ces quatre livres qui sont deux (Samuel 1 Samuel 2 Rois 1 Rois 2).

Et nous qui croyions qu'ils sont le pendant juif à l'histoire de France.

A moins que comme le dit Lévinas "la véritable faute des explorateurs aurait été de démystifier l'histoire sainte".
Car finalement c'est bien là qu'est le danger : à transformer l'histoire sainte en histoire tout court, on en arrive à annuler ce qui dans cette histoire sonne trop illogique (sortie d'Egypte, passage de la mer rouge, don de la Torah, veau d'or et autres bagatelles...).

Ces noms qui obligent à l'interprétation auraient au moins ce premier rôle : celui de l'insomnie, celui de nous empêcher de nous endormir sur cette histoire et ses faits d'armes, de focaliser sur le tafel ( comme son presque homonyme Akhitofel)  au lieu de sur l'essentiel.

16. Sur le manteau du roi ..ou de l'enseignant



Shemuel tourna les talons. Il l'agrippa par le manteau et il se déchira (Shemuel 1. 15, 27). Quel manteau  ? demande le midrach (midrach Shemuel 18, 5). Celui de Shaül ou celui de Shemuel ?

Un pinaillage superflu serait-on prêts à répondre, presque agacés que ces rabbanim perdent ainsi leur temps à de telles questions ? 

Aux frais du contribuable, entendrait-on tout de suite après, de la bouche de quelque israélien laïque.


Et le midrach sur ce sujet est long. Trois réponses à la question sont ainsi présentées, avant que ne suivent d'autres questions sur le même sujet, mais chacune dans un autre contexte historique, et avec la même construction syntaxique : "le manteau de qui ? Suivi des mêmes trois réponses données par les mêmes intervenants, Rav, Lévi, et Rabbi Shemuel bar Nahmani. 



Rav répond toujours dans un sens, et Lévi toujours à son opposé.



Mais c'est l'avis de Rabbi Shemuel bar Nahmani qui semble être celui dont le midrach nous entretient. Comme si Rav et Lévi étaient le décor, comme si dans chaque question concernant l'humanité, on allait immanquablement se retrouver polarisés, avec Rav d'un côté, Lévi de l'autre, Hillel d'un côté, Shamaï de l'autre, mais comme si cette polarisation ne faisait avancer personne.

Comme vu aujourd'hui sur facebook en réaction à l'assertion : "avec des armes, vous tuez les terroristes, avec de l'enseignement vous tuez le terrorisme". Les talkbacks sont donc - immanquablement, obligatoirement - polarisés entre les partisans de cet avis, et leurs opposants. Il manque un Rabbi Shemuel bar Nahmani pour nous aider à réfléchir.

Finalement, entre Shaül et Shemuel c'est la même répartition. Un est "aux commandes", à l'exécutif. Il a les armes. Va-t-il éradiquer le terrorisme en tuant les terroristes ? 

Notre contexte est précisément juste au moment de la dispute entre Shemuel et Shaül, après que ce dernier ait exterminé les soldats d'Amalek (les terroristes sont-ils quelqu'un d'autre ?) mais ait épargné Agag, le roi d'Amalek, suite à quoi Amalek subsiste, suite à quoi le terrorisme continue d'exister dans le monde.

Pour rabbi Shemuel bar Nahmani (il s'appelle Shemuel, ce n'est certainement qu'une coïncidence), il faut d'abord comprendre ce qu'est ici le manteau.

D'aucuns diraient qu'il est le symbole de la royauté, de la gloire , et partant, diraient que la royauté est sortie tachée de cette erreur de Shaül. Entachée au point que lui-même est licencié, et même au point que la royauté elle-même ne s'en trouve endommagée.

Mais voila qu'existe un passage de la guemara (Sanhédrin 102 b) sur lequel sans doute s'appuie Rabbi Shemuel et qui vient suggérer que le manteau est bien ce dont on se couvre, mais qu'il s'agit surtout des valeurs desquelles on est vêtu - beaucoup plus que du faste. Et c'est apparemment ce qui le pousse à dire :"c'est du manteau de Shemouel qu'il est ici question". Comme pour dire :"ce qui est taché ce n'est non tant les attributs de la royauté, la gloire d'Israël, que l'enseignement de Shemouel qui n'est pas "passé". 

Comme pour dire : le véritable enjeu n'est pas tant la force militaire, que la force morale, l'extermination des terroristes que la capacité à répandre un message, une éducation telle que le terrorisme ne suscitera pas de nouveaux terroristes.

Le midrach est éblouissant de virtuosité, à déterrer ainsi d'un tanakh' que ces rabbanim semblent décidément connaître par coeur, encore et encore un exemple d'ambiguïté du texte, encore et encore un cas où la question :"de qui ? duquel des deux?" peut se poser.

Et pour chacun des cas étudiés, celui du manteau de Jéroboam face à Ahia de Shilo (Rois1, 11, 30), celui de la sandale de qui, de Boaz ou du parent (Ruth 4, 5), celui de qui de Aviah ou de Jeroboam a été frappé par D. (Chroniques 2, 13, 20),  celui de qui de Yehoïakim ou de Evil est mort (Rois 2, 25, 30),  l'avis de Rabbi Shemuel bar Nahmani est finalement toujours le même : parfois même contre le sens obvï du texte, il prend toujours la même position : ce qui est important vraiment, c'est combien l'enseignement aura porté, c'est combien les valeurs auront été malmenées. 

Rabbi Shemuel bar Nahmani pourait rester dans notre mémoire comme "encore un idéaliste", ou même dirait-on peut-être "encore un intellectuel", à moins de ne se retrouver à dire "encore un gauchiste". Ces gens-là sont toujours à réfléchir au lieu d'agir. Avec quelques bons tanks, avec quelques interdictions, quelques censures, quelques expulsions, quelques privations d'identité, quelques destructions de maisons, on réglerait plus vite, plus facilement, plus radicalement les problèmes.

Cela ne semble pas l'avis de rabbi Shemuel, qui parait décidément penser que l'histoire (celle d'Israël en tout cas, mais ne serait-on pas ici dans une perspective paradigmatique ?) n'est pas tant faite par les dirigeants que par les valeurs qui soustendent leurs actes. 

C'est de ces valeurs et de leur enseignement, et de l'audience et de la portée de ces enseignements qu'il faut réellement se préoccuper.

17. Sur le langage et le dessein

Le texte en hébreu est suivi d'une version en français.

הואיל ושואף אני
-גם אם ישאל הדבר מזמנכם -
אתכם לשתף בפלאי שפתנו,
ובמיוחד 
בפלא שאנו 
חזרנו אותה לדבר,



הואילו בטובכם 

את אוזניכם להטות

אל מושג זה העשיר

מושג ההואלה.

ובפתח נשאל 
האם מקרה הוא 
ששאול שמו 
ושמואל שמו, 
אלה שעליהם חל
אותו ריקוד מילים. 

כן שאול המלך. אותו אדם
שבוודאי את המלוכה לא שאל,
גם מלכתחילה כאשר לחפש 
אתונות יצא, 
וגם בהמשך דרכו
לאחר ששמואל החוזה 
אף בשמן אותו משח.

שמואל הרואה...סוג של 
סומא היה. הוא ראה 
בשאול את המלך עליו 
דיבר ה׳, אך 
לא ראה שבכוחו למלוך.

שמואל התריע אך גם הרגיע.
"סיפור מלוכת שאול לא יצליח" קרא,
"אך לא יטוש ה׳ את עמו
בעבור שמו",..."אך גם כי
הואיל" - כך הוא אומר - 
"כך הואיל ה׳ לעשות
אתכם לו לעם". (שמואל א י"ב כ"ב)

הואלה זו מהי ? שואל 
מדרש שמואל.

אין הואלה אלא תחילה
יאומר רבי יהודה
אין הואלה אלא לינה
יענה רבי נחמיה

אין הואלה אלא אלה 
יתקנו אותם הרבנים
אין הואלה אלא תוכחה
יחתום רבי יהושע.

ומכאן למדים אנו מה גורם 
להצלחתו של מהלך אלוקי,
ואולי נשיק מכאן למהלך אדם.

מהלך צולח מכוון הוא מן ההתחלה.
עליו להיות מעוגן במקום בו ילון הוא,
כפי שויניקוט יאומר ש״הכל מתחיל בבית״.

אך מוסיפים ואומרים הרבנים
שעל המהלך להיות מחוייב בהחלטה,
בשבועה של האדם. אם לא יתחייב האדם
לא יוביל את תכניתו לסוף דרכה.

ונפלאה מכל היא החתימה :
לא יצלח האדם היחיד אלא שתוכחה
היא מפתח ההואלה. לא תגיע אף
תכנית לסיומה אם לא יוכיח
האחד את זולתו.

האם יש שמואל ללא שאול ?
האם ימלוך שאול ללא הסכמה ?
ללא החלטה ? ללא התחייבות ?
ובמיוחד איך יצליח ללא
תוכחת שמואל, ובהמשך ללא
תוכחת העם כולו.

Le fait même que nous édifions ce pays sur l'hébreu, en hébreu, n'est pas seulement l'aboutissement du fou projet d'un seul homme, Eliezer Ben Yehouda, ou d’un seul visionnaire Théodore Hertzl. C'est aussi le véritable miracle d'Israël, la gloire d'Israël. D'avoir su faire renaître une langue plurimillénaire, oubliée par tant de gens, dans le dialogue tant juridique, philosophique, scientifique, que du café du commerce et de la rue.

Les juifs du monde entier ne se sont pas seulement retrouvés physiquement sur la même minuscule parcelle de terrain que le monde continue à ne pas lui concéder,  ils y sont revenus. Et ils n'ont pas inventé un esperanto, ils y dialoguent en hébreu.

Une reflexion midrachique (midrach Shmuel, 16, 4) précisément sur les modalités d'Israël-l'état, sur ce qui voue un projet à la réussite ou à l'échec, mobilise les richesses de cette langue pour ancrer son propos.

Shmuel, le dernier des juges, le prophète, le voyant tel qu'il est même qualifié (Shmuel I 9,9), celui qui pose les premiers jalons d'un premier état des hébreux, peine à voir l'utilité de l'instauration de la royauté réclamée par le peuple, et par la suite, voit mal en quoi Shaül saura être le roi attendu et espéré. 

A plusieurs reprises il reproche au peuple de vouloir instaurer un tel système, il met en garde contre les malheurs qui ne manqueront pas d'arriver, et il tente par tous les moyens de renforcer l'allégeance du peuple à son seul véritable soutien, le D. d'Israël, celui dont dit-il le dessein est de soutenir son peuple quoi qu'il arrive. 

Peut-être pourrait-on voir dans leur dialogue une préfiguration de ce qui oppose les religieux anti sionistes à ceux qui oeuvrent à créer l'état d'Israël d'aujourd'hui.

C'est sur cette expression hébraïque utilisée par Shmuel pour décrire le projet divin que réfléchit le midrach, littéralement dansant avec la racine trilitère יאל, une danse joyeusement reprise au 19ème siècle par Shimshon Raphaël Hirsch, en Exode 2, 21.

Cette racine, utilisée en hébreu pour indiquer le bon vouloir ("parce qu'il lui a plu de vous désigner comme son peuple" dit la traduction du rabbinat pour :"הואיל"), est littéralement déclinée, si ce n'est assaisonnée, agrémentée par le midrach, qui cherche - et trouve ! - en elle comme la recette de la réussite du projet individuel.

Il n'y a ainsi de projet qui puisse réussir que s'il n'est originé comprend d'entrée le midrach. Il peut y avoir spontanéïté, mais il faut partir du commencement ( אין הואלה אלא התחלה dit dans le midrach Rabbi Yehouda). Ce à quoi répond Rabbi Nehémiah, winnicottien avant l'heure : "c'est de la maison que tout doit sortir" ("אין הואלה אלא לינה").

Les rabbanim, ceux que Lévinas appelait "les docteurs", ont un regard un peu plus pragmatique, à moins qu'il ne soit simplement que moins agraire : l'individu ne réussira dans son projet que s'il s'y sera engagé, voire s'il aura prêté serment ("אין הואלה אלא שבועה" - et שבועה est ainsi interprétation de אלה, qui joue mieux avec notre racine). La réussite d'un projet est proportionnelle non seulement à la motivation, mais  au degré de résolution.

Et c'est Rabbi Yehoshua de Sakhnin - qui ne fut pas toujours ville arabe, où vivaient des juifs il y a mille cinq cents ans - , post-moderne avant le modernisme, qui clôt magistralement : "un projet ne réussit que s'il y a mieux que l'individualisme, que l'initiative d'un seul. Le projet ne réussit que si son héraut n'est pas seulement secondé, mais qu'il est aussi corrigé, admonesté, rectifié, par un Autre responsable à ses côtés dirait-on en langage psychanalytique et philosophique contemporain (אין הואלה אלא תוכחה).

Concernant l'hébreu, et concernant notre - plus si jeune - état des hébreux, c'est effectivement ce qu'il s'est passé. 

Un homme au départ a "vu", a rêvé, a œuvré, s'est engagé, a obtenu du soutien, et son projet, qui renouait avec l'Histoire a fait histoire, est devenu- redevenu non seulement le projet mais le domicile, la patrie, de milliers qui sont devenus des millions.

Ces millions ne sont pas une unanimité. Ils débattent, ils se débattent, ils se disputent, ils se jugent, se font des reproches, et ont instauré la seule véritable démocratie de cette partie du globe, où se développent individus, modèles sociaux, projets scientifiques. 

Et tout cela, en hébreu, dans la langue de la Bible et de ses docteurs.


18. Houkat 

Je voudrais, dans une envolée sioniste comme il m'en pousse de temps à autre, revenir sur la paracha Houkat, que les israéliens ont lu shabbat dernier, et que la diaspora lira dans trois jours.

J'aime beaucoup la paracha Houkat, et j'ai beaucoup de plaisir à ce qu'elle soit "ma paracha", bien que ce détail n'ajoute rien au propos.

J'aime énormément ces envolées poétiques qui y sont contenues et au sujet desquelles j'ai déjà écrit ( "monte puits, acclamez-le ! Un puits creusé par des ministres, approfondi par la générosité du peuple, par le bâton du législateur, par leurs cannes" Bamidbar 21, 17). 

J'aime beaucoup la diversité des sujets qui la composent, et en particulier celui de l'eau et des différents rôles qui lui sont attribués (eau de purification d'après contact avec la mort, eau de Myriam la prophétesse, eau d'assouvissement de soif, eau d'engloutissement d'armées, eau source de bénédiction, qui jaillit après qu'il y ait tant eu crainte d'en manquer,  eau-muse).

J'aime surtout le caractère "actuel" de cette paracha. Actualité de la confiance (ou non) au fait que le monde soit dirigé, actualité de l'opposition perpétuellement adressée à Israël-le peuple face à son évolution ( dans l'espace, dans les moeurs, au delà du temps ), actualité de la question de la place à faire et à circonscrire à la mort et aux cultes qui lui sont afférents. Actualité enfin de l'impératif de trouver des solutions à la coexistence.

Et j'aime aussi beaucoup la haftarah qui lui est adjointe, celle qui met en scène le juge Jephtée comme on dit en français. Yftah', comme on dit en hébreu - ce qui signifie "il ouvrira"...peut-être pour dire "il débloquera" - est un personnage bien singulier, bien controversé, de son vivant comme au fil des temps ( lui- même répond à ceux qui viennent le solliciter :"mais vous m'avez répudié !", et parmi les commentateurs certains disent de lui qu'il ne valait pas moins que ce que valait Shmuel en son temps, énorme compliment, tandis que d'autres ne trouvent pas assez de mots pour le critiquer, l'accuser d'avoir lui aussi sacrifié ses propres enfants - sa fille unique ! - au culte idolâtre, ou le dévaloriser).

Pourquoi cette haftarah est-elle associée à cette paracha ? 

Certains verront que c'est le thème du voeu qui est ici le lien. Dans la paracha , Israël fait un voeu, et dans la haftarah, Yftah' fait un voeu (combien déplacé, combien malheureux). Mais aussi dans la paracha Israël-le peuple est aux prises avec plusieurs peuples qui se comportent différemment, certains avec hostilité, certains amicalement vis à vis de lui, et ainsi en est-il dans la haftarah.

Et les peuplades centrales de ces épisodes me paraissent être Amon et Moab, combattues - et conquises par Israël  - un peu dans la paracha et surtout dans la haftarah. 

Et à propos d'actualité, avec qui n'avons-nous pas jusqu'à aujourd'hui des conflits territoriaux si ce n'est avec un peuple dont la capitale pourrait être Amman ( qui se dit Rabbat "Amon" - capitale d'Amon -  en hėbreu), capitale d'un pays d'aujourd'hui - la Jordanie - dont le territoire actuel couvre aussi ce qu'était le territoire biblique de Moav, et que d'aucuns seraient tentés de voir comme le pays par excellence des palestiniens, ceux qui s'opposent tellement, ceux qui sont tellement au centre de cette opposition à notre évolution ?

Mais je ressens l'impératif d'une pause, afin de consacrer quelques instants au recentrement du sujet : faire de l'actualité à base de Torah est un peu comme un exercice de funambulisme. Les spectateurs n'attendent en fait que de vous voir tomber, tandis que vous êtes surtout préoccupé de vous maintenir en équilibre, afin de ne tomber ni en Charybde ni en Scylla. 

Certains ont peut-être déjà interrompu leur lecture. D'autres sont en train de se dire : " c'est pas possible ! Il ne va pas lui aussi tomber dans la preuve par la Bible, dans l'amalgame, dans la comparaison point par point sans même voir que les trois mille cinq cents ans qui nous séparent de cet episode rendent en fait la comparaison impossible".

Et par ailleurs, n'est-ce pas ce que j'ai toujours fait, que ce soit aux eis, à l'école Maïmonide, au lycée français, dans les stages eis, au cours hebdomadaire de midrach, de non tant chercher à comparer qu'à solliciter le texte, dans le but de trouver en quoi ce que nous lisons dans ce vieux texte est pertinent pour nous d'aujourd'hui, malgré l'écart de temps, malgré les multiples différences de contexte ?

J'ai toujours été convaincu que c'était dans cette pertinence que se dissimulait le secret de cette conservation et de cette longévité. Enormément de textes se sont perdus, beaucoup se sont gardés mais ne sont pas lus, certains ne sont lus que par des animaux rares. La Bible est lue en public chaque semaine, trois fois par semaine dans toutes les synagogues du monde. Elle est étudiée certes par un plus petit nombre ( mais certains projets fantastiques comme Akadem, comme 929, permettent à de plus en plus de gens de s'y interesser de près si ce n'est à s'y consacrer).

Manitou disait : " ce n'est pas parce que c'est écrit que c'est vrai, c'est parce que c'est vrai que ça a été écrit", et je me permets d'ajouter que le texte n'est pas pertinent pour nous parce qu'il est écrit, mais qu'il est lu par nous parce qu'il nous est pertinent.

Pas "vrai" ( en ce monde post moderne, nous ne disons plus "vrai"...), mais pertinent. 

En quoi ces thèmes de Houkat sont-ils pertinents pour nous ? En quoi sont-ils actuels ?

Ils sont actuels si nous les rapportons à notre présent. 

Ne vivons-nous pas une époque où, après avoir craint de manquer d'eau (en Israël), cette crainte s'est dissipée entièrement ? Ne devons-nous pas être frappés d'une si forte analogie avec ce que nous décrit l'épisode du rocher frappé par le bâton ? Quelqu'un pouvait imaginer ne serait-ce que jusqu'à il y a dix ans qu'il n'y aurait plus de problème de manque d'eau ici ? Quelqu'un réussit-il à entrevoir une solution de coexistence entre nous et les palestiniens ?

Ne pouvons-nous pas lire une formidable histoire de résililence chez ce personnage Yftah', que toutes les données démographiques pouvaient - si ce n'est devaient logiquement  - mener à une vie de catastrophe ? Et nous interroger sur ceux qui nous conduisent aujourd'hui ? Sont-ils comme les "Juges" eux qui sont la plupart du temps généraux reconvertis en leaders politiques ?

Et que pouvons-nous apprendre de cet épisode à répétition concernant Amon et Moav ? 
Amon et Moav de la paracha et de la haftarah sont une bizarre histoire, une histoire de peuples avec lesquels Israël devait éviter tout contact, une histoire de peuples sur le territoire de qui Israël ne devait même pas poser le pied. Une histoire aussi bizarrement répêtée à plusieurs reprises. (Qu'Uderzo a maladroitement tenté d'illustrer dans son "Odyssée d'Astérix" où on voit les peuples encore et encore s'affronter et se réaffronter ). Amon et Moav sont  - depuis leur naissance incestueuse - une histoire encore plus bizarre mais finalement érigée par le talmud au rang de précédent juridique. On apprend effectivement en ouvrant le talmud (cet autre vieux grimoire dépassé aux yeux de beaucoup) en Guittin 38 : 1 que leurs statuts géographique mais aussi civil sont modifiables, par des déductions que je ne vais pas développer ici, mais dont l'élément central ("la pointa") est que ce qui parait inextricable et irréversible ne le reste finalement pas.

La tradition  (Rashi sur Devarim 1, 46) nous apprend que le peuple dans le désert stationna - sans apparente raison - 19 ans dans le lieu nommé Kadesh, et il est aussi indiqué qu'ils se sont de nouveau rendus à Kadesh après n'avoir pas réussi à dialoguer, à négocier avec Amon. Comme s'il fallait rester à Kadesh tant que la situation demeure insoluble.

Par contre, Yftah', le "Juge", l'enfant du ruisseau devenu général, ne "souffre" pas du même blocage, et surmonte la difficulté, débloque - même si c'est militairement....- mais aussi apparement en étudiant le côté juridique de la situation.

Et je suis frappé de combien ces retournements de situations évoqués dans cette paracha ressemblent à notre situation actuelle, que ce soit en ce qui concerne l'eau, que ce soit en ce qui concerne les difficultés insurmontables qui se trouvent finalement surmontées, en partie de bonne grâce, y compris aussi autrement, de façon imprévisible.

Et on remarquera que je ne dis rien de ces dix neuf ans, qui est pourtant une autre furieuse analogie entre l'histoire biblique et notre histoire actuelle..

Mais nous sommes rationnels. Nous nous devons d'être modernes et il faudrait beaucoup se parjurer pour imaginer que notre situation actuelle se résolve autrement qu'au mode moderne, autrement qu'au rythme et en conséquence de spectaculaires accords de paix faisant suite à de belles négociations menées dans de beaux hotels, et orchestrées par le coq gaulois ou l'oncle Sam. 

Nous n'allons quand même pas retomber dans l'Antiquité, chercher une vache rousse, nous remettre à nous purifier de la mort avec de l'eau mélée à ses cendres, nous sommes des gens sérieux, respectables, européens. Nous ne faisons plus de voeux, nous ne sacrifions plus les enfants sur les autels érigés à la gloire des divinités des peuples idolâtres.

Mais si ça se trouve, nous ne sommes pas si immunisés que cela ni contre les cultes de la mort ni contre l'idolâtrie, nos enfants ne sont peut-être pas si protégés que cela, et certains paient parfois de lourds prix, paient parfois très cher les factures de conflits/voeux exprimés à voix basse quand ce n'est pas à voix haute par leurs parents, à la manière de Yftah' en Juges 11, 31 et passim.

Oui décidément, je trouve dans ce vieux texte une bonne dose de pertinence pour appréhender notre monde d'aujourd'hui. Et non uniquement dans le jaillissement de la poésie et de la pensée, dans l'Israël d'aujourd'hui comme dans cette paracha.


Et, dernière question : "en quoi cette envolée est-elle sioniste ?".  Eh bien cela va sans dire, mais comme toujours, encore mieux en le disant : Je ne vois dans cette paracha  aucune autre actualité qu'israélienne, aucune pertinence plus actuelle que celle, sioniste, de la jonction entre les valeurs universelles de la Torah et la géographie, et la confrontation avec la population locale.


19. Les voies multiples de la responsablité



Le texte en hébreu est suivi d'une version française




המרגלים (פרשת שלח לך- ספר במדבר) נשלחים לתור את הארץ ואם לקרוא את המדרש רבא (פרשה טז א עד ה) ואת פירושו של לוינס על הסוגיה בתלמוד הבבלי (סוטה לד:, לה.) ״שנתבררו צדיקים ונתהפכו״, דרכם התהפכה. קרה להם משהו.

במשך ארבעת הסעיפים עד לאמירה זו דן המדרש במהותם של המרגלים. 

ודווקא נפתח המדרש בהתבוננות בשליחות ״השנייה״, בתחילת ספר יהושע. שם מספר המדרש כיצד פנחס, שהיה אחד משני אלה שנשלחו על ידי יהושע, אומר לרחב :״אותי אין צורך להחביא, מפני שאני מלאך, ומלאך רוצה נראה, אינו רוצה אינו נראה״. כך נראה ששני המרגלים הללו - שמצליחים בשליחותם, בניגוד לשליחות הראשונה - הם סוג של אנשים נטולי פחד, נטולי ספקות. פנחס בגלל הדבקות הטוטאלית באמונתו, שעושה אותו כמו מלאך, וכלב, שהלך להתחזק בהשטטחות על קברי האבות כפי שמסופר בפרשה. גם יהושע התברר כנטול פחד או ספקות והדבר היחיד שנאמר עליו הוא שמשה שינה את שמו והוסיף לו את שם השם בתוך שמו. ואילו, עשרת האחרים נאחזו חרדה וכשלו בשליחותם. אלה היו כנראה ״אנשים״. אנשים רגילים ? 

המדרש שואל על מהותם. האם רשעים היו מלכתחילה ? הרי מזה שכתוב ״שלח לך אנשים״, לא ניתן להבין שצדיקים היו ? והאם משה רבנו היה שולח אנשים טיפשים, או רשעים? לא יעלה על הדעת. אז כנראה שקרה להם משהו, שהפך אותם מצדיקים לרשעים. ״נתהפכו״ אומר המדרש (פרשה טז, ה).
אבל מעט אנשים יילכו אחרי דרכם של לוינס או של המדרש, כלומר יילכו להעמיק בשאלה ״מה קרה להם?״.
הרי, לעני הרוב, הנושא המרכזי של הסוגיה הינו שהם הוציאו את דיבת הארץ ושדבר זה גרם לאסון, גרם לגזרה קשה מאד על אבותינו.
לעיני רוב זה, דרכו זו של המדרש מאד משונה, כמעט אינה רלוונטית. הרי, מי עוסק בהם ? במה שקרה להם, אם הם עברו או לא עברו משבר ? 
עבור הרוב, יש כאן בעיקר ללמוד את הלקח, כלומר לדבוק במסקנות של המפרשים ולהסיק שבעייתם הייתה בעיית אמונה, ושעל פי זה, יש לחזק את האמונה.
לוינס, כדרכו המיוחדת, מחפש להגיע ״אל מעבר״, מחפש להעמיק, מעדיף השערות על פני ודאויות. 
ההלכה מחפשת תשובות, המדרש מחפש לחשוב. הוא מחפש לחשוב מתוך הזדהות. לוינס מחפש כאילו להתבונן בתוך עצמו ולדמיין מתוך התבוננות זו מה היה המשבר הפנימי/נפשי שעבר על אנשים אלה, עד כדי כך שהם הפכו את עורם.
כפי שהמדרש בסוף סעיף ה מתקדם אל ״ואלה שמות האנשים״, כאילו כדי לחפש אם שמותיהם אינם מתארים את אישיותם (והרי אין הגמרא אומרת ״לא נקראו המרגלים אלא על פי מעשיהם״?) וגם האם לא בולט לעין ששמותיהם משונים, או לפחות רומזים על משמעות?, לוינס קצת מתבונן בשמות המרגלים, אך מעדיף להעמיק בשמות בני הענק שבני ישראל מצאו שם.
הוא מפרק את השמות. ״אחימן״ הופך ל״אח ימין״, דבר שמביא לוינס לשער שהמרגלים ראו ״אנשים שהגבורה היא אצלם ערך עליון. ומן השמות "ששי ותלמי" ? לומד לוינס, בעקבות הגמרא, שהם היו אנשים כל כך חזקים שהם היו מחוררים את האדמה בפסיעותיהם, שהם היו עושים תלמים, דבר שמתפרש אצל לוינס כאיפיונים מאיימים.  לוינס משחק עם הדיווח של המרגלים ומנסה להבין מה הוא טומן בחובו. אולי המרגלים פחדו להתעמת עם תושבי הארץ, אולי הם פחדו להפריע להם, לפנות אותם, אולי הם פחדו שילדיהם יהפכו בעצמם לאנשים כוחניים. אולי זה היה המשבר. הם יצאו מלאי אידאל ומצאו מציאות מפחידה.
לוינס מנסה למעשה לפסוח על שלושים מאות השנים שמפרידות בין תקופתנו לזו של המרגלים. הוא מחפש את המכניה המשותף בין חרדתם לבין חרדת העם היהודי היום, עת עליו להפוך מיהודי גלותי לעברי-ישראלי.
אנחנו יודעים שחרדה זו קיימת גם קיימת. אבל אנחנו גם יודעים שהרוב שומר את החרדות לחדרים הפנימיים. רובנו מתאפיינים בכך שאין אנו דנים בחרדה שלנו אלא שאנחנו מנסים להתמודד איתה, ובדרך כלל באמצעות הדחקתה. אנחנו למעשה מתנתקים ממנה ומעדיפים להתמקד במחשבות. 
לוינס לא היה מודע שדרכו האינטלקטואלית מאד מאד דומה לעבודת המטפל הפסיכותרפויט, שאינו מחפש לשפוט את מטופלו, שאינו מחפש להחזיר אותו אל המוטב, אלא מנסה, באמצעות אמפטיה ומאמצים ללכת אל מעבר, מנסה ללוות אותו כאילו מבפנים, דבר שדורש לפצח את רזי לבו, ואת מקורות חרדותיו.
ולוינס, בעצם בעקבות המדרש מנסה להתמודד ״אחרת״. בואו לא נברח, בואו נחפש אם הדבר לא מעורר בנו משהו. מה דוגמה זו מזכירה לנו ? שואל בעצם לוינס. 
הדרך לזה היא ״אסוציאטיבית״ (כמו למשל כאשר מישהו אומר ״שם זה מזכיר לי את זה״), ולא ״דיסוציאטיבית״ כפי שדרכנו האינטלקטואלית בדרך כלל פועלת (כלומר כאשר אנחנו משתדלים לא להיות מוסתים, ואנחנו מרחיקים את המחשבות הזרות). 
העבודה המשותפת של המטפל והמטופל מובלת באמצעות זה שכל אחד חושב אסוציאטיבית, במטרה לא לגלות אמת כלשהי, אלא במטרה להעמיק בנושא מחשבתם או בחרדה. המשימה שלהם היא פיענוח העולם הפנימי. מה הביא אותו להיות חרד, לשנות את דעתו, לשנות את דרכו.
זו בהחלט דרך ״אחרת״, מדרכנו האינטלקטואלית הרגילה. 
המטפל מנסה לעשות זאת תוך שהוא משדר למטופל שהוא אחראי על המצב הטיפולי. המטופל יכול לפתוח את לבו, לא יקרה לו שום רע.
למעשה דרך זו, איננה ״השלישית״ כי אם הראשונה. תחילת דרכנו בעולם מנוהלת על ידי הדרך הזו. אין אנו באמת ״לומדים״ למשל את שפת אמנו, אלא שאנחנו רוכשים אותה, וידוע לנו שזה מתנהל שונה לחלוטין מכאשר אנחנו לומדים או חושבים כמבוגרים.
האם דרך זו שמשרתת את האדם מראשית חייו והיא זו שמאפשרת לו להתפתח, נחלת העבר בלבד ?  האם לא נוכל להמשיך להתפתח דווקא בהפעלת דרך זו, למשל בעיסוק יצירתי, למשל במתן יותר מקום לדרך האסוציאטיבית בחיינו? והאם מתן המשך דרור לפעילות מוחית מעין זו לא יחזק את האדם לא פחות מבאמצעות דבקות בדרך הלמידה והעמידה בדרישות העולם המבוגרים ?
לא בטוח שלוינס עצמו, שנראה חושב מאד אסוציאטיבית במאמצו להעמיק בסוגיות בהן הוא דן, לא בטוח שלוינס היה שש לשמוע שזוהי דרך העבודה האינטרהפסיכית.
עבורו הרי, אין למחשבה תועלת אלא אם היא מובילה לשיפור רמת האתיות של החברה.
אבל אם אנחנו חוזרים לכל חבורת המרגלים - כולל פנחס, ואנחנו מתבוננים עליהם, אנחנו מוצאים שהם מהווים סוג של קשת חברתית אולי לא רחוקה מזו שלנו היום, בה ישנם אנשים בטוחים מאד, אנשים שמתחזקים באמונתם בדרך זו או אחרת, ואנשים - אולי רבים יותר - שספקותיהם מרובים על וודאויותיהם.
אולי להעמיק בהבנת אנשים אלה תורם לא פחות מקביעת מה יהיה עבורם טוב יותר. שתי ההתמודדויות הללו נובעות מ״אחריות״ לעתיד החברה, ומהוות גישות שונות לאחריות.


Les explorateurs partent explorer la terre, et, à en croire le midrach rabba (paracha 16) mais aussi Lévinas qui se réfère à la guemara Sotah (34b), il leur "serait arrivé quelque chose", tant il parait impossible que Moshé ait envoyé ni des imbéciles, ni des corrompus, ni des mauvais, animés de l'intention de nuire.
Mais la démarche de Lévinas, de se focaliser sur ce drame humain, qui me parait être dans la ligne de la démarche du midrach, reste très lointaine de beaucoup de gens, leur reste très étrangère. C'est en cela qu'elle est "voie autre" ou " troisième voie" d'approche des phénomènes.
On y reviendra. On développera cette troisième voie. On la résumera. Décrivons-la en attendant, à travers l'étude de ce passage :
Le midrach aborde l'étude sur ce qu'il est arrivé aux explorateurs, par l'épisode "réparateur", celui de l'envoi de deux explorateurs non plus par Moshé mais par Yehoshua, quarante après le "premier essai". On apprend de l'étude midrachique de ce passage (Josué 2), que les deux explorateurs sont Calev et Pinh'as. Calev faisait déjà partie de la première délégation, et Yehoshua et lui sont les deux seuls à avoir rapporté un message encourageant de la première visite. Les dix autres sont ceux qui ont failli, ceux à qui "il est arrivé quelque chose".
Le midrach nous présente Pinh'as comme l'individu qu'il est inutile de cacher. Il sait se rendre invisible. Pourrait-on risquer d'interpréter ainsi cette donnée ésotérique du midrach : Pinh'as n'a pas de doutes. Il n'a que des certitudes. Rien à cacher. Il est le prototype du zélote. 
Calev semble avoir eu des doutes. C'est pour cela, nous explique le midrach qu'il s'était rendu seul à Kiryat Arba "pour se coucher sur la tombe des patriarches". Il serait allé traiter ses doutes par le ré-enracinement historique. 
Yehoshua semble lui aussi ne pas avoir eu de doutes. Serait-ce du fait que Moshé lui a changé son nom? On serait tenté de le penser. On a aussi l'impression que c'est ce que pense le midrach.
Et le midrach (paracha 16, 5) poursuit son enquête sur cette crise en examinant les dix autres protagonistes. Ils sont des hommes nous apprend le texte. Ils seraient plus "humains" que ces surhommes imperméables au doute. Ils sont soumis aux égarements et aux mouvements de l'âme humaine.
Après avoir risqué quelques qualificatifs, le midrach (paracha 16, 5) conclut : " ils ont été envoyés "sages", mais sont revenus "autres" (nithapkhou), bouleversés. 
Et le midrach poursuit sa route . "Voici leurs noms". Continue-t-il tout simplement l'étude du texte, ou se demande-t-il si ce n'est pas l'examen de leurs noms qui va nous donner les réponses à nos questions ?
Alors que Lévinas semble avoir compris le message du midrach et tente d'approfondir cette crise, en s'interrogeant sur l'intrapsychisme de ces individus, que ce soit par un examen de leurs noms, que ce soit par un examen de la situation, il apparait ce faisant comme choquant à beaucoup de gens, qui restent rancuniers à ces individus qui ont provoqué une catastrophe nationale : ils sont revenus de leur mission en calomniant la terre et ont condamné le peuple juif à 40 ans de marche dans le désert.
Le lecteur lambda de la Bible reste offusqué de ce manquement des explorateurs à leur devoir.
Et la démarche du midrach et de Lévinas leur parait incongrue. 
Qui s'occupe de ce qui leur est arrivé ? Qui s'occupe de l'intrapsychisme de l'homme d'état ? Du leader? Du chef de famille?
Il faut apparemment un esprit particulier pour cheminer à travers l'humain, pour tenter de le comprendre. Celui qui fait cela est presque mal jugé, accusé de manquer l'essentiel. Ce sont les actes - et leurs conséquences - qui seraient l'essentiel. 
La leçon - pour la majorité des lecteurs, pour les bien pensants  -  à tirer de l'épisode des explorateurs ? Renforcer chacun sa foi afin de ne jamais tomber dans leur travers. Il leur est arrivé une crise ? La belle affaire. Nous, en avons mangé les conséquences ! Semblent-ils continuer à dire..
Alors qu'incontestablement, Lévinas cherche à aller plus loin. Si - comme le dit le midrach, il s'agissait de sages triés sur le volet et qui se sont retrouvés à adopter une si indigne attitude, ceci ne risquerait-il pas d'arriver à d'autres ? Ceci ne pourrait-il pas continuer à se produire aujourd'hui dans le peuple, et y compris chez les individus qui le constituent ? 
Chacun de nous ne pourrait-il pas se retrouver, en situation similaire (et nous, juifs du 21ème siècle vivant tant en Israël qu'en dehors d'Israël, ne nous trouvons-nous pas face à la même situation qu'eux ? À devoir argumenter face à un monde qui ne veut pas accepter nos arguments ? A tenter de recréer une société hébraïque ?), tant en tant que citoyens, qu'en tant qu'individus préoccupés du sort de nos enfants, et de leur moralité ?
Lévinas place toujours la moralité au premier plan. Il analyse que la crise des explorateurs était une crise de conscience et il n'a pas peur de la reprendre à son propre compte, et d'appeler le lecteur à en faire de même.
Tandis que le lecteur lambda reste soigneusement à l'écart de cette crise, par mécanisme dissociatif, le midrach et Lévinas prennent conscience de la façon dont elle nous interpelle, acceptent de dire "cela évoque en moi un écho" (association).
Et Lévinas - dans le sillage du midrach - emprunte une toute autre voie que celle suivie par les ténors de la foi, qui appellent avant tout "à se renforcer", à se soigner la foi par la pratique. 
Le midrach et Lévinas empruntent le difficile chemin de l'introspection (la "troisième voie"), celui d'engager le lecteur à se demander s'il est bien sûr que cette crise ne le concerne pas lui directement.
Il s'agit bien d'une voie "autre", autre que celle que l'individu est habitué à emprunter naturellement.
Peu sont candidats à voyager par ce chemin alternatif.
Peu sont enclins à analyser les crises. On préfère soigner la blessure.
Soigner la blessure est incontestablement une marque de prise de responsabilité, mais chercher à comprendre ce qui a induit la crise, ce qui peut éviter d'autres crises semblables, comment réparer ce que le traumatisme a généré est un degré plus élevé de responsabilité.
Il n'est pas impossible que cela soit le propos du midrach, il est certain que c'est le centre des efforts de Lévinas. 
Lévinas a consacré toute sa philosophie non uniquement au visage d'autrui. Il aura cherché sans répit comment le mécanisme interpersonnel qui s'amorce - négativement, dans la pulsion de meurtre - à la vision, à la perception du visage d'autrui, peut (et doit) se transformer en responsabilité pour autrui et, partant, en l'instauration d'une société plus éthique.
Il est responsable de veiller à renforcer les individus pour qu'ils ne commettent pas la faute des explorateurs, pour que les juifs d'aujourd'hui réussissent cette difficile tâche qui rebuta les explorateurs.
Il est non moins responsable de chercher comment ils en sont arrivés là, de chercher à comprendre les mécanismes de l'humain, de tenter de l'aider à voir et appréhender mieux le monde.
La voie intellectuelle  "autre" du midrach, et de Lévinas, induit une autre voie de mise en place de la société, est une façon "autre" de ressentir et d'exercer la responsabilité.
Lévinas prônait cette prise de responsabilité interpersonnelle pour la société entière, et il est clair que ceci ne se peut pas. Il n'y a à ma connaissance qu'une seule catégorie professionnelle qui se voue ainsi au service de l'autre, non seulement pour s'intéresser à lui, ou pour le prendre en charge, mais qui s'intéresse à lui de cette manière, en cherchant le moyen de l'aider à comprendre ce qui fait qu'il ne surmonte que difficilement ses crises, ce qui fait qu'il avance difficilement dans la vie. Il s'agit de la catégorie professionnelle du psychothérapeute.
Et c'est seulement le psychothérapeute psychanalytique qui peut mettre à profit cette "troisième voie", celle du midrach, celle de Lévinas.
Ni le midrach, ni Lévinas n'ont eu en tête le psychanalyste quand ils ont développé cette troisième voie. Ils n'ont pas soupçonné cette utilisation. Ils n'ont pas pu prévoir que Freud prônerait une méthode d'analyse si différente de la méthode intellectuelle, cognitive, universitaire. 
Par cette dernière, on travaille le cognitif de l'humain. On aide l'individu à comprendre...en lui apprenant à comprendre, on aide l'autiste qui ne communique pas en lui apprenant à communiquer.
Seul le psychanalyste cherche à remonter en amont du processus cognitif. Seul le psychanalyste se souvient que l'enfant n'a pas appris à parler sa langue maternelle par la même voie qu'il apprend plus tard à parler l'anglais. 
Si la deuxième s'acquiert par l'apprentissage, ce n'est pas le cas de la première, chez laquelle vraisemblablement le processus cognitif final est originé dans l'affectif, dans la relation, même dans les moments où elle n'est pas verbale.
Le psychanalyste va aider le patient non par le biais d'une recherche intellectuelle menée à deux. Il va tenter de l'aider en "biaisant" la trajectoire aboutie/cognitive de la recherche. Il va encourager les associations libres, il va lui-même écouter selon la consigne de Freud "d'attention flottante". Il va chercher à procéder surtout "associativement" et moins "dissociativement", c'est à dire en excluant - comme nous le faisons dans nos démarches intellectuelles
Lévinas ne trouvait pas le travail psychologique "suffisant". Il est vrai que celui-ci ne vise qu'à aider celui qui s'y livre, tandis que Lévinas pensait que la pensée n'a de sens que si elle vise à améliorer le niveau éthique de toute la société.
Peut-être l'épisode des explorateurs peut-il montrer qu'aider des individus à surmonter leurs crises est potentiellement utile à une société entière...

20. Le peuple juif et les peuplades qui occupent le pays

Le peuple juif et les peuplades qui occupent le pays...du temps de Josué, de David, et de Netanyahou.

Le livre de Shmuel contient sur sa fin un épisode considéré comme "rapporté״, non chronologique, c'est à dire vraisemblablement antérieur à la fin du livre, qui relate la fin de la royauté de David. Un épisode qui me parait de nature à être étudié, non uniquement par les amateurs et les professionnels de l'étude des textes bibliques et talmudiques mais au moins autant par les individus préoccupés des structures de la société israélienne, ainsi que par les gens que l'organisation de la société en général intéresse ou même tracasse.

Le texte relate donc une famine qui vient sévir sur le pays pendant trois ans (Samuel II 21,). Il est écrit que le roi David s'interroge sur les causes de cette famine, et il faut déjà relever que l'on ne parle nullement des causes agricoles ou purement physiques. On pourrait en déduire hâtivement qu'aux temps de la Bible, les humains étaient primitifs et ne faisaient attention ni à la consommation d'eau ni à sa pollution, et probablement que cela serait non seulement trop rapide mais surtout prétentieux. On a vite fait de jeter un regard méprisant sur les sauvages dont nous sommes les descendants.

Et ainsi, les causes recherchées par le roi David sont uniquement au chapitre de la moralité, comme pour établir un lien de cause à effet entre abondance et comportement humain. La pluie qui ne tomberait qu'en proportion au niveau moral de l'humanité qui la reçoit, voilà qui fait abondamment rire l'intellectuel universitaire du 21ème siècle à qui on ne peut plus raconter des balivernes de primitif.

Le roi David se tourne donc, disent les textes talmudiques vers les "plaies morales" qui peuvent anéantir une société, la dépravation sexuelle, le crime et l'idolâtrie et reçoit visiblement des rapports satisfaisants, qui le poussent à une conclusion dont on souhaiterait qu'elle vienne à l'idée de quelques dirigeants modernes : "c'est donc lié à moi" dit-il, et part interroger le Seigneur. De cela aussi il parait difficile aux modernes occidentaux de ne pas se gausser : "interroger le Seigneur"...Ils ont tout de suite en mémoire la phrase assassine de Gainsbourg "l'homme a créé Dieu, le contraire reste à prouver", dont le message est aujourd'hui plus la bible que la Bible. Un peu de sérieux nous diront-ils. 

Sans s'attarder sur cette composante théologique, terrain sablonneux s'il en fût, je propose de ne pas passer trop rapidement sur l'anecdote.

David reçoit de l'Eternel une réponse qui est au coeur de ce texte : la famine serait due à deux fautes graves, l'une vis à vis des guibeonim, (que le roi Shaül aurait "tués") l'autre vis à vis du roi Shaül et de son fils (qui auraient été enterrés en mépris de l'honneur qui leur revenait).

Le caractère duel de la désignation est ici intéressant. Les deux fautes remontent à Shaül mais d'une part pour ses propres actions, d'autre part pour la conduite vis à vis des honneurs qui lui sont dus. 

Il y a ici, dès le début du rattachement de la famine qui accable le pays aux fautes de son dirigeant, et aussi du fait de ce qui suit, tout un regard sur l'organisation de la société dont on aurait peut-être intérêt à s'inspirer aujourd'hui, dans la préparation de demain.

Rappelons au passage certains rois que la populace a guillotinés, pendus, livrés. Ici, selon la justice divine il faudrait tout à la fois incriminer Shaül pour la situation dans laquelle il a plongé le pays, mais tout en lui restituant ce qui ne lui pas été accordé après sa mort. Etre dirigeant est une tâche difficile. Elle impose de se salir les mains. Le dirigeant devra être jugé mais non traîné dans la boue.

La suite du texte biblique est que David va donc s'adresser aux guibeonim pour leur demander comment il est possible de réparer les fautes commises à leur endroit, et que ceux-ci exigent en retour que leur soient livrés sept fils de Shaül...ce qui est effectué. Ils mettent les sept fils à mort, ensemble, et les clouent aux rochers exposant leurs cadavres, en violation de trois règles de la Torah ( punir les enfants pour les fautes de leurs pères, tuer plusieurs personnes en un coup, ne pas enterrer les cadavres).

Et l'histoire ne s'arrête pas là, puisque le livre de Shmuel raconte comment la mère de cinq de ces sept princes a veillé sur les cadavres et les a protégés des oiseaux de proie pendant sept mois.

Et l'histoire ne se finit pas ici non plus mais a encore une suite sur laquelle je reviendrai plus loin.

Restons en attendant quelques instants sur ces faits : personne n'a entendu ou lu que Shaül ait exterminé les guibeonim. Le midrach en déduit donc que Shaül aurait eu une conduite qui lui est facturée comme s'il les avait effectivement exterminés.

Et se côtoient deux hypothèses exégétiques. Selon la première, Shaül aurait tué sept guibeonim et ce serait la raison que sept de ses fils doivent être livrés, selon la seconde, il les aurait privé de ressources de subsistance en faisant disparaître la ville de Nov, ville de cohanim auprès desquels travaillaient les guibeonim.

Il y a donc ici plusieurs disproportions mais qui sont chacune matière à riche enseignement. 

David "doit" réparer les fautes de Shaül vis à vis des guibeonim..Ils ont une demande que l'on jugerait aujourd'hui cruelle, primitive, sauvage, en application littérale de la loi du talion, et David accède quand même à leurs exigences.

Les fils sont exterminés. David fait enterrer Shaül et Yehonatan son fils avec les honneurs dûs à leur rang, et justice semble être faite puisque la famine s'arrête.

Mais quelle justice ? D'avoir livré sept hommes dont le seul crime serait d'être les fils de quelqu'un? D'avoir permis à des gens cruels d'assouvir leurs instincts primitifs ? De permettre que des hommes soient ainsi humiliés et leurs cadavres exposés, et ceux aux yeux de tous ?

Le midrach pose la question de ces difficiles contradictions. 

Mais sa réponse n'est pas moins ramifiée...d'autant qu'elle vient boucler une boucle historique vieille de plusieurs centaines d'années.

Le midrach relate dans un premier temps que l'honneur d'Israël s'est trouvé gravement atteint du fait de cette négociation. 

Ce n'est pas Netanyahou qui négocie et délivre mille prisonniers du h'amas pour récupérer un Guilad Shalit, c'est le roi David, figure hautement emblématique d'Israël qui livre sept princes à un lynch pire que celui de Ramallah en 2000.

Le midrach raconte que les nations du monde ne se sont pas privées de commenter et de blâmer. "Beau peuple juif ! Voilà comment il respecte la Torah !" auraient-ils dit dans les couloirs de l'instance diplomatique internationale de l'époque.

Mais le midrach raconte encore comment un journaliste des nations, plus curieux que les autres, finit par demander : "mais qui sont ces sept cadavres ?". Pour ensuite faire se retourner d'un coup l'opinion internationale : "quoi ? En Israël, on peut mettre à mort des princes pour une conduite reprochable vis à vis de migrés ?" 

Israël, par le mérite de ce retour de l'opinion devient aux yeux du monde une nation dans laquelle, à la fois on veille à l'honneur d'un roi même après sa mort, mais aussi, on accorde justice même à ceux qui pourraient être vus comme citoyens de seconde zone.

Et le midrach d'ajouter : suite à cet épisode médiatique, se convertirent au judaïsme 150000 personnes. Et c'est la fin de l'épisode biblique.

Mais quant aux guibeonim. Qui se souvient de la raison de leur statut social ? Ils sont une peuplade - dont les commentaires disent qu'elle fait partie de ceux qui sont appelés le h'ivéen, autrement dit une peuplade que Yehoshua devait exterminer lors de la conquête d'Israël, un des sept peuples qu'Israël reçoit l'ordre divin d'écarter de la région. 

Ainsi que cela est raconté, ( Josué 9) les guibeonim trompèrent Yehoshua en venant à sa rencontre avec des vêtements usés par la route et en se faisant passer pour des migrants. Il les épargna, et jura de ne point leur nuire. Quand il s'aperçut de sa méprise, il leur donna le statut de "porteurs d'eau et coupeurs de bois". Citoyens de seconde zone dirait peut-être-t-on aujourd'hui .

Le midrach conte comment cet épisode de la famine et de la négociation avec les guibeonims boucle cette boucle. David leur accorde ce qu'ils exigent mais c'est en échange de l'annulation de l'accord passé avec Yehoshua quatre cent cinquante ans plus tôt. David considère que les Guibeonim n'ont pas rempli certaines conditions de leur contrat passé avec Yehoshua : ils ont cherché à s'intégrer parmi Israël mais n'ont pas fait la démarche morale qui en découlait. S'ils étaient devenus Israël, ils auraient dû renoncer à cette exigence barbare et sanguinaire, ils auraient dû devenir miséricordieux de père en fils. Le fait d'avoir manqué à cette facette incontournable de l'identité juive cause l'annulation du contrat passé avec eux..

Ce qui fait que cet épisode biblique permet que s'effectue un échange de populations. 150000 guibeonim reçoivent en pâture sept fils de Shaül mais se trouvent condamnés à quitter les lieux, et leur place se trouve prise par les 150000 qui se joignent spontanément à Israël.

Il y a donc ici plusieurs enseignements importants et tout à fait actuels me semble-t-il.

Le premier est qu'un fléau national ne peut peut-être pas être uniquement en quête de solution. Il est peut-être au moins aussi opportun de tenter de remonter à sa cause. Et de ne pas chercher que dans les actions techniques mais aussi dans la morale. La morale des dirigeants.

La deuxième est que la Bible, vieille de l'antiquité prône que le pays gagne à être gouverné par quelqu'un qui n'est pas seulement le vainqueur des élections, quelqu'un de populaire, d'envergure médiatique, mais quelqu'un d'envergure morale. Quelqu'un capable de dire : "c'est de ma faute". 
La démocratie moderne ne définit pas cette capacité personnelle comme critère du choix d'un dirigeant..

La troisième leçon est relative aux atteintes et aux réparations. L'humain est naturellement porté à la loi du talion et n'imagine pas moins que la mort pour réparer la mort (le texte mentionne que David offre de l'or et de l'argent aux guibeonim, mais ils refusent, Samuel ibidem). Israël a fait couler des litres d'encre sur de nombreux parchemins talmudiques pour expliquer que la loi du talion ne doit en aucun cas être prise à la lettre en Israël, et pour expliquer qu'être Israël, c'est atteindre  le niveau de moralité qui permet de pouvoir renoncer à cette application littérale du "oeil pour oeil dent pour dent".

La dernière leçon naît de l'analyse de ce que ce texte fait littéralement sauter aux yeux, et c'est l'analogie entre la situation décrite par la Bible et notre actualité.

Les guibeonim de la Bible rappellent étrangement une autre peuplade - une peuplade d'aujourd'hui - qui se trouve en Israël quand le peuple revient sur sa terre, qui ne disparait pas, et avec laquelle Israël doit composer.

Il y a ici le récit d'une histoire au sens historique. Les hébreux n'ont pas choisi que les guibeonim fassent ainsi partie de leur histoire. Leurs dirigeants ont composé avec la situation en leur conférant un statut social, différent, d'inégalité mais qui est plus que contraignant : le jour où les guibeonim se retrouvent lésés (destruction de la ville de Nov pour cause de conflit interne au peuple juif), c'est tout Israël qui en paie le prix (famine).

À travers la premiére explication proposée à leur exigence que leur soient livrés sept fils : sept guibeonim avaient été tués, deux porteurs d'eau, deux bûcherons, un chantre, un écrivain d'écritures saintes et un bedeau de synagogue, le récit nous fait comprendre que les guibeonim s'étaient intégrés partiellement au peuple juif. 

Or il apparait ici que la question de l'intégration au peuple juif n'est pas qu'un problème démographique comme on le regarde aujourd'hui, en limitant l'argumentation au nombre de palestiniens qu'Israël pourrait supporter sans en payer un prix. 

L'antique Bible, antédémocratique, anté-révolution française et droits des citoyens, exprime ici que le problème de l'identité d'Israël n'est pas uniquement un problème de nombre. Les commentaires midrachiques semblent pouvoir nous enseigner que le pays restera pays d'Israël à l'aune de sa moralité et non à l'aune de sa génétique.

En accord parfait avec les textes qui ont toujours traité de cette question de la conversion. Pour être Israël, nul besoin de naître et d'être de sang juif. Cette définition est posée deux millénaires avant les luttes contre le racisme et pour l'abolition de la noblesse ou de l'esclavage. 

On peut devenir Israël mais cela ne peut être immédiat, d'autant plus que l'exigence est de très grande taille, et l'examen peut dans certains cas s'étendre sur plusieurs générations. Et le critère majeur est celui de la moralité.

Un peuple pourrait-il exiger une moralité en la bafouant lui-même ? C'est la question évoquée entre les lignes par le midrach cité plus haut qui raconte comment dans un premier temps, l'épisode de David et des guibeonim provoque une énorme critique d'Israël.

Israël est jugé par son attitude à l'égard des hommes, et à l'égard du texte dont il se veut le représentant officiel...une exigence que d'après le midrach n'est sujette à aucune réduction.

Un épisode donc riche de sens. A méditer et à inclure dans la réflexion sur l'Israël actuel.


21. Critico émotio scribens - un autre regard sur l'humanité

Cet écrit par lequel je romps le silence sur le blog, et qui sera peut-être plus un pamphlet qu’une reflexion (il tente de se gérer par la réflexion, mais il est mû par les sentiments) va avoir pour squelette les dix épreuves d’Avraham, introduites semble-t-il et développées sans aucun doute par rabbi Eliezer, ce géant du premier siècle de l’ère moderne, dont les maîtres disaient qu’il était comme une citerne qui ne laisse se perdre aucune goutte, et qui pourrait bien avoir dissimulé dans ce passage une réflexion auto-biographique.

Eliezer était sans doute une sorte d’Avraham du point de vue biographique. Il a aussi pris la tengeante par rapport à ce à quoi le destinait son père, il a en tout cas participé pour une très large part à un vaste mouvement de re-naissance d’un judaïsme, qui passe à son époque et entre autres de son impact de sa phase agricolo cultuelle à sa phase intellectuelle, mais ne confondons pas les patriarches avec les sages, les docteurs du talmud, comme les appelait Lévinas. Les seconds bénéficient de l’aura des premiers, même si eux aussi s’étaient appuyés sur ces géants de l’aube de l’humanité qu’étaient les antédiluviens et leurs successeurs immediats.

Ma lecture consiste en partie à relativiser ce texte, c’est à dire à en déposséder d’une certaine maniere ses principaux héros, Avraham et Eliezer.

Je propose de ce texte une lecture paradigmatique, et la recherche à travers elle de son actualité.

La première épreuve d’Avraham est donc sa naissance. D’après le texte (rabbinique. Il n’y a à cette épreuve aucune allusion dans la Bible) Avraham aurait été menacé de mort par ceux à qui sa naissance apparaissait comme une menace. Rien de plus universel que cela. Si une telle menace apparait presque littéralement dans le texte biblique au moment de la naissance de Moïse, qui ne pourrait s’identifier personnellement à un tel thème. Quelle naissance ne contient pas ipso facto une menace, ne serait-ce que pour l’ancienne génération qui y voit la concrétisation de sa potentielle supplantation puis disparition ?

Mais gardons pour un autre épisode les épreuves intermédiaires et sautons tout de suite à la huitième.

La huitième épreuve est celle de la circoncision, que le texte de rabbi Eliezer élargit en deux étapes. L’épreuve inclut les circoncisions d’Avraham, d’Ishmaël, d’Yitshak, mais aussi de toute la maison, de tous ceux qui s’affilient à Avraham. Circoncision donc comme alliance, avant tout aspect chirurgical. Alliance avec le Créateur, alliance avec le message éthique énoncé par ceux que le Createur désigne comme peuple élu. Une définition non raciale mais idéologique. Est fils d’Avraham avant tout non qui descend de lui, mais qui s’inclut dans l’alliance. C’est par l’intermédiaire de cette notion centrale d’alliance qu’Eliane Amado inclut les femmes. Elles ne sont pas concernées par l’élément chirurgical, elles sont par contre partie entièrement prenante de l’alliance.
La deuxième étape d’élargissement consiste aux prolongements de la notion linguistique de ce qui se traduit littéralement par prépuce, mais qui désigne au sens figuré encore quatre autres domaines : on peut ainsi d’après l’hébreu avoir non seulement la sexualité incirconcise, mais aussi l’oreille, la parole, et le coeur. En outre, il existe un stade du développement des arbres fruitiers en deça duquel ils sont incirconcis, et au dela duquel, circoncis, la consommation de leurs fruits devient autorisée. Peut-être cette insertion d’un élément qui est un élément de maturation directement liéau temps est-il là principalement pour nous aider à jeter un même regard développemental sur les quatre autres éléments. Ces circoncisions désignent l’état abouti par opposition à l’état brut.

Cet élargissement, qui fait passer l’aspect chirurgical (contre lequel nombre d’individus et de sociétés se sont élevées et s’élèvent encore) au second plan pour le moins, parait englober et nous adresser à réfléchir sur bon nombre d’aspects de notre mode de vie.

Résulterait d’un tel élargissement que s’affilier à Avraham ne consisterait pas uniquement à circoncire physiquement les mâles de la société, mais inclut aussi bon nombre de « circoncisions » virtuelles, bridage du coeur, et débridage de la parole et de l’ouïe (puisque le texte biblique auquel ces élargissements renvoient définit la mauvaise élocution de Moïse comme signe de son incirconcision, l’insubordination du peuple comme signe de sa surdité morale (sourd aux appels), comme signe de l’incirconcision de ses oreilles, et l’incirconcision du coeur comme une insensibilité au-dessus de laquelle il convient de s’élever).

Et il n’est pas anodin qu’un lien linguistique soit fait entre dysfonctionnements divers et circoncision. Comme si se trouvait sous la plume de rabbi Eliezer une antique tentative de regard générique sur un certain nombre d’activités humaines, avec tentative d’établir un dénominateur commun entre elles.

Et pour une fois, le regard de rabbi Eliezer semble sinon critique, au moins interrogateur. Il questionne divers statuts de la halakha, comme celui de l’esclave (comment ces individus, impurs presque par excellence, pourraient-ils en un clin d’oeil changer de statut, sinon de peau ?), et surtout en fort contraste avec ceux qui se circoncisent de plein choix et qui pourtant sont regardés avec la plus grande circonspection, comme si leur circoncision ne les faisait devenir que partiellement juifs ? Franchirait-on plus facilement les étapes du développement humain de façon passive plutôt que de facon active ?

Le chapitre de la huitième épreuve s’achève sur l’épisode par lequel Eliyahou devient assigné par le ciel à assister à chaque circoncision, et ceci en sanction de son impatience, et de son extrème zèle religieux, exercé sous l’identité de Pinh’as en Nombres 25, 7 et 8.

Comme si un lien apparaissait soudain entre circoncision et instinct sexuel, et comme si la circoncision apparaissait aux yeux des rabbanims comme destinée à brider les pulsions sexuelles, comme signe d’une sexualité plus évoluée, moins instinctuelle, avec les restrictions mentionnées plus haut, c’est à dire avec l’expression d’un certain bémol : le système marche-t-il sans faille ?

Ce qui est une occasion de souligner que ne figure pas expréssément parmi ces épreuves de l’humain, celle de la relation d’Avraham à la sexualité. La cinquième épreuve traite d’intimité, de différence d’intimités entre la relation homme femme et la relation frère-soeur, mais ce n’est qu’ici qu’il est question de frein, de relation - intérieure et extérieure - entre l’homme et ses instincts, ses besoins, ses pulsions.

Les seuls liens explicites entre cette circoncision et l’activité sexuelle sont d’une part la mention biblique d’une activité obscure (« metsahek » dit le texte) d’Ishmaël à l’encontre de Yitshak, activité qui provoque son renvoi, sont par ailleurs le fait que ce qui limite l’homme tant au niveau du coeur, que de la bouche que de l’oreille est ce qui limite la phénoménologie du membre sexuel masculin (ablation du prépuce), et en dernier lieu la désignation traditionnelle de la masturbation à l’aide de l’expression « h’eth habrit » (péché de l’alliance), d’où il ressort que le lien entre cette épreuve et l’activité sexuelle est bien plus qu’hypothétique.

Et il m’est impossible de réfléchir sur ce texte sans être interpellé par mon expérience clinique quotidienne depuis presque quatre ans en milieu ultraorthodoxe. Milieu ultraorthodoxe littéralement obsédé par la sexualité : en parallèle d’une liste presque interminables de coutumes, de recommandations et d’injonctions éminemment puritaines, la prévalence d’abus y est nettement plus élevée que dans toutes les autres franges de la société israélienne, à tel point qu’on pourrait presque avoir la certitude qu’il n’y a pas un établissement scolaire où ne se produit pas régulièrement tel ou tel abus, que cela soit d’élève à élève, ou pire, d’enseignant à élève.

La société ultraorthodoxe met donc en parallèle de terribles limitations à la vie sexuelle. Limitations qui varient selon la frange (maximale dans les hassidouïot, Gur et Slonim en particulier, moins ouvertement limitée en milieu non hassidique), mais qui sont omniprésentes.

Le plus fort contraste est entre le mode de relation hommes femmes dans ce milieu et la très forte occurence d’abus, lesquels abus se font comme dans maintien de ces règles qui gèrent les relations hommes-femmes : les abus sont en général homosexuels, et/ou le plus fréquemment vis à vis d’enfants ou d’adolescents. Ce contraste poussant inévitablement à suggérer que les restrictions, cette obsession, cette limitation tellement détaillée de la vie sexuelle, provoquent ces abus.

Un peu comme si les épreuves d’Avraham devaient rester le programme d’auto-dépassement de l’humain, plus que génération après génération, jour après jour.

Et force nous est de conclure qu’une telle définition conduit à une condamnation de ce mode de vie ultraorthodoxe : il devrait être le milieu qui se singularise par la plus haute moralité, par le plus haut niveau de l’humain, si tel est le but des mitzvot.

Or, non seulement il apparait que la société ultraorthodoxe est dans le meilleur des cas un groupe sociologique comme les autres, dans lequel il y a des individus de tous les niveaux, de la moralité et de la délinquance, de la joie de vivre et de la détresse, de la tolèrance et de l’intolérance, et selon un regard plus insistant, un groupe sociologique comme malade.

L’examen de ce groupe en parallèle de lecture de textes comme celui de la onzième épreuve d’Avraham est encore plus douloureux et affligeant, tant Eliane Amado Lévy Valensi, en digne représentante de « l’école de Paris » du judaïsme présente un judaïsme aux antipodes de ce que montre le milieu ultraorthodoxe.

L’école de Paris, il y en a réellement une, et, se risquerait-on à la faire remonter à Rashi ?, parait nettement avoir enrichi le judaïsme. C’est universellement admis en ce qui concerne Rachi, cela l’est dans les limites du monde juif - avec quelques pseudopodes - en ce qui concerne les tossafistes, et cela est clair pour les juifs francophones pour ce qui est de Manitou, Emmanuel Lévinas, André Neher, Armand Abécassis, Marc Alain Ouaknin, Eliane Amado Lévy Valensi, Régine Lehman pour les plus connus.

Et cette école prend pour ainsi dire les dix épreuves d’Avraham comme flambeau. Elle enseigne en quoi le judaïsme élève l’humain sans pour autant ostraciser le non juif, sans racisme, sans préchi precha. Elle enseigne à ses enfants qu’être juif consiste à avoir un haut sens de la responsabilité de ses propres actes, consiste à ne pas vivre en troupeau, consiste à développer chez l’individu ce que Lévinas appelle paradoxalement le dès-inter-essement, ce qui est le vivre en groupe dans le non anonymat et la non indiffèrence pour autrui, consiste à ce que chacun ne soit pas une brebis dont le rabbin serait le berger, à ce que l’accent soit mis sur le développement individuel et sur l’épanouissement de la relation à autrui, de la relation de couple, à ce que l’individu considère son judaïsme comme l’instrument par lequel il vise à construire une meilleure société, le sionisme étant un chapitre de cela...et la voici qui se heurte de plein fouet au monde ultraorthodoxe. Un monde qui ne se contente pas de prendre ses distances du sionisme du fait d’un désaccord idéologique. Un monde ultraorthodoxe dans lequel le rabbin décide combien la femme est inféodée à son mari, quels accessoires l’individu aura le droit d’acquérir et d’utiliser, quelle activité exerceront les deux membres d’un couple, quel mode relationnel homme-femme est non seulement souhaitable mais licite, en général et au plan sexuel en particulier entre eux. Un monde ultraorthodoxe qui cultive un comportement citoyen aux antipodes de la bonne conduite et de la responsabilité civique, et enfin un monde qui se dévoile tellement malade, de par les abus sexuels qui le teintent si fortement, de par son ingérence si calculatrice et mesquine dans la vie politique.

Le milieu est malade, non uniquement les individus dont le comportement émerge.

L’excès inimaginable de puritanisme (de femmes vêtues à dessein de la façon la plus moche et la plus sombre, en interdiction totale de maquillage ou d’adjonction d’accessoires, de femmes qui ne croisent pas le regard masculin, qui sont ouvertement hostiles à saluer un homme, de femmes qui ont une opposition manifeste à participer à des réunions mixtes, à prendre la parole devant des hommes, et ceci sous le contrôle des hommes), qui est accompagné d’une vigilance plus qu’extrême et qui traque littéralement chez les enfants le moindre écart, tandis qu’elle protège les adultes pour peu qu’ils soient de rang à peine élevé, cet excès ne peut qu’être placé en miroir de cette haute prévalence de pathologie.

Et donc, pour nous en tenir provisoirement à cet examen de la huitième épreuve au prisme du cadre global de ce que Rabbi Eliézer voyait comme projet d’auto-dépassement de l’humain, et pour terminer ce texte sur une ouverture, n’y aurait -pas urgence à redonner à ce texte une place prépondérante dans notre position d’individu, de citoyen, face à ce en présence de quoi nous met notre monde d’aujourd’hui ?


22. Sur quelques segoulot de la langue hébraïque

Un exemple de la façon par laquelle l’hébreu est expression d’une certaine conception du monde.

Adam, dit la tradition, est « segoulat haboreh », c’est à dire qu’il en descend, comme le représente graphiquement la voyelle « ségol », en forme de grappe, ou d’entonnoir, de quelque chose qui transmet vers le bas ce qui vient du haut.

Selon Yehouda Halévi, c’est ainsi qu’est né le judasme, par une transmission, de génération en génération, depuis Adam jusqu’à Moshé, faisant hériter le bas, le peuple, de notions émises, transmises depuis le haut.

De la même manière, les mots vocalisés avec deux ségols (melekh’, yeled), ou un ségol et un h’olam (boker), ou deux patah’ (naar), sont tous accentués « mileél », c’est à dire sur la syllabe antépénultième, ou littéralement « d’en haut ».

Le séguel est l’équipe dirigeante, et « lessaguel » veut dire « former à », « lehistaguel », "se former à", ou "s’adapter", c’est à dire se situer sur l’axe vertical, entre ce de quoi vient l’injonction, ou le savoir, ou le pouvoir, et ce qui ne les a pas encore reçus.

Ce qui est « segouli» est « rapporté à» : le mishkal segouli d’un matériau est son poids relatif à celui de l’eau. La valeur « segouli » de quelque chose n’est pas sa valeur absolue, mais sa valeur relative.

En cela, ce qui est « segoula » est ce dont la fonction est de faire ceux du bas en liaison avec ce qui vient du haut. Cela les élève, les sublime, les métabolise, les transforme.

C’est après que D. leur ait dit qu’ils lui sont « segoula » que Adam fait techouva puis, s’étant senti nu, se voit revêtu des peaux, peau du serpent précise rabbi Eliezer, celui du fruit. Se revêtir de ce par quoi la faute a été commise revient à se dépasser, à transformer ce qui en nous nous égare par ce qui nous élève. C’est la sublimation.

Est-ce en rapport avec cela que la couleur « ségol » est la couleur de l’extrémité du spectre, celle qui marque la frontière entre ce qui n’est pas visible et ce qui le devient?





C’est en tout cas du fait de toutes ces vertus que ce qui est « segoula » est précieux, choisi, élu, trésor.

Le peuple juif serait ainsi dénommé « segoula » non tant du fait d’une élection arbitraire, mais du fait de capacités qu’il veut/peut ou non endosser, mettre en application, comme faire ou non le shabbat, faire ou non la havdala, deux paramètres qui, dans ce chapitre des pirké de rabbi Eliezer, précèdent l’introduction du mot « segoula ». Ne pas tant être élu, que séparé, non séparé par essence mais par façon d’être.

23. Houkat et Balak - en souvenir de Claude et Daniel




Le thème de la vue, qui parcourt toute la paracha houkat (לפני הכהן, לעני כל שיראל, יביט כל הנשוך בנחש וחי) vient évoquer le regard de Claude, aux yeux bleus, et resté vif et aigu jusqu’aux derniers instants de sa vie, et vient associer dans mon esprit mon cousin Daniel, disparu à quelques heures d’intervalle, et lui aussi avait les mêmes yeux bleus.

J’ai de plus choisi de m’appuyer sur un texte du midrach dont mon livre garde la trace que j’ai dû encore l’étudier avant de quitter la France, peut-être avec Daniel.

Il n’est en tout cas pas impossible que j’ai acheté mon « midrach rabbah » dans cette même boutique en étage de la rehov Bné Brit de Jérusalem, boutique qu’il m’avait fait découvrir et dans laquelle lui et moi achetâmes plusieurs articles à la base de notre bibliothèque personnelle d’études juives.

Je dois ajouter que ces parchiot Houkat et Balak me sont chères, ce sont les parchiot de ma naissance, houkat est ma parchat bar mitzva.

Le dernier midrach de la paracha houkat, à la jointure des deux parchiot, parle du deuxième thème central à ces deux parchiot, et c’est le thème de la parole.

Ce thème de la parole intervient autour de l’épisode du rocher, dans lequel Moshé frappe le rocher au lieu de lui parler, est central dans tous les épisodes de conquète de la paracha, chacun ponctué par l’envoi de parlementaires, qui tentent à chaque fois le dialogue, avec Sihon, avec les bné Amon, avec Og, est majeur dans l’épisode de l’eau de la discorde articulé autour des plaintes et récriminations du peuple adressées à Moshé, et est très joliment réhaussé par le cantique qui figure au centre de la paracha, épisode dans lequel la langue du texte passe magistralement de la prose à la poésie.

Et le thème de la parole est bien évidemment central dans la paracha Balak, qui ne traîte que de prophétie et d’impact de la parole sur le monde à travers les diffciles notions de bénédiction et de malédiction.

Et le dernier midrach de la paracha houkat parle de ce morceau de poésie : « jaillis ô puits... » et de son introduction par les mots : « ainsi chantera Israël... », comme si le texte non uniquement venait relater un épisode historiquement survenu, lors de la marche des hebreux dans le désert, quand surgit soudain l’eau devant le peuple, mais venait aussi annoncer une prophétie : « ainsi chantera Israël.. ». Quand donc chantera Israël ? Et quel puits devrait alors jaillir ?

Et le midrach de dire : trois fois, la parole de Moshe se fit entendre à l’encontre de ce qui avait été conçu par l’Eternel, et lors de ces trois fois, la parole de Moshé a été avalisée par l’Eternel, comme si l’homme avait eu le pouvoir par sa parole de changer le cours des choses.

Sujet fondamental s’il en fut, que celui de l’impact de la parole sur le cours des choses, pour le peuple du livre, peuple qui transporte la parole depuis la nuit des temps, peuple qui enseigne au fil des temps que c’est par la parole que fut créé le monde.

Pas une explosion, un « big bang » fortuit, mais une parole. Dix paroles. Le texte de la Genèse enseigne ainsi que l’homme fut créé à l’image du Créateur, et il convient de surtout comprendre qu’il reçut de lui le pouvoir de la parole. 

Non uniquement le pouvoir de la communication, de l’échange par la parole, mais aussi le pouvoir de faire changer les choses par la parole.

Le midrach donne ainsi la mesure de combien ce pouvoir peut s’exercer. Le plus grand prophète qu’ait connu le judaïsme put par trois fois faire changer le cours du monde, tandis que le prophète des nations, Bileam, celui dont les services furent loués par le roi Balak afin qu’il maudisse ce peuple - le peuple juif - qui le menaçait, ne réussit pas à maudire Israël, et échoue à changer le cours des choses.

Pouvoir parcimonieusement partagé. L’homme ne peut que très partiellement agir sur le monde.

Moshé intervient donc sur le monde quant à l’impact divin et suggère au Créateur qu’il s’adresse collectivement au peuple et non individuellement (« je suis votre D. » et non « je suis l’Eternel ton D. »), Moshé intervient sur la question de la répercussion du comportement des pères sur les enfants, arguant qu’un père n’ayant pas été élevé dans le monde de la Torah mais y étant entré par ses propres déterminations ne devrait pas avoir à assumer les manquements de ses pères, et Moshé enfin choisit de sa propre initiative de parlementer avec les peuplades qui se trouvaient sur sa route plutôt que de leur faire aveuglément la guerre, dans la conviction du droit divin, et ces trois choses d’après notre midrach auraient été avalisées par le Créateur.

Le midrach puise l’interprétation de cette avalisation dans les derniers versets de ce passage de poésie, versets obscurs, qui paraissent au lecteur inattentif une simple énumération de lieux, alors qu’ils recèleraient ce secret : celui de ce que sut accomplir Moshé avant sa mort, le secret du pouvoir de la parole, la capacité de faire changer le monde.

Ces deux versets sont en français : "Ce puits, l'ont creusé des princes, des volontaires de son peuple, par la loi sur laquelle ils s'étaient appuyés, et de Midbar à Matana, et de Matana à Nahaliel, De Nahaliel à Bamot, et de Bamot, la vallée qui se trouve dans le champ de Moab, au sommet de la colline, et qui se reflète dans le Yeshimon"(Nombres 21, 18 à 21). Le midrach sollicite ce texte, et départit ces mots de leur sens géographique. On ne connait de plus pas de lieux portant ces noms.  Le mot Midbar veut dire désert mais est construit sur la racine qui donne le mot parole, et on, peut ainsi interpéter que la parole sort de ce travail de mineur reposant sur la loi. La parole sérieuse doit reposer sur la loi, sur la morale. Et le mot Matana veut dire "présent", comme si Moïse avait reçu cette capacité de verbaliser en cadeau, cadeau donné par D. puisque c'est le sens du mot Nakhaliel. Et Bamot, voulant dire une esplanade, on peut déduire que tel don porte la parole sur le plus noble des promontoires, et que son reflet émane même du néant, sens premier du mot Yeshimon. Ceci est une prophétie messianique, celle d'une époque où le message d'Israël, entonné par Moïse sera la base de la loi morale de l'humanité.

Claude avait eu beaucoup d'admiration pour Rabin, avait fondé beaucoup d'espoirs dans le processus de paix, et avait été fortement impressionné sur ses derniers jours par la rencontre Trump - Kim Jong Un, autrement dit par les retournements inattendus, desquels peut parfois surgir la paix.

Claude vient de nous quitter d’une façon entièrement « en phase » avec ce en quoi il investit l’energie de longues années de travail. Claude qui travailla sur le ralentissement et l’accélération progressifs des moteurs, termina sa vie de la facon la plus progressive et harmonieuse possible, et quitta le monde « rassasié de jours » et sereinement, ainsi qu’il est écrit au sujet d’Avraham.

Puisse-t-il ainsi que cela fut pour Moshé laisser derrière lui le souvenir de l’impact de la détermination et de la parole sur le monde, et surtout sur l’harmonisation du monde, et sur la possibilité d’atteindre les changements par la parole plutôt que par la guerre. C’est alors que « chantera Israël », c’est ce puits, celui de la parole apportant harmonie, qui jaillira alors.