mercredi 13 juillet 2016

Houkat, divers remèdes à situations inextricables


Je voudrais, dans une envolée sioniste comme il m'en pousse de temps à autre, revenir sur la paracha Houkat, que les israéliens ont lu shabbat dernier, et que la diaspora lira dans trois jours.

J'aime beaucoup la paracha Houkat, et j'ai beaucoup de plaisir à ce qu'elle soit "ma paracha", bien que ce détail n'ajoute rien au propos.

J'aime énormément ces envolées poétiques qui y sont contenues et au sujet desquelles j'ai déjà écrit ( "monte puits, acclamez-le ! Un puits creusé par des ministres, approfondi par la générosité du peuple, par le bâton du législateur, par leurs cannes" Bamidbar 21, 17). 

J'aime beaucoup la diversité des sujets qui la composent, et en particulier celui de l'eau et des différents rôles qui lui sont attribués (eau de purification d'après contact avec la mort, eau de Myriam la prophétesse, eau d'assouvissement de soif, eau d'engloutissement d'armées, eau source de bénédiction, qui jaillit après qu'il y ait tant eu crainte d'en manquer,  eau-muse).

J'aime surtout le caractère "actuel" de cette paracha. Actualité de la confiance (ou non) au fait que le monde soit dirigé, actualité de l'opposition perpétuellement adressée à Israël-le peuple face à son évolution ( dans l'espace, dans les moeurs, au delà du temps ), actualité de la question de la place à faire et à circonscrire à la mort et aux cultes qui lui sont afférents. Actualité enfin de l'impératif de trouver des solutions à la coexistence.

Et j'aime aussi beaucoup la haftarah qui lui est adjointe, celle qui met en scène le juge Jephtée comme on dit en français. Yftah', comme on dit en hébreu - ce qui signifie "il ouvrira"...peut-être pour dire "il débloquera" - est un personnage bien singulier, bien controversé, de son vivant comme au fil des temps ( lui- même répond à ceux qui viennent le solliciter :"mais vous m'avez répudié !", et parmi les commentateurs certains disent de lui qu'il ne valait pas moins que ce que valait Shmuel en son temps, énorme compliment, tandis que d'autres ne trouvent pas assez de mots pour le critiquer, l'accuser d'avoir lui aussi sacrifié ses propres enfants - sa fille unique ! - au culte idolâtre, ou le dévaloriser).

Pourquoi cette haftarah est-elle associée à cette paracha ? 

Certains verront que c'est le thème du voeu qui est ici le lien. Dans la paracha , Israël fait un voeu, et dans la haftarah, Yftah' fait un voeu (combien déplacé, combien malheureux). Mais aussi dans la paracha Israël-le peuple est aux prises avec plusieurs peuples qui se comportent différemment, certains avec hostilité, certains amicalement vis à vis de lui, et ainsi en est-il dans la haftarah.

Et les peuplades centrales de ces épisodes me paraissent être Amon et Moab, combattues - et conquises par Israël  - un peu dans la paracha et surtout dans la haftarah. 

Et à propos d'actualité, avec qui n'avons-nous pas jusqu'à aujourd'hui des conflits territoriaux si ce n'est avec un peuple dont la capitale pourrait être Amman ( qui se dit Rabbat "Amon" - capitale d'Amon -  en hėbreu), capitale d'un pays d'aujourd'hui - la Jordanie - dont le territoire actuel couvre aussi ce qu'était le territoire biblique de Moav, et que d'aucuns seraient tentés de voir comme le pays par excellence des palestiniens, ceux qui s'opposent tellement, ceux qui sont tellement au centre de cette opposition à notre évolution ?

Mais je ressens l'impératif d'une pause, afin de consacrer quelques instants au recentrement du sujet : faire de l'actualité à base de Torah est un peu comme un exercice de funambulisme. Les spectateurs n'attendent en fait que de vous voir tomber, tandis que vous êtes surtout préoccupé de vous maintenir en équilibre, afin de ne tomber ni en Charybde ni en Scylla. 

Certains ont peut-être déjà interrompu leur lecture. D'autres sont en train de se dire : " c'est pas possible ! Il ne va pas lui aussi tomber dans la preuve par la Bible, dans l'amalgame, dans la comparaison point par point sans même voir que les trois mille cinq cents ans qui nous séparent de cet episode rendent en fait la comparaison impossible".

Et par ailleurs, n'est-ce pas ce que j'ai toujours fait, que ce soit aux eis, à l'école Maïmonide, au lycée français, dans les stages eis, au cours hebdomadaire de midrach, de non tant chercher à comparer qu'à solliciter le texte, dans le but de trouver en quoi ce que nous lisons dans ce vieux texte est pertinent pour nous d'aujourd'hui, malgré l'écart de temps, malgré les multiples différences de contexte ?

J'ai toujours été convaincu que c'était dans cette pertinence que se dissimulait le secret de cette conservation et de cette longévité. Enormément de textes se sont perdus, beaucoup se sont gardés mais ne sont pas lus, certains ne sont lus que par des animaux rares. La Bible est lue en public chaque semaine, trois fois par semaine dans toutes les synagogues du monde. Elle est étudiée certes par un plus petit nombre ( mais certains projets fantastiques comme Akadem, comme 929, permettent à de plus en plus de gens de s'y interesser de près si ce n'est à s'y consacrer).

Manitou disait : " ce n'est pas parce que c'est écrit que c'est vrai, c'est parce que c'est vrai que ça a été écrit", et je me permets d'ajouter que le texte n'est pas pertinent pour nous parce qu'il est écrit, mais qu'il est lu par nous parce qu'il nous est pertinent.

Pas "vrai" ( en ce monde post moderne, nous ne disons plus "vrai"...), mais pertinent. 

En quoi ces thèmes de Houkat sont-ils pertinents pour nous ? En quoi sont-ils actuels ?

Ils sont actuels si nous les rapportons à notre présent. 

Ne vivons-nous pas une époque où, après avoir craint de manquer d'eau (en Israël), cette crainte s'est dissipée entièrement ? Ne devons-nous pas être frappés d'une si forte analogie avec ce que nous décrit l'épisode du rocher frappé par le bâton ? Quelqu'un pouvait imaginer ne serait-ce que jusqu'à il y a dix ans qu'il n'y aurait plus de problème de manque d'eau ici ? Quelqu'un réussit-il à entrevoir une solution de coexistence entre nous et les palestiniens ?

Ne pouvons-nous pas lire une formidable histoire de résililence chez ce personnage Yftah', que toutes les données démographiques pouvaient - si ce n'est devaient logiquement  - mener à une vie de catastrophe ? Et nous interroger sur ceux qui nous conduisent aujourd'hui ? Sont-ils comme les "Juges" eux qui sont la plupart du temps généraux reconvertis en leaders politiques ?

Et que pouvons-nous apprendre de cet épisode à répétition concernant Amon et Moav ? 
Amon et Moav de la paracha et de la haftarah sont une bizarre histoire, une histoire de peuples avec lesquels Israël devait éviter tout contact, une histoire de peuples sur le territoire de qui Israël ne devait même pas poser le pied. Une histoire aussi bizarrement répêtée à plusieurs reprises. (Qu'Uderzo a maladroitement tenté d'illustrer dans son "Odyssée d'Astérix" où on voit les peuples encore et encore s'affronter et se réaffronter ). Amon et Moav sont  - depuis leur naissance incestueuse - une histoire encore plus bizarre mais finalement érigée par le talmud au rang de précédent juridique. On apprend effectivement en ouvrant le talmud (cet autre vieux grimoire dépassé aux yeux de beaucoup) en Guittin 38 : 1 que leurs statuts géographique mais aussi civil sont modifiables, par des déductions que je ne vais pas développer ici, mais dont l'élément central ("la pointa") est que ce qui parait inextricable et irréversible ne le reste finalement pas.

La tradition  (Rashi sur Devarim 1, 46) nous apprend que le peuple dans le désert stationna - sans apparente raison - 19 ans dans le lieu nommé Kadesh, et il est aussi indiqué qu'ils se sont de nouveau rendus à Kadesh après n'avoir pas réussi à dialoguer, à négocier avec Amon. Comme s'il fallait rester à Kadesh tant que la situation demeure insoluble.

Par contre, Yftah', le "Juge", l'enfant du ruisseau devenu général, ne "souffre" pas du même blocage, et surmonte la difficulté, débloque - même si c'est militairement....- mais aussi apparement en étudiant le côté juridique de la situation.

Et je suis frappé de combien ces retournements de situations évoqués dans cette paracha ressemblent à notre situation actuelle, que ce soit en ce qui concerne l'eau, que ce soit en ce qui concerne les difficultés insurmontables qui se trouvent finalement surmontées, en partie de bonne grâce, y compris aussi autrement, de façon imprévisible.

Et on remarquera que je ne dis rien de ces dix neuf ans, qui est pourtant une autre furieuse analogie entre l'histoire biblique et notre histoire actuelle..

Mais nous sommes rationnels. Nous nous devons d'être modernes et il faudrait beaucoup se parjurer pour imaginer que notre situation actuelle se résolve autrement qu'au mode moderne, autrement qu'au rythme et en conséquence de spectaculaires accords de paix faisant suite à de belles négociations menées dans de beaux hotels, et orchestrées par le coq gaulois ou l'oncle Sam. 

Nous n'allons quand même pas retomber dans l'Antiquité, chercher une vache rousse, nous remettre à nous purifier de la mort avec de l'eau mélée à ses cendres, nous sommes des gens sérieux, respectables, européens. Nous ne faisons plus de voeux, nous ne sacrifions plus les enfants sur les autels érigés à la gloire des divinités des peuples idolâtres.

Mais si ça se trouve, nous ne sommes pas si immunisés que cela ni contre les cultes de la mort ni contre l'idolâtrie, nos enfants ne sont peut-être pas si protégés que cela, et certains paient parfois de lourds prix, paient parfois très cher les factures de conflits/voeux exprimés à voix basse quand ce n'est pas à voix haute par leurs parents, à la manière de Yftah' en Juges 11, 31 et passim.

Oui décidément, je trouve dans ce vieux texte une bonne dose de pertinence pour appréhender notre monde d'aujourd'hui. Et non uniquement dans le jaillissement de la poésie et de la pensée, dans l'Israël d'aujourd'hui comme dans cette paracha.

Et, dernière question : "en quoi cette envolée est-elle sioniste ?".  Eh bien cela va sans dire, mais comme toujours, encore mieux en le disant : Je ne vois dans cette paracha  aucune autre actualité qu'israélienne, aucune pertinence plus actuelle que celle, sioniste, de la jonction entre les valeurs universelles de la Torah et la géographie, et la confrontation avec la population locale.