lundi 22 décembre 2014

Servandoni . Deuxième volet. Adolescence



Je ne venais plus alors rue Servandoni le matin mais en fin d'après-midi, comme un élève du secondaire qui n'a plus son mercredi ou son jeudi matin libre. Je ne venais plus accompagné dans la 2CV maternelle, et Manou n'était plus du voyage, mais j’étais déjà bar mitzvah et je venais par mes propres moyens : bus jusqu'à Antony, et de là le train de la ligne de Sceaux - qui ne s'appelait pas encore RER - jusqu'au terminus d’alors qui était la station Luxembourg.

J'ai un fort souvenir de cette ligne de Sceaux. La gare d’Antony, le quai, le train que l’on voit arriver. Quelques trente ans plus tard j’eus à nouveau l’occasion de prendre ce train depuis la même gare d’Antony et je restai saisi de la constance des lieux. Rien n’avait changé et les mêmes sentiments me ressurgirent. Je garde le souvenir de l'arrivée du train dans Paris, de la descente progressive de la ligne sous le niveau de la rue, avec les stations Denfert- Rochereau, puis Port Royal, et ensuite, de la sortie de la station dont l'escalier débouchait au croisement de la rue Soufflot, du boulevard Saint Michel et de la rue de Médicis, le long de laquelle est le jardin du Luxembourg. 



Cette sortie était pour moi le portail de la grande ville. Par elle, je faisais le passage de la vie banlieusarde à la vie parisienne, au sortir du bâtiment je recevais sur le visage la bouffée d'accueil de l'air de la grande ville, et je me plongeais dans cet univers auquel je consacrai énormément plus d'énergie qu'au cours que j'étais supposé aller sagement suivre. 

Je ne me rendis pratiquement jamais directement de cette station à la rue Servandoni. J'avais mes trajets. Pas toujours le même. Je venais en avance ce qui me laissait le temps de faire mes chers détours. Je descendais ainsi souvent le boulevard Saint Michel, quand je ne lui préférais pas la rue Monsieur le Prince, dédaignant presque toujours de prendre sagement la rue de Médicis qui m'aurait, elle, conduit directement à destination.

Je découvris - forcément progressivement - toutes ces adresses qui me restent vives et que j'embrasse dans ma mémoire comme dans une simultanéité impossible, Les cinémas Trois Luxembourg, ainsi que les Champollion le long de la Sorbonne. Les restaurants chinois de la rue Monsieur le Prince, La librairie Joseph Gibert et la papeterie Gibert Jeune où je passai beaucoup de temps, la place de l'odéon et ses cinémas. Je n'étais pas encore photographe et ne découvris la boutique Odéon Photo qu'ultérieurement, et je ne connus aussi que plus tard le café « le petit suisse » qui est associé à un autre volet de mon adolescence. La Sorbonne, sa place et les Presses Universitaires de France, le lycée Louis le Grand. La rue de la Harpe, l'abbaye de Cluny, la place de la fontaine Saint Michel et la Seine au pont Saint Michel. Jamais mon tour de cette époque n'inclut de passer sur la rive droite. Je découvris aussi tout le quartier de l'au-delà de la Seine mais dans d'autres contextes et un peu plus tard me semble-t-il.



J'avais des étapes gastronomiques incontournables. Les crêperies de la rue Monsieur le Prince ou du boulevard sur lequel subsistaient encore quelques roulottes qui n’existent plus qu’en province ou dans les fêtes foraines, la pâtisserie du sud tunisien de la rue de la Harpe où je mangeai une quantité innombrable de ces beignets recouverts de sucre qui cuisaient en frémissant dans le large bac d'huile dans lequel ils atterrissaient en un mouvement circulaire que je contemplai maintes et maintes fois avec délectation.


Rue des Écoles face aux cinémas Champollion se trouvait un magasin de posters et de disques dont je connaissais à peu près par cœur le stock entier, et je visitai aussi, mais plus irrégulièrement, les magasins et les étalages de vêtements qui conquéraient progressivement le boulevard.

En général je faisais un tour, qui comprenait des étapes arrêts et aussi des boutiques dans lesquelles je n'imaginais même pas de rentrer mais qui faisaient partie de la routine, telle la boutique de poupées de la rue Racine ou les boutiques d'articles religieux, ainsi que les boutiques d’articles d’art et de luxe de la rue Saint Sulpice, quand mon tour s’achevait place Saint Sulpice, d’où je montais directement par la rue Servandoni.



C’était l’époque où je ne regardais pas encore Paris, où je ne le voyais pas encore beau, caractère que je ne découvris que quelques dix ans plus tard. Je trouvais très sale et trop grise cette ville sans assez d’arbres mais je m’en imprégnais, l’intériorisais « par les pieds » comme on intériorise une ville, et l’aimais. De longues années, après l’avoir quittée, elle me manqua souvent et intensément, et je mis à profit toutes les occasions possibles de revenir l’arpenter, de repasser par ces rues, celles du premier quartier qui me fut vraiment familier et connu.

Je me rendis ainsi probablement au moins trois ou quatre ans rue Servandoni tous les mercredis soirs - puis tous les mardis quand le jour férié de l'école devint le mercredi - et je découvris ainsi ce quartier latin, qui avait ses titres de noblesse depuis toujours mais encore plus depuis mai 68, et mes années étaient 69-72.



Là je retrouvais Daniel, Joël et Albert et notre professeur David Benchimol qui devait s'efforcer de contrer la vague de chahut que nous opposions - à coup de fous rires récurrents, en toute chaleur et bonne humeur néanmoins -  au programme officiel (mais selon lequel nous étudiâmes quoi au fait ?) dont me restent quand même au moins quelques cahiers manuscrits, attestation matérielle qu'il nous enseigna quand même quelque chose. Mais l'heure et demi de cette rencontre passait vite, nous étions seuls dans la bibliothèque me semble-t-il, seuls de toute la troupe d’enfants à avoir opté pour le cycle long, et encore une fois, me semble-t-il, la situation m'imprégna plus qu'elle ne m'enseigna.

Non moins important était le retour. Nous sortions ensemble de l’immeuble et nous devions nous séparer relativement rapidement (alors que Joël rentrait aussi chez lui par la ligne de Sceaux, mais il est possible que nous ne prenions pas les mêmes rames) car, à part les trajets à pied, meublés des facéties à répétition d’Albert, j’ai le souvenir d’être à nouveau seul.  Je rentrais cette fois par le chemin direct, celui de la rue de Vaugirard, celui qui faisait passer sous les arcades abritant quelques vitrines de médailles et de monnaie de Paris, ou encore, sur l’autre trottoir, devant la guérite des policiers en faction devant le Sénat. Je passai ensuite devant le théâtre de l’Odéon puis par la rue de Médicis et non par le jardin du Luxembourg déjà fermé à cette heure. Je reprenais le train, et ponctuais ma route de nouvelles étapes alimentaires, par gourmandise, mais peut-être aussi pour surmonter une certaine inquiétude que peut communiquer le métro la nuit - et un peu a fortiori le train de banlieue - à un jeune adolescent.

Je consommai ainsi régulièrement "milky way" ou "nuts" ou autres "mars" que j'achetais dans ces magiques machines à sous  que l'on trouve jusqu'à aujourd'hui sur chaque quai de tout le réseau et dont j’aimais beaucoup la manipulation ( en écrivant ces lignes je peux entendre le bruit du tiroir métallique qui se débloquait à la chute de la pièce introduite dans la fente,  un bruit qui résonnait dans le silence de la station toujours plus ou moins vide ), mais surtout j'avais mon "rendez-vous" de la rue Auguste Mounié, par laquelle je passais à Antony de la station de train à celle, sordide, le long de la nationale 20, où je devais attendre - parfois longuement - l'autobus 297, qui à ces heures de fin de journée, ne passait que toutes les 40 ou 45 minutes me semble-t-il.



Il y avait à mi-hauteur de cette rue où je fréquentai aussi le théâtre et le marché en d'autres occasions, une pâtisserie où on m'attendait avant de fermer boutique. J'entrais et la boulangère me saluait jovialement : "voilà mon client du mercredi !". Je lui achetais ce qui était souvent le dernier croissant et poursuivais mon chemin, équipé pour attendre l'autobus, tandis que j'entendais derrière moi le bruit du rideau de fer que la manivelle faisait descendre doucement. Il était 20:15, c'était la dernière boutique ouverte et la rue était sombre.

Parfois,  quand je m’étais mis à acheter disques 33 tours, ou posters pour les murs de ma chambre, j’avais aussi avec moi un trésor,. Je n’étais pas encore trop « livres », ni aussi fan de papier et d’articles de papèterie que je le fus par la suite, et je n’ai aucun souvenir d’achats de ces articles. 

A l'arrivée à Wissous, à l’issue d’un trajet en solitaire (il n’y avait à cette heure-là que peu de voyageurs, dans le train ou encore moins dans l’autobus, personne ne montait jamais avec moi dans l’autobus, j’étais invariablement le seul à descendre à la station) le trajet entre l'arrêt de bus et la maison passait par deux "petits chemins" dans lesquels je pressais le pas, bien que n'y ayant jamais été inquiété, mais du fait qu'eux aussi étaient sombres, et étroits, et déserts.


A cette époque, je commençai à troquer les transports en commun pour le vélomoteur et je me revois attachant ma mobylette au poteau du trottoir d'en face rue Servandoni. Ceci marquait le passage vers une autre période.

vendredi 12 décembre 2014

Servandoni


Premier volet . Enfance. 

Une rue pavée, étroite, légèrement sinueuse, grise. Une de ces rues parisiennes anciennes, où abondent façades en pierres taillées et  porches sculptés.
Une de ces rues chargées de plusieurs centaines d'années d'histoire, et dont le début comme l'extrémité sont signifiants et enoblis.



La rue Servandoni existe ainsi semble-t-il depuis plus de quatre cents ans, et porte aujourd'hui le nom de l'architecte du porche de l'église Saint Sulpice, de laquelle elle débute, pour conduire au jardin du Luxembourg, au Sénat, bordés par la rue de Vaugirard.

Y vivent encore aujourd'hui tel ou tel personnage en vue, qui ait pu s'offrir le loyer ou l'acquisition d'un des appartements de style que renferment ces beaux immeubles - mais qui ne se dévoilent pas, collés l'un à l'autre à la parisienne, de telle manière que l'oeil profane ne découvre pas qu'il passe à côté d'un hotel particulier, d'un immeuble à plusieurs façades, d'une maison vieille de quatre ou cinq siècles.

Vécurent ici quelques personnages illustres, tels D'Artagnan des "trois mousquetaires", au 12 de la rue - quand celle-ci s'appelait encore rue des fossoyeurs, tel le philosophe Condorcet, qui trouva abri au numéro 15 de la rue alors qu'il était proscrit et devait se cacher, tel Roland Barthes qui  vécut de 1960 à sa mort en 1980 au numéro 11, tel William Faulkner qui séjourna dans l'hotel qui fait l'angle entre la rue de Vaugirard et la rue Servandoni, tel l'inventeur praguois de la lithographie qui y ouvrit une boutique, et la liste est encore loin d'être complète.

C'est au numéro 20 de la rue, dans l'immeuble où vécut Olympe de Gouges – à qui les femmes françaises doivent les droits de citoyenneté - , que se déroula une phase de mon enfance, de mon adolescence, et du début de ma vie d'adulte en apportant une contribution non marginale au déroulement de ma vie, mais de façon comme latente, de telle façon que je n'en prends conscience que de longues années plus tard.



Je n'ai pris en tout cas conscience des caractéristiques et de la beauté de la rue qu'a postériori, bien après qu'elle ait fini de remplir son rôle, me rappelant un peu ce que dit Lévinas au sujet du visage : le visage d'autrui nous frappe en venant à notre rencontre, et tant que nous sommes sous son effet, nous ne le voyons pas à proprement parler, nous n'en examinons ni n'en décrivons les détails. 

Depuis l'âge de 7-8 ans je vins rue Servandoni semaine après semaine, au moins pendant 12-13 ans, peut-être un peu plus que cela, sans la regarder.

Les premières années, je n'avais aucune raison de voir la rue. La 2CV maternelle s'arrêtait devant le porche juste le temps que nous descendions et rentrions dans l'immeuble, et quand on venait me/nous chercher, même s'il y avait à marcher, cela ne laissait pas le temps pour examiner les lieux, préoccupation de laquelle de toute façon j'étais à mille lieux. Ces mêmes années, je ne connus encore le quartier que de façon minimale et par des lieux bien précis : le jardin du Luxembourg où il nous arrivait d'aller une fois passé le matin, la boutique de mes grands parents, rue des Fossés Saint Jacques non loin du panthéon, et le Wimpy, ancêtre du Mac Donald, qui s'était installé au coin de la rue soufflot et du boulevard St Michel et où nous commandions des hamburgers de poissons, que nous étions peut-être les seuls à consommer..?



L'impact sur moi de ce lieu ne provient ainsi nullement de la rue Servandoni en elle-même, de son architecture ou de ses illustres riverains, mais pour ce premier volet, trouve sa source dans l'intérieur de cet immeuble. Intérieur dont je garde un vif souvenir, ce qui indique combien j'y ai été toujours sensible.

On rentrait en deux temps, comme par un sas à l'ancienne que l'on trouve dans ces anciens immeubles parisiens, et la deuxième porte permettait de continuer tout droit vers l'escalier, ou vers la gauche. 

L'escalier majestueux, d'un immeuble cossu, prenait depuis une sorte de hall, éternellement tenu dans une semi pénombre ne recevant la lumière à travers une verrière, que de la cour où je ne fus jamais, et dans ce hall, derrière un balcon intérieur, vivait l'inévitable concierge parisienne. 

Nous prenions vers la gauche. La porte de gauche débouchait elle-même sur une troisième par laquelle on pénétrait dans une très belle et impressionnante bibliothèque, dont tous les murs étaient boisés, vitrés, avec des livres sur toutes les étagères que laissaient apercevoir les vitres.

Tout de suite sur la gauche, un escalier conduisait au sous-sol, où dans une salle humide (les murs étaient souvent couverts de salpêtre), était aménagée une petite synagogue que tout le monde appelait l'oratoire, un mot que je n'ai pratiquement jamais utilisé pour aucun autre lieu.

Nous venions là pour cette institution d'enseignement du judaïsme aux enfants, appelée ambitieusement "le talmud Torah". La matinée se passait pour une partie dans les salles de classe du premier ėtage, ou dans la bibliothèque ou l'oratoire, selon la répartition, et pour une autre partie en compagnie de tous les élèves - dont le total ne devait pas dépasser quarante - dans l'oratoire, pour chanter l'office ou tel ou tel chant d'accompagnement, chants en hébreu uniquement, chants qui sont souvent la base de la connaissance juive (adon Olam, essa enaï, par exemple) ou de la connaissance de l'hébreu ( lacova chéli, par exemple). Je n'ai pas vraiment de souvenirs d'autres enfants, comme si ils étaient une collectivité et assez peu des individus. 

L'ULI vantait - et vante peut-être encore aujourd'hui - son talmud Torah qui proposait fièrement deux cycles : le cycle court, destiné aux enfants qui ne cherchaient que la préparation à la bar/bat mitzvah, et le cycle long, proposé à ceux qui cherchaient à s'instruire de façon plus approfondie.

Le cycle long commençait me semble-t-il plus tôt, depuis l'âge de 6 ou 7 ans, et surtout il se poursuivait après la bar mitzvah.

Il me serait difficile de désigner catégoriquement quand j'ai appris à proprement parler et quand je n'ai fait que "vivre", évoluer, être assis, m'imprégnant de ce que la situation m'apportait, mais il en est de même de l'ėcole dont un des rôles est de transmettre la connaissance mais dont les fonctions essentielles sont ailleurs.

Je dois incontestablement à ce talmud Torah de très correctes bases tant en hébreu qu'en matières juives, bases qui m'ont permis assez facilement d'accéder au niveau où l'étude m'était possible sans trop de difficultés, bases dont je découvris la solidité la première fois alors qu'animateur parmi les animateurs eis, je me retrouvai parmi les mieux équipés pour la transmission de la judéïté, mais je dois surtout à ce lieu au chapitre identitaire.

Ce talmud Torah était l'endroit où je me rendais en tant que différent. Alors qu'au quotidien je vivais parmi tous ces enfants de Wissous, puis du lycée d'Antony, enfants français et donc répartis, à de rares exceptions près, en deux catégories : catholiques affirmés ou catholiques détachés, je vivais les mercredi matins ma différence par rapport à eux. Je vivais en fait au quotidien cette double allégence, et elle était presque omniprésente (sans antisémitisme jamais ouvertement exprimé), mais elle prenait consistance par ce déplacement hebdomadaire.



A Wissous, au lycée d'Antony j'étais juif comme du fait d'une étiquette qui m'était accollée, que j'arborais moi-même : celui qui ne mange pas ce que mangent les autres, celui qui ne va pas écouter l'aumônier, celui qui s'absente certains jours où tous les autres travaillent. A Servandoni, tout cela prenait une dimension concrète.

Ce n'est pas que la maison n'ait pas joué le rôle fondateur majeur de cette identité, mais j'ai l'impression qu'à cette époque elle le jouait de façon moindre, l'acteur principal étant le talmud Torah, dont je n'ai pourtant que peu de souvenirs concrets, quelques flashes de situations de groupe dans l'oratoire, quelques déplacements dans l'immeuble, entre le premier étage, le rez de chaussée et le sous-sol, les craintes de réprimandes de la concierge, dont je ne découvris que dix ans plus tard qu'elle était juive elle aussi.

Etrangement, ou pas si étrangement que cela, je garde le souvenir du crochet que nous faisions en voiture entre Wissous et Servandoni, par le "clos La Garenne" de Fresnes, où montait une fille, Manou, menue comme ma soeur, et pratiquement complètement silencieuse, probablement du fait de la même timidité que la mienne. Elle allait aussi au même endroit, au talmud Torah mais je crois que je n'échangeai de véritables phrases avec elle que lorsque nous nous retrouvâmes en classe de seconde dans le même lycée et surtout, dans le même groupe de copains. Notre histoire commune connut encore plusieurs replis mais ils appartiennent à d'autre histoires que celles comptées ici.



Au cours de mes années Servandoni, je ne me souviens pas avoir jamais croisé ni rencontré un quelconque habitant non juif de l'immeuble. Dans ma subjectivité enfantine, et dans le souvenir qu'il m'en reste, je me rendais comme dans un lieu uniquement peuplé d'enfants juifs, encadrés de quelques adultes de qui il ne me reste que de fugitifs souvenirs. Alain Greilsammer nous enseignant un chant,    Joël Attoun qui disparut prématurément dans un village du golan, encore Lyliane Rosenthal, Henri Wabbah et David Benshimol, mais du fait que mon contact avec eux se poursuivit au delà de l'enfance.

lundi 1 décembre 2014

Attraper la vie à pleines cornes.



Dans une envolėe universaliste - en continuité avec la description des dix paroles sur lesquelles aurait ėté créé le monde, les deux fois dix générations nécéssaires à l'apparition du message monothéïste dans le monde, les dix épreuves d'Avraham, et les dix commandements -, le midrach (Midrach Shmuel 4, 3.) nous enseigne qu'il y aurait dix "cornes", dix manifestations, dix significations différentes de ce que peut être la corne pour le monde.

Ce mot est effectivement particulier dans la multiplicité de sens qu'il embrasse : les cornes du bélier et celles de l'élan ( qui ne sont pas physiologiquement identiques, l'une étant apparentée à de l'ongle, l'autre à de l'os), peut-être comme pour indiquer que l'élan de l'animal peut être soit offensif soit constitutif, cornes comme armes ou comme saillie, ornement et parure dans les deux cas.

La corne est une parure dont Israël pourrait ainsi se parer, 

que cela soit dans son affiliation avrahamique, auquel est rapporté le coin du champ, keren, celui qui est abandonné au glaineur par Avraham, abandonné a priori et non a postériori, par la générosité et la largesse qui le caractérisent.

Que cela soit par l'abnégation d'Itshak  dont la confiance ne se ternit pas même amors qu'il est ligoté pour le sacrifice, peut-être de ce fait même, de cette confiance même, suscitant l'apparition du bélier retenu par....ses cornes,

Que cela soit par la fierté de Yossef à la stature duquel est rapportée la vigueur du cerf ou du taureau,

Que cela soit par le rayonnement (keren comme rayon), celui qui émane de la Torah, et celui qui se retrouve en miroir sur le front de Moïse, 

Que cela soit par cette vertu transmissive, dont Moïse est personnification et dont la prêtrise est symbole. Le premier transmet principalement par sa modestie et son effacement, tandis que les cohanim deviennent (doivent devenir, l'histoire a montré de tragiques déviations) le symbole de ce qui illustre ainsi la transmission de l'influx divin vers l'humanité, à travers les bras levės au moment de la bénédiction,

La keren est ainsi aussi corne d'abondance, est l'illustration de la possession du secret de la subsistance éternelle, celle par laquelle "passent" le courant, les ressources, la jeunesse, la transmission, la perennité.

Et la particularité ultime de cette corne serait ainsi de transmettre sans se vider, en demeurant "fonds" d'investissement pour le futur ("keren kaïemet leolam haba").

Les léviïm incarnent, eux, le privilège de l'utilisation auditive de cette corne,  qui devient alors shofar ou trompette, par lesquels on peut tout autant annoncer le départ à la guerre, que la victoire, ou...la repentance. Instruments d'un peuple qui revendique de savoir faire la guerre pour sa défense, ( et qui saura au vingtième et au vingt et unième siècle fouiller et développer les secrets de l'utilisation scientifique et guerrière du rayon leiser "keren" ), mais qui garde la préoccupation de la techouva.

Mais l'ultime sens de cette keren ne reviendrait-il pas au midrach lui-même, aux rabbins de tous les temps, de Rabbi Yokhanan Ben Zakaï à ....Lévinas, qui semblent avoir reçu le secret de l'autrement, secret de la pluri signifiance. Midrach qui recèle, des siècles avant Lévi Strauss ou De Saussure, les secrets de l'étude de la richesse de la parole.

Ne pourrait-on pas ainsi rapporter à nous mêmes ce mode d'analyse sémantique, qui nous ouvrirait sur cet "autrement de nous-mêmes" tellement inaccessible mais tellement salutaire ?

lundi 10 novembre 2014

Armistice de fin de guerre mondiale dites-vous ?


Avez-vous le temps, vous qui restez fidèlement attelés à craindre pour la politique d'Israël et prêts à le condamner, pour sa politique, pour ses réactions disproportionnées, pour le prétendu apartheid qui caractériserait sa société, avez-vous le temps de continuer à faire ce choix ?

Avez-vous le temps de vous offusquer quand Israël mène l'opération "rocher inébranlable" et que vous condamnez les bombardements, la fermeture des barrages, alors que vous voyez au son de quels slogans avancent les manifestants de la cause arabe ? et de ne pas remarquer que personne de ces manifestants n'a rien à redire quand le hamas (ou même des fractions internes du fatakh ? Le saura-t-on?) fait exploser des maisons dans Gaza, ni quand l'Egypte construit un mur de séparation entre elle et Gaza, et détruit à ces fins 700 maisons de gazaouis, sans parler des massacres en Syrie, en Afrique...etc ?

Avez-vous le temps d'être gênés par les constructions dans les quartiers juifs de Jérusalem sous prétexte que ceux-ci sont du mauvais côté de la ligne verte, et de ne pas entendre le discours palestinien, qui exprime sans se cacher que les juifs n'ont aucun droit de résidence dans des quartiers arabes?

Avez-vous le temps de continuer à accepter passivement la lutte contre l'existence d'entreprises comme Sodastream sous le prétexte qu'elles sont situées dans les "implantations", sans comprendre que la fermeture ou le déplacement d'une telle usine vers le Neguev n'aura pour principal effet que de priver des centaines de palestiniens de lieu de travail avec salaire israélien ?

Avez-vous le loisir de traiter par le mépris un "humoriste" qui affiche ouvertement comment il enseigne le négationnisme à un enfant de moins de dix ans, sous le prétexte qu'il nuira plus de lui faire de la publicité que de le traiter par le silence ?

Avez-vous le temps de continuer à être ainsi tellement aveugles alors que la terre tremble sous vos pieds ?

Alors que l'état islamique pratique l'esclavage, la décapitation par le sabre pour délits mineurs ou seulement d'opinion, et que ces idées séduisent même une certaine jeunesse française qui va à l'école chez Jules Ferry mais est "véritablement" éduquée ailleurs,

Alors que le combat est ouvertement déclaré du monde musulman contre le monde occidental.

Ce sont de grands idéaux qui ont porté la gauche française à voir dans le pays d'Israël, déjà au moment de sa création, l'avant poste de l'impérialisme américain, et qui vous maintiennent opposés aux "implantations" qui seraient le double fruit, de cet impérialisme d'une part, et du colonialisme et de la conquête de territoires par la guerre d'autre part. 

Vous maintenez une allégeance inébranlable aux institutions internationales créées par le monde moderne du 20ème siècle, persuadés que c'est le tribunal de la Haye qui va donner le verdict sur qui viole une frontière ou un droit de l'homme où que ce soit dans le monde, sans vouloir lire la réalité qui est la terrible partialité de ces institutions qui ont vraisemblablement été achetées depuis longtemps et qui ne sont plus que la caricature de ce qu'elles sont censées représenter. Il n'est que faire le compte des résolutions adoptées ou soumises au vote au sujet d'Israël en comparaison du reste de la planète pour en être convaincu.

Vous vous interrogez gravement sur les droits de l'homme dans les territoires occupés par Israël, sur les crimes de guerre commis ou non lors de telle ou telle opération de Tsahal, et vous feignez de ne pas entendre les déclarations ouvertes de presque tout dirigeant palestinien : les territoires qui seraient rendus seront interdits aux juifs, cela va tellement de soi que c'est implicite, il n'est nullement besoin de le dire.

Vous levez les yeux au ciel quand des juifs se rendent sur l'esplanade des mosquées, comme s'il s'agissait uniquement d'une infâme provocation, sans mesurer la question de la contrepartie : les juifs - aux yeux des arabes - n'auraient pas le droit de se trouver en ces lieux !! Et c'est Israël qui est soupçonnée de peut-être être un état apartheid !!?

N'est-il pas temps d'ouvrir les yeux ? De reconsidérer ce que vos yeux de 1960 vous laissaient voir et qui n'est plus que de l'histoire ancienne aujourd'hui.

Vous gardez ce regard et vous soutenez des causes au nom de valeurs qui ne sont pas partagées par ceux que vous soutenez ! Des causes qui seront balayées le jour même où les malheureux dont vous soutenez la cause atteindront le pouvoir. 

Vous ne serez pas conduits à l'échafaud pour avoir soutenu ces idées...mais ce sera uniquement parce que la mise à mort se fera par le sabre et non par la guillotine.

Israël est non seulement un véritable pays démocratique, il est un véritable pays occidental, dans lequel la police, la justice sont édifiées au nom des mêmes principes que ceux en vigueur dans les pays européens, ses lois sont respectées avec rigueur, le mode de vie est celui d'un pays de loi et il est temps de s'en apercevoir, ou surtout il est catastrophique de continuer à prétendre que la construction et la production dans les territoires sont des infractions à une quelconque loi.

Consultez les livres d'histoire et constatez :

- Jérusalem s'était vue attribuer en 1947 un statut international. Alors que la partie "ouest" devenait israélienne après la guerre d'indépendance, la partie "est" était conquise unilatéralement par la Jordanie en 1950, ce qui a provoqué sa partition. Quand Israël remporte la guerre des 6 jours, en 1967, le peuple juif démolit la partition, annexe la partie "est" et fait redevenir ainsi "une" une ville qui n'aura été divisée en fait que pendant 19 ans. Depuis, près de 40 ans se sont écoulés durant lesquels les arabes ont libre circulation y compris dans les quartiers non arabes, y compris sur les lieux saints du judaïsme et du christianisme. 

- c'est avant tout la halakha juive qui prescrit aux juifs de ne pas se rendre sur l'esplanade des mosquées. Les hommes politiques arabes ont utilisé cette loi pour prétendre que les juifs n'ont pas droit à se trouver là-bas. Pourquoi accepter un tel abus ? Un tel détournement ?

- les pays arabes où vivaient des juifs avant les changements de la deuxième moitié du 20ème siècle ne laissent nullement les juifs se promener sur leur sol aujourd'hui. C'est possible en Tunisie et au Maroc, c'est plus difficile en Égypte et c'est carrément impensable en Algérie, au Liban, en Syrie. Y a-t-il ainsi parallélisme entre les réfugiés/déplacés juifs et les équivalents palestiniens, qui vivent en Israël ? Êtes-vous bien sûr qu'il y a même un sens à poser la question d'apartheid concernant Israël ? N'est-ce pas un autre insupportable abus ?

- un journaliste du Monde n'écrit plus aujourd'hui le mot terroriste qu'entre guillemets, même pour désigner un individu affilié au hamas qui vient d'écraser volontairement et aveuglément de simples passants, avec une victime agée de trois mois, et une autre de 22 ans ayant eu pour seuls torts d'être à l'arrêt du tram, le journaliste français couvre la situation de Jérusalem en exprimant bien haut la crainte qu'Israël tourne à l'état policier, alors qu'il y a probablement encore moins de présence policière ici que dans le 93.. Vous êtes venus le vérifier ? 

Mobilisez-vous pour les véritables causes, contre les véritables dangers, vous qui voulez veiller aux droits de l'homme et au progrès de l'humanité. 

Ne vous laissez pas entraîner à soutenir ceux qui ne visent qu'à faire tomber dans l'oubli ces acquis du monde occidental qui vous sont si chers.!.

Quant à moi, qui ai grandi au sein de ces grandes idées, qui ai toujours adhéré aux idéaux de la gauche en ce qu'ils soutenaient l'individu au détriment de la progression prétendue de la société dans son ensemble, 

Je vis dans la conviction que rien de ce à quoi j'ai adhéré ne s'est altéré d'une quelconque manière, même lors de mon installation dans ce pays que beaucoup n'osent plus soutenir publiquement, je suis prêt à expliquer et à montrer à qui l'entendra en quoi rien ne relie ce pays à un quelconque apartheid ou autre qualificatif péjoratif.

Mieux, je vis dans un pays qui n'est pas celui qui est dénoncé, critiqué, mais qui est au contraire une société certes en édification, mais où ne vivent pas des loups, où il est loin de n'y avoir que guerre et agitation ( et y compris ces dernières semaines où l'occidental ne peut imaginer Jérusalem que comme un champ de bataille où règne le couvre-feu, alors que rien n'y ressemble, même dans les villages arabes, même dans les quartiers arabes de la ville).

Je veux rappeler que je comprends les arguments au nom desquels les territoires situés au delà de la ligne verte doivent être considérés comme occupés, et je dois dire que je suis en accord avec une telle définition : ils ont été conquis par la guerre et non par négociation ou accord et donc leur statut reste à être régularisé.

Et même si je peux comprendre en quoi ceux qui sont partisans de rendre ces territoires sont qualifiés de "à gauche", tandis que ceux qui s'y opposent apparaissent aux yeux de l'occident comme des gens de droite, je sais depuis toujours qu'il est clair qu'il n'y a aucune véritable analogie possible entre les positions autour de notre situation et celles polarisées entre droite et gauche tels que ces termes sont entendus en général. 

Les positions au regard des territoires ne deviennent gauche ou droite que si on considère que ceux qui veulent les rendre sont préoccupés des individus tandis que ceux qui veulent les garder sont animės d'opinions dites de droites, qui regardent l'ensemble et non le particulier, ce qui est loin d'être le cas.

Ceux qui ne veulent pas rendre sont peut-être plus radicaux que leurs opposants mais qu'ont-ils de plus à droite ? Sont-ils forcément à être considérés comme réactionnaires ? Ils ont une position concernant le conflit, concernant la situation ici et ils sont loin d'être tous "de droite", et ceci s'étend au fil des années et des épisodes comme celui de cet été face auxquels il est impossible de ne pas se radicaliser.

C'est probablement votre grande faiblesse, de ne pas voir que ce sont les données du monde qui sont en train de changer, et à la différence de l'époque de cet armistice du 11 novembre, ce n'est plus l'Europe qui tient les rênes du changement. C'est peut-être en cela, que la situation d'aujourd'hui est fondamentalement différente de celle d'Avraham, qui apportait un message nouveau dans un monde peut-être relativement immobile.

Quand on assiste à ces explosions qui ont eu lieu ce vendredi 7 novembre à Gaza, à l'approche de la cérémonie de commémoration de la disparition d'Arafat, et que l'on lit/entend que ceux qui les ont commises peuvent être aussi bien le hamas que les opposants de Muhamad Abbas au sein même de l'autorité palestiniennes, quand on place ces explosions dans la perspective du conflit qui oppose fatakh et hamas depuis de longues années, quand on regarde ce conflit avec la toile de fond que sont la guerre de Syrie, la progression de l'état islamique, on se demande si l'individu palestinien doit plus être protégé de l'occupant israélien ou de ceux qui sont ses dirigeants ou qui prétendent à le devenir, et la réponse est tristement évidente à mes yeux, et pire encore, elle l'est tout autant aux yeux de la majorité silencieuse palestinienne. 

Arafat a créé l'olp comme un mouvement d'action armée, au départ basé sur le terrorisme, mais il l'a édifié sur la misère arabe des victimes de l'impérialisme, et il a soigneusement veillé à ne jamais supprimer les camps de réfugiés, de manière à entretenir cyniquement leur statut de malheureux. Mais ces camps n'existent plus - même si on continue à qualifier un quartier comme Shouafat par exemple de "camp de réfugiés" dans la presse occidentale , alors qu'il s'agit d'un quartier peuplé de gens qui travaillent pour leur majorité côté juif, y évoluent et y font leurs achats, et s'en trouvent probablement fort bien, et le discours palestinien soutenu par une partie de la presse a fait de cette population les éternels professionnels de la misère

Il suffit d'entrer dans n'importe quel hopital ou organe de santé, d'éducation supérieure, ou d'industrie, de monter dans n'importe quel autobus ou tram, pour voir combien juifs et arabes s'y cotoient, à tous les échelons.

Il s'agit d'une société qui fait le difficile apprentissage du vivre ensemble, apprentissage que ce regard anachronique lancé de façon répétitive par des politiques et répété à l'envie par les journalistes dessert et complique magistralement et dramatiquement.

Les idées et les courants ont beaucoup évolué ces quarante dernières années, et tout le monde en est témoin, il faut appliquer ce constat à notre pays, et aux votres.

Et l'évolution des idées fait entre autres en ce qui me concerne que je ne voterai aujourd'hui pour aucune restitution d'une quelconque partie de ces territoires. Je ne donnerai pas ma caution à ce que des territoires qui sont aujourd'hui honorablement habités et entretenus deviennent des lieux où est enseignée officiellement la haine d'Israël, où pulluleront bientôt entrées de tunnels ou couvertures de réseau d'un quelconque armement dissimulé sous une zone prétendûment civile, comme cela s'est passé dans les territoires quittés par Israël, que ce soit au Liban ou à Gaza, et surtout je ne donnerai encore moins ma caution à ce que ces territoires d'occupés mais ouverts à tous qu'ils sont aujourd'hui, deviennent demain interdits non uniquement aux israéliens mais aussi aux juifs, comme c'est la tendance ouvertement affichée.

Je ne vois pas de contradiction entre cette position et le message avrahamique dont je parlais dans le précédent texte. A l'échelle de l'individu, chacun est encouragé par ce message à dialoguer avec l'autre, même en l'absence de réciprocité. A l'échelle collective, et surtout quand il apparait tellement clairement combien l'autre est malintentionné à notre égard, il y a apparemment avant tout ordre de le combattre, tout en étant prêt à entamer le dialogue, mais uniquement quand la malhonnêteté cessera.

Si c'est de parti pris qu'il s'agit et que de façon irréversible vous ne pouvez supporter l'idée que le peuple juif a droit à sa terre, alors continuez à tolérer les condamnations d'Israël.

Si par contre, c'est de progressisme et de société et d'éducation que vous êtes préoccupés, alors ouvrez les yeux et reconsidérez ce qui se déroule actuellement dans le monde, et en particulier ce qui se passe réellement en Israël et au sujet d'Israël. 

Israël qui est peut-être un pays différent des vôtres du fait du dynamisme qui y bout. Regarder Israël à la lumière de l'occident est anachronique, regarder les mouvements du moyen orient au sens large avec le même regard est dangereux et irresponsable.

Il est encore temps de changer de monture de lunettes, mais les choses vont vite !


lundi 3 novembre 2014

La onzième épreuve d'Avraham, toujours actuelle

La Bible, anti-"média/facebook/instituts de sondage" par excellence.

Finalement, on pourrait être tentés de lire le livre de la Genèse avec des yeux post modernes. Pire encore, sommes-nous encore capables de ne pas la lire avec nos yeux post modernisés ?

Et de se risquer à se demander si Avraham n'aurait pas pu gagner à être plus médiatisė déjà à son époque, lui qui cherchait tant à faire passer son message, lui qui cherchait le dialogue avec l'humanitė entière. 

Il lui aurait fallu facebook ! Ou un institut de sondages ou mieux encore d'analyse de données. Il lui aurait fallu la radio, la télévision, TED, ou mieux encore la tribune des nations unies !

La Bible qui reste un chef d'oeuvre inégalé, semble ainsi, sans nécéssairement conduire personne au fondamentalisme ni même au judaïsme rabbinique, non uniquement nous décrire historiquement en Avraham, un personnage du passé, mais bien plus un personnage paradigmatique, peut-être même en suggérant qu'il y en a/qu'il en faut de cette trempe à chaque génération.

Je me suis ainsi amusé la semaine dernière à trouver dix épreuves de Moshé rabénou, en parallèle des dix épreuves d'Avraham tel que le décrivent les pirké derabbi Eliezer ou les pirké Avot. Et je les ai trouvées.

Et on pourrait aussi retracer l'histoire de Shmouel, ou celle de Ezra, ou encore celle de Rabbi Akiva, ou du Rambam peut-être, à travers un prisme de dix épreuves-dix ėtapes.

Et de nous demander si nous n'avons pas aussi à notre époque le personnage emblématique du judaïsme de notre génération ? 

Mais où le chercher dans le post modernisme ? Parmi les généraux ? Les politiques ? Les philosophes ? Les journalistes ? Les psychanalystes ? Les scientifiques ?

Emmanuel Lévinas se plaisait à voir dans l'oeuvre de Kafka la Bible des laïcs. Ainsi, à l'instar de la Genèse, "la métamorphose", "le procès", "le chateau" débutent "de but en blanc". "Un beau matin", "Au commencement"...

Et les livres de Kafka ne s'achèvent (loin s'en faut) sur aucun happy end holly/boliwoodien ni sur la fin de la vie du personnage, pas plus que l'histoire d'Avraham ne prend fin avec le passage à la génération suivante.

Eliane Amado Lévy Valensi avait écrit en 1981 le très performant "la onzième épreuve d'Avraham", qui n'a pas reçu le retentissement qu'il méritait à mon sens : en psychanalyste, en midrachiste, elle va au delà du pchat, ne se contente pas de la version platonique des dix épreuves, qui sont un chiffre aussi rond et aussi idéal que celui des dix commandements, et prend de la hauteur.

Elle voit que le travail d'Avraham demeure inachevé. Demeure peut-être à tout jamais inachevé.

Elle appelle "onzième épreuve" l'aboutissement de la cinquième, celle de la relation à autrui, au deuxième sexe, à l'autre, au différent de nous.

Cette épreuve est en effet loin d'être accomplie, d'être surpassée. 

Et le judaïsme d'aujourd'hui, surtout quand il est confondu - à juste titre - avec le sionisme, a bien du travail avec ces autres :

Qu'ils habitent Gaza ou Ramallah,
Qu'ils soient de l'ONU, de l'UNICEF ou de l'UNRWA,
Qu'ils soient suédois, européens ou américains,
Qu'ils aient de la mémoire ou qu'ils soient néga-sionistes,
Qu'ils ne se reconnaissent que comme observateurs objectifs ou qu'ils aient de francs sentiments.

Atteindre ces interlocuteurs est une tâche que les moyens du modernisme sont impuissants à servir - quand ils ne la désservent pas activement.

Il faudrait pouvoir tout à la fois les atteindre et les trouver prêts à réfléchir et à étudier, et non à détracter, dénoncer, s'indigner, ou pire encore, compter les points.

Le monde moderne saurait-il encore écrire - ou même uniquement relire - un message universaliste qui puisse être lu, reçu, accepté et non stalinisé, falsifié ou brûlé, ou pire encore peut-être, médiatisé ?

J'en doute, ou pire encore, j'en pleure.

Ce qui par contre existe, c'est l'esprit avrahamique. Je l'ai rencontré : c'est lui qui m'a permis de finalement accoucher d'un texte alors que je me bats depuis un mois contre les tendances assassines qui se réveillent en moi au quotidien, à entendre un Abou Mazen par ci, un Caron par là, à constater l'hostilité dont Israël fait les frais tellement injustement, au regard de tout ce qui ici est tellement positif, en comparaison avec ce qui se passe dans une multitude d'endroits dans l'indiffėrence médiatique quand nous demeurons indéfiniment sous la loupe de la vindicte ...

Ce ne seront ni médias, ni instituts de sondage, ni analyses, ni tribunes qui feront avancer notre conflit local, et pour lui-même, et en tant que miroir de l'humanité. Il faut accomplir et surmonter la onzième épreuve.

mercredi 1 octobre 2014

"Win win lose lose" on the one hand. "Yom hadin" on the other hand.



Quand Abbou Mazen accuse à l'ONU les israéliens de commettre un génocide et d'être un état d'apartheid, c'est win win :

- c'est un double et énorme mensonge, et il en est parfaitement conscient, mais :

- il est un homme politique et ne doit donc, de son point de vue, aucun compte aux notions de vérité et mensonge. Il doit "marquer des points".

- il sait qu'il frappe sous la ceinture des juifs et des israéliens, qui s'étrangleront de fureur à chaque fois qu'il utilisera contre eux ainsi des termes qui sont encore au centre de leur subjectivité et de leur identité nationale et tripale, qui sont leur point faible.

- il sait que ces termes seront repris par les antisémites et néga-sionistes qui s'en délectent comme de mets succulents.

- il sait que les imbéciles souvent nés juifs et introduits depuis le biberon à la névrose existentielle s'identifieront immédiatement et donneront sans réfléchir dans la culpabilité instinctive. Eux qui ne sont jamais venus en Israël - pensez! l'état voyou, édifié sur les ruines de l'antique civilisation palestinienne - se rendront tout de suite à Ramallah et applaudiront la première analogie qui sera faite entre les camps ( réfugiés - concentration à la Saramago ou autres), en auront pour leur argent d'impression de colonialisme, de ségrégation et autres horreurs faites israéliennes.

-et il sait que le sujet fait recette, qu'il bénéficie de l'aura de la lutte des faibles contre les forts, les colorés contre les blancs, les colonisés contre les colonisateurs. La tactique Arafat de maintenir les palestiniens au statut de réfugiés et de ne surtout pas les hisser ou les développer a porté ses fruits. Les mangeurs de frites de la fête de l'huma. continuent à "acheter" et à descendre le boulevard Voltaire en portant la banderole - mitée, pensez! Après quarante ans...- du droit des palestiniens à l'autodetermination.

Et donc," à la Goebbels": "mentez ! Il en restera forcément quelque chose", il remet régulièrement une couche, et ça passe.


Quand Bibi parle à la même tribune, il ne vient que très indirectement en homme politique. Il vient tout d'abord s'égosiller à prouver que son armée est morale, et il le dit du fond des tripes, et il est tellement persuadé d'avoir raison qu'il oublie qu'il est politicien. Il redevient adolescent, sûr que comme il dit la vérité, il va forcément être cru et convaincre. C'est ce qui le place aussitôt en position d'infériorité, et cela contribue à détériorer sa crédibilité.

Le menteur a d'entrée de jeu une longueur d'avance, il a placé l'autre qui plaide l'integrité en position de devoir se défendre.

J'ai été frappé au début de l'été de découvrir sur un blog ouvertement propalestinien le jugement de Salomon placé comme en exergue. 

Je me suis demandé comment ce jugement de Salomon pouvait "appuyer" la thèse palestinienne, alors qu'il me saute régulièrement à l'esprit, pour appuyer le bon droit du sionisme justement.

La différence de vision résulte des différences de topiques selon lesquelles sont positionnés les protagonistes.

Celui qui s'attache aux éléments matériels et concrets du jugement de Salomon voit surtout l'enfant, dont une "mère" est légitime et l'autre non, comme l'objet du conflit. Cet enfant n'a pas de vie, il est le décor.  Aux yeux de ce premier protagoniste, celle qui accepte de le couper en deux se trouve dévoilée du fait de cette acceptation. Elle a mal joué.  
A ses yeux, la mère légitime est celle qui ne peut supporter l'idée de partager. Elle est vouée à celui qu'elle aime mais il ne compte pas en tant que lui-même, il est objet, l'objet du conflit. 

Selon cette topique, celui qui remplace "enfant" par "terre", voit comme illégitime le peuple qui accepte de partager la terre. Le peuple qui refuse le partage devient ipso facto à ses yeux le véritable propriétaire.

A l'inverse, l'autre protagoniste est positionné tout autrement. Celui qui met au premier plan les sentiments, la moralité, l'amour maternel, voit autrement le jugement, et fait à l'envers la retranscription au conflit israélo-palestinien : la mère illégitime tout à son argumentation "jette l'enfant avec l'eau du bain", prouve qu'elle n'a en fait aucun sentiment pour le bébé, tandis que la mère légitime met en premier plan la vie de l'enfant et préfère renoncer à le posséder pourvu qu'il vive. 
Selon cette topique, la possession est secondaire, c'est la fructification qui compte. Et le roi Salomon rend la vraie justice. Il ne récompense pas le plaideur mais il rend l'enfant à sa vraie mère, celle qui l'aime vraiment et qui ainsi prouve qu'elle est la vraie mère.

A mes yeux, les palestiniens qui n'ont jamais investi ni dans leur peuple, ni dans le développement, les propalestiniens qui voient un casus belli dans le développement des infra structures dans les territoires, prouvent par cela même que la vie du bébé ne compte aucunement pour eux. On pourrait ainsi se demander en quoi les dérangerait de recevoir en aboutissement d'hypothétiques négociations un pays déjà développé plutôt qu'un désert. 

Celui qui investit dans le développement et l'embellissement du pays, ainsi que dans la situation matérielle et spirituelle de ses habitants, celui qui a fait fleurir le désert fait montre de son authentique lien à la terre et à l'histoire, ainsi que de son authentique motivation. "les oliviers appartiennent à ceux qui les travaillent" disait Paco Ibanez.

Celui qui vise en premier lieu à discréditer, n'hésitant à utiliser aucun terme, aucune analogie fut-elle la plus horrible, est analogue à mes yeux à celle qui est prête à tout pour avoir raison, fusse au prix de la vie d'un enfant.

Et celui qui est avant tout attaché à sa propre moralité est hors jeu. Il n'aura gain de cause qu'au tribunal de Salomon. 

La tribune internationale, dont l'amphithéatre de l'ONU est la triste caricature, en est la plus flagrante antithèse. Chez elle, il ne s'agit pas de légitimité, de sentiments ou de sens commun, il s'agit d'une scène, d'un jeu, dans lequel il y a des perdants et des gagnants, un jeu qu'il faut gagner à tout prix.

Se battre en duel sur cette pseudo scène internationale n'a probablement aucun sens. Cela ne veut pas seulement dire qu'il n'y a là-bas aucune chance de gagner, cela veut surtout dire qu'il n'y a aucun interêt à essayer de gagner là-bas, dans ce casino où les dés sont pipés.

La "convocation d'automne" comme l'appelait Daniel Baroukh, est entre autres là pour nous rappeler que la situation n'est pas une situation de win ou de lose. Elle est plus complexe, elle a d'autres ramifications, de plus profonds enjeux, elle n'est pas qu'horizontale, et ne tient que peu aux qualités oratoires de ses protagonistes.

jeudi 18 septembre 2014

fin d'année, début d'année. Prière de vie, message d'adieu. Pour Martine zal.


Hanna  est la mère de Samuel, au nom duquel deux grands livres marquent le centre de la Bible.

Samuel marque un tournant décisif de l'histoire juive : celui du véritable début de l'histoire politique du premier état juif.

Le peuple d'Israël sort ainsi d'Egypte conduit par Moïse, et entre en terre de Canaan, après 40 ans passés dans le désert - 40 ans marqués en particulier par le Don de la Torah et l'institution de la prêtrise - et la disparition de ce dernier.

Une entrée qui est une conquête militaire, menée par Josué, et qui débouche sur une période d'environ 400 ans, marquée par le flottement et l'absence de direction politique continue, comme l'exprime le verset "à cette époque, il n'y a pas de roi en Israël, chacun agit à sa guise, en fonction de ce qui parait droit à ses yeux"(Juges 17-8 et 21-25)

Période dite des Juges, ces derniers ne rendant pas la justice à proprement parler , mais jouant le rôle à chaque fois provisoire de justicier du peuple d'Israël, sans vraiment instaurer d'institutions politiques et sociales.

Samuel est le dernier des Juges et il nomme Saül, le premier roi d'Israël.

Il naît d'une prière, ou tout au moins la prière de sa mère est évoquée avec une telle emphase que cela nous suggère qu'elle n'est peut-être pas moins centrale que celui qui en est né.

On lit chaque année cette prière chaque année le jour de Roch Hachanah, en haftarah de la lecture où est décrite l'annonce de la naissance d'Itshak, annoncėe à Avraham et Sarah par les anges.

Deux naissances en parallèle, deux naissances qui marquent un tournant majeur de l'Histoire. Itshak est le premier fils né dans un monde ayant eu accès au monothéïsme, il participe à l'instauration du peuple juif. Samuel instaure dirait-on l'état juif.

Les deux évènements ont ėté juxtaposés à Roch Hachanah, jour anniversaire de l'instauration du monde.

Comme pour dire : Instauration par Création divine, naissance par Création divine.

Création que l'on accrédite du caractère "ex nihilo" (יש מאין), mais tout en véhiculant oralement la tradition que le monde a été créé sur les ruines d'autres mondes l'ayant précédé. 

Un peu comme s'il s'agissait d'une création-tournage de page.

Chaque année, j'aborde quant à moi Roch Hachana avec en boucle dans ma tête la mélodie de ce cantique par lequel s'ouvrait la prière de Roch Hachana dans la synagogue de mon enfance : "akhot ketana" poème écrit par Rav Hazan de Gérone au treizième siècle, et dont j'ai déjà parlé dans ce même blog.

On entame la nouvelle année un peu comme en pansant les plaies de celle qui s'achève, en implorant le ciel que l'année qui vient soit année de bénédictions, année d'un ordre nouveau, d'une meilleure réalité que celle que nous souhaitons laisser derrière nous. Année où naîtront des enfants à ceux qui n'en ont pas, année de meilleur ordre politique, année de prospérité, année de paix, de stabilité.

Nous savons que le soleil qui se lèvera le lendemain matin sera le même que celui qui se lève chaque matin, et nous prions en parallèle pour cela aussi : pour que le monde reste ce qu'il est.

Et ce sont les principales questions qu'évoque cette prière de Hanna, en parallèle de la non-prière de Sarah.

Le monde changera-t-il mieux ou plus du fait de nos prières  ou du fait du bon vouloir du Maître de toutes choses ? Nos prières pourront-elles l'influencer ? Doivent-elles l'influencer de façon à modifier le cours des choses ?

La prière de Hanna est accompagnée d'un voeu. Celui de vouer le fils qui lui naîtra au Service divin. Les commentateurs évoquent plusieurs voix concernant ce voeu, comme s'interrogeant sur sa place, sur l'opportunité du voeu en général.

Nous faisons des voeux quand nous sommes en souffrance, quand nous implorons le ciel que notre situation change, et nous savons en nous que nous ne comprenons de la situation du monde que ce que nous réussissons à voir et à comprendre, ce qui veut dire très peu, très partialement et très mal. Et donc nous savons aussi au fond de nous que s'exprime principalement notre futilité, notre imperfection, notre petitesse au moment où nous exprimons prière ou voeu.

Ce chant Akhot ketana est lui aussi prière, mais il est aussi salut.

A travers le chant, nous saluons l'année qui sort, nous la saluons avec respect, en nous excusant peut-être un peu de n'avoir su que souffrir des difficultés qu'elle nous a apportées, alors qu'elle contenait probablement aussi providence et subsistance, et bénédictions. Nous avons souhaitė qu'elle se termine, et voici que le moment est arrivé et qu'il nous trouve démunis et suspendus à l'espoir que le soleil se lève à nouveau demain, et que le monde change, oui, mais tout en restant celui que nous connaissons, même s'il est ponctué de souffrances. Elle nous a été difficile mais elle nous a aussi portés, et nous l'appelons paradoxalement "petite soeur", elle qui nous dépasse tellement.

Je ne peux écrire ces lignes sans les adresser à une non moins grande dame qui vient de nous quitter, aujourd'hui, peut-être à l'instar de l'année qui est en train elle aussi de s'en aller.

Une très grande dame, qui est partie énormément trop tôt, qui était petite soeur, plus jeune que beaucoup d'entre nous, mais qui dépassait beaucoup d'entre nous à bien des égards. Une grande dame qui est partie après de trop lourdes souffrances, et un combat d'une demi décade, et qui est sortie par la grande porte, dans la plus grande des dignités, et en laissant dans son sillage un formidable souvenir.

Puissent son compagnon de toujours, son père, sa soeur et ses enfants être portés par les dimensions de sa personnalité, afin de pouvoir en retirer la force à la fois d'affronter les difficultés que les années à venir ne manqueront pas de porter avec elles, et d'oublier les souffrances qui ont marqué les derniers mois de sa trop courte vie.

Les amis auront à coeur de rester imprégnés de cette grandeur qui n'aura laissé personne indiffèrent.

Baroukh dayan haemet.

Tikhlé chana oukileloteah, takhel chana ouvirekhoteah.