dimanche 25 janvier 2015

En marge du 27 janvier. De quoi le monde a-t-il plus besoin ? Mémoire ? Prophétie ?



Je lis : "treize enfants executés pour avoir regardé un match de foot", je vois passer encore une vidéo qui montre l'execution d'une vieille femme en pleine rue, vraisemblablement dans un pays où la chariah est en vigueur. Je vois la photo des deux otages japonais à côté du bourreau de Daesh qui se prépare à leur trancher la gorge, je lis telle énième déclaration haineuse de tel ou tel porte-parole de l'intégrisme islamiste, ou telle prise de position néga-sioniste de tel homme politique iranien, turc, ou qatari. Passe une information selon laquelle tel maire de telle commune française vient de nommer habitants d'honneur les terroristes qui ont fait des massacres encore la semaine dernière et alors que je voudrais pouvoir écrire que la justice existe et que ces gens seront punis, pour leur barbarie, pour leur incitation à la haine, pour leur soutien des infâmies de l'humanité, je sens que je ne peux écrire cela, que cela ne renvoie à rien ni à personne.

Je ne distingue ainsi aucune instance humaine, nationale ou internationale par laquelle ces gens pourront vraiment être jugés puis punis. Je sens que les déclarations des politiques euroaméricains si fermes aient-elles pu être, risquent de rester lettre morte, je crains que le temps ne les érode, et que, de la même manière qu'il a paru invraisemblable que l'on puisse dire de nouveau en France "mort aux juifs" et que le monde a continué à tourner sans aucun changement, de même que, comme le dit ce chant israélien que l'on chante à yom hazikaron : "le blé a poussé à nouveau", le monde ne va pas se trouver modifié, ni du fait du massacre à Charlie Hebdo, ni du fait de la sanglante prise d'otages de l'hyper cachère, ni du fait des massacres commis par Daesh ou par Bokko Haram.

Nous ne sommes plus dans l'Antiquité, de laquelle nous restent l'apparition sporadique d'individus d'exception, philosophes ou prophètes, et les manifestations de la gloire divine.
Le monde s'est entre temps peuplé massivement et la présence divine a étė remplacée par son absence.

C'est manifestement aux hommes de tenir le gouvernail, et force nous est de constater qu'ils le tiennent mal. Y a-t-il besoin d'un prophète pour l'observer ? Lors que l'homme a développé les meilleurs systèmes de communication de tous les temps et que l'on peut voir en temps réel de n'importe quel endroit du monde ce qui se passe jusqu'à l'autre extrémité, y a-t-il besoin de prophète pour dire ou montrer ces choses ?

Quelles choses ? Le prophète Ezechiel dénonçait la corruption, l'injustice, les graves fautes d'éthique. Les choses sont-elles nouvelles ? Y a-t-il quelque chose de nouveau à dénoncer ?

Regardons les grands de ce monde. Où sont-ils ? Que font-ils ?Les politiciens sont pour l'immense majorité d'entre eux atteints de folie des grandeurs et d'auto suffisance narcissique. Ils sont de ce fait principalement menés et empêtrés par l'image qu'ils donneront d'eux-mêmes et de leur puissance, une puissance généralement enracinée dans une richesse personnelle, qu'ils ont, les uns comme les autres, constituée par détournement au grand jour des deniers de l'état et de fonds prétendûment collectés pour les nobles causes dont ils se prétendent les défenseurs ou les hérauts. Qui ne sait pas combien de millions se sont ainsi trouvés, après leur mort ou même de leur vivant, chez des Arafat, Erdogan, Poutine, El Bagdadi ou le moindre dirigeant africain ? Et notre porte européenne est-elle tellement propre qu'il n'y ait rien à balayer sur son pas ?
Le monde entier n'a-t-il pas pu contempler les moindres détails de la villa de Poutine, du palais monstrueusement mégalomaniaque érigé par Erdogan, (et on pourrait sans difficulté donner non deux exemples mais cinquante ou plus) sans que quiconque ait pipé mot ?

C'est le même monde qui a assisté, effaré (? on en doute), à la mort de plus de quarante millions de personnes, six millions de juifs, trois millions d'enfants, des millions d'orphelins, en six ans à peine, du fait de la folie hitlérienne, à peine 25 ans après vu partir les 8 millions de morts de la première guerre mondiale ? Le monde qui a dit : "plus jamais cela", ou qui ressasse le devoir de mémoire. 

Plus jamais ça ? Really ? La mémoire va-t-elle suffire ? Est-ce l'oubli qui est en question ? Va-t-il suffire d'enseigner le souvenir de la shoah aux candidats potentiels à l'entraînement dans les camps syriens ?

Ce même monde n'a su créer que des structures internationales dont une, la législative, ne rachète pas l'autre, l'éxécutive. Des instances qui se disputent le titre, qu'elles ne mériteraient pas ni l'une ni l'autre, le triste titre d'épouvantail de l'humanité, tant elles ne sont à la fois que la pâle caricature ou la perversion de ce qu'elles devraient être, tant, semble-t-il personne n'a jamais véritablement eu l'intention de les utiliser réellement, tant et si bien qu'elles n'ont jamais reçu les moyens de devenir utiles, compétentes et efficaces.
L'une est structure de fonctionnaires et de mercenaires, anesthésiés par la corruption, impotents pour les uns, impassibles pour les autres, muets devant les situations qu'ils seraient sensés gérer, protéger. L'autre prétend juger, ne soupçonne apparemment pas l'existence du terme impartialité, tant elle semble compulsivement acharnée sur une seule cause, alors que les autres tragédies de la planète ne parviennent pas même à l'interesser.
Et il existe d'autres instances, d'autres cours internationales, ou autres sommets. 

Leurs porte-paroles paraissent-ils sollicités par l'état actuel d'un monde en proie au fondamentalisme barbare ? Voit-on leurs membres fiévreusement attelés à la tâche de réparation de l'univers ? S'affichent-ils préoccupés par la corruption ? Est-il besoin de citer en exemple la condamnation d'Israël il y a deux jours pour le "grand nombre " de palestiniens soi-disant déplacés par elle (il s'agit de maisons construites sans autorisation en cisJordanie, et détruites de ce fait, auxquelleson ajoute peut-être les maisons de terroristes, elles aussi détruites ), pendant que la même instance n'a pas un mot pour parler des majeures déplacements de population effectuées par l'Egypte à Rafiah, dans le sud de la bande de Gaza cette fois sans aucun autre motif que des raisons de politique extérieures et de protection de la frontière...?

Ce monde ne génèrerait-t-il donc d'opérationel que cynisme, corruption, haine et fondamentalisme ?

Y a-t-il besoin contre cela d'intervention divine pour ouvrir la terre et y engloutir des masses ? 

Le peuple effaré des exactions terroristes et des fractions de l'état islamiste le souhaiterait peut-être, mais Daesh est-il le mal qu'il suffirait d'extirper pour que le monde guérisse ?

La suprématie de la toile et du visuel auraient-elles fait définitivement disparaître et rendu inutiles les écrits, les sources de la morale et de l'éthique ? 

Quelqu'un pense-t-il aujourd'hui la politique et le social dans ce monde du commercial et du profit ? quelqu'un cherche-t-il si corruption et fondamentalisme ne pouvaient se compléter, ne pouvaient être liés l'un à l'autre, l'un menant à l'autre ? Quelqu'un parle de ceux qui vendent des armes, qui achète du pétrole à l'état islamique ?

Peut-être pour cela le monde aurait-il besoin d'un prophète, qui vienne enseigner aux économistes et aux politologues que la corruption et l'appât du gain enterreront tout. Quelqu'un pour oser être impopulaire et dire ce que le monde laïque ne peut ni ne veut entendre. Quelqu'un pour asséner que même s'il faut enseigner, ce n'est pas de l'enseignement que viendra la solution, pas de l'enseignement de la mémoire comme s'il n'y avait à combattre que l'ignorance ?

Ce n'est-il pas ce chaînon manquant entre l'éthique philosophique, les sciences économiques, le judiciaire et le politique dont il faut se préoccuper, plutôt que de déplorer que ne se manifeste aucune intervention divine ?

Ce chaînon n'existe-t-il pas déjà potentiellement ? Quelqu'un se demande-t-il honnêtement si les pays devraient plutôt être dirigés par la chariah que par les lois qui ont été élaborés en 
Europe au cours des deux cent dernièes années ? Quelqu'un approuve vraiment la corruption de ces dirigeants ? leur mégalomanie ?

La tâche nous serait certes facilitée si une intervention divine pouvait emporter ces monstres qui sont au pouvoir et asservissent l'humanité, mais soyons lucides : cela ne suffirait pas. Ils seraient aussitôt remplacés par pire.

Il manque donc un chaînon. Le chaînon qui manque est celui de l'écart entre le pouvoir et la morale. Un chaînon qui permette de combattre ces travers, sans tomber ni dans la Terreur façon Robespierre ni dans le stalinisme.



N'est-ce pas un challenge de ce vingt et unième siècle ? 

vendredi 16 janvier 2015

En parlant d'amalgames...




On a entendu comme un refrain, et en provenance de nombreux bords, cette crainte, cet avertissement, ce refus de l'amalgame.

Il aura été super- hyper important aux français que tout ce drame de la première semaine de janvier 2015 soit surtout géré sans amalgame.

Ne pas confondre, ne surtout pas dire trop tôt qu'il s'agit de telle ou telle chose, que le meurtre de la policière de Montrouge, les voitures explosées de Villejuif, le carnage de l'hyper cachere, peuvent avoir le moindre lien avec l'attentat de Charlie hebdo.
Ne même pas mésutiliser les termes, confondre ce qui est attentat, avec ce qui est tuerie, ne pas assimiler le 7 janvier 2015 avec le 11 septembre 2001. Très important.

Donc, en foi de cette consigne - de cette compulsion originée dans la laïcité républicaine - on a effectivement vu qu'il n'y avait pas d'amalgame. 4 millions de personnes ont manifesté dimanche contre les crimes commis envers la liberté d'expression. Tous ont ėté Charlie. 

Et celui - qu'il n'est plus encore possible d'incriminer tant il a dépassé de bornes - qui a amalgamé Charlie à Coulibaly a été dénoncé à la tribune de l'assemblėe par le plus haut fonctionnaire de l'état, mis en garde à vue et sera jugé et ceci est incontestablement positif. 

Par contre, ceux qui s'attendaient à trouver à la gigantesque manifestation aussi des panneaux d'identification aux victimes de l'hyper cachère sont restés sur leur faim.

Par contre, certaines assimilations n'ont pas été aussi efficacement repoussées. La présence de Binyamin Netanyahou à la manifestation a été abondamment critiquée, lui qui aurait "commis bien pire" ont dit certains, lui qui pratique "un terrorisme d'état" ont profėrė d'autres, sans soulever tellement de réactions.

Par contre, la minute de silence à la mémoire des victimes n'a pas été unanimement respectée, par contre certains ont pu entendre certaines comparaisons du genre : "s'il fallait des minutes de silence au pro rata du nombre de palestiniens tués à Gaza, ce n'est pas une minute qu'il faudrait mais bien plus". Pendant le même espace de temps compris entre l'attentat à Charlie hebdo et l'enterrement - à Jérusalem - des quatre victimes de l'hyper cachère, Bokko Haram a exterminé en 24 heures quelques 2000 personnes, l'état islamiste a executé, violé, exterminé, la guerre civile de Syrie a fait ses dizaines de morts quotidiennes, mais il est possible de dire en France que les israéliens sont les bourreaux des palestiniens et pratiquent le terrorisme d'état, et si par respect de la consigne de non amalgame il n'est pas licite de le dire à voix haute, combien pensent quand même avoir tous les droits de faire un tel amalgame ? Combien parmi les vieux, mais surtout combien parmi les jeunes ? Parmi les élèves de lycées de banlieue ou même des grandes villes ?

Et donc la consigne de "surtout pas d'amalgame" est-elle la bonne ? Quand on pourrait avoir l'impression que certains amalgames sont plus licites que d'autres.

Dans Good morning Vietnam (1987),  Robin Williams incarne un présentateur de radio (génial) humaniste, qui ne partage pas les opinions racistes, qui n'hésite pas à se battre contre les soldats qui ne partagent pas ses idées, ses scrupules et son éthique,et qui affichent racisme et haine vis à vis des autochtones.
Il devient ami avec la population locale mais est pris en flagrant délit de naïveté. Il tombe amoureux de la soeur d'un viet cong, et surtout il exprime à un moment combien les américains, de son point de vue, viennent apporter la civilisation, viennent faire du bien aux habitants de ce pays.

La guerre du Vietnam puise son origine dans la guerre d'indochine, et - au même titre que la guerre d'Algérie - est une guerre de décolonisation.

Il est clair que pour l'énorme majorité de la population française, si ce n'est européenne, c'est aussi une définition qui s'applique au conflit israélo-palestinien. 

Avec cela, il est possible de faire l'amalgame. Et l'amalgame est fait, par des non-juifs et aussi par des juifs.

Il est vraisemblablement fait pour une part par ignorance, pour une autre part par militantisme, pour une troisième part, par haine, et pour une dernière part, par cynisme et manipulation malintentionnėe.

Les enfants d'aujourd'hui ne connaissent pas l'histoire du colonialisme, et malheureusement la plupart des juifs ne connaissent pas le judaïsme. 
Aux yeux de ceux-ci, on peut répêter que le peuple juif a dit jour après jour, année après année "l'an prochain à Jérusalem", il ne sont pas en mesure de voir cela autrement que comme un slogan politique.

Les dirigeants palestiniens, Arafat et Abbas en particulier, ont cyniquement profité de cette conjoncture des guerres de décolonisation et de l'ignorance largement répandue des enjeux juifs au moyen orient.

Les dirigeants turcs, kataris, russes et autres secrètement identifiés ou clairement associés à l'état islamique, continuent à utiliser cyniquement cet amalgame et n'ont face à eux pratiquement aucune contradiction. Ils parlent et sont tacitement ou ouvertement approuvés.

Ils sont surtout, ai-je l'impression, approuvés par la deuxième catégorie énoncée plus haut, par ceux qui ne sont pas passifs mais bien au contraire militants, par ceux qui s'élèvent contre l'amalgame, par ceux qui préfèrent lutter pour la liberté d'expression que contre la barbarie. Ceux-là préfèrent ne pas voir combien Arafat, les dirigeants du hamas, Erdogan se sont outrageusement et honteusement enrichis (avec les fonds de qui ?), combien d'horreurs sont commises entre autres dans les anciennes colonies françaises.

Ceux-là ont adhéré à l'humanisme en foi duquel il est sale d'être colonialiste, en foi duquel on écoute les discours d'Arafat, de Abbas et de Erdogan et on fustige avec eux les israéliens. 
Ceux-là sont descendus dans la rue en août manifester contre l'opération israélienne "tsouk eytan" à Gaza, par humanisme, par solidarité avec le peuple opprimé par la "puissance colonialiste", et ne font pas la comparaison entre cette opération et les autres guerres qui empoisonnent la planète au quotidien, ceux-là n'ont pas été trop génés de manifester aux côtés de ceux qui ont crié "mort aux juifs", ou encore "juifs hors de France". Ceux-là ne se sont pas trop posés la question : "hors de France ? Mais pour aller où ?". 

Ils ne se demandent pas trop où devraient aller les juifs, cantonnés pour beaucoup d'entre eux dans la conviction qu'ils devraient n'aller nulle part mais se dissoudre. 

Si on leur parle d'approfondir, de chercher à comprendre le judaïsme, ils deviennent méfiants. Ces religions sont dangereuses. A les approfondir on devient trop facilement embrigadė, et la pente qui mène au fondamentalisme est tout de suite là. 

Appliquent-ils la règle de non amalgame à bien distinguer fondamentalisme juif d'islamisme ? Font-ils une différence ou au contraire un amalgame entre le colonialisme, la mobilisation pour le djihad ou l'installation dans les territoires disputés de Cis Jordanie ? En ce qui concerne par exemple certains journalistes (Alain Gresh du Monde diplomatique - le journal le plus lu dans le monde selon Wikipédia - pour ne pas le citer), la réponse est négative.

Le lecteur l'aura compris : je ne cherche pas ici à savoir si la France va bien, si elle est dans le bon axe, si Daesh est un danger pour la France, si la liberté d'expression a perdu ou gagné la guerre.

Je ne cherche pas non plus à savoir si les juifs ont un avenir en France ou s'ils y sont menacés. Chacun a son histoire, ses aspirations, ses raisons de préférer vivre à tel endroit plutôt qu'à tel autre, et je ne suis pas ici ambassadeur de l'agence juive.

Ma préoccupation est liée à l'état d'Israël, et son image, aux yeux des juifs, aux yeux de l'opinion internationale, et au regard des mouvements géopolitiques.

Et l'opinion française m'importe plus que les autres pour de nombreuses raisons. 

Je voudrais solliciter maintenant un second film qui permet à mon sens d'affiner la distinction entre les différents panneaux examinés jusqu'ici.

C'est le film tourné à partir du roman autobiographique de Saïd Kichoua, "dancing arabs", et sorti l'été dernier en Israël. Le héros, Iyad, est un arabe israélien qui grandit dans une famille où l'état d'Israël est vécu comme un occupant oppresseur et illégitime, dans une famille où on danse de joie quand, en 1991, Saddam Hussein envoie des scuds sur Israël, et qui vient étudier comme interne dans le meilleur lycée de Jérusalem du fait de son haut potentiel. 

Iyad devient à mon sens ce qui est le prototype de la situation qu'Israël et les palestiniens ont à résoudre, qui n'a aucun raport avec le colonialisme d'indochine ou d'Afrique du nord, et qui n'aura aucune chance d'être résolu tant que les palestiniens et l'opinion internationale soutiendront le hamas, ou adhéreront à un combat de décolonisation.

Il devient un palestinien qui aura grandi dans la société israélienne arabe puis israélienne juive et à qui cela crée un problème identitaire. Le problème identitaire d'individus  attachés à  deux sociètés qui vivent l'une au contact l'une de l'autre, chacune sachant qu'elle doit partager ce lopin de terre avec l'autre.

Cela doit-il se faire par amalgame ? Très probablement pas. La démonisation de l'entité israélienne permettra-t-elle de faire avancer la solution de ce conflit ? Certainement non plus. Les palestiniens disparaitront-ils ? Certainement pas non plus. 

Les européens, à qui la tragique évolution de l'intégrisme musulman sous forme de Daesh colle aux guêtres, feraient bien de regarder notre situation comme un conflit, avec composantes tant territoriales que religieuses et culturelles plutôt que comme un des derniers bastions du colonialisme européano américain.

Quant à moi, je sais que les territoires de Cis Jordanie ont été conquis par la guerre et que ceci ne donne pas de droit pour qu'ils nous soient acquis. Je sais que nous n'avancerons que par des négociations, mais je n'accepterai pas de rendre un territoire si la contrepartie est qu'il me deviendra interdit. 

Les juifs de France, et moi avec eux, doivent souhaiter que la liberté d'expression et les valeurs de la république et des droits de l'homme continuent à constituer les valeurs suprêmes de la France, et ils doivent faire leur choix de pays de résidence, mais la France cessera d'être la France si il devient impossible d'y être juif. Je leur souhaite en outre, et je le souhaite pour la France, que les français regarderont partir les juifs qui choisiront de le faire, sans les assimiler aux djihadistes qui partent combattre en Syrie.

Le conflit israélo palestinien doit se régler pour l'avenir de nos enfants, mais il n'y aura de bon règlement que dans l'acceptation et non l'exclusion mutuelle des uns par les autres.

Pas d'amalgame, mais un mode de vie qui permette la vie commune. 


Sur base d'un minimum commun ?

dimanche 4 janvier 2015

Servandoni - Troisième volet. De l'adolescence à l'âge adulte.



 Quand ont débuté ces activités et rencontres hebdomadaires du samedi après-midi à Servandoni ? Aux bonnes périodes, il y avait en parallèle cours pour les adultes - précédé de la priére de minha ? Je dirais oui, ayant le souvenir d'avoir en cet endroit appris un air de "Avraham yaguel, Ytshak yeranen Yaakov ouvanav yanoukhou vo" - et activités pour les jeunes enfants, puis arvit et la havdalah que je revois – et surtout entends…si ce n’est « m’entends-je »… - encore très clairement, autour de l'escalier dans la bibliothèque. Je suppose que l’intention était dès le départ d’encourager les jeunes et, progressivement, je dirigeai régulièrement l’office, ou la havdalah.

Je dirais que ces activités, qui ont créé autour d'elles une sorte de mini communauté, ont commencé dans les années 68-69, apparemment sous l'impulsion de Suzy Daniel et André Ullmo.

Cette communauté n’en était pas une, en ce sens qu’elle n’avait aucun comité ou infrastructure, et elle n’avait à ma connaissance d’autre définition que d’être constituée de transfuges de la rue Copernic.











Transfuges soit par envie d'un rite plus hébréo phone que celui en vigueur à la maison mère, soit par préférence géographique ou sociale, soit du fait de « l'institut international d’études hébraïques », à vocation de formation de rabbins libéraux, et qui était le véritable et central lieu de cet endroit du 20 rue Servandoni, le talmud Torah n’étant que le sous-produit. Une certaine proportion des participants de ces samedis après-midi, moi y compris, y suivaient tel ou tel cours. J'y ai perfectionné mon hébreu, l'ai préparé pour l’épreuve « deuxième langue » du bac au cours de l’année de Terminale, j’y ai étudié et reçu des bases grammaticales très solides - par le livre de Ben Méïr et la grammaire Weingreen - mais peut-être non moins grâce aux professeurs ? -. J'ai le souvenir de cours de Psaumes avec Daniel Sznajder, de cours d'histoire avec Patrick Girard. Par qui les cours d'hébreu ?  Daniel ? Françoise Rameau ? J'ai aussi suivi au fil des ans, dans le même endroit mais en cours du soir, des cours de talmud, avec David Benaïem je crois, et un certain Afik (ces deux étaient des chelikhim de l’agence juive, en poste à Paris. Comment et par qui avaient-ils été contactés ?), et aussi des cours de midrach donnés par Irène Gozland, par ma mère puis repris un temps par moi après son départ en Israël.

Je constituai ainsi petit à petit là-bas ce qui fut le bagage de base de mon judaïsme, qui me permit de commencer à transmettre et à enseigner. Cet apport fut paradoxal. Il fut ainsi varié et très consistant (je savais ainsi presque par cœur plusieurs chapitres de la Torah, je connaissais l’usage de Rachi, j’avais une formation au midrach, au talmud, je savais lire dans la Torah, diriger un office), mais je gardai, presque jusqu’à ce jour, une sorte de sentiment d’infériorité par rapport à ceux qui s’étaient formés dans les cercles de l’orthodoxie. Ce sentiment tient, à mon avis, aux points sur lesquels s’accrochait (et s’accroche encore) le judaïsme libéral : celui qui y grandi(ssai)t ne recevait aucune consigne de cacheroute ou de halakha dans quelque domaine que ce soit, et surtout n’était que très mal formé aux rites de pratique individuelle que sont par exemple le loulav, la tefilat haderekh, ou encore les tefilines. Je ne sais plus à quel âge je découvris l’existence de ces dernières, mais je découvris le même jour la honte et la colère de n’en avoir jamais entendu parler auparavant, moi qui avais suivi si on peut dire le cycle d’études le plus complet que l’union libérale avait à offrir.
En y réfléchissant c’est un aspect un peu paradoxal de ce judaïsme, qui s’adresse à des gens qui sont des produits de l’assimilation façon Napoléon : soyez israélites à la maison, et soyez comme tout le monde dehors, parmi les français. Or, ces juifs libéraux ne reçoivent pas de leur communauté ce dont ils auraient peut-être énormément besoin : les outils indispensables à la tenue d’une maison juive, avec ses rites.

Cette communauté se réunissait donc tous les samedis après-midi et, petit à petit, se mit à élargir ses activités. Il y eut les offices des fêtes de Tichré ( en France, on disait tichri..) et personne ne peut avoir oublié ce kippour de 1973 où nous apprîmes en « live » - et bien avant internet ou les téléphones portables - que la guerre avait commencé en Israël, il y eut le séder du deuxième soir de Pessah' (où nous commîmes l'erreur de commander la nourriture chez tel traîteur dont je tairai le nom par pudeur, et dont les gateaux-éponges sèches ne purent servir qu'à essuyer la table..), il y eut la malencontreuse chute dans l'escalier d'une dame âgée au moment de la havdalah, chute qui fut heureusement sans conséquences funestes.

et il y eut surtout l'alyah : me trompé-je en disant que 90% des habitués de ces activités (Gozland, Weill, Mallah, Caën, Daniel, Pisanté, Siac, Sabbah qui oublié-je ?) se sont ensuite installés en Israël ? Coïncidence ?

Rapidement, il y eu aussi les activités de l'après shabbat. Nous étions arrivés à l’âge où l’on sort le soir, et nous poursuivions ainsi la soirée ensemble, au cinéma ou au café théâtre…ou encore au café tout court. Le choix n’était pas toujours chose facile. Nous avions ainsi quelques séances d’affrontement entre partisans de souhaits opposés, jusqu’à la mémorable fois où nous reçûmes… un seau d’eau, lancé anonymement depuis un étage élevé où une « bonne âme »  - voilà enfin une manifestation en bonne et due forme des non-juifs de l’immeuble, voilà la preuve indiscutable de leur existence ! - dût considérer que nous étions trop bruyants et que quelqu’un se devait de nous le faire savoir. Je n’ai pas le souvenir que nous ayons réagi d’une quelconque manière. Comment est-ce possible ?, mais nous organisions aussi - plus ou moins en coordination avec ceux de Copernic - des activités sur place, conférences, dîners débats (qui se souvient qui fut invité, à part Henri Bulawko ?), booms.

J'ai vécu de longues périodes au rythme de ces rencontres du samedi soir. Elles renforçaient ma double allégeance, et elles nous faisaient poursuivre notre découverte des bonnes adresses parisiennes. Je découvris ainsi les mêmes rues mais dans leur parure nocturne, avec en tête la place de l’Odéon et ses cinémas et ses passages,

 la rue Saint André des Arts,


 la rue Saint Séverin, la rue de la Huchette (« je suis r’tourné à la Huchette, rue d’la Huchette, où tous les jours je fais la quète, t’as pas cent balles, un ticket d’métro une clé d’douze ou un esquimau ? »),  le boulevard  Saint Germain que nous parcourions jusqu’au drugstore  et la rue de Rennes. De là nous connûmes quelques cafés (mais ni le café de Flore, ni les Deux Magots, ni La Coupole qui étaient si magistralement enturbannés de l’aristocratie de la littérature et de la philosophie qu’ils en avaient peut-être trop de prestige et n’étaient donc pas pour nous, nous qui n’étions que des enfants des boulevards, enfants de la banlieue. Quant à la Rhumerie, la Bûcherie, la Palette, et autres lieux branchés, je ne les découvris que beaucoup plus tard. Je n’entrai à la Coupole que quelques 25 ans plus tard ), et surtout quelques café théâtres, le Splendid, où nous découvrîmes Michel Blanc, Marie Anne Chazel et Thierry Lhermitte et de l’autre côté de la Seine, le châtelet et ce qui n’était pas encore le forum des Halles mais où s’était déjà ouvert le non moins mémorable Café de la Gare où se produisaient déjà Romain Bouteille, Patrick Dewaere qui ne s’était pas encore brûlé la cervelle, Miou Miou, Rufus, Christian Clavier, Coluche.
Y a-t-il dans ce quartier un seul cinéma où je n’aurais pas vu un film ? Il faut ajouter que plusieurs années d’études à proprement parler dans le même quartier sont venues s’ajouter à ces premières découvertes. En classe de Terminale, en fac, il m’arriva plusieurs fois d’aller au cinéma deux ou trois fois dans la même journée..

Les eis que Daniel et moi connûmes à Morgins en 1970-71 se mirent aussi à se joindre de façon néanmoins irrégulière, et ce fut probablement le début de la fin de la centralité du 20 rue Servandoni dans notre existence. 

Le souvenir de cette période est aussi associé dans mon souvenir à mon accident de moto, le dernier shabbat avant les vacances de Noël de décembre 1970, où je me fis renverser (puis écraser n'ayons pas peur des mots. Il fallut travailler pour sortir ma jambe de dessous les roues de cette bétonneuse, et c'est ce travail - mal fait, "fait par des intellectuels" dit plus tard le Dr Bayle de Wissous, qui me fractura la cheville ). J'avais passé l'après-midi chez des copains de Wissous et l'accident survint au dernier carrefour avant l'entrée dans Paris sur la N20 alors que j'étais en route pour Servandoni. 

Je me souviens que mes parents sont venus me récupérer à l'hôpital Broussais où l'ambulance m'avait évacué, prévenus peut-être par un coup de téléphone que le secrétariat aurait donné à Servandoni  ou tout simplement m'ayant cherché aux urgences de plusieurs hôpitaux ne m'ayant pas vu arriver ?

J'ai le souvenir d'un épisode mystérieux, où un inconnu était soudain venu se joindre à la séance d'étude dans la bibliothèque. Peut-être avait-il entendu à travers la fenêtre ouverte alors qu'il passait dans la rue ? Il était entré et s'était mêlé, nous enrichissant d'enseignements pétillants, puis était reparti et n'est jamais revenu. Les présents étaient restés émerveillés et parlaient de lui en l'appelant en riant le prophète Elie, qui aurait fait une brève apparition sur le chemin de quelque brit milah..Quand j'ai plus tard découvert l'existence de Monsieur Chouchani, je suis resté persuadé un temps que cet inconnu, vêtu d'un pardessus et d'un chapeau n'était autre que Chouchani. Malheureusement, ceci ne concorde pas avec la chronologie de déplacements de ce dernier : l'épisode se produisit autour des années 70 et Chouchani a été enterré en Uruguay en janvier 1968, ayant quitté Paris quelques 14 ans plus tôt..

Je n'ai pas le souvenir d'avoir quitté Servandoni, un peu comme on ne se souvient pas ce qu'il est advenu du train électrique ou des petites voitures de notre enfance.

J'ai dû tout d'abord cesser de m'y rendre après avoir pris la décision, probablement autour de 74-75, de ne plus utiliser de véhicules le shabbat, mais aussi probablement du fait des transhumances de l'entrée dans l'âge adulte, et avec elle, les changements de milieux (université, eis,) et de préoccupations. J’avais découvert le café « le petit suisse », le restaurant universitaire cachère de la rue de Médicis, le centre Rachi qui venait de s’ouvrir rue Broca.

J’étais revenu à Servandoni le matin. J’étais devenu moi-même professeur au Talmud Torah où j’eus mes premiers élèves et, avec eux, mes premiers liens à mes élèves. Pour certains, ces liens furent assez forts pour demeurer jusqu’à aujourd’hui. 

Je savais que la communauté fonctionnait. Benjamin Douvshani avait pris la relève de Daniel à diriger l'étude du samedi après-midi, et tout ceci s'est apparemment poursuivi jusqu'en 1990 environ, date à laquelle l'ULI a vendu le local (ou résilié le contrat de sa location ). 

Nous avions déjà quitté Paris pour Jérusalem depuis près de 10 ans, et avions tiré le trait de l'oubli sur cette période, sans s'apercevoir de combien elle avait été importante pour nous. 

Aujourd'hui, il m'arrive très couramment de me remémorer tel ou tel souvenir, de prononcer le nom Servandoni, et de m'apercevoir qu'il y a forcément aux alentours au moins une personne pour répondre. ' "Servandoni ? J'y ai été !".