lundi 11 septembre 2023

Le sage montre la lune, le simple regarde le doigt.

…dit un proverbe chinois. 

Dit un proverbe chinois pour attirer l’attention sur la nécessité de bien observer les situations dans lesquelles nous nous trouvons. 

 Un incident qui a peu été relayé par la presse et qui s'est produit la semaine dernière à l'hopital Hadassa à Jerusalem peut venir nourrir le développement de ces réflexions. 

 La ministre Struck, ministre des implantations qui s'illustre principalement par des propos ségrégationistes, œuvrant en particulier pour la multiplication des barrages, arguant notamment :"si un arabe de cis Jordanie ne peut entrer à Petah Tikva sans contrôle comment accepter qu'il circule librement sur les routes de Judée Samarie ?", ayant justifié l'amendement du serment d'Hippocrate "un médecin doit pouvoir choisir certaines personnes desquelles il n'a pas à être obligé de s'occuper" s'est magistralement faite éjecter de l'hôpital où elle était venue honorer de sa présence une séance de début d'année de filles du service civil….mais d’où elle avait eu à coeur de veiller auparavant à ce qu'aucun arabe ne soit dans la salle…que le Seigneur nous vienne en aide.

 Professeur Eytan Galon, chercheur en médecine régénératrice, fondateur et directeur de son laboratoire – où travaillent près d'une centaine de chercheurs, l'a apostrophée et lui a signifié que ses propos racistes lui interdisaient de se produire dans un établissement où circulent, se côtoient, travaillent, donnent et reçoivent des soins des individus de toutes les couches de la population. "raciste ! tu n'as rien à faire ici. Hors de scène à l'instant!" . 

Hormis mon adhésion totale à cette injonction, je me pose la question de la situation dans laquelle nous sommes réellement et de la suite. 

 Tandis que la partie du pays qui soutient la coalition ne tarit pas de rages à l’encontre de ceux qui s’opposent à la réforme judiciaire, il s’avère que dans les manifestations du camp adverse ce n’est plus tellement de cela que l’on parle. On ne parle plus tant de cette réforme qui n’est qu’un instrument, qui est le doigt, que de ce qu’elle sous-tend. 

Cette réforme judiciaire soi-disant opposée à une pseudo dictature des juges vise principalement à empêcher que la haute cour de justice ne s’oppose aux lois et aux tendances du gouvernement actuel…dans lequel les premiers violons sont les partis qui le maintiennent en place c'est-à-dire les extrémi-sionistes et les ultraorthodoxes. Le gouvernement est menacé de tomber s’il ne se conduit pas selon leurs exigences et neuf mois de désordre dans le pays garantit qu’en cas de nouvelles élections ce ne seront plus les mêmes qui l’emporteront. Et ce vers quoi tendent les représentants de ces petits partis qui tiennent de force le gouvernement est un virage du pays vers le racisme, vers le retrait des femmes de la scène publique, vers une imposition religieuse plus déterminante sur la vie du pays. Et donc l’incident rapporté plus haut est relié à cette analyse. 

Les positions de Struck, Ben Gvir, Smotritch, Goldknopf sont celles qu’il faut combattre. Parce que l’avenir dépend beaucoup plus de leurs lois, celles qu’ils tentent de faire passer, que de la composition de la haute cour. 

 Les questions que l’on doit se poser pour la suite sont de savoir s’il faut convaincre ou vaincre. 
 
Comment faire comprendre à de telles personnes, aujourd'hui portées au pouvoir (même si par le jeu d'un système électoral à réformer) donc par une suffisante quantité d'électeurs, que les idées kahanistes sont iniques ? ne doivent en aucun cas ni être adoptées ni encore moins représenter le judaïsme ou l'état d'Israël ? 

 Il ne manque pas de bonnes et belles personnes dans les implantations, dans le public sioniste religieux, qui en gros est l'électorat des tristes personnages qui sont aujourd'hui aux commandes. Il ne manque même pas parmi eux de sages ou tout au moins de personnes instruites, de personnes informées de l'histoire du monde, l'histoire de la montée du fascisme, l'histoire de la progression ou régression de l'humanité. Et pourtant ces partis extrémistes sont au gouvernement. Comment cela se fait-il ? 

 Une grande partie de l'électorat a voté pour eux par "vengeance", en réaction au démantèlement du goush katif ( qui était pourtant souhaitable, qui a pourtant été voté par un gouvernement dans lequel Netanyahou était ministre, qui a été réalisé par un gouvernement dont Sharon était le chef), une autre grande partie vit ou a de la famille qui vit dans les implantations et ils souffrent de la situation sécuritaire et se bercent de l'illusion que la faiblesse "de gauche" est la cause de l'insécurité et que c'est "la force" du discours et de la détermination de la droite qui vont résoudre le problème. Une plus petite partie ne reste pas passive mais s'est jointe aux bandes de délinquants qui répandent leur loi dans ces territoires, les "naaré haguevaot". Une encore plus petite minorité reste fidèle ou s'est trouvée acquise aux tristes idées de Meir Kahana, Baruch Goldstein qui ont commis de terribles dégâts dans le monde israélien et le monde juif. 

 Comment faire entendre à cet électorat les voix d'un judaïsme plus sensé, plus humaniste, plus vertueux, voix pourtant existantes pour ne citer que quelques noms : rav Beni Lau, rav Medan, Emmanuel Levinas, Daniel Epstein, Youval Sherlo, Yshaïahou Leibovitz et Ilaï Ofran. 

Comment aider – ceux parmi eux qui ne sont pas devenus de véritables fascistes – ces gens à retrouver le chemin de la Torah, dans laquelle le message humaniste est quantitativement et qualitativement plus important que tout autre message de droit sur la terre, et de rejet de l'autre ? 

 Comment les aider à ne pas inverser l’adage talmudique "Celui qui vient te tuer, tue le d'abord" en "tue d'abord celui qui te parait pouvoir un jour venir te tuer", ce qui parait être le slogan de cette triste s(m)inistre ? 

 Comment leur raconter que les manifestations d'opposition à leur mouvement ne sont ni des manifestations d'anarchistes ni même des manifestation de la gauche : s'y cotoient jeunes et vieux, ashkénazes et sefarades, hommes et femmes, juifs et arabes et, oui, gauche et droite. Parce que le message de ces égarés qui nous gouvernent n'est pas un message de droite mais un message de la pire extrème droite qui soit.. 

Nombreux sont les électeurs de droite qui se présentent tous les samedis soir de ces 36 semaines, affichant les distances qu'ils prennent avec cette mouvance. Cette mouvance mue par l'angoisse. Leur angoisse est l'agressivité meurtrière arabe et ils l'ont transformée en haine raciste. 

"Ce ne sont pas des terroristes qui font les attentats, c'est la nation arabe toute entière qui est l'ennemi d'Israël et qu'il faut éloigner et désintégrer par la force". "C'est en se montrant les maitres que le calme reviendra. Et surtout pas en discutant ou en se berçant de l'illusion que discuter est possible, que la paix pourra être faite" répêtent-ils. 

C'est précisément contre une telle dérive qu'invectivait Yshaïahou Leibovitz déjà au lendemain de la guerre des six jours. Il demandait que l'on rende ces territoires avant qu'ils ne nous corrompent, avant qu'ils nous fassent devenir ce que la Torah œuvre à nous éloigner d'être : une nation d'occupants, une nation régnant sur son territoire par autoritarisme. 

C'est un double danger, celui de devenir des occupants, des envahisseurs, des dominateurs, et celui d'entretenir la haine chez autrui. 

De quelle Torah surgit telle attitude sinon de celle des tripes ? Où a-t-on vu que l'autre peut ainsi être "vissé", opprimé et se comporter placidement ? les enfants de qui aura été opprimé et humilié peuvent-ils chercher autre chose que rendre la pareille, que réclamer justice, que chercher cette justice dans la vengeance ? 

En parallèle de la fracture qui divise le pays ces derniers neufs mois semblent se développer d'une part les actes terroristes contre les juifs et d'autre part les actes de liquidations à l'intérieur de la société arabe ? sont-ce deux contextes qui n'interfèrent pas l'un avec l'autre ? on m'a déjà répondu que le terrorisme est né bien avant que Ben Gvir, Smotritch et Struck ne deviennent s(m)inistres, il ne faut chercher aucun lien de cause à effet. 

Cela renvoie à la profonde question de la violence. Est-elle constitutive de l'homme ou réactive ? question à laquelle probablement ne trouverons-nous pas ici de réponse absolue. Peut-être n'y a-t-il à cette question aucune réponse absolue, peut-être s'agit-il ainsi non d'une question à laquelle il faut une réponse que d'une situation qu'il faut gérer. Même si l'agressivité, la violence, le crime existent chez l'homme et dans les sociétés, il y a des contextes où ceux-ci sont gérés de façon plus ou moins heureuse. 

Je ne me fais aucune illusion sur les effets d'une politique de rejet, de suspicion, de brimade. Je me demande même comment quelqu'un peut avoir l'illusion que cela donnera de quelconques résultats positifs.. 

 Quand le sage montre la lune, le niais regarde le doigt. 

 Le niais est celui qui nie. Il n'ignore pas que le sage montre la lune, il nie le bénéfice qu'il pourrait retirer de sa prise en compte. 

Tant qu'il s'agit de la lune, le mal n'est peut-être pas très important. Quand il s'agit d'individus. Les mépriser et les opprimer n'engendre que du négatif.