La
paracha de shabbat dernier, Hayé Sarah, a une large place dans le vécu
israélien.
Les
sionistes convaincus voient dans l'achat de la caverne de Makhpéla qui y est
conté l'évènement fondateur de la présence juive en Israël, le premier acte, le
premier accord conclu avec les habitants locaux.
Les
plus radicaux y voient la preuve que la terre nous appartient, après qu'elle
n'ait pas seulement été promise mais qu'aussi elle ait été acquise de plein
droit, les plus modérés acceptent de prendre en compte qu'il n'y a pas
seulement un passé mais aussi un présent, qu'il n'y a pas seulement un
"dit", des paroles qui ont été dites, mais aussi un "dire",
une exigence de dialogue, pas seulement une subjectivité israélienne, mais
aussi une subjectivité palestinienne.
Et,
comme d'habitude, on peut se demander quel est le message central de cette
paracha - en étudiant la haftara, le morceau de Bible que les rabbanim ont jugé
être la réplique de la paracha, le morceau que l'on devrait lire s'il n'était
pas possible de lire la Torah.
Or,
la haftara traite aussi de la présence juive sur la terre d'Israël, mais de
façon incidente : le texte choisi est celui des derniers jours du roi David, et
de sa succession, avec la question de savoir quel fils doit régner après lui,
et avec le difficile thème de la lacune laissée par David. David, apparemment
se confine à la passivité et n'exprime pas assez ouvertement qu'il souhaite que
Salomon - et non Adonia - lui succède, et le résultat de cette passivité est
turbulences et remous, et le prix de cette passivité est mort d'homme. Adonia
aurait-il été executé si David avait parlé clairement ?
David
et Avraham ont tous deux des vies plus ramifiées que le mariage monogame,
chacun dans des contextes différents, chacun pour des raisons différentes, mais
ils se mesurent aussi différemment avec cette situation de partage de vie
affective et sentimentale avec plusieurs femmes.
Manitou
enseignait que le livre de la Genèse nous présente une évolution de la relation
homme femme, depuis Adam et Eve, qui ne se marient pas, jusqu'à Yaakov et Rahel
qui représentent le mariage par amour. On remarquera que même ce que Manitou
qualifiait comme l'idéal nous parait assez loin de cela : les enfants d'une
femme font les pires choses aux enfants de l'autre, et on a l'impression que la
situation de conflit intrafamilial n'est pas prise en main par les parents mais
bien par les enfants.
Toujours
est-il que le dénominateur commun de ces couples fondateurs de l'humanité est
qu'ils paraissent tous plus ou moins loin de vivre la vie de couple idéale. Il
parait toujours y avoir de l'ombre quelque part, il parait toujours que la
relation humaine dépasse le post modernisme : l'homme (l'humain) n'est pas plus
"un plus un" que "un tout seul", l'homme évolue dans le
monde de l"au moins trois", et il pourrait apparaître, à la lumière
de cette paracha, que cette situation ramifiée ne se produit pas uniquement
dans la sphère du sentimental ou du marital, mais qu'elle rayonne aussi sur le
géographique.
Nous
sommes rarement mono-attachement géographique, et nous ne sommes jamais seuls
sur notre île.
Nous
sommes souvent passés d'un pays à un autre, et très rarement dans un mouvement
de "sens unique", et ainsi nous avons des attaches dans plusieurs
pays, à plusieurs paysages et à plusieurs langages, à plusieurs groupes
ethniques, à plusieurs cultures.
Le
lien d'Avraham à Sarah, mais aussi à Hagar, et à Quetoura, pourrait être un peu
le versant personnel et sentimental de son lien géographique de personnage qui
part vers un autre pays, mais qui n'y devient pas facilement considéré comme
habitant à part entière, qui continue à préférer pour son fils une femme de son
pays d'origine, et qui réussit plus facilement à acquérir un lieu de sépulture
qu'un lieu de vie pour les générations à venir.
Le
message parait quand même, surtout dans la comparaison au roi David, qui échoue
à gérer le domaine familial, que c'est dans l'espace privé de la maison que se
joue l'essentiel.
Il
est bien probable que nous ayons acquis cette caverne de Makhpéla, mais il
parait non moins probable qu'elle nous appartiendra réellement un jour qui
n'est pas encore arrivé.
Pour
le faire arriver, il faut très probablement dialoguer avec ceux qui
revendiquent l'endroit, mais il se pourrait bien qu'il faut investir non moins
dans un autre espace inter personnel : celui de l'intérieur de notre maison,
celui de l'intérieur de notre couple.