mardi 29 octobre 2013

terre promise - terre acquise


La paracha de shabbat dernier, Hayé Sarah, a une large place dans le vécu israélien. 
Les sionistes convaincus voient dans l'achat de la caverne de Makhpéla qui y est conté l'évènement fondateur de la présence juive en Israël, le premier acte, le premier accord conclu avec les habitants locaux. 
Les plus radicaux y voient la preuve que la terre nous appartient, après qu'elle n'ait pas seulement été promise mais qu'aussi elle ait été acquise de plein droit, les plus modérés acceptent de prendre en compte qu'il n'y a pas seulement un passé mais aussi un présent, qu'il n'y a pas seulement un "dit", des paroles qui ont été dites, mais aussi un "dire", une exigence de dialogue, pas seulement une subjectivité israélienne, mais aussi une subjectivité palestinienne.

Et, comme d'habitude, on peut se demander quel est le message central de cette paracha - en étudiant la haftara, le morceau de Bible que les rabbanim ont jugé être la réplique de la paracha, le morceau que l'on devrait lire s'il n'était pas possible de lire la Torah.

Or, la haftara traite aussi de la présence juive sur la terre d'Israël, mais de façon incidente : le texte choisi est celui des derniers jours du roi David, et de sa succession, avec la question de savoir quel fils doit régner après lui, et avec le difficile thème de la lacune laissée par David. David, apparemment se confine à la passivité et n'exprime pas assez ouvertement qu'il souhaite que Salomon - et non Adonia - lui succède, et le résultat de cette passivité est turbulences et remous, et le prix de cette passivité est mort d'homme. Adonia aurait-il été executé si David avait parlé clairement ?

David et Avraham ont tous deux des vies plus ramifiées que le mariage monogame, chacun dans des contextes différents, chacun pour des raisons différentes, mais ils se mesurent aussi différemment avec cette situation de partage de vie affective et sentimentale avec plusieurs femmes.

Manitou enseignait que le livre de la Genèse nous présente une évolution de la relation homme femme, depuis Adam et Eve, qui ne se marient pas, jusqu'à Yaakov et Rahel qui représentent le mariage par amour. On remarquera que même ce que Manitou qualifiait comme l'idéal nous parait assez loin de cela : les enfants d'une femme font les pires choses aux enfants de l'autre, et on a l'impression que la situation de conflit intrafamilial n'est pas prise en main par les parents mais bien par les enfants.

Toujours est-il que le dénominateur commun de ces couples fondateurs de l'humanité est qu'ils paraissent tous plus ou moins loin de vivre la vie de couple idéale. Il parait toujours y avoir de l'ombre quelque part, il parait toujours que la relation humaine dépasse le post modernisme : l'homme (l'humain) n'est pas plus "un plus un" que "un tout seul", l'homme évolue dans le monde de l"au moins trois", et il pourrait apparaître, à la lumière de cette paracha, que cette situation ramifiée ne se produit pas uniquement dans la sphère du sentimental ou du marital, mais qu'elle rayonne aussi sur le géographique.

Nous sommes rarement mono-attachement géographique, et nous ne sommes jamais seuls sur notre île.

Nous sommes souvent passés d'un pays à un autre, et très rarement dans un mouvement de "sens unique", et ainsi nous avons des attaches dans plusieurs pays, à plusieurs paysages et à plusieurs langages, à plusieurs groupes ethniques, à plusieurs cultures.

Le lien d'Avraham à Sarah, mais aussi à Hagar, et à Quetoura, pourrait être un peu le versant personnel et sentimental de son lien géographique de personnage qui part vers un autre pays, mais qui n'y devient pas facilement considéré comme habitant à part entière, qui continue à préférer pour son fils une femme de son pays d'origine, et qui réussit plus facilement à acquérir un lieu de sépulture qu'un lieu de vie pour les générations à venir.

Le message parait quand même, surtout dans la comparaison au roi David, qui échoue à gérer le domaine familial, que c'est dans l'espace privé de la maison que se joue l'essentiel.

Il est bien probable que nous ayons acquis cette caverne de Makhpéla, mais il parait non moins probable qu'elle nous appartiendra réellement un jour qui n'est pas encore arrivé.


Pour le faire arriver, il faut très probablement dialoguer avec ceux qui revendiquent l'endroit, mais il se pourrait bien qu'il faut investir non moins dans un autre espace inter personnel : celui de l'intérieur de notre maison, celui de l'intérieur de notre couple.

dimanche 6 octobre 2013

peuple de l'alliance - peuple barbare ?


Nous, le peuple juif, lisons la Torah tout au long de l'année, année après année, tous les shabbat matin. Pendant que tu te lèves à peine, toi l'européen/ne, chez qui il est une heure plus tôt, et te vois en train d'à peine commencer la journée, une journée de fin de semaine, journée de repos, journée sans programme. Et s'efface rapidement de mes yeux ton image, image de quelqu'un tellement à la fois proche et différent, quelqu'un au rythme de vie tellement différent du mien, surtout en ces heures du samedi matin, du shabbat, alors que je me plonge dans le texte de la lecture de la Torah.

Cette semaine, nous lisions la deuxième section hebdomadaire de la Torah, intitulėe du nom du héros du déluge, et je suis frappé - grâce à deux extraordinaires cours qu'il m'a été donné d'entendre, et du fait de certaines bribes de l'actualité européenne qui sont parvenues jusqu'à mes oreilles -, je suis frappé de l'actualité et de la force de cette section.

L'histoire de Noé, l'histoire du déluge, est comme la concrétisation de ce qu'est notre vie, nous êtres humains, encore et encore. Une vie qui connait des évolutions - y compris phénoménales, au plan technologique, mais aussi au plan de l'évolution des sociétés, évolution de la science - mais qui reproduit  et qui perpétue année après année les tragédies du monde.

Alors que c'est dans la première section de la bible qu'est racontée la création du monde, la section de Noé raconte comment le monde revient encore et toujours aux mêmes situations de catastrophes, comment l'homme se replace encore et encore dans la situation de devoir être puni, si ce n'est annihilé.

La section de Noé, c'est ainsi le récit de l'issue du déluge, où la nouvelle humanité renaît, comme le bébé qui commence sa vie à partir de l'élément mouillé dont il se trouve extrait- comme le monde sur lequel la terre n'apparaît lors de la création qu'une fois que les eaux en aient été retirées - comme l'Europe qui renaquit en 1945 après la shoah -, mais la section de noé, c'est aussi le déluge, c'est aussi le récit de la catastrophe qui précède cette renaissance, c'est aussi le récit de cette déchéance dans laquelle l'homme retombe encore et encore, que ce soit par les voies les plus viles ou les plus perfectionnées.

Le secret de la Torah, le magnifique secret du judaïsme, c'est de non seulement conserver le souvenir et de continuer à lire cette histoire, c'est aussi et surtout de savoir y lire ce qui permet d'apporter les solutions, ou au moins des possibilités de solution.

L'Europe vit une période de progrès, d'unification, de vie sans guerre depuis plus de 65 ans, et c'est dans cette Europe du progrès, c'est par son progrès même, qu'apparaissent les nouvelles et subtiles voies de la discrimination, une discrimination qu'essuie encore et toujours le peuple juif en première ligne.

L'Europe assainit et globalise donc les circuits de production, de distribution, l'Europe abolit les frontières en son sein et promulgue des réformes, des lois, lois de protection de l'individu, lois de régulation du travail, de l'accès à la couverture sociale et de santé, toutes choses très positives. Très positives si ce n'était pas que précisément par elles réapparaissent les vieux démons. 

Il faut se demander pourquoi un tel progrès doit contenir ce qui va n'être autre qu'une nouvelle forme d'expulsion des juifs, finalement comme au moyen âge, finalement comme tout au long de l'histoire de l'Europe.

Et voici qu'au détour de tout ce progrès, l'Europe fait avancer des projets de lois qui vont aboutir à mettre hors la loi l'abattage rituel des animaux et la circoncision, deux pierres d'angle de la condition juive. 

Ces lois vont être votées au nom du progrès, au nom de l'humanisme. On veut interdire le mode juive d'abattage parce que considéré faisant trop souffrir les animaux, on veut interdire la circoncision au nom de sa comparaison avec la barbare coutume de l'excision pratiquée encore dans toute l'Afrique et une bonne partie du monde musulman.

La section de Noé contient les prémisses de la circoncision, et peut-être aussi les prémisses de la relation de l'homme aux animaux.

Le monde renaît à l'issue du déluge sous le signe de l'alliance, symbolisée par l'arc en ciel. Selon le texte, l'Eternel contracte avec l'homme Noé une alliance de non extermination, après s'être antérieurement résolu à devoir détruire l'homme antédiluvien.  Il fallut détruire cet homme, parce qu'il conduisait le monde à la perversion généralisée, parce qu'il rendait impossible par ses actes la poursuite de l'aventure humaine.

Le personnage Noé n'est pas l'initiateur du monothéïsme, il n'est que celui dont la conscience morale peut commencer à annoncer ce qui adviendra, ce qui ne mûrira qu'à l'issue de dix générations.

Le personnage Noé essaie de mener sa vie, et par conséquent de mener le monde en tentant de se comporter selon le "tsélem", à l'image de Dieu, en conservant visage humain.

La section permet de le regarder comme le nouvel homme, qui est bien moins barbare que ceux d'entre qui il a été sauvé, comme l'homme du vingtième siècle, ou mieux encore l'homme du vingt et unième siècle, qui sont incomparablement plus évolués que les primitifs du moyen âge, qui brûlaient les hérétiques sur les bûchers.

Mais la même section relate aussi l'épisode de la tour de Babel, où l'humanitė moderne met sa modernité et sa technologie à contribution pour faire mieux que les barbares de qui elle se prétend supérieure. Les hommes de la tour de Babel ne rappellent-ils personne aux survivants de la shoa que nous sommes ?

Quel souvenir ont-ils de cette alliance contractée par Noé, si peu de temps après qu'elle ait été signėe ?

La circoncision qui ne sera initiée dans la Torah que par le personnage Avraham, dix générations après Noé et le déluge, n'est une pratique barbare que si on choisit de la comparer à cette barbarie inventée par l'homme qu'est l'excision. Elle n'est une pratique à interdire que si on fait abstraction de son caractère d'alliance. Elle n'est négative que selon un certain regard, peut-être précisément ce regard dont la vision des hommes de la tour de Babel est l'archétype.

Le judaïsme repose sur ses merveilleuses conceptualisations dont l'individu peut se nourrir, à travers l'étude des multiples ouvrages qui ont été écrits, ou bien repose-t-il sur ces maîtres, parfois êtres exceptionnels, qui savent trouver les mots pour enseigner ces perles, mais le judaïsme tient aussi à ses pratiques.

Fomenter des lois qui vont pousser à définir certaines de ces pratiques hors la loi consiste avant tout à détruire ce judaïsme, est le premier acte d'une nouvelle forme - moderne, éclairée - de la trop antique et récurrente expulsion-persécution des juifs par laquelle l'Europe s'est tristement illustrée vingt siècles durant.

Les juifs doivent trouver les mots qui existent et qui leur permettent de verbaliser ces pratiques jugées barbares par les babeliens d'aujourd'hui. Le juif a les outils de cette verbalisation, de cette conceptualisation qui permet de faire apparaître le côté plus moderne que moderne, plus humain qu'humain de ce qui pourrait évoquer la barbarie et ils se doivent de s'approprier ces outils. Leurs interlocuteurs, et surtout leurs contradicteurs, quand ils ne sont pas ouvertement intentionnellement contre le judaïsme, sont des babéliens qui ne sont - comme les babeliens - que la forme modernisée du personnage antédiluvien : il est lui-même perverti et corrompu jusqu'à ses entrailles mais il se targue de sa culture et de son modernisme et cache derrière ces derniers sa barbarie.


Les juifs d'Europe se doivent d'ouvrir les yeux, de déceler les prémisses de ce qui sera le prėtexte à leurs peut-être prochaines et imminentes nouvelles persécutions, et de savoir prendre les décisions qui seront les plus saines.

Mais, à la différence d'autres époques où les décisions se prenaient dans le noir, il est possible aujourd'hui d'allumer les lumières. Il est impératif d'utiliser les outils pour pouvoir regarder cette réalité européenne non uniquement avec des yeux et des oreilles, mais aussi avec des textes, avec des enseignements, avec des références auxquelles se raccrocher.