un peu de psy

Un peu de psy

table des matières :


1. Sur "l'en puissance".
2. A propos de résilience
3. Le fromage blanc et la matza
4. Communication, traumatisme, identité
5. Ta parole, ma parole
6. Halom shilton, on peut bien rêver
7. Du synapsique au syntaxique et vice versa
8. Un certain confluent de métempsycose, kabbale, hystéresis
9. Histoire contemporaine de la civilisation, mouvements de l'esprit, et évolution des phénomènes psychopathologiques et de leurs traitements.



Un peu de midrach. Sur l' "en puissance".


En hébreu comme en français peut se faire la distinction entre plusieurs utilisations du terme puissance, y compris dans ses relations avec l’impuissance.
Ainsi la puissance peut renvoyer à la force, à la violence, à l’expansion, à l’hégémonie, à la domination, mais il y a aussi d’autres significations.
En mathématique quand on place un exposant n à côté d’un chiffre x, le nombre obtenu se lit « x puissance n ». Il ne s’agit plus de force mais de nouveau mode de développement du chiffre initial, qui n’aura été ni ajouté ni multiplié mais mis en puissance.
Certaines actions sont puissantes et certaines décisions sont d’autant plus importantes en fonction de ce qu’elles contiennent ou impliquent en puissance.
L’individu aussi est constamment en dialogue, quand ce n’est pas en conflit, avec sa propre puissance, en relation avec l’impuissance qui est à l’autre extrémité du spectre. Puis-je ? arriverai-je ? ou suis-je au contraire incapable de ceci ou de cela ? plus fort ou plus faible qu’hier, que quelqu’un d’autre ? Ceci s’accroît encore dans le cas de maladie, de blessures ou d’invalidité.
Au chapitre ontologique, l’individu peut aussi facilement être étalonné sur une échelle de puissance, concernant sa capacité physique, intellectuelle ou morale. Ainsi, en relation avec les concepts de Création ou de Don de la Torah. Qui est créé ? Quel type d’individu ? faible ou fort ? le midrach dit d’Adam que sa taille était de 4/3 du monde, visant probablement à exprimer en cela une très forte capacité, une très forte puissance. Par ailleurs, l’homme est dit n’être que « cendre et poussière », né de la poussière et appelé à retourner à la poussière, c'est-à-dire, très vulnérable, très vil.
La Torah, qui est donnée à l’homme lui est-elle donnée en raison de ses capacités et de son mérite (génétique) ? ou au contraire n’est-elle pas pour lui un outil d’élévation, ce qui fera passer l’homme de cendre et poussière à des niveaux sans cesse plus élevés d’être ?
Une des pierres d’angle de la philosophie de Lévinas est la notion d’au-delà. L’homme devrait chercher sans cesse à atteindre l’au-delà de lui-même, il devrait chercher ce qui dans la religion juive n’est pas seulement une croyance d’âmes simples mais quelque chose qui va au-delà de cela, ce que Lévinas appelle une « religion d’adultes ». Il est convié par Lévinas à « souffler sur les textes » jusqu’à ce que la braise redonne des flammes, en essayant par cet exercice d’aller au-delà de ses propres forces intellectuelles. Pour Lévinas, le but est l’infini, ce qui est le plus au-delà possible, et il est la véritable alternative à l’enfermement, à la totalité.
Ceci me parait pouvoir être aussi exprimé par la notion d ’« en puissance ». L’homme n’est pas seulement menacé par la totalité qu’autrui exercera sur lui. Il a en lui la tendance à la même totalité, à l’enfermement, au renoncement et au sentiment d’impuissance.
L’alternative au découragement et au vécu d’impuissance pourrait être la puissance, celle qu’on n’a pas soi-même, celle qui est inatteignable, qui n’est que chez les autres, les forts, les bien portants, les non infirmes, les nantis. La véritable alternative pourrait se trouver non dans cette puissance mythique et idéale que l’on n’atteindra jamais mais au contraire dans l’intériorisation de notion de potentialité, de « en puissance ».
C’est le sens donné par le midrach au verset qui dit que la voix de D. s’exprime dans la puissance (קול ה' בכוח). Il ne faudrait pas ici prendre les mots au pied de la lettre, et lire que la voix exprime la puissance – parce qu’alors, objecte le midrach cette puissance renverserait le monde et l’homme – mais il faudrait y voir l’expression de la potentialité.
Une potentialité chère au psychanalyste Winnicott qui voit en elle la clé du développement de l’individu, une potentialité que l’on retrouve aussi chez le psychanalyste Bion pour lequel la santé psychique consiste en un équilibre entre ce qui est à être contenu en l’individu et ce qui le contient. Au début de la vie, le contenant est l’élément parental, essentiellement maternel, mais chez Bion, cet élément contenant est aussi l’appareil cognitif, qui nous aide à élaborer notre pensée, à contenir une pensée potentiellement présente en nous, mais que nous réussissons seulement progressivement à conceptualiser, en fait à l’infini.
On peut dire quelques mots au passage sur cet écart de vision du monde, qui parait à certains irrémédiable, entre la psychanalyse et la tradition, écart qui se manifeste par exemple au sujet des rêves – que la tradition considère comme 1/60 de la prophétie, c'est-à-dire relatifs au futur, tandis que la psychanalyse les voit comme émanant du passé – ou au sens plus large au sujet de la prophétie. Il est possible qu’il n’y ait pas ici deux conceptions diamétralement opposées mais un raccourci que s’octroie la psychanalyse et que la tradition refuse de faire.
La psychanalyse fait l’impasse sur la Révélation, sur la Création. Elle regarde l’homme phénoménologiquement, tandis que la Création parle de ses origines, tandis que la Révélation considère l’homme comme recevant de l’extérieur, recevant d’en Haut ce qui le fait devenir homme. La psychanalyse résout le problème grâce à Darwin – l’homme est devenu ce qu’il est par ses capacités de survie qui l’ont petit à petit fait se développer, théorie bien vivante comme en atteste cet extrait d’information : «Découverte : un gène serait responsable du développement de la parole (Guysen.International.News).La mutation d'un gène expliquerait pourquoi l'homme parle contrairement au chimpanzé. Une nouvelle étude publiée mercredi par la revue scientifique "Nature" prouve en effet que l'aspect de ce gène varie entre l'homme et le chimpanzé, l'espèce la plus proche de nous. », tandis que la tradition ne considère pas cette thèse – d’une évolution due au hasard ou uniquement aux conditions extérieures comme valable.
Je rappelle régulièrement la boutade de Ezra, ancien élève de Manitou, auteur du graphique de l’histoire juive, selon qui « on a déjà vu des hommes devenir des bêtes, mais jamais des bêtes devenir des hommes ».
Et ainsi, selon la Tradition, la thèse du développement de l’homme jusqu’à ce qu’il est aujourd’hui, est autre. L’homme se développe apparemment au gré de plusieurs stations clés. La Création du monde, le renvoi du Gan Eden, le meurtre de Abel par Caïn, le déluge, la tour de Babel, la sortie d’Egypte, le don de la Torah, la destruction du temple – et avec elle la disparition de la prophétie. C’est un peu comme si la tradition attestait ainsi de phases antérieures de l’humain. Il y a les phases des mondes antérieurs où il est possible qu’existaient aussi des humanoïdes, mais ce n’est que de ce monde que date l’homme communiquant, l’homo scribens.
Il est possible que la morale et l’éthique se soient formées progressivement. Pour la Torahc’est apparemment d’un mélange entre l’expérience et l’enseignement que cela se fait. Les thèmes de « yeshiva de Chem et Ever » étant peut-être une façon de dire que jusqu’au Don de la Torah, la morale, le comportement éthique, la relation à ce qui est Au dessus de nous, n’était que le fait de quelques individus, en passant par la phase intermédiaire où s’est trouvée créée la fonction de Prophète, jusqu’au stade où c’est devenu universel, avec l’évènement du Don de la Torah.
Pour la Tradition, depuis ce stade les choses ont été données. Mais de quelle manière ? sous quelle forme ? il semble qu’il y ait matière à interprétation.
Que reçoit l’homme au Don dela Torah ? est-ce l’ensemble dela Connaissance ? Il ne manque pas de textes de la tradition, qui semblent aller dans ce sens, ceux où on peut lire par exemple que si les premières tables de la loi ne contenaient que la loi écrite, les deuxièmes contenaient en outre la loi orale. Ceux qui expriment une extrême méfiance à l’égard de ce qui serait « nouveau ».
Mais alors, si tout a déjà été pensé, que nous reste-t-il à faire ici-bas ?
C’est toute la richesse de cette interprétation de l’« en puissance ». Si le don de la Torah est le don de la richesse divine « en puissance », alors l’homme reste non seulement libre de pouvoir encore et encore reformuler, conceptualiser, actualiser les textes et sa pensée, mais il se pourrait bien que l’homme ne sorte du Don de la Torah non libre mais dans l’obligation de penser, actualiser, s’approprier le message.
Le Don de la Torah n’est en effet pas seulement la remise sous coffret d’une jolie histoire artistement gravée dans la pierre, il s’agit de recevoir des mitsvot. C’est un don contraignant . Une contrainte qui est peut-être en elle-même une sorte de parapet.
Par ailleurs, penser est incontestablement une des cartes maîtresses de l’individu, un de ses atouts. Peut-être la Tradition vient-elle nous suggérer que le Don de la Torahest le point à partir duquel l’home devient homme pensant. En potentiel. Il lui appartient de développer ce qui lui a été donné. Ici, on peut trouver comme un essai de conciliation entre la vision psychanalytique et la vision traditionnelle. Pour la première, les rêves seraient des souvenirs de quelque chose d’archaïque qui aurait été vécu mais non vraiment verbalisé. Peut-être la tradition parle-t-elle de quelque chose de peu différent de cela quand elle nous parle d’un message qui a été donné mais non encore complètement révélé…
Penser consiste à exercer son esprit sur le monde. C’est très probablement enrichissant, et il est très encourageant de savoir qu’un outil en nous nous permet que se développe cette pensée, du fait qu’elle aurait été donnée « en puissance ».
C’est l’occasion d’une remarque complémentaire : le midrach, à l’occasion du thème du Don dela Torah ne parle pas tant du contenu de cette Torah que de son impact sur l’homme et sur le monde. Selon les perspectives de חפצא et גברא, c’est intéressant.


Et encore un mot : penser peut aussi conduire à de nombreuses erreurs, à de nombreux excès. Néanmoins, penser, exercer son intellect, tout en maintenant la structure de l’agir, par l’assujettissement aux mitsvot permet peut-être de garantir contre trop de mésinterprétations, d’excès ou de dérapages.


A propos de résilience


Si je suis en partie séduit par les textes (livres) de Cyrulnik autour de la résilience, je ressens quand même le besoin de réagir.
Je considère avec lui que toute évolution individuelle procède de forces mentales et il est clair que ces forces émanent de l'individu, sont en lui.
En tant que thérapeute, je pense cependant que mon rôle est parfois capital en ce qui concerne la mise en marche, ou l'encouragement de cette résilience.

Je pense que le rôle de toute intervention psychologique, ou psychothérapeutique, vise en fait à accroître l'espace du symbolique en l'individu.
C'est loin d'être un scoop, ça a été conceptualisé par les plus grands, mais j'ose tout de même prétendre avoir un mot à rajouter.

Que l'on dise que tout est affaire de résilience chez l'individu, ou que l'on dise que tout est affaire de symbolique, ne prend nullement en compte le paramètre - capital à mes yeux -  de l'alliance thérapeutique.
C'est à mon sens elle, cette alliance, qui est en amont de tout le processus et qui l'active.

Tant le développement et l'entrée en fonction de la résilience, que les progrès dans l'accès au symbolique ne se produisent qu'exceptionnellement spontanément en l'individu seul.
Et quand bien même cela se produit spontanément, c'est qu'un mécanisme s'est trouvé déclenché.

Le rôle premier du psychothérapeute est d'aider au déclenchement du processus.

L'étymologie du mot symbole nous renforce dans cette conviction "post-moderne", c'est-à-dire non monadique de la situation. Le symbole naît étymologiquement de la remise en coïncidence de deux éléments qui ont été préalablement séparés. Gemma Corradi Fiumara énonçait dans les années 80, que l'antithèse du symbole est le "diabole", ou autrement dit, la diabolique ou tragique situation où les deux éléments restent séparés, où l'individu reste éternellement prisonnier d'une situation .

Qu'est-ce qui déclenche le processus qui amène à la résilience ou à l'accroissement de l'espace symbolique autour de soi ?

Définissons cet espace. C'est l'espace mental du fait duquel je peux prendre de la distance des éléments tels qu'ils m'oppressent dans leur concrétude. C'est ma capacité à prendre de l'altitude, à m'auto-examiner plutôt qu'à entrer en action personnelle ou interpersonnelle (boulimie ou auto mutilation autant que conflit "armé" ).
C'est un espace dans lequel les pensées, ou les rêves s'insèrent, deviennent des mots ou deviennent sous-tendus par des mots.
Les mots n'atteignent leur efficace que dans le cas où ils sont dits et principalement dans le cas où ils sont entendus. L'espace dont il est ici question serait donc avant tout un espace de l'auditif, un espace constitué d'au moins une bouche et une oreille.

Transcrire cet axiome en situation thérapeutique dans laquelle le patient est celui qui parle et le thérapeute est celui qui écoute, revient à retomber dans l'excès de concrétisation. Il faut voir la situation thérapeutique comme situation potentielle avant tout. Il ne faut pas tant chercher à ce que les choses y soient dites, qu'aménager un espace dans lequel le patient se sente à l'aise, sente qu'il lui sera possible ici de mettre sa situation en mots.
C'est de l'espoir qui naîtra en l'individu d'une telle rencontre que pourront se déclencher la résilience et le retour, du symbolique dans le monde intérieur de l'individu.

Le vêtement du Cohen Gadol tel qu'il est décrit dans la Torah est traditionnellement considéré comme le symbole de la réparation des fautes commises par la parole. Probablement est-ce la raison pour laquelle il est orné de grenades et de clochettes : la grenade est – en hébreu - le fruit plein par excellence (on dit "plein comme une grenade" dans le langage courant, autant que l'on utilise en français "plein comme un oeuf"), alors que la clochette est creuse, vide, mais - et c'est son principal atoût -  résonne quand on l'utilise. Peut-être pourrait-on conceptualiser le rôle de la situation thérapeutique à l'aide de la juxtaposition de la grenade et de la clochette : tout individu est plein comme une grenade, mais ne peut en consommer - ou en exprimer - les grains que s'il trouve comment faire résonner le son de ce qui est contenu en lui, le son de ce qu'il a à dire.
C'est par le biais de la mise en présence de la grenade et de la clochette que se produit la réparation de la parole, que l'individu peut fructifier par le biais de la parole, de la relation et de la symbolisation, que la résilience de l'individu peut le développer.






Le fromage blanc et la matsa

Recettes de cuisine à présent ? et quoi encore ? vous me prenez pour Ginette Mathiot? Non, c'est à un autre fromage blanc que je pense, celui que j'évoquais dans un précédent texte par opposition à la matière grise.
Mon propos est ainsi bien plus sérieux qu'il n'y parait, je viens comme invoquer les découvertes de la science au service d'un retournement des idées reçues, des idées avec lesquelles nous avons été élevés.
Nous avons appris au lycée, à l'université, en classe de biologie, que le cerveau était comme sous l'emprise de cette entropie, ce facteur du désordre qui ne sait que croître. Les cellules nerveuses ne feraient que se détruire depuis la naissance nous enseignait-on. Comme pour dire que la capacité cérébrale était régie par l'entropie. A consommer sur place, et rapidement ! en avalant sans perdre de temps à mâcher.
Plus tard, dans les années 90, on se mit à répandre l'enseignement que l'enfant était ce avec quoi il était venu au monde : un enfant hyperactif est un enfant qui est né ainsi. C'est génétique et surtout irréversible (c'est une conception qui est très intéressante, en particulier pour les laboratoires qui commercialisent les médicaments contre les troubles de la concentration et de l'attention : si quelqu'un se convainc qu'il est de son état, que dis-je de son essence, de ses gênes, d'être hyperactif et atteint de troubles de l'attention et de la concentration, il se résoudra aussi à ce qu'il doive consommer de la ritaline toute sa vie durant. Bien vu l'aveugle !).
Or voici que cette dernière décennie annonce une révolution, et je parle sérieusement. Un nouveau courant auquel contribuent certains neuro-psychanalystes (ainsi s'auto proclament-ils), psychanalystes du développement et cliniciens en particulier spécialisés dans le traitement d'enfants à troubles majeurs du développement, considère aujourd'hui plus ou moins le contraire de tout ce que je viens de raconter.
C'est une conceptualisation qui est née sur le dépoussiérage des idées de Bowlby, qui se rendit très impopulaire dans les années 60, à tenter de démontrer au monde psychanalytique des vérités trouvées par l'observation des singes rhésus et autres animaux. Tout le monde rit de Bowlby, qui sous cape, qui depuis les vénérables tribunes des sociétés de psychanalyse, et ses livres furent condamnés à prendre la poussière.
Et voici que ce décapage des idées reçues prend précisément sa source dans cet attachement
dont Bolwby étudiait les mécanismes. Un attachement à la mère, inné mais ne reposant pas sur le verbal. Ce qui fit détourner le regard en 1960 le retient aujourd'hui.
Les conceptions de 2000 portent précisément sur ce non-verbal, ramènent à la surface l'hémisphère droit du cerveau dont Bolwby tel le monsieur Jourdain du développement humain vantait les mérites sans le savoir.
Voici ce qui est aujourd'hui considéré dans les hauts lieux de la psychanalyse, augmentée des neurosciences : le développement psychologique de l'individu a son moteur principal dans la relation. Ce n'est pas vrai pour les singes et les canards uniquement, c'est vrai pour les humains. Ce n'est pas vrai pour les premiers mois de la vie, c'est vrai tout au long de la vie. Et surtout ! ce n'est pas tant dû au contenu explicite du message qu'à ses caractéristiques implicites.
Pour le dire en français, si les premiers pas de l'arrivée dans le monde d'ici bas sont plus au rythme des premiers soins, des attentions délicates, du contact avec le sein, du sourire parental, c'est parce qu'à l'aube de notre existence c'est l'hémisphère droit de notre cerveau qui est dominant. Un état qui demeure jusqu'environ l'âge de 3 ans où c'est alors l'hémisphère gauche qui prend le devant de la scène. C'est à compter de cet âge que se développent les capacités verbales, apprentissage de la parole, puis de la lecture, de l'écriture, du calcul. On amène les enfants de la société juive traditionnelle au "heder", à l'école, à 3 ans, et on commence à apprendre.
On cesse aujourd'hui de considérer ces trois premières années comme l'antichambre des suivantes, comme la phase antérieure à celle où on commence véritablement à "grandir" (rappelez-vous, dans les années 60, la vénérable Margaret Mahler publiait un livre qui fit date, sur base duquel furent éduqués des centaines de psychologues et de psychiatres : "la naissance psychologique de l'enfant." Elle situait cette naissance environ à l'âge de 3 ans…).
C'est ainsi que nous sommes, obnubilés par nos capacités intellectuelles et celles de nos enfants. Il faut avant tout qu'ils apprennent, qu'ils aillent à l'école puis fassent des études. Les sourires et les premiers soins sont l'antipasto de l'existence, la vraie vie se passe à la bourse, pas dans les bras de qui que ce soit.
Il est des enfants pour lesquels cette première phase ne se passe pas sans heurts, ou au moins sans failles. L'espace compris entre les heurts et les failles définit le spectre des troubles du développement de la prime enfance. Aujourd'hui, on y inclut l'autisme, le syndrome Asperger, et le trouble de l'hémisphère droit pour ne parler que des plus connus. Rain man, Gaspard Hausser, le héros de la bizarre histoire du chien la nuit et des milliers d'autres qui eurent le privilège d'être moins tristement célèbres.
Mais la découverte ne consiste pas uniquement à créer une nouvelle catégorie dans les manuels diagnostiques psychiatriques. Elle est de bien plus grande importance. Elle consiste à dire que ce qui ne s'est pas correctement passé dans ces trois premières années, peut se passer par la suite, beaucoup plus difficilement mais peut se produire.
Allan Shore, lui-même neuropsychiatre et psychanalyste, qui partage avec Peter Fonagy, psychanalyste renommé, la tête de file de ce courant, parle de "psychothérapie de l'hémisphère droit". Autrement dit il s'agit non plus d'axer les efforts thérapeutiques sur le verbal, sur l'interprétation, sur le message et le dialogue verbal mais de se concentrer sur ce qui pourra se faire sur l'axe de l'hémisphère droit, sourires, chaleur humaine, contacts par le regard et autres.
Les expériences montrent que ce dernier peut se développer, que ça pousse ! la matière grise ne serait donc plus inexorablement menacée par le fromage blanc !
Et la matsa ? et bien, elle est surtout anecdotique ici, si ce n'est qu'elle est consommée lors d'un épisode clé de l'éducation juive, au cours du seder de Pessah au cours duquel nous ne faisons pas que remémorer la sortie d'Egypte de nos ancêtres il y a 3500 ans, nous le faisons à l'aide de toute sortes de rites, dont certains sont hautement verbaux, il s'agit de raconter la sortie d'Egypte, mais certains non moins importants sont d'un autre domaine. La matsa est l'emblème de cet autre domaine. A pessah, on surfocalise la nourriture vous diront certains. Ce n'est en fait pas tant la nourriture elle-même que l'on surinvestit, que le don de nourriture et le message transmis par voie de nourriture.
Dans le midrach, la sortie d'Egypte est développée comme si elle était une naissance, une délivrance plus qu'une libération. Le mot Egypte en hébreu signifiant oppression et cette sortie d'Egypte faisant suite à la mortalité de toutes sortes d'enfants : les bébés mâles que Pharaon vouait à la mort, et les premiers nés égyptiens qui furent la dernière plaie, celle qui ouvrit les bureaux des visas de sortie. La sortie d'Egypte est ainsi une sorte de naissance sur laquelle on a le devoir de revenir chaque année. Comme si on avait le devoir de croire que l'éducation est possible à tout âge, mais aussi comme si cette dernière n'était pas uniquement le fruit de l'enseignement verbal mais dépendait non moins du décor, des à côtés, chants, nourriture, et ambiance familiale. Ces derniers apparaîtraient ainsi aujourd'hui non plus comme les épices et les aromates de la situation mais bien comme son fondement.
Pessah vient dire à l'individu que les années antérieures n'empêchent pas le développement, vient donner à l'individu normal des indices pour le traitement de ceux pour lesquels il faut des efforts surdimensionnés.
Ne me faites enfin pas dire ce que je n'ai pas dit : ce n'est pas la matsa qui est à vertus thérapeutiques de l'hémisphère droit. Je doute même qu'elle ait une quelconque vertu thérapeutique et il se trouverait sans mal bon nombre de victimes des dégâts qu'elle aurait prétendument infligés à leur fleur intestinale. Quand je parle de Pessah, je ne parle pas non plus de thérapie. La thérapie est un métier et quand quelqu'un en a besoin on ne doit lui prescrire ni de la matsa ni une quelconque fête de Pessah. Par contre, au niveau symbolique, j'aime que dans cette fête érigée au premier rang de l'éducation de l'enfant par ses parents, dans cette fête comparée symboliquement à une naissance et à un commencement, figurent autant de messages implicites qu'explicites.



Communication, traumatisme, identité - 1

Inarritu aime les triptyques. Il nous livre une série de trois films, chacun reposant sur la mise en présence de trois personnages, chaque fois pour travailler le sujet de la communication, ou la rencontre née du hasard, ou préférentiellement, née du traumatisme.
Je cherche ici à faire avancer une réflexion sur le sujet de la place à faire à la notion de l'identité dans la personnalité de l'individu, étant entendu qu'au cours des dernières décennies, lui est réservée la place centrale, comme l'illustrent les nombreux écrits sur le sujet, comme l'illustrent certaines expressions telles que « démarche identitaire » qui parait utilisé globalement pour décrire le processus de développement de l'individu.
Je voudrais réfléchir sur ce thème de l'identité, d'une certaine manière pour le combattre, ou au moins lui redonner la place – avec les limites afférentes - qui lui convient, et pour déboucher sur ce qui à mon sens doit être le véritable aboutissement de cette démarche de la formation de la personnalité, démarche qui occupe énormément l'individu moyen.
La démarche d'édification de la personnalité démarre avec l'aube de l'existence, et il apparaît que la communication joue un rôle prépondérant.
Un regard sur le traumatisme, comme facteur d'interruption du développement, puis sur la thérapie, ou la réhabilitation, comme facteurs de reprise de ce processus, pourrait ajouter un éclairage sur cette recherche.
Traumatisme comme provoquant la communication ? ou communication comme soin post traumatique ?
Communication comme antithèse du traumatisme ?
Un sujet un peu compliqué.
Abordons le sujet par le biais du cinéma. Ce qui pourrait être le thème central du film Babel apparaît dans le titre. (J'ai la quasi certitude d'avoir déjà écrit sur ce film et je ne retrouve aucun texte. Si quelqu'un peut éclairer ma lanterne, il sera le bienvenu).
Babel, mythe de la non communication, de la communication qui tourne au vinaigre, du mondialisme-globalisme qui aboutît à la faillite de la communication. Le film Babel semble jouer avec ce thème de la tour de Babel, qui aurait permis de faire tomber les frontières, qui aurait permis aux hommes de créer un monde égalant ou dépassant Dieu, la tour atteignant le ciel étant de ceci le symbole. Dans notre monde globalisé d'aujourd'hui des frontières subsistent-elles encore ? Les grilles barbelées et les bureaux de douane – qui eux, existent encore – parviennent-ils à maintenir des séparations quand on peut acheter les mêmes produits à tous les coins du monde, quand on peut se déplacer d'un endroit à l'autre du monde en quelques heures et pour un prix devenu très modique, quand on peut communiquer en temps réel avec son interlocuteur presque où qu'il se trouve ?
Est-ce la communication ? Dans le film, Le fusil d'un japonais vendu à un berger marocain provoque un drame chez un couple américain dont les enfants sont retenus au Mexique. Trois lieux, trois pôles. On avait cru longtemps – depuis Copernic qui paraissant pourtant avoir tout dit – qu'il n'y avait que deux pôles..
Trois situations de non-communication. Ce film est le summum de la non communication, comme l'a été la tour de Babel. Dans ce monde d'où les frontières semblent avoir disparu, les voici revenir au triple (encore !) galop.
La belle américaine blessée et son mari échoués au fond du Sahara marocain ne parviennent pas à s'expliquer avec les autochtones, la bonne, mexicaine, des enfants américains, qui les a emmenés au Mexique pour seulement quelques heures ne parvient plus à trouver les mots qui lui permettront d'amadouer les gardes frontières, et le principal drame de l'incommunication se joue au Japon, chez le propriétaire du fusil, dont la fille, sourde de surcroît, semble plongée après le suicide de sa mère dans un état grave de discommunication, de détresse communicative.
Le film ne propose aucune solution, aucune thérapie. A la limite, il serait presque aussi sentencieux que la Bible, qui condamne sans appel la génération de la tour de Babel : ils ont voulu abolir les frontières, et avec elles la divinité, et ils sont frappés d'incommunication.
Une humanité frappée ou dotée ? La multiplicité des langages serait une malédiction ? A d'autres !
Mais le multilinguisme comme symbole de l'incommunicabilité entre les gens, voire entre les peuples, ça, sans problème. C'est un message qui passe, qui ne nous est pas étranger.
Et donc la place de la communication dans la santé de la société ?
Je voudrais faire intervenir pour cela un tout nouveau film, que j'ai eu le privilège de voir en avant première israélienne cette semaine, et qui s'appelle « l'enfant dauphin ». C'est un documentaire qui relate la récupération, puis la guérison – ou tout au moins un forme, une part de guérison – de Mourad, jeune garçon arabe israélien de 18 ans, qui tombe en très grave état de dissociation après avoir été passé à tabac par des jeunes de son village pour une histoire d'«honneur familial » comme cela s'appelle tristement.
Il est dissocié complètement du monde, demeure en état de stupeur de visiblement de terreur, et le médecin à bout de ressource décide de tenter la carte « dauphins ». Le film est d'autant plus crédible que le résultat est loin d'être rapide. Il faudra plusieurs mois à Mourad pour retrouver la parole, il faudra trois ans pour qu'il redevienne apparemment normal, c'est-à-dire capable de fonctionner en société, de communiquer, d'être en relation, y compris romantique.
Et le rôle des dauphins paraît ici central, même si les instructeurs du centre d'Eilat n'ont pas été passifs tout au long de cette réhabilitation. C'est quand même nettement grâce aux premiers que lui est revenue la capacité de communiquer, l'envie de communiquer, la capacité de redémarrer une vie.
Et c'est à ce chapitre que le film innove (les dauphins sont quand même célèbres pour leur lien aux êtres humains, pour les traitements menés par leur intermédiaire par exemple avec des enfants autistes) : il donne deux détails fondamentaux à mes yeux.
Le premier est que Mourad, qui refuse dans un premier (long) temps de recevoir les visites de sa mère, se retrouve en train de têter le sein lors de cette première rencontre, comme s'il s'agissait véritablement d'une nouvelle naissance. La mère, qui dans le film est celle qui raconte la situation, en est plus que surprise.
Le deuxième détail est la nuance exprimée par Mourad concernant son état trois ans après son arrivée à Eilat. Ce n'est pas une guérison dit-il, et quand lui est posée la question de ce qui fait cette nuance, il répond : « quand je dormirai comme toi, on pourra parler de guérison ».
Le film montre aussi la quatrième année de Mourad, une année où se produit peut-être plus la véritable guérison, grâce au retour à l'hôpital et au recours à des traitements neuro-médicaux. A l'issue de cette quatrième année, Mourad peut se remémorer la scène de son agression, est capable de pleurer, peut redevenir le Mourad qu'il était (tandis que du temps des premières phases de sa réinsertion, il était en état d'amnésie totale, se considérant né à Eilat).
Il y a ici donc la possibilité d'établir des distinctions. La communication semble inséparable de la santé. Mais la communication n'est pas le remède.
Dans les cas où la communication est coupée – cas de traumatismes le plus souvent – ce n'est pas à la reprise de celle-ci que doivent se limiter les efforts.
La communication n'est pas une fin en soi. Il est possible que dans les cas d'Asperger, de PDD-Nos ou d'autisme, sa rupture ou son inexistence soient réactifs, comme cela est fortement accentué dans les cas de Mourad, du film l'enfant dauphin, ou de la jeune fille japonaise du film Babel, mais la reprise ne peut être vue que comme une étape.
Mourad qui revient à la communication, ou la jeune fille du film Babel qui parvient au contact corporel qu'elle recherche frénétiquement sont tous deux à ce stade en situation presque non moins pathologique qu'antérieurement. Le travail reste à faire.
Et – mais ce sera pour un autre chapitre – ce n'est pas l'identité, l'aboutissement de la démarche identitaire qui peut être la fin du parcours.
On voit clairement que Mourad – ou Chieko – ayant été fortement troublés et déstabilisés par les évènements qu'ils ont vécus, sont en recherche identitaire. L'un et l'autre doivent redémarrer dans la vie.
Il est clair que le rôle de la communication se situe aux charnières de la démarche de l'individu. Elle est incontournable mais ne constitue ni le centre ni l'aboutissement de la démarche. Elle permet la recherche identitaire, et elle est aussi fondamentale pour continuer la démarche de l'individu, au-delà de l'identité.


Ta parole, ma parole...(Léo Ferré - années 60)



Alors que pour le français les paroles s’envolent et les écrits restent, l’hébreu et son codex se sont préoccupés depuis les temps les plus anciens de savoir comment effacer ce qui découle de la parole et qui, sinon, pourrait demeurer indélébile.

Le monde juif voit la parole comme recelant un pouvoir majeur. Au delà de la tradition selon laquelle c'est par la parole qu'a été créé le monde, la question de l'impact de la parole de l'individu sur son quotidien est un sujet envisagé sous de multiples facettes.

Rappelons-nous aussi que le livre de la Genèse est aussi un livre qui relate l'édification de ce poids de la parole. On y évolue du stade où les individus ne se parlent pas et se frappent jusqu'au stade ultime de la prise de responsabilité envers autrui par le biais de la parole, en ayant eu au passage plusieurs variations sur le thème du serment, de la place de la parole dans le rôle que pourra ou non tenir l'individu, et sans oublier la place accordée à l'interprétation des rêves.
Peut-être Freud était-il habité de cette conscience de l’Antiquité, lui qui prétendait que le cerveau humain n’oublie rien, que tout y reste inscrit, toutes les paroles entendues enregistrées.

C’était une préfiguration de ce que les récentes recherches en neuropsychanalyse permettent de confirmer, et que le cerveau droit est le substrat neuronique qui fournit l’espace, le disque dur sur lequel sont enregistrés tous ces messages, en particulier selon un mode d’inscription crypté, subliminal.

Ce ne sont pas les textes dans leur syntaxe qui sont engrangés en ce lieu, ce sont les sensations, les odeurs, les contextes émotionnels.

Curieusement, leur empreinte est probablement au moins aussi déterminante de ce qu’est l’individu que le texte des mêmes paroles, qui est, lui, enregistré dans le cerveau gauche, sous sa forme originelle.

Dans le contexte d’un dialogue imaginé entre le Créateur et Moïse au moment de l’épisode du Veau d’or, le midrach nous dévoile que le miracle de cette prégnance de la parole proférée est qu’il existe une possibilité non de la nier, non tant de la corriger, mais surtout, de l’annuler. En exécutant certaine procédure, il serait possible de remettre le compteur à zéro, non celui du dernier parcours, que l’on sait aisément remettre à zéro à chaque passage à la pompe, celui qui n’est commandé par aucun bouton.

L’individu, qui « sait » - en termes de cerveau droit, c'est-à-dire sans le savoir – que la parole proférée est inscrite, cherche par tous les moyens et depuis son plus jeune âge ce bouton, il cherche inconsciemment toute sa vie durant comment faire cette opération, comment effacer ce qu’il croit être indélébile.

Les moyens psychiques mis en œuvre à l’aube de l’existence et dans les constructions psychiques précaires ou atteintes par la maladie, sont la déconnexion et le clivage. L’infans est persuadé qu’il a effacé alors qu’il n’a qu’enfoui, ou refoulé en profondeur.

L’enfant plus grand atteint une méthode plus semi-consciente et apprend qu’il est possible de nier, de mentir.

L’adulte un peu léger – ou psychopathe - entérinera ce phénomène et s’installera dans un mode d’être quelqu’un qui « n’a pas de parole », tandis que l'adulte lambda reste condamné au conflit interne, ai-je eu raison de dire ? n'aurais-je pas dû dire ? devrais-je dévoiler ? etc..

La Torah propose la sublimation de ces phénomènes échafaudés maladroitement et sans succès par le psychisme soumis aux contraintes de la dure réalité : l’interpersonnel, et non l’intrapsychique, est la structure qui permet d’être délivré du poids de la parole indélébile.

C’est déjà cet interpersonnel qui permet de donner corps à cette parole, qui n’a en fait de poids que si elle est entendue. Le rêve est l’anti – ou l’anté – parole. Tant qu’il n’a pas été prononcé, traduit en acoumène, il n’est que vent. Une fois prononcé et entendu, il devient concret et est une parole inscrite. A ce stade, nous apprennent le talmud autant que la psychanalyse, le rêve est devenu message, la lettre a été ouverte et lue.

Les prophéties ont du poids si elles ont été dites et entendues par l’oreille. Consignées sur papier, elles ont le devenir du papier.

La parole a du poids quand elle a résonné dans une oreille et que le texte, sous forme de vécu émotionnel pour une part et sous forme syntaxique pour une autre part, a été consigné. A ce stade, le déni, le refoulement, le mensonge sont inefficaces, la parole demeure.

Seul l’interpersonnel peut défaire ce terrible mécanisme de solidification accompli par le cerveau humain. Il est possible de défaire, de délivrer, de délier, de rendre nul le serment, le vœu, la parole qui aura été prononcée. Seulement par le truchement de l’interpersonnel sera-t-il possible de corriger le mouvement que la parole aura imprimé à l’univers.

Dans le contexte post moderne, la cure est le lieu de cette délivrance, de cette conjuration, après que pour le monde catholique, la confession en ait été l’ébauche, alors que pour le  monde juif le cerémonial interpersonnel d’annulation du voeu en est le corollaire.

L’établissement d’un dialogue est le mécanisme par le truchement duquel ce qui est inscrit séparément dans les deux hémisphères cérébraux se trouve catalysé en texte qui a à la fois force concrète et qu’il est possible de « traiter ». La cure est le lieu où ce traitement est optimal et permet à l’individu, par l’élaboration interpersonnelle qu’elle offre, d’atteindre un troisième niveau, supérieur au premier niveau, celui des tentatives intrapsychiques imparfaites, préférable aussi au second niveau, aux mécanismes uniquement binaires, que sont la confession ou le cérémonial d’annulation du vœu.  



khalom shiltone - on peut bien rêver...




Les rêves sont-ils des futilités ou le fondement de l'existence ? Les rêves relèvent-ils de la prophétie ou des envies secrètes?
Que faire d'un rêve ? L'enterrer ? Le raconter ? Le faire interpréter ? Viser à le concrétiser, à ce qu'il se réalise ?

Cette question suit le monde depuis que le monde est monde. C'est de cela qu'attestent les différents rêves exposés au long du livre de la Genèse, le livre qui présente la mise en place du monde tel que le vit l'individu ( par contraste avec le livre de l'Exode qui présente la même histoire mais à l'échelle collective, ou avec le livre du Lévitique qui présente le même thème sous l'angle du culte rendu par l'homme  à la divinité ). Yossef rêve et ses rêves sont à la fois perçus comme des prophéties et des futilités : "va-t-on venir se prosterner devant toi, ta mère décédée et moi-même et tes frères"? lui répond Yaakov, mais tout en "conservant la chose en lui", autrement dit en lui signifiant que sa "prophétie" ne tient pas debout, mais sans pour autant la traiter par le mépris,  tandis que ses frères le vendent en disant : "on verra bien ainsi ce qu'il en sera de ses rêves", autrement dit en faisant simultanément une chose et son contraire par rapport à ses rêves, c'est à dire en agissant de manière à ne laisser aucune chance aux futilités de devenir des réalités. 

La suite de l'histoire atteste du caractère prophétique du rêve, et atteste de la concrétisation des sentiments de l'avenir auquel Yossef se sentait ou se souhaitait promis.

Freud présente au monde en 1900 le résultat de ses recherches sur le rêve, qui se résument :
- en l'annonce aux mondes scientifique et philosophique que l'homme n'est pas uniquement le fruit de son esprit conscient mais non moins si ce n'est plus, de son inconscient, d'une autre instance présente/cachée en lui, 
- et en la présentation d'une technique de soin psychologique de l'individu nommée psychanalyse. 

Les deux nouvelles continuent cent ans et quelques plus tard à susciter simultanément la même polarisation suscitéedepuis toujours par le phénomène même du rêve. Tous ne croient pas à l'inconscient mais il est devenu une catégorie incontournable, qu'on y croie ou non, la technique psychanalytique est l'objet tout à la fois de curiosité, d'interêt, et de mépris, parfois chez la même personne.

Et ainsi, c'est peut-être ces thèmes du conflit, de la perplexité, de l'angoisse concernant l'avenir qui sont exprimés dans et par le rêve, et qui sont traités  - en fait assez peu différemment - à travers ces thèmes de la prophétie ou de l'inconscient.

Le développement du monde, de l'entité "Israël" telle qu'elle est présentée au long des deux premiers livres de la Bible, sont thèmes de conflit extérieur pérenne entre hommes, y compris entre frères, et sont le thème de conflits internes en l'homme, tels les conflits vécus par Yaacov, dépasser ou non son frère ? bénir un fils plutôt que l'autre ? Céder ou non à son beau père ? épouser telle ou telle femme ? Vivre en Israël ou en dehors d'Israël ? Et, plus loin, se rendre ou ne pas se rendre en Egypte ? Ou à l'échelle collective tel que le livre de l'Exode le présente croire ou non aux prodiges ? Sortir ou non d'Egypte? ,  et plus loin, se rendre ou ne pas se rendre en Israël en conquérant ou en ne conquérant pas la terre.

Nul n'est besoin de préciser en quoi ces thèmes bibliques suivent l'humanité au fil des siècles, sans même changer le décor. 

Et donc une question peut être centrale : que signifie interpréter ?

Ainsi que l'a fait brillament remarquer Rav Médan jeudi dernier à ce cours qui attire chaque semaine plus de monde ( quelques cinq cents personnes en l'état actuel des choses, quelques cinq cents personnes pour lesquelles entendre une parole de poids concernant un texte vieux de trois mille cinq cents ans est une motivation suffisante à modifier l'emploi du temps du jeudi après midi semaine après semaine), le texte ne livre pas l'interprétation des rêves présentés, de la façon dont la première lecture le suggèrerait. La réaction de Yaakov au rêve de Yossef mentionnée plus haut n'est pas l'interprétation du rêve, mais en serait presque plutôt l'antithèse. Les réponses faites par Yossef à l'échanson et au panetier " dans trois jours...", les réponses de Yossef aux rêves de Pharaon "les sept vaches sont sept années..." ne sont pas les interprétations,  tout au plus sont-elles des paraphrases du rêve.

La véritable interprétation des rêves qui impliquent Yossef consiste en la lecture idoine de l'Histoire de la civilisation qui est la sienne, du rôle qu'il se doit d'y tenir, et de la façon par laquelle il doit atteindre ce rôle. 

L'interprétation avisée des rêves est ce qui mène Yossef à prendre les décisions qui sont les bonnes pour lui et pour l'humanité, de même que Yaakov est présenté comme le premier patriarche de l'humanité qui prend ses décisions en fonction des rêves, mais dans la continuité de ce qu'avait innové son grand-père Avraham, qui était mené par un message dont il n'est pas clair combien il appartient à la prophétie, au rêve ou au rêve éveillé. 

L'humanité avance ou n'avance pas en fonction des décisions prises par les personnages phares, d'une famille ou d'un peuple, l'individu avance dans telle ou telle direction, ou recule,  en fonction des décisions qu'il prend concernant l'axe selon lequel il oriente sa vie, et tous ceux-ci, individu, chef de famille ou de nation, ont apparemment le loisir de limiter le domaine qu'ils prennent en compte au conscient ou d'y inclure aussi d'autres couches de la conscience.

Manitou définissait ainsi le rôle du rabbin : savoir diagnostiquer son époque, en référence aux Prophéties de la Bible. 

C'est une perspective intéressante, et dont les rabbins pourraient s'inspirer un peu plus, mais c'est une perspective de savoir, non une perspective d'interprétation. C'est une perspective de ce que l'on appellerait le monde religieux, ou le monde de la kabbale, qui sont guidés par la conviction que certains individus "savent", possèdent le savoir, tandis que l'interpétation est une perspective du monde post moderne, perspective du monde tel qu'il est perçu, ou tel qu'est son actualité, monde qui permet de voir qu'il n'y a en fait jamais qu'une seule bonne réponse, une seule vraie vérité à l'échelle de l'homme et de l'humanité, que l'on ait ou non la conviction qu'il y a une seule vérité à l'échelle du Créateur.

L'homme est caractérisé par le fait entre autres qu'il rêve, par le fait qu'il dispose et d'un intellect, et d'une activité onirique. Décidera-t-il de ne pas tenir compte de la deuxième qu'il en rétrécira d'autant le champ du premier et de son impact sur sa réalité. 

Il est fort probable que sa réalité et son avenir seront le fruit des interprétations qu'il aura su ou non donner. Et le texte biblique de la Genèse, élargi à ceux des Prophètes pour l'Antiquité, ceux du talmud pour le monde des derniers deux millénaires, ou dans une non moindre mesure les écrits de Freud pour le monde d'aujourd'hui (même si Freud appartient déjà au passé), sont des outils qui permettent d'élargir le champ de vision de l'homme.

Je dois ma vie au sens propre à l'interprétation que ma grand-mère a su donner à ses propres rêves de la sinistre année 1944, exemple qui a eu valeur à mes yeux - et je suppose aussi aux yeux de quelques autres de ma famille - de mythe ou d'expérience fondateur/trice, et je dois ma vie au sens plus figuré de l'expression à d'autres interprétations, non de rêves au sens propre, mais de dispositions, d'intuitions, d'expériences positives comme négatives, et ceci est probablement le lot de la plupart d'entre nous.

Celui qui sait interpréter les rêves de son prochain a incontestablement du mérite, mais celui qui sait livrer ses rêves à l'interprétation de la bonne personne, puis écouter et agir en conséquence, a probablement non moins de mérite, et est en tout cas non moins avisé.

Le talmud enseigne que les rêves doivent être racontés à quelqu'un qui vous aime et c'est bien évidemment afficher on ne peut plus clairement l'avantage de l'interpersonnel sur une quelconque science universelle des rêves et de leur interprétation qui vaudrait  de façon absolue. l'interprétation n'a de sens que si elle est personalisée, que si elle est proposée à l'individu en fonction de sa personnalité et de son vécu, et que si elle est signifiante pour l'individu et acceptée par lui.

Le mérite particulier et extraordinaire de Yossef, similaire à celui de Freud plusieurs millénaires plus tard, est d'être capable d'interprêter ses propres rêves. Freud ne nous raconte pas les décisions prises par lui suite au travail d'interprétation. Nous savons comment Yossef sait prendre la bonne décision par exemple dans l'épisode de la femme de Putifar, c'est à dire comment il sait ne pas succomber à cette voie immorale d'accès au pouvoir qui s'ouvrirait ainsi à lui si il optait en faveur de ce qu'elle lui propose.

Et ainsi, alors que nous faisons souvent en hébreu la rime entre le pouvoir et l'argent "chiltone"-pouvoir, rime avec "hone"-richesse, peut-être ces épisodes du livre de la Genèse pourraient-ils nous conduire à préférer faire rimer chiltone avec khalome (rêve) : le pouvoir doit découler de l'interprétation éthique des rêves, rêves idéologiques ou rêves politiques. Le pouvoir au niveau national, et le pouvoir, ce qui détermine la vie, au niveau individuel. Cela corrobore un peu les thèmes de "cerveau droit" et de mode d'accès à l'analyse de notre situation géopolitique,  sur lesquels j'ai déjà écrit.


Du synapsique au syntaxique et vice versa.



Les impressions consignées, enregistrées dans l'hémisphère droit à l'état brut, sont à la disposition de l'esprit. Si la voie employée pour les traiter est celle qui traverse le corps calleux et aboutit au cerveau gauche, elles y sont élaborées, deviennent verbales et peuvent être rangées dans les bibliothèques de l'esprit.

La voie peut être autre, et les impressions transformées en musique, en création plastique, ou même demeurer impressions ou sensations.

L'impression reçue mais non transmutée s'accompagne de bien être si elle est au départ impression positive, mais est ressentie comme toxique si elle était au départ impression négative.

Exemple : l'enfant de trois ans participe au repas familial dans la maison de ses grands parents, en présence de toute la fratrie de sa mère, de son père, de son grand-père, de son arrière grand-mère, mais en l'absence inattendue de sa grand-mère et de son arrière grand-père, parce que ce dernier a ėté l'objet d'un problème médical soudain. L'enfant ne reçoit pas d'information verbale à ce sujet ( par oubli, et du fait que tous sont préoccupés par la situation) et ne reçoit que les informations non verbales, recueillies par son système sensitif. Il sent la tension, il voit les visages tendus. Il a soudainement un accès de colère, bizarrement dirigé contre le regard de son arrière grand-mère :  il réagit agressivement et lui enjoint de ne pas le regarder. Il finit après quelques minutes, quelques échanges agressifs, quelques tentatives de le discipliner, de le calmer, de le punir, il finit par dire qu'elle a "des larmes dans son visage" ( ce qu'elle ne confirme pas, ce qui confirme qu'il ne voit pas réellement mais perçoit ).

Ce n'est que plus tard dans la soirée, quand il reçoit l'explication verbale de l'absence de son arrière grand-père que son humeur et son comportement rentrent dans l'ordre. Il dit même à ce moment qu'il souhaite prompte guérison, qu'il est sûr qu'on trouvera un bon médicament pour lui.

L'enfant dont la trajectoire a été perturbée affectivement, qui a grandi dans une atmosphère saturée en impressions négatives non verbalisées, qui ne lui ont pas été transcrites en mots, et de plus si de l'agressivité a été manifestée à son égard, peut devenir un enfant à troubles du comportement, ou un enfant à troubles de la communication.

Si pour l'enfant de trois ans, chez qui la structure est encore souple, le comportement rentre dans l'ordre après quelques minutes, pour l'enfant chez lequel il y a eu accumulation de ces situations, auxquelles de l'agressivité dirigée contre lui ou concrètement perceptible a été ajoutée, la structure se solidifie comme telle, et se développe une personalité encombrée de troubles du comportement de façon durable.

Le mécanisme réparateur est celui de l'interpersonnel. Ce n'est pas uniquement que des mots y sont prononcés, c'est que des mots sont prononcés par ceux à qui l'attachement est le plus vif (mère et père en particulier).

Peut-être se produit-il au niveau cérébral ce que Winnicott décrivait en termes psychanalytiques au sujet de l'espace potentiel. L'espace potentiel est comme la latitude interne qui se développe à l'intérieur de l'individu au cours d'un développement normal, latitude qui lui permet de progressivement acquérir de la patience, de la réflexion, des mots pour ses impressions, et la capacité d'être créatif. Curieusement, il semble que cet espace potentiel (interne) se développe du fait que de l'espace est progressivement créé entre lui et l'élément parental. Pour Winnicott, comme pour beaucoup de théoriciens psychanalytiques, l'enfant ne naît pas avec la conscience d'être un individu à part entière, mais il débute au contraire dans l'existence un peu comme un prématuré, partie non dissociée de sa mère. Son individuation est le fruit de sa séparation, une séparation qui doit être progressive et harmonieuse autant que faire se peut, une séparation qui doit se dérouler au rythme de ce que l'un (l'infans) et l'autre (la mère) peuvent accepter, peuvent supporter.

Cet espace interne, virtuel, abstrait, inconscient, analytique, est le produit de la création progressive de l'espace interpersonnel qui se crée petit à petit autour de lui, du fait du relationnel et de l'attachement.

Peut-être le mûrissement des fonctions cérébrales supérieures, sont le fait de la myélinisation, de créations de synapses, et d'autres développement chimiques, physiologiques et électriques internes. Mais peut-être le moteur de l'activation des ces développements du monde interne, cérébral, de l'individu, se situe-t-il dans l'interpersonnel, dans l'attachement, dans la relation, à l'instar de ce qui se produit avec l'espace potentiel.

Le moteur de l'humain parait décidément bien être dans l'interpersonnel, comme je l'écris dans plusieurs endroits, comme je l'écris dans l'article "ta parole, ma parole" de ce même blog, autour des thèmes du livre de la Genèse.

Aux plans philosophique, social ou intellectuel, la place dévolue à l'interpersonnel parait optionnelle : on choisit comme ci ou comme ça, en fonction de ses aspirations.

Aux plans psychologique et probablement neurologique, cela pourrait ne pas être optionnel : on a besoin de l'interpersonnel. On en a besoin pour un développement dans les meilleures conditions, mais peut-être en a-t-on non moins besoin quand il s'agit du thérapeutique - quand il s'agit de corriger des choses qui sont parties de travers, tant dans le psychologique que dans le neurologique.


Le cerveau, étant une structure dont la plasticité n'est plus à démontrer, en perpétuelle évolution tout au long de notre vie, peut peut-être non seulement se développer mais aussi se réparer du fait de l'interpersonnel. Peut-être aussi dans la phase de réparation, le cerveau gauche, des fonctions supérieures peut être réactivé par le biais du cerveau droit, c'est à dire en remontant à la source du trajet normal, en communiquant avant tout des impressions et en second lieu du contenu (par exemple dans le cas de la rééducation) 

1 commentaire:

  1. C'est avec un vrai plaisir intellectuel que j'ai lu ton texte, et suis restee toute songeuse..En y reflechissant, on peut penser, et voir une certaine correlation combien dans la Thora, la "droite", ou le cote droit, est primordial, et important..On allume la Hanoukia par la droite, dans netilat Yadaim la main gauche purifit la main droite en premier, dans la benediction D'Ephraim et Menache, les mains de Yaacov s'inversent et sa main droite vient sur le cadet...les exemples sont innombrables ou la droite est exaltee, et glorifiee. Notre cerveau, creation Divine, bien sur, vient s'appuyer sur une meme logique de raisonnement, si tant est que l'on peut demontrer le rationnel a notre comprehension humaine...mais si D.ieu exalte tellement le cote droit, il nous est revele que dans la mystique juive, a droite est gouvernee par le Hessed-bienveillance- et la gauche par le Din..."J'ai vu D. assis sur sur trone tandis que tte l'armee celeste se tenait debout pres de Lui, a droite et a gauche""(premier livre des Rois 22-19) Ceux qui defendent l'accuse sont censes se tenir a droite, et ceux qui le poursuivent sont a gauche(Tanhouma Michpatim 15)...Cette dynamique de droite et gauche a un element rationnel par la Hohma-sagesse-et Bina-comprehension et daat-connaissance, que vient finir l'accomplissement de ces forces par la Volonte et Royaute Divine.Cet equilibre est tres fluctuant dans la construction du caractere d'un individu, recue par l'education, le milieu, l'etude. Cette sagesse (l'ideal) est parfois agressee par une force opposee : la comprehension (les idees mal recues, mal percues)qui rogne certains morceaux de la sagesse, la ou l'idee ou l'evenement ne peuvent plus etre appliques.Le compromis entre la sagesse et la connaissance peut etre annule par une agression de l'intelligence. Il faudrait pouvoir vivre sur trois plans, en trois dimensions pour avoir une parfaite coordination de nos "acquisitions"...Nous ne voyons qu'un certain cote de l'evenement, comme chaque oeil voit la meme image sous un angle different, et le cerveau coordonne, ou pas. Cet equilibre,entre le conscient et l'insconcient, union entre l'esprit et le corps, le materiel et le spirituel,c''est la lutte quotidienne qui constitue tous les jours de notre vie,il ne tient qu'a nous de developper sagesse, et bonte, en essayant de nous tenir...a droite !.

8. Un certain confluent de métempsycose, kabbale, hystéresis



Freud a découvert que la table avait des pieds. Il y a en conséquence ce qui est sur la table et ce qui est en dessous.

Nous le savions. Depuis même avant que le monde ne se soit doté de menuisiers, avant que l'on n'ait commencé à s'asseoir près de tables munies de pieds.

On savait que beaucoup de choses interessantes, voire intrigantes, voire attirantes sont à découvrir sous les tables, même si l'on n'est pas un chien, même si l'on n'est plus un enfant.

Freud aurait même pû dire que l'essentiel n'est pas sur la table, mais sous la table, de la même manière qu'il a dit que ce n'est pas le "moi" conscient qui commande le navire de l'humain, mais bien l'inconscient.

Freud avait gardé semble-t-il un profond interêt pour ce qui est dissimulé - et donc "à voir" - sous les tables et il concentra sur cela l'essentiel de son approfondissement, développant de façon passionnante ce que sont les mécanismes de l'humain, dont le cognitif est en fait mû par le pulsionnel. C'est le profond interêt, associé à l'interdiction d'accès à ce qu'il y a à voir sous la table - ou dans la chambre des parents - qui président au développement intellectuel de l'individu, de sa curiosité, de sa sagacité, de sa soif de savoir. 

On sait aujourd'hui - sans le diminuer en rien - que Freud a scotomisé une partie du paysage. La vie ne se résume pas à ce qu'il y a sur et sous la table. Il n'y a pas que le conscient et l'inconscient pulsionnel.

Il y a par exemple vraisemblablement aussi un inconscient non pulsionnel. Tout une partie de la connaissance qui ne s'acquiert pas par curiosité. 

Savoirs intuitifs, savoirs de l'espèce. 

Et puis, il y a le savoir de l'expérience, la mémoire. 

Mémoire dont le fonctionnement est aussi corollaire des notions de conscient et d'inconscient. Notre mémoire emmagasine semble-t-il bien plus que ce qui nous est accessible, que ce de quoi nous nous souvenons. Freud encore disait qu'entre le souvenir et l'amnésie, c'est le premier qui est naturel, alors que nous croyons généralement que si nous ne faisons pas d'effort nous risquons d'oublier.

Et nous n'emmagasinons pas que les souvenirs de ce que nous apprenons, ou de ce que nous avons aperçu sous la table. Nous emmagasinons aussi inconsciemment.

On pourrait meme suggérer que nous ne sommes pas les seuls à avoir les clés de notre entrepôt privé. D'autres y déposent de la matière à notre insu.

Le midrach semble avoir eu l'intuiition - ou la science ? - de celà. Quand par exemple il met Avraham et le roi David en présence l'un de l'autre, dans le même texte, l'un face à D. Au sujet de Sodome et Gomorrhe, l'autre au sujet de Nabal qui lui refuse l'hospitalité. On a l'impression à la lecture du texte que David n'agit pas uniquement en fonction de son analyse de la situation, mais aussi comme guidé par Avraham, bien que ce dernier soit mort de longues années auparavant.

Presque comme si le midrach tentait de nous dire - une nouvelle fois, puisque c'est un thème classique - qu'Avraham était comme le prototype d'une seule faculté de l'humain, la bonté, la générosité. Une faculté tempérée par la personalité presque opposée de son fils Itshak, mû lui par la rigueur et la stricte justice.

David agit, semble nous dire le midrach, non uniquement par instinct guerrier, mais aussi fort de l'expérience d'Avraham.

L'expérience d'Avraham ? L'enseignement d'Avraham ? Ou quelque chose d'avrahamesque dont sa mémoire aurait été nourrie.

Le midrach semble résolument pencher pour ce "quelque chose", tellement difficile à isoler, à définir.

Les guiveonim viennent à la rencontre de Yeoshua au moment de la conquète du pays et le trompent, obtiennent une alliance et se retrouvent comme à l'essai au sein du peuple d'Israël. Cet essai se termine suite à l'épisode relaté en 
Samuel 2 21 suite à leur exigence cruelle de pendre cinq fils de Shaül en réparation d'un tort qui leur aurait été causé. L'alliance s'annule du fait que leur mémoire ne s'est pas enrichie de la bonne manière : ils ne sont pas devenus "rahmanim bené rahmanim", comme le sont - comme se doivent de l'être -  les enfants d'Israël.

Parle-t-on d'enseignement ? Ou bien parle-t-on d'inscription dans la mémoire ?

Depuis ces soixante dix dernières années, probablement suite à la shoah, beaucoup d'encre a coulé au sujet de la notion de traumatisme. Au sujet de l'impact du traumatisme sur l'individu, sur sa mémoire en particulier et sur son fonctionnement mental en général. Puis, une fois les premiers vingt cinq ans passés, les cliniciens et les chercheurs ont dû réaliser que ce n'est pas que la mémoire de qui a été traumatisé qui se trouve chargée, mais il semble que le traumatisme se transmette sur l'axe transgénérationnel.

Se transmette comment ? Il y a probablement des messages verbaux. 

Je ne suis par exemple certainement pas le seul à avoir certains souvenirs de traumatisme transmis. Par exemple comme ce message de rancoeur vis à vis de la Pologne. 

Mais sommes-nous uniquement mûs par ce qui se trouve sur la table ? Je crois que ce qui est sur la table est à portée de mains et est de ce fait bien moins constitutif, bien moins profondément enfoui que ce qui est sous la même table.

Ces souvenirs oraux sont-ils les seuls souvenirs de passé traumatique qui m'aient été transmis ? Je sais que non.

Je dirais que je sais chaque jour un peu plus quoi.

L'individu ne doit pas seulement ainsi faire des efforts de mémoire pour ce rappeler ce qu'il y avait sur la table des petits déjeuners de son enfance.

Mais comment atteint-on ce qui est sous la table ? 

Certains donnent une réponse mystique. La kabbale sait, les individus "mekoubalim" savent. C'est une question de savoir, absolu, qui se trouvent chez certains mais non chez tous.

Certains donnent une réponse voisine mais appartenant à un autre registre : celui de la sagesse orientale. Metempsycose. Ce qui est en nous a voyagé depuis l'âme de quelque défunt et a été déposé en nous.

Winnicott attribuait énormément d'importance aux messages subliminaux transmis de mère à enfant, suggérant par exemple que les visages déformés peints par Bacon pourraient n'être que le reflet de la perception qu'il avait de comment sa mère le voyait, une mère peut-être dépressive, peut-être surabsorbée par tel ou tel traumatisme.

A moins que toute cette transmission intergénérationnelle ne soit avant tout un des aspects de ce qui est décrit par le phénomène d'hysterésis, s'appuyant sur une certaine mémoire des matériaux,  des matières. Peut-être comme si les éléments du vécu venaient s'ajouter au bagage génétique. Aujourd'hui que la science a découvert que même l'ADN d'un individu subit des modifications au cours de sa vie (tandis que des décennies durant il a été admis que l'ADN est l'essence de l'individu, stable et identique depuis avant la naissance et jusqu'à après la mort) et que le mot épigénétique a été conceptualisé, on commence peut-être à s'approcher d'un temps où une synthèse pourra se faire entre ces diverses approches de phénomènes de l'humain, qui nous accompagnent tous, nous interpellent tous, nous frappent tous.

9. Histoire contemporaine de la civilisation, mouvements de l'esprit, et évolution des phénomènes psychopathologiques et de leurs traitements.


une fois n'est pas coutume. Voilà un texte qui devrait peut-être être adressé à une plate-forme plus professionnelle que celle atteinte par ce blog. Peut-être le sera-t-il... en attendant, il est à classer à la rubrique "humeurs".

Notre relation à la psychopathologie pourrait bien être ancrée dans notre relation à ce qui est « autre » que nous.

Harry Stack Sullivan (années 50 du vingtième siècle - USA) a enseigné au monde que la pathologie n'est autre qu'une altération du normal, qu'il n'y a pas dichotomie mais bien spectre, à une extrémité duquel on trouve les maladies tandis qu'à l'autre extrémité se tient l'individu en bonne santé et inséré dans la norme.

Antérieurement, Freud avait décrit cette catégorie de l'expérience qu'il a qualifiée de « umheimelish », traduit en français "inquiétante étrangeté", catégorie exprimant notre rencontre avec ce qui, tout en étant autre, nous est tout autant familier. Comme par exemple ressemblant à ce que nous ressentirions si une figure de cire du musée Grévin se mettait soudain en mouvement, ou au contraire si un individu que nous savons vivant s'avérait être inanimé. Rencontre essentiellement anxiogène.

Irruption de l' « autre » dans le « même » diraient les philosophes.

Nous voulons toujours nous éloigner de cet autre, nous devons nous faire violence pour rester en sa présence, pour le tolérer, tant il dérange et bouleverse notre homéostasie.

La pathologie a pu ainsi être longtemps qualifiée « autre », radicalement différente, de façon à nous en exorciser, à l'éloigner de nous. Les malades étaient éloignés physiquement du monde des vivants, et leurs troubles étaient des états que ne connait pas l'individu normal.

Dans le vœu de corriger cette tendance ostracisante jugée nuisible se sont trouvés décrits plusieurs spectres s'étendant de la normalité au pathologique, et peut-être convient-il de se plonger un peu sur certains nouveaux écarts, effets latéraux, qui résulteraient de la création de ces spectres.

On a donc ainsi longtemps considéré l'autisme comme l'autre absolu. La pire des maladies, celle qui qualifierait l'antihumain, celui qui tout en étant phénoménologiquement humain parait cependant appartenir à un autre monde. Il ne comprend pas l'esprit humain, personne ne parvient à le comprendre, il manie une arithmétique comme diabolique, il n'a aucune souplesse des situations, il n'y a pas de véritable communication avec lui.

Dans les années 1970-75, certains chercheurs assidus à analyser ces troubles trouvèrent des individus moins sévèrement atteints, pour lesquels on trouva des noms de syndromes et fut créé (grâce au travail de classification de Wing – Gr.Br.) le fameux spectre de l'autisme et des troubles de la communication.

S'en est suivi comme le développement d'une véritable épidémie, au point que le nombre des individus identifiables comme relevant du spectre de l'autisme alla énormément croissant.

L'autisme demeurant une énigme majeure ("comment un individu peut-il être si profondément enfoncé en lui-même, si peu communicatif, si hermétique à la communication?"), et surtout étant de plus en plus répandu dans la population, il devint impératif de l'extraire du monde de la psychologie dynamique, celle qui cherche les causes des troubles dans le monde relationnel, dans les complexes et les traumatismes de la petite enfance, celle qui veut toujours tout interpréter et qui devient rapidement encombrante, culpabilisante.

Les mouvements de l'antipsychiatrie, ajoutés aux développements insuffisamment précautionneux de la psychanalyse engendrèrent un profond lever de bouclier : il fallait désormais arrêter de culpabiliser la mère, la famille, la petite enfance.

S'en suivit un abondant déversement de proclamations scientifiques en vertu desquelles il n'y a à chercher les causes des troubles de la communication, et, partant, des troubles de l'attention, avec ou non hyperactivité, celles des déficits de l'apprentissage (dyslexie, dyscalculie, dysorthographie), celles des troubles obsessifs compulsifs, des tics, et celles des replis autistiformes, et jusqu'à l'autisme profond, il n'y a à chercher les causes de tout cela non dans la dynamique mais dans l'organisme et sa structure, ou tout au plus dans certaines mutations spontanées (génétiques?) de celui-ci.

"C'est comme ça ! Les enfants naissent comme ils naissent, certains avec telle ou telle conformation cérébrale, arrêtez de culpabiliser les parents!" devint le mot d'ordre incontestable.

Il est certainement très mal, et surtout très contre productif de culpabiliser le monde entier, qui finit par ne plus s'arrêter de se demander telle erreur il a encore faite, qui se retrouve complexé de tous les côtés.

Le résultat provisoire fut l'apogée d'une psychologie scientifique, symptomatologique et non étiologique, non philosophique, non interprétative, et surtout non psychanalytique, la psychanalyse étant l'archétype de l'accusation adressée aux parents.

Mais voilà que nous sommes quelques quarante ans après ce mouvement, et que quelques données sont apparues.

La quantité d'enfants diagnostiqués en rattachement au spectre de l'autisme-troubles de la communication se trouvant en hausse perpétuelle, il fut décidé dans les hautes instances internationales (DSM 5 – 2014) de supprimer des registres nosographiques les "Asperger", "ted-non autrement diagnostiqué" en particulier, de manière à juguler l'épidémie. Une façon de tenter d'annuler ce spectre des troubles de la communication créé quarante ans plus tôt.

En parallèle, les découvertes sur le cerveau se sont multipliées, en particulier grâce à l'usage de la résonance magnétique, et les deux termes les plus populaires de nos jours en résultante de ces progrès scientifiques sont "épigénétique" et "élasticité du cerveau".

Si le premier terme est révolutionnaire (l'épigénétique atteste de modifications du génome même durant l'existence d'un individu, en fonction de l'environnement), c'est surtout le deuxième qui me parait devoir aboutir à un nouveau revirement des conceptions et de leurs implications thérapeutiques.

Si on est muni d'une thèse organiciste rigide, l'enfant a des déficits innés, et il faut donc les lui compenser. Médicaments, enseignement cognitif ne sont menaçants ni l'un ni l'autre. Les laboratoires sont aux anges ainsi que les budgétistes des soins médicaux (les traitements comportementalistes sont bon marché, ils se présentent comme limités dans le temps, et surtout ils sont non intrusifs, ce qui les rend  bien plus rassurants à ceux à qui ils sont proposés que les interminables traitements psychanalytiques).

Seulement, on aurait assez facilement l'impression que ni médicaments ni "cbt" (cognitive behavioral treatment) ne sont la solution. Et si on est de surcroît conduit par les nouvelles découvertes des neurosciences, ayant fait alliance avec les vues psychanalytiques, l'atmosphère va changer.

Avec les modifications reçues par les nouveaux courants de la psychanalyse (courant "relational" américain en particulier), ajoutées à la plasticité établie du cerveau, j'ai l'impression (l'espoir) qu'on peut s'attendre à l'arrivée d’une nouvelle ère que je considèrerais d'un très bon œil :

Ces nouveaux courants ne reviennent nullement accuser les parents ou remonter aux conflits de la prime enfance, ils remettent par contre à l'ordre du jour la psychodynamique, celle qui tente d'agir (et d'aider, à défaut de guérir) par influence sur les processus individuels et inconscients de réponse et d'adaptation aux situations. Ils réhabilitent l'effort de construction avec le patient d'un narratif, qui intègre la notion de déduction, qui repose sur le métabolisme psychique. Ils redonnent au traitement une véritable dimension psychologique plutôt que de perpétuer ce modèle simpliste d'assistance fonctionnelle et technique.

Va se mettre en place tout un courant de thérapeutes qui auront été formés à intérioriser que l'affectif et le relationnel agissent y compris sur le cerveau, sa conformation et ses fonctions. Ce nouveau courant sera moins poursuivi/menacé/ostracisé  par ces thérapies (qui n'en sont nullement) d'enseignement mécanique de capacités à des enfants qui en seraient prétendument privés de naissance. On va peut-être retrouver les arguments nécessaires à la remise à l'honneur de thérapies œuvrant à sortir progressivement des individus des ornières dans lesquelles ils se sont trouvés coincés, non obligatoirement en leur interprétant freudiennement  ce qui leur est arrivé mais en les accompagnant principalement affectivement et avec bienveillance, tout en étant à l'écoute de leur vécu et de leur souffrance, et dans l'acceptation que c'est l'inconscient (non obligatoirement refoulé) qui est aux commandes du navire individuel de chacun d'entre nous.

Ces thérapeutes seront moins préoccupés de surtout n'être point trop « autres », seront porteurs d'un message moins troublant et menaçant que celui attribué à la  première psychanalyse, seront ouverts à voir - et à faire découvrir - des relations de cause à effet entre tel vécu et l'apparition (ou la persistance) de tel ou tel trouble, et ils tenteront d'aider leurs patients non en leur équilibrant le taux de dopamine, mais aussi en accentuant chez eux le regard - et peut-être l'emprise - sur le système causes et conséquences de leur propre vie.

Il s'agira de traitements moins focalisés sur l'inconscient que le préconisait le père de la psychanalyse, mais selon une approche ne lui tournant pas délibérément le dos, il s'agira de traitements où on ne cherchera pas le coupable dans la genèse de tel ou tel trouble ou névrose mais où on acceptera que le trouble aura été au moins en partie le résultat de l'expérience. Ce sera une nouvelle vague qui renouvellera le lien intellectuel entre suivi psychothérapeutique et philosophie existentialiste.

Peut-être certains enfants et adultes pourront-ils en bénéficier et atteindre - du fait de la présence à leurs côtés de thérapeutes attentifs - des conduites plus en harmonie avec le monde environnant, moins caractérisées par l'enfermement, l'opposition ou la coupure, moins porteuses de vécu d'échec au plan relationnel comme au plan fonctionnel.

Illustration :
Deux frères parmi presque douze.
Ils s'appellent par hasard des mêmes noms que ceux des deux plus cèlèbres des enfants du Yaacov biblique, le troisième patriarche.
Un a onze ans tandis que l'autre n'en a que 9. 
Déjà il y a deux ans, la mère avait pris contact avec moi et souhaité que je prenne le grand en traitement "du fait qu'il est diagnostiqué sur le spectre des troubles de communication et reçoit le traitement médicamenteux correspondant", je n'avais alors pas la possibilité de le recevoir et l'avais adressé à un confrère. Quand elle me rappelle, elle explique que son fils a été quelques six mois en traitement, que le psychologue a créé un bon lien avec l'enfant, mais les a comme "congédiés" sous le prétexte que l'enfant ne lui parait pas avoir vraiment besoin d'un traitement, "alors que c'est tout juste si l'école accepte de le garder, il s'en prend aux adultes sans distinction de l'écart entre eux et lui...et puis il est diagnostiqué!". 
Je suis à moment plus libre et leur donne un rv. L'enfant est très retenu, très silencieux, mais il établit avec moi un véritable contact, dévoile de véritables dons artistiques et nous nous voyons ainsi quelques semaines...à l'issue desquelles je me sens comme mon confrère. Les parents disent qu'il y a eu à l'école de sensibles progrès, sont un peu déçus que "moi aussi je ne décèle aucun syndrome de trouble de communication", "cela doit être parce que je suis aveuglé par ses qualités, comme votre collègue" me disent-ils. L'été est arrivé, nous convenons d'une interruption, de nous revoir à la rentrée pour faire le point, et ils me disent alors qu'ils ont en fait plus de problèmes avec le cadet...bien qu'il ne soit diagnostiqué que souffrant de trouble déficitaire de l'attention, mais lui aussi sous médicament.
A la rentrée, je fais donc connaissance avec le petit frère, avec lequel le contact est en fait peut-être moins facile, mais qui s'avère être brillant au plan intellectuel. Avec ce deuxième enfant aussi, les séances se succèdent sans que je ne constate de mon point de vue un réel besoin de traitement, tandis que, comme avec le premier, les parents attestent de réels progrès dans le cadre scolaire. Alors qu'ils étaient régulièrement alertés et menacés que les enfants ne soient renvoyés, tout semble aujourd’hui se passer normalement...et c'est alors qu'ils me racontent ce qui pour moi sonne comme l'explication de deux ans et demi de tâtonnement : l'aîné de leurs enfants, âgé maintenant de près de 17 ans avait eu ce qui passerait pour une adolescence à haut bruit (pour laquelle aussi par ailleurs il n'est pas interdit de tenter de déceler les causes) qui comporta de graves troubles de conduite - fugues, vols à l'intérieur et à l'extérieur de la maison - qui provoquèrent l'intervention du juge et le placement hors de la maison pour un temps de deux ou trois ans. Les parents sont encore fortement sous le choc de ces épisodes, du traumatisme social et émotionnel que cela leur provoqua. "Cela a secoué toute la famille" me disent-ils ...mais sans faire le lien avec les symptômes des deux enfants m'ayant été adressés, symptômes survenus - comme par hasard précisément pendant ces mêmes deux-trois années.
L'aîné a fait, me rajoutent-ils, un véritable travail sur lui-même, il est aujourd'hui dans une tout autre posture tant au plan social qu'au plan familial...et sans pour autant m'enlever tout crédit, je dirais volontiers qu'il est bien plus que moi à l'origine tant des troubles que de la rentrée dans l'ordre des deux petits frères.

Pourquoi ne pouvoir considérer les troubles de la conduite, les troubles déficitaires de l'attention que comme des symptômes exigeant traitements médicamenteux (psychiatriques!!) et se tenir à ce point dans la méconnaissance ou le déni des relations de cause à effet entre ces troubles et d'autres dynamiques ayant perturbé en parallèle l'entière famille ?
Les réponses sont certainement multiples. Certains resteront persuadés que tout est possible. Même avec un grand frère turbulent, un petit frère peut ne pas développer de tels symptômes. Et plus encore, un enfant peut venir au monde atteint de tels troubles même sans pareils évènements. "Il y a encore d'autres causes ! Va-t-on me dire (on me le dit sans cesse). Qu'en sais-tu ? Il y a des mutations génétiques. Nous nous nourrissons aujourd'hui de façon excessivement chimique" etc.
Je ne peux nier aucun de ces arguments, je viens ici plaider la cause de la psychodynamique, celle qui cherche des causes aux phénomènes, et celle qui tente de trouver le moyen de donner à l'esprit de l'individu une réponse (non pharmacologique) à ce qu'il lui arrive. Les récentes découvertes de la science redonnent du poids à cette dynamique, elles attestent de modifications organiques de la conformation et du fonctionnement cérébraux et jusqu'au génome, du fait de situations qui viennent frapper l'individu, et - dans une moindre mesure - du fait du rétablissement en lui de capacité de communiquer, de rêver, de fonctionner.