Je m'adresse à toi sans vraiment savoir si cela aura un
résultat, si je recevrai une réponse, si un quelconque dialogue peut émerger
entre des individus que parait tenir éloignės l'un de l'autre au moins un
océan, si ce n'est un univers.
Je
m'adresse à toi en souvenir d'un passé qui n'est pas si éloigné et où j'avais
l'impression qu'au plan politique, nos idées n'étaient pas si éloignées.
Je
parle d'idées de gauche, d'idées en vertu desquelles, l'individu refuse de
rester passif devant les inégalités, devant la pauvreté, idées qui poussent à
manifester et à agir contre les discriminations, idées auxquelles je souscris.
Idées
auxquelles je souscrivais, mais non sans avoir déjà constaté à l'époque que ceux
qui partageaient ces idées se retrouvaient souvent face à moi dès qu'il
s'agissait du moyen orient.
Ces
idées semblaient pousser un bon nombre de ceux qui s'en revendiquaient à voir
en les palestiniens ceux qui faisaient au moyen orient les frais de ce qu'ils
détestaient, l'impérialisme, le colonialisme.
Je
suis quant à moi venu m'installer en Israël en raison de priorités
personnelles. J'ai adhéré à la conviction que cet endroit est celui qui est le
plus propice à ce que je puisse me réaliser au plan personnel, tout en n'ayant
aucune entrave à l'intégration de mon judaïsme à ceci, j'ai acquis depuis le
plus jeune âge la conviction que la Torah n'est pas uniquement une religion
mais aussi qu'elle prône un mode de vie, et qu'elle a de tout temps été le
livre d'un peuple qui aspire à créer une collectivité, un état en Israël.
Depuis
la fin du 19ème siècle, ceci s'appelle le sionisme, cela n'a à mon sens, à son
point de départ aucun lien ni avec du colonialisme, ni avec de l'impérialisme,
ni avec une situation d'inégalité ou de ségrégation, même si je sais que la
concrétisation de ce sionisme nécessite de surmonter un obstacle de
cohabitation.
J'ai
vécu ces trente trois dernières années en Israël, je m'y suis développé
personnellement, professionnellement, nous y avons élevé des enfants Marianne
et moi et j'ai trouvé ici énormément de raisons de m'y plaire, ã de multiples niveaux,
tout en sachant que la question de notre cohabitation avec les palestiniens
n'est toujours pas réglée, tout en ayant cette question sempiternellement
présente face à nous.
Cette
question n'est pas qu'une question théorique, elle nous a occasionné bon nombre
de situations de belligérance, de souffrances de progressions et de régressions
au fil des années, et nous voici de nouveau au cœur d'un conflit, qui n'est pas
le premier.
Autour
de nous, j'ai vu au long de ces mêmes années la carte du monde se modifier, des
situations évoluer. J'ai assisté à la réorganisation géographique et
politique de bon nombre de pays, pays qui avaient été fabriqués par la fin de
la première guerre mondiale, puis de la seconde, pays qui semblaient laïcs et
qui redevenaient religieux.
Le
monde a été ponctué ces trente dernières années de bon nombre de mouvements,
quand ce ne sont pas des catastrophes.
Les
idées semblent avoir été bien éprouvées au cours de ces années, bon nombre de
croyances se sont effondrées, quand ce ne sont pas des empires.
L'antisémitisme
que l'on croyait relégué à certains extrémismes, l'antisémitisme dont on espérait
que la shoah avait prouvé le potentiel désastreux, est petit à petit réapparu,
d'abord par l'apparition des négationnistes de la shoah, en France et ailleurs,
puis par le biais de grignotages progressifs.
Depuis
quelques années des individus comme Dieudonné ont non seulement pignon sur rue,
mais ont aussi un public, qui ne fait d'ailleurs pas grand cas de son
antisémitisme, qui vit avec, qui ne s'en offusque pas.
Et
même s'il ne manque pas de réactions, de gens pour refuser cette
minimalisation, cette banalisation, cela ne semble pas être le sens du courant.
Le
courant pousse dans le sens de cette banalisation, de cette acceptation.
Depuis
décembre dernier, il est possible de dire "mort aux juifs" dans une
manifestation à Paris, il est possible de dire " les juifs dehors",
et donc, se re-pose la question du "où ?".
Dans
les années d'avant la seconde guerre mondiale, il était souvent écrit sur les
murs "les juifs en Palestine". Aujourd'hui, on dit
"dehors". Où?
Et
pour revenir sur la Palestine, nous israéliens et palestiniens ne sommes pas
restés immobiles toutes ces années. Nous nous confrontons depuis plus d'un
siècle à une très dure tâche : celle de trouver un modus vivendi, et au risque
de détonner, dans ce contexte de conflit violent de ces dernières conq
semaines, je dirais que la situation est loin, très loin d'être statique.
Quiconque
vient en Israël - et même, paradoxalement pendant cette période de belligérance
- peut constater combien les populations juive et palestinienne vivent
ensemble, se côtoient, malgré la difficulté, malgré les réticences, malgré le
mur de séparation, malgré la situation encore problématique de nombreux
kilomètres carrés.
Cela
se constate dans un grand nombre de domaines, celui de la santé (hôpitaux et
dispensaires), celui de l'université, celui du monde du travail, même celui des
relations de voisinage, d'amitié.
Se
côtoient ici et sont même en relation cordiale énormément de gens qui
n'auraient pas cru que cela serait possible si on leur avait prédit un tel
avenir.
La
situation est cependant loin d'être idyllique. La frontière, le mur, les
difficultés, beaucoup de problèmes existent. Mais il y a cohabitation, on la
voit dans la rue partout.
À
côté de cela, d'autres ne partagent pas ce vécu, de part et d'autre de la
frontière identitaire, ne voient pas cohabitation, restent cantonnés sur des
positions conflictuelles, polarisées, agressives.
Mais
dans le monde, quelle est la situation ?
L'islamisme
s'est énormément développé. Le come back de la religion a touché des millions
de gens. Il y a eu aussi des guerres, des mouvements de masse. La guerre
Iran-Irak, puis la guerre du golfe, le printemps arabe, puis la guerre civile
en Syrie, et j'en oublie malheureusement un grand nombre, puis récemment
l'EI et le mouvement des sunnites qui viennent de réinstaurer un califat, qui
tentent de s'approprier un territoire, qui mènent une guerre sanglante, contre
les chiites, contre les chrétiens.
Notre
conflit avec les palestiniens est-il le même qu'il y a cent ou soixante dix
ans?
Est-il
encore un conflit territorial entre une puissance colonialiste et un peuple
opprimé ?
Notre
conflit est-il le conflit le plus important ? Le plus sanglant ?
J'ai
l'impression à lire certains textes de Julien Salingue, à entendre des Michèle
Sibony, Jacob Cohen, Stamboul et autres, que ces personnages n'ont pas remarqué
combien le monde avait changé depuis qu'ils avaient 20 ans et avaient appris à
manifester, à protester, à militer.
Il
y a quelques années on pouvait lire sur des stickers en France "un raciste
est quelqu'un qui se trompe de colère".
N'es-tu
pas en train de te tromper de colère, à continuer à être persuadé(e) que les
palestiniens sont persécutés, massacrés par la puissance colonialiste et
impérialiste Israël ?
Ne
remarques-tu pas quelles différences il y a entre Gaza et la cis-Jordanie ?
Entre la situation d'un palestinien en Israël -même si énormément reste à faire
- et un palestinien en Jordanie, Arabie Saoudite, au Liban ou en Egypte ou au
Qatar ?
Ne
vois-tu aucun vice de forme à ce que le système éducatif des palestiniens, de
Gaza en particulier -mais aussi en Cis Jordanie - appellent à tuer des
juifs ?
Es-tu
bien sûr que quand un Saramago compare la cis Jordanie aux barquements des
camps de concentration, quand un Erdogan compare Israël à Hitler et au nazisme,
il convient d'applaudir ou même de se taire ?
Ne
soulèverais-tu pas un sourcil à la constatation (que ce conflit vient de
révéler) que l'UNRWA est tout sauf une entité neutre, que les écoles et les
infirmeries de cet organisme sont des caches à armes ?
Vis-tu
en paix avec ces tunnels qui ont ėté creusés de manière à pouvoir étendre
l'impact du terrorisme, en perpétrant enlèvements et assassinats à l'intérieur
des frontières d'Israël, dans des terres qui ne sont pas les "territoires
occupés" ? As-tu lu les rapports qui démontrent combien de maisons,
d'écoles, d'hôpitaux aurait pu construire le gouvernement de Gaza avec
l'argent et le béton utilisé à cette machine de guerre ? As-tu entendu qui a
construit ces tunnels, combien d'enfants palestiniens sont morts à leur
construction ?
Où
des enfants meurent à creuser des tunnels au 21ème siècle ?
Est-il
possible, grâce à internet, à facebook, de n'avoir vu aucune de ces images qui
montrent ces enfants maniant des armes, ces camps d'entrainement militaire ?
Crois-tu que ce n'est que propagande israélienne ?
As-tu
lu la charte du Hamas qui prône non la restitution de quelques territoires mais
la disparition d'Israël, non pour des raisons territoriales mais islamistes ?
Es-tu
sûr(e) de ne pas te tromper de colère ?
Es-tu
sûr(e) de n'avoir pas raté la station à laquelle tu aurais dû descendre, en
tant qu'humaniste, en tant qu'individu qui défend des idéaux, et pour bon
nombre de cas, en tant que juif(ve) ?
Bon
nombre de juifs ont épousé ces idées antisionistes du fait du sentiment d'avoir
été comme trahis par le judaïsme, qui aurait "dérapé" en
colonialisme, en que sais-je ?
Ces
juifs ne devraient-ils pas se sentir aujourd'hui trahis non moins par cette extrême,
dont il devient difficile de savoir si elle est extrême gauche ou extrême
droite tant ces deux paraissent tant se retrouver, se juxtaposer ( comme par
exemple quand Jacob Cohen se retrouve assis à la Main d'Or aux côtés de
Dieudonné) ?
Ne
devrais-tu pas reconsidérer un peu ces positions auxquelles tu es peut-être
accroché(e) comme à un radeau en perdition?
Ne
devrais-tu pas te demander s'il est opportun aujourd'hui de se revendiquer
précisément de l'extrême ?
La
situation des palestiniens d'Israël qui s'est énormément améliorée
- ceux pour lesquels il y a eu amélioration et ils sont nombreux -
ne s'est pas améliorée ni du fait de l'acquisition de ce droit à "l'autodétermination"
pour lequel milite chroniquement je ne sais qui depuis cinquante ans, ni du
fait d'accord de restitution de territoires, ni du fait d'arrêt de construction
dans ces mêmes territoires, ni encore moins du fait de vociférations dans les
rues de Paris ou sur des plateaux de télévision.
Il
ne serait peut-être pas si faux de se demander (ou de leur demander) si
l'amélioration de leur situation n'est pas plutôt le fait d'une normalisation,
si parfois les entreprises israéliennes installées dans les territoires ne
pourraient pas plus servir les palestiniens que les desservir, s'ils ne
préfèrent pas mille fois être palestiniens en Israël que nulle part ailleurs
dans le monde.
Ne
devrais-tu pas te demander quelle cause tu soutiens en fin de compte ? Et
quelle cause tu contribues à desservir ?
Voilà
les questions que je voudrais te poser, toi chez qui, avec qui j'ai grandi, toi
qui crois en de belles idées qui continuent à m'interpeller, mais toi qui me
parais aujourd'hui tellement aux antipodes de ce que je vis.
Me
répondras-tu ?
Aurons-nous
un dialogue ?
Est-il
possible ?
L'avenir
nous le dira.