dimanche 15 décembre 2013

Allez ! On vous la raconte !



On nous marque dans les sites météorologiques locaux que la précédente similaire remonte à 1878. En février 1950, la situation avait été semblable, mais c'était fėvrier, une pėriode de l'année où il est courant de voir de la neige à Jérusalem. C'est vrai que ce qui n'avait pas été courant cette année-là, c'est qu'à Yafo il y avait eu de la neige. Cette année, le sinaï en a reçu, ainsi que la banlieue du caire, mais pas la côte d'Israël. 
Cette année, l'extraordinaire est principalement que l'on est encore avant la mi-décembre. Moi qui ne suis que depuis 32 ans à Jérusalem, n'ai jamais vu de neige avant le 31 décembre.

Sont tombés à Jérusalem 250 mm d'eau en quatre jours, qui sont le double de ce qui tombe en général sur tout le mois de décembre, qui sont presque la moitié de ce que la ville reçoit en un an, qui sont le record de tout le pays pour cette tempête.

Dès jeudi se sont produites les premières coupures de courant. Certains n'en ont pas eu du tout, certains en ont eu des courtes, certains sont sans electricité depuis jeudi. C'est le cas de l'internat où je travaille, qui est à Abou Gosh, et où le village entier est resté très longtemps sans electricité, mais vu qu'y habitent 100 enfants et  quelques trente adultes, l'armée est venu rajouter quelques générateurs, et il y a à manger et même un peu de chauffage.

A la maison, nous avons eu 7 heures de coupure vendredi, pendant lesquelles la tension est montée ici, du fait que shabbat aprochait, du fait que l'on voyait que le plus dur était encore à advenir, du fait que nous avons un sous-sol protégé d'inondations par des pompes....électriques.

Heureusement Marianne, plus prévoyante et avisée que moi, avait réussi jeudi après-midi à louer un gėnérateur. Un générateur, qui permet de brancher sur lui les deux pompes, mais au prix de bruit énorme, d'émission de gaz d'échappements...on l'a quand même utilisé deux-trois fois vendredi après-midi avant qu'à notre énorme soulagement, l'électricité ne soit revenue, à 19:00.
C'était le début d'un shabbat assez désagréable du point de vue climatique, gris foncé, chutes intermittente de pluies et de neige, ou de "graupel", mais avec chauffage central, chile con carne cuisiné par notre soldate végétarienne de fille, et ambiance familiale chaleureuse, ajoutée d'un repas chez des grands parents bien chauffés et en état tout à fait honorable.
La présence à la synagogue était remarquable, avec au programme un superbe dvar Torah, d'un de la communauté que la coupure d'élétricité chez lui avait contrain à passer shabbat à une heure de marche, qu'il avait fait bravement à 7:00 du matin.

Puis, le chauffe eau a cru de son devoir de faire sauter le courant de toute la maison. Il faut dire que comme à peu près tout à Jérusalem, il est sur le toît, installé pratiquement sans protection, et certainement pas pour tenir des conditions de tempête et de pareil enneigement. Heureusement, il est possible de faire alors monter sur le toît notre éléctricien de fils, assisté de son frère, qui diagnostiquent rapidement la panne et trouvent la solution qui permet à toute la famille de se doucher.

Donc, au final, même en ce dimanche où les rues restent couvertes de verglas quatre heures après l'apparition du soleil, la situation est au total très bonne.
L'architecte a apparemment prévu très correctement l'équipement de la maison, s'il tient des situations d'une fois tous les 60 ans, et qu'il en soit ici officiellement loué.
Les pompes ont encore du travail : celle affectée à l'évacuation du jardin a encore à se préparer à la fonte des trente cms de neige qui recouvrent le jardin, et donc à devoir rester en état de marche pour la semaine à venir. Celle liée au niveau du nahal refaïm enterré sous toute la rue Emek Refaïm et notre rue qui est sa prolongation, devra peut-être aussi se remettre en route, mais elle est apparemment sollicitée surtout au moment où la pluie tombe, ce qui parait ne pas être au programme au moins des trois jours à venir.
Et pour la suite ? L'hiver est encore devant nous. Et il est prévu d'être long puisque l'année est embolismique, mais fort de cette expérience, restons avec bon espoir que la prochaine tempête ou fin de semaine pluvieuse ne nous soit pas pire que celle-ci.

P.s. Les photos dans le diaporama ci-dessus ont des légendes, on ne les voit que si on clique sur le diaporama et que les photos deviennent à taille d'écran.


vendredi 6 décembre 2013

Du synapsique au syntaxique et vice versa.



Les impressions consignées, enregistrées dans l'hémisphère droit à l'état brut, sont à la disposition de l'esprit. Si la voie employée pour les traiter est celle qui traverse le corps calleux et aboutit au cerveau gauche, elles y sont élaborées, deviennent verbales et peuvent être rangées dans les bibliothèques de l'esprit.

La voie peut être autre, et les impressions transformées en musique, en création plastique, ou même demeurer impressions ou sensations.

L'impression reçue mais non transmutée s'accompagne de bien être si elle est au départ impression positive, mais est ressentie comme toxique si elle était au départ impression négative.

Exemple : l'enfant de trois ans participe au repas familial dans la maison de ses grands parents, en présence de toute la fratrie de sa mère, de son père, de son grand-père, de son arrière grand-mère, mais en l'absence inattendue de sa grand-mère et de son arrière grand-père, parce que ce dernier a ėté l'objet d'un problème médical soudain. L'enfant ne reçoit pas d'information verbale à ce sujet ( par oubli, et du fait que tous sont préoccupés par la situation) et ne reçoit que les informations non verbales, recueillies par son système sensitif. Il sent la tension, il voit les visages tendus. Il a soudainement un accès de colère, bizarrement dirigé contre le regard de son arrière grand-mère :  il réagit agressivement et lui enjoint de ne pas le regarder. Il finit après quelques minutes, quelques échanges agressifs, quelques tentatives de le discipliner, de le calmer, de le punir, il finit par dire qu'elle a "des larmes dans son visage" ( ce qu'elle ne confirme pas, ce qui confirme qu'il ne voit pas réellement mais perçoit ).

Ce n'est que plus tard dans la soirée, quand il reçoit l'explication verbale de l'absence de son arrière grand-père que son humeur et son comportement rentrent dans l'ordre. Il dit même à ce moment qu'il souhaite prompte guérison, qu'il est sûr qu'on trouvera un bon médicament pour lui.

L'enfant dont la trajectoire a été perturbée affectivement, qui a grandi dans une atmosphère saturée en impressions négatives non verbalisées, qui ne lui ont pas été transcrites en mots, et de plus si de l'agressivité a été manifestée à son égard, peut devenir un enfant à troubles du comportement, ou un enfant à troubles de la communication.

Si pour l'enfant de trois ans, chez qui la structure est encore souple, le comportement rentre dans l'ordre après quelques minutes, pour l'enfant chez lequel il y a eu accumulation de ces situations, auxquelles de l'agressivité dirigée contre lui ou concrètement perceptible a été ajoutée, la structure se solidifie comme telle, et se développe une personalité encombrée de troubles du comportement de façon durable.

Le mécanisme réparateur est celui de l'interpersonnel. Ce n'est pas uniquement que des mots y sont prononcés, c'est que des mots sont prononcés par ceux à qui l'attachement est le plus vif (mère et père en particulier).

Peut-être se produit-il au niveau cérébral ce que Winnicott décrivait en termes psychanalytiques au sujet de l'espace potentiel. L'espace potentiel est comme la latitude interne qui se développe à l'intérieur de l'individu au cours d'un développement normal, latitude qui lui permet de progressivement acquérir de la patience, de la réflexion, des mots pour ses impressions, et la capacité d'être créatif. Curieusement, il semble que cet espace potentiel (interne) se développe du fait que de l'espace est progressivement créé entre lui et l'élément parental. Pour Winnicott, comme pour beaucoup de théoriciens psychanalytiques, l'enfant ne naît pas avec la conscience d'être un individu à part entière, mais il débute au contraire dans l'existence un peu comme un prématuré, partie non dissociée de sa mère. Son individuation est le fruit de sa séparation, une séparation qui doit être progressive et harmonieuse autant que faire se peut, une séparation qui doit se dérouler au rythme de ce que l'un (l'infans) et l'autre (la mère) peuvent accepter, peuvent supporter.

Cet espace interne, virtuel, abstrait, inconscient, analytique, est le produit de la création progressive de l'espace interpersonnel qui se crée petit à petit autour de lui, du fait du relationnel et de l'attachement.

Peut-être le mûrissement des fonctions cérébrales supérieures, sont le fait de la myélinisation, de créations de synapses, et d'autres développement chimiques, physiologiques et électriques internes. Mais peut-être le moteur de l'activation des ces développements du monde interne, cérébral, de l'individu, se situe-t-il dans l'interpersonnel, dans l'attachement, dans la relation, à l'instar de ce qui se produit avec l'espace potentiel.

Le moteur de l'humain parait décidément bien être dans l'interpersonnel, comme je l'écris dans plusieurs endroits, comme je l'écris dans l'article "ta parole, ma parole" de ce même blog, autour des thèmes du livre de la Genèse.

Aux plans philosophique, social ou intellectuel, la place dévolue à l'interpersonnel parait optionnelle : on choisit comme ci ou comme ça, en fonction de ses aspirations.

Aux plans psychologique et probablement neurologique, cela pourrait ne pas être optionnel : on a besoin de l'interpersonnel. On en a besoin pour un développement dans les meilleures conditions, mais peut-être en a-t-on non moins besoin quand il s'agit du thérapeutique - quand il s'agit de corriger des choses qui sont parties de travers, tant dans le psychologique que dans le neurologique.


Le cerveau, étant une structure dont la plasticité n'est plus à démontrer, en perpétuelle évolution tout au long de notre vie, peut peut-être non seulement se développer mais aussi se réparer du fait de l'interpersonnel. Peut-être aussi dans la phase de réparation, le cerveau gauche, des fonctions supérieures peut être réactivé par le biais du cerveau droit, c'est à dire en remontant à la source du trajet normal, en communiquant avant tout des impressions et en second lieu du contenu (par exemple dans le cas de la rééducation) 

jeudi 28 novembre 2013

mardi 26 novembre 2013

L'oeuvre de D. La part de l'homme.



Le midrach clôt son étude sur l'épisode du don de la Torah compliqué de la faute du veau d'or, par une sorte d'élaboration thématique à base de réflexion sur une seule racine trilitère : a - m - n.

Une racine très riche, de laquelle découlent les notions de foi (émouna), de confiance et de crédulité (émoun), de crédibilité et de fidélité (néémanout), mais aussi d'éducation (omna), d'effort en vue de perfection (imoun), d'artisanat (oumanoutiout) et d'art (omanout).

Le "oman" est l'artiste, tandis que le "ouman" est l'artisan - celui qui s'est formé et entraîné jusqu'à dominer son...art. 

Ce midrach viendrait ainsi théoriser la réconciliation entre le créateur et le peuple juif, malgré la faute, malgré l'apparent échec de l'alliance entre monde du haut et monde du bas que devait symboliser le don de la torah : cette réconciliation, ce qui permet de mettre quand même l'alliance en place, ce n'est pas seulement les arguments avancés par Moshé lors de sa plaidoirie, c'est une donnée supplémentaire de l'humain, véhiculée à travers les constructions linguistiques émanant de cette racine trilitère.

La plaidoirie de Moshé est un morceau d'excellence de langage, le morceau d'éloquence du plus célèbre bègue de tous les temps. 

Lui est un non moins célèbre pendant, dans le passé, la grandeur d'Avraham qui tente magistralement de sauver la ville de Sodome, dans son célèbre argumentaire face à D. Le midrach va jusqu'à détourner presque tout le Cantique des Cantiques en semblant dire : ces éloges de la beauté féminine ne sont que la métaphore de la grandeur du geste d'Avraham. Une grandeur de geste témoignant d'une véritable noblesse d'être.

Lui fait aussi écho dans les temps qui surviennent dans l'après Moshé le talent poétique du roi David, superbement mis au service de la repentance. Le roi David, dont les fautes sont presque innombrables, mais dont le travail personnel qu'il fait sur lui-même est majeur au point de produire le livre des Psaumes, l'appareil poétique qui accompagne tous les actes, rites et états d'âme du peuple juif au fil des siècles.

Ce don de la poésie, cette noblesse d'être, ce dépassement de soi-même concrétisée dans l'éloquence du bègue, sont pour le midrach de clôture de la paracha "ki tissa", ce qui sauve la situation de la catastrophe. Pour le midrach, D. Pardonne, donne quand même la Torah probablement du fait de sa miséricorde, mais non moins du fait de ces particularités dont est pourvu l'humain et qui sont les différentes facettes du dépassement de soi.

Un peu comme si non uniquement le savoir vivre (derekh eretz) était le préalable à la Torah, mais comme si la capacité d'auto dépassement de l'humain n'était pas moins fondamentale. 

Et le midrach ne fait pas l'impasse de l'inquiétude devant le danger d'une telle thèse : l'homme ainsi loué pour ses capacités innées, pour la capacité interne de s'autodépasser, n'est-il pas en danger de succomber au narcissisme ?

La réponse négative à cette question repose une nouvelle fois sur la richesse de la langue : la racine trilitère a-m-n ne contient pas seulement le don du savoir faire et du savoir dire, elle contient aussi la fidélité, la crédibilité. L'homme est menacé de narcissisme s'il est seul, s'il atteint seul ses sommets, après avoir éliminé ses partenaires considéré par lui comme ses concurrents. Il ne succombe pas au narcissisme s'il est pétri de sens du devoir et du souci de sa crédibilité, comme l'est Moshé.


Un éblouissant midrach de clôture, un morceau de choix (maasseh oman) de cette richesse inhérente à la littérature midracho-talmudique, qui a le secret de récéler des perles cachées. Le fait qu'il soit un véritable concerto sur deux consonnes et une voyelle (pour emprunter une formule de Marc Alain) n'apparait pas en première lecture, n'apparait pas au lecteur solitaire, cette richesse ne surgit que de l'étude en groupe, dans laquelle les voix se complètent comme les instruments d'un orchestre. 

On reste ébloui. Sont-ce les fois où il convient de dire : "amen" ? 

jeudi 7 novembre 2013

A vos marques


"Et Moshé ne savait pas que de son dialogue avec la divinité, son visage s'était mis à rayonner."

Cet épisode (Ex. 34 , 29) est peut-être un autre aspect du thème central du livre Chemot, c'est à dire la mise en place d'un monde dans lequel cohabitent présence Divine et caractéristiques de l'humain.

Ầ de nombreuses reprises, la tradition insiste sur cette polarité, depuis encore la Création elle-même au sujet de laquelle a été développé ce thème du tsitsoum, du rétrécissement ou de l'effacement de D. Le monde, si on prend au sérieux l'omniprésence du divin, n'aurait pu être créé qu'à ce prix.

Et pourtant le but de cette création parait clairement être la réunion de ces deux mondes, de ces deux entités qui paraissent tellement incompatibles. Quelle théologie ne cherche pas à conceptualiser ce lien, cette relation ?

Pour le sefer Chemot, qu'on le lise au premier niveau, celui du récit de la sortie d'Egypte puis de la traversée de la mer rouge et du désert, aboutissant au Don de la Torah, ou qu'on le lise - comme je tente de le faire - comme une sorte de seconde topique du thème central du livre Beréchit, aucun doute que c'est le sujet principal, la principale difficulté.

Le monde a été séparé, créé par séparation, et le seul but concevable à cette séparation ne peut qu'être l'atteinte d'un état meilleur que celui du commencement, un état où sont conciliés les deux éléments.

Et le projet parait presque irréalisable. Le peuple parait dans l'incapacité de s'y adapter, avec l'épisode du veau d'or comme paradigme de cette incapacité.

Moshé monte sur la montagne et reçoit la Torah. Cet épisode est ramifié, constitué de trois étapes - du fait du veau d'or - et parait aboutir : Moshé redescend, les tables dans sa main.

Et la lecture du texte biblique pousse à ne pas considérer cette scène comme un aboutissement mais comme le commencement de la vraie difficulté. 

Est-on libre parce qu'on a choisi la liberté ? 

Moshé est - comme Caïn peut-être ? Comme le peuple juif peut-être ? - affublé d'un signe qu'il ne voit pas lui-même.

Les rabbanim réfléchissent sur cette question en tentant de l’éclairer sous différents angles. 

Que "porte-t-il" sur ce visage ? Qu'est-ce qui fait de lui un juif ? C'est à la fois "comme le nez au milieu du visage" et imperceptible. Cela pourrait  peut-être n'être autre qu'un "signe de Caïn", qu'un signe d'infamie, que la preuve de toutes les mésactions qu'il a déjà commises et va sûrement continuer de commettre.

Il rayonnait, nous disent les rabbanim. Il rayonnait depuis l'épisode de la caverne, où il demanda à voir la divinité et où celle-ci, lui ayant refusé la vue, le laissa cependant s'imprégner de sa trace. Cette expérience le rendit radieux, il rayonnait, et ne le savait pas, comme l'adolescent illuminé qui, tout à son émerveillement, ne sait pas combien son visage le reflète. Comme si la mise en présence du divin aux côtés de l'humain était à la mesure de l'expérience majeure, sentimentale, mystique ou spirituelle. On en sort inchangé, juste avec meilleure mine, juste un peu augmenté...peut-être jusqu'à la nuit, jusqu'à ce que les choses se tassent. Comme si les rabbanim cherchaient ici à nous dire qu'il n'y a aucune raison d'avoir peur de cela. Cela ne fait pas mal, c'est juste agréable. Comme s'ils voulaient nous pousser à y aller aussi.

Rabbi Berekhia est posté différemment. Son projecteur n'éclaire pas les mêmes coins de la pièce. Il apprend du verset qui décrit la scène que Moshé ne portait pas vraiment les tables. Celles-ci se portaient elles-mêmes, et de plus seul un tiers était entre ses mains, un deuxième tiers était resté entre les « mains » du divin, et c'est de ce troisième tiers que le texte parle en utilisant le mot K.R.N. Keren, non comme pour dire rayon, keren comme pour désigner un fonds d'investissement. Comme pour dire : prendre sur soi la Torah n'est pas si lourd : elle se porte elle-même. Ce n'est pas nous qui "gardons" la Torah, c'est elle qui nous garde. De plus, c'est un contrat, tout ne repose pas sur nos épaules, seulement un tiers, qui n'est qu'à l'image de l'usufruit d'un héritage, dont l'intégralité ne nous reviendra que bien plus tard, dans un monde ultérieur. Comme pour dire, le changement n'est nullement cosmétique. Moshé ne descend pas illuminé mais investi. Son statut "bancaire" a changé mais il n'en a pas encore véritablement conscience, sa vie continue. L'homme peut faire cet investissement. L'homme juif pourra continuer à évoluer dans les mêmes lieux, et ne pas sentir le changement, au point de se bercer de l’illusion qu'il n'est pas changé, qu'il est identique au monde qui l'environne.

Rabbi Néhémia contemple au contraire le mot K.R.N. sous son angle le plus concret. Keren veut aussi dire corne ( comme le suggère sa prononciation), corne ou cal. Un cal produit par l'exercice physique de l'écriture, quand la plume reposée maintes et maintes fois sur le front du scribe tout à son ouvrage, finit par marquer sa peau. Comme pour suggérer que l'homme qui prend la Torah sur lui - et le fardeau que cela implique de respect de mitsvot - s'en trouve marqué jusque dans son physique, concrètement. On ne saurait devenir juif et ne pas le sentir dans sa chair. Alliance signée dans la chair comme chacun le sait.

Des épisodes que nous n'avons pas encore oublié -comme les désignait Lėvinas - sont là pour attester que l'homme juif en tout cas peut être repéré par certains aspects de sa physionomie. Certains diront qu'il n'est pas nécessaire de baisser le pantalon. Il y a une physionomie particulière, ou un habillement particulier, même si on ne porte pas le caftan. Peut-être s'agit-il d'une situation recherchée par l'humain lui-même, lui qui sait que porter la Torah consiste à être -à l'image de Dieu, à être reflet (tselem) de la divinité.

Peut-être enfin cet état est-il un état qui se porte sans le sentir, tout visible, tout physique soit-il, à l'instar de Moshé qui n'est pas conscient de combien son visage reflète sa nouvelle condition, d'homme ayant reçu la Torah.

Etre juif est un état indélébile, que ce soit du fait de l'encre avec laquelle est écrite la Torah, ou que ce soit de l'état d'éthique auquel la Torah peut hisser celui qui s'en imprègne. Pour le meilleur, ou pour le pire. Ceux qui te voient le lisent sur ton visage, quoi que tu fasses pour le dissimuler ou l'oublier.


Le dénominateur commun de tout cela pourrait bien être que marque il y a, quelque soit l'angle (keren zavit) sous lequel on regarde les choses. Le choix résiderait dans la forme que l'on souhaite donner à cette marque, soit celle que l'on donnera nous mêmes, à condition de prendre conscience, soit celle qui sera donnée par autrui, à la suite de Michel Ange, ou de plus tristes autres représentations.

mardi 29 octobre 2013

terre promise - terre acquise


La paracha de shabbat dernier, Hayé Sarah, a une large place dans le vécu israélien. 
Les sionistes convaincus voient dans l'achat de la caverne de Makhpéla qui y est conté l'évènement fondateur de la présence juive en Israël, le premier acte, le premier accord conclu avec les habitants locaux. 
Les plus radicaux y voient la preuve que la terre nous appartient, après qu'elle n'ait pas seulement été promise mais qu'aussi elle ait été acquise de plein droit, les plus modérés acceptent de prendre en compte qu'il n'y a pas seulement un passé mais aussi un présent, qu'il n'y a pas seulement un "dit", des paroles qui ont été dites, mais aussi un "dire", une exigence de dialogue, pas seulement une subjectivité israélienne, mais aussi une subjectivité palestinienne.

Et, comme d'habitude, on peut se demander quel est le message central de cette paracha - en étudiant la haftara, le morceau de Bible que les rabbanim ont jugé être la réplique de la paracha, le morceau que l'on devrait lire s'il n'était pas possible de lire la Torah.

Or, la haftara traite aussi de la présence juive sur la terre d'Israël, mais de façon incidente : le texte choisi est celui des derniers jours du roi David, et de sa succession, avec la question de savoir quel fils doit régner après lui, et avec le difficile thème de la lacune laissée par David. David, apparemment se confine à la passivité et n'exprime pas assez ouvertement qu'il souhaite que Salomon - et non Adonia - lui succède, et le résultat de cette passivité est turbulences et remous, et le prix de cette passivité est mort d'homme. Adonia aurait-il été executé si David avait parlé clairement ?

David et Avraham ont tous deux des vies plus ramifiées que le mariage monogame, chacun dans des contextes différents, chacun pour des raisons différentes, mais ils se mesurent aussi différemment avec cette situation de partage de vie affective et sentimentale avec plusieurs femmes.

Manitou enseignait que le livre de la Genèse nous présente une évolution de la relation homme femme, depuis Adam et Eve, qui ne se marient pas, jusqu'à Yaakov et Rahel qui représentent le mariage par amour. On remarquera que même ce que Manitou qualifiait comme l'idéal nous parait assez loin de cela : les enfants d'une femme font les pires choses aux enfants de l'autre, et on a l'impression que la situation de conflit intrafamilial n'est pas prise en main par les parents mais bien par les enfants.

Toujours est-il que le dénominateur commun de ces couples fondateurs de l'humanité est qu'ils paraissent tous plus ou moins loin de vivre la vie de couple idéale. Il parait toujours y avoir de l'ombre quelque part, il parait toujours que la relation humaine dépasse le post modernisme : l'homme (l'humain) n'est pas plus "un plus un" que "un tout seul", l'homme évolue dans le monde de l"au moins trois", et il pourrait apparaître, à la lumière de cette paracha, que cette situation ramifiée ne se produit pas uniquement dans la sphère du sentimental ou du marital, mais qu'elle rayonne aussi sur le géographique.

Nous sommes rarement mono-attachement géographique, et nous ne sommes jamais seuls sur notre île.

Nous sommes souvent passés d'un pays à un autre, et très rarement dans un mouvement de "sens unique", et ainsi nous avons des attaches dans plusieurs pays, à plusieurs paysages et à plusieurs langages, à plusieurs groupes ethniques, à plusieurs cultures.

Le lien d'Avraham à Sarah, mais aussi à Hagar, et à Quetoura, pourrait être un peu le versant personnel et sentimental de son lien géographique de personnage qui part vers un autre pays, mais qui n'y devient pas facilement considéré comme habitant à part entière, qui continue à préférer pour son fils une femme de son pays d'origine, et qui réussit plus facilement à acquérir un lieu de sépulture qu'un lieu de vie pour les générations à venir.

Le message parait quand même, surtout dans la comparaison au roi David, qui échoue à gérer le domaine familial, que c'est dans l'espace privé de la maison que se joue l'essentiel.

Il est bien probable que nous ayons acquis cette caverne de Makhpéla, mais il parait non moins probable qu'elle nous appartiendra réellement un jour qui n'est pas encore arrivé.


Pour le faire arriver, il faut très probablement dialoguer avec ceux qui revendiquent l'endroit, mais il se pourrait bien qu'il faut investir non moins dans un autre espace inter personnel : celui de l'intérieur de notre maison, celui de l'intérieur de notre couple.

dimanche 6 octobre 2013

peuple de l'alliance - peuple barbare ?


Nous, le peuple juif, lisons la Torah tout au long de l'année, année après année, tous les shabbat matin. Pendant que tu te lèves à peine, toi l'européen/ne, chez qui il est une heure plus tôt, et te vois en train d'à peine commencer la journée, une journée de fin de semaine, journée de repos, journée sans programme. Et s'efface rapidement de mes yeux ton image, image de quelqu'un tellement à la fois proche et différent, quelqu'un au rythme de vie tellement différent du mien, surtout en ces heures du samedi matin, du shabbat, alors que je me plonge dans le texte de la lecture de la Torah.

Cette semaine, nous lisions la deuxième section hebdomadaire de la Torah, intitulėe du nom du héros du déluge, et je suis frappé - grâce à deux extraordinaires cours qu'il m'a été donné d'entendre, et du fait de certaines bribes de l'actualité européenne qui sont parvenues jusqu'à mes oreilles -, je suis frappé de l'actualité et de la force de cette section.

L'histoire de Noé, l'histoire du déluge, est comme la concrétisation de ce qu'est notre vie, nous êtres humains, encore et encore. Une vie qui connait des évolutions - y compris phénoménales, au plan technologique, mais aussi au plan de l'évolution des sociétés, évolution de la science - mais qui reproduit  et qui perpétue année après année les tragédies du monde.

Alors que c'est dans la première section de la bible qu'est racontée la création du monde, la section de Noé raconte comment le monde revient encore et toujours aux mêmes situations de catastrophes, comment l'homme se replace encore et encore dans la situation de devoir être puni, si ce n'est annihilé.

La section de Noé, c'est ainsi le récit de l'issue du déluge, où la nouvelle humanité renaît, comme le bébé qui commence sa vie à partir de l'élément mouillé dont il se trouve extrait- comme le monde sur lequel la terre n'apparaît lors de la création qu'une fois que les eaux en aient été retirées - comme l'Europe qui renaquit en 1945 après la shoah -, mais la section de noé, c'est aussi le déluge, c'est aussi le récit de la catastrophe qui précède cette renaissance, c'est aussi le récit de cette déchéance dans laquelle l'homme retombe encore et encore, que ce soit par les voies les plus viles ou les plus perfectionnées.

Le secret de la Torah, le magnifique secret du judaïsme, c'est de non seulement conserver le souvenir et de continuer à lire cette histoire, c'est aussi et surtout de savoir y lire ce qui permet d'apporter les solutions, ou au moins des possibilités de solution.

L'Europe vit une période de progrès, d'unification, de vie sans guerre depuis plus de 65 ans, et c'est dans cette Europe du progrès, c'est par son progrès même, qu'apparaissent les nouvelles et subtiles voies de la discrimination, une discrimination qu'essuie encore et toujours le peuple juif en première ligne.

L'Europe assainit et globalise donc les circuits de production, de distribution, l'Europe abolit les frontières en son sein et promulgue des réformes, des lois, lois de protection de l'individu, lois de régulation du travail, de l'accès à la couverture sociale et de santé, toutes choses très positives. Très positives si ce n'était pas que précisément par elles réapparaissent les vieux démons. 

Il faut se demander pourquoi un tel progrès doit contenir ce qui va n'être autre qu'une nouvelle forme d'expulsion des juifs, finalement comme au moyen âge, finalement comme tout au long de l'histoire de l'Europe.

Et voici qu'au détour de tout ce progrès, l'Europe fait avancer des projets de lois qui vont aboutir à mettre hors la loi l'abattage rituel des animaux et la circoncision, deux pierres d'angle de la condition juive. 

Ces lois vont être votées au nom du progrès, au nom de l'humanisme. On veut interdire le mode juive d'abattage parce que considéré faisant trop souffrir les animaux, on veut interdire la circoncision au nom de sa comparaison avec la barbare coutume de l'excision pratiquée encore dans toute l'Afrique et une bonne partie du monde musulman.

La section de Noé contient les prémisses de la circoncision, et peut-être aussi les prémisses de la relation de l'homme aux animaux.

Le monde renaît à l'issue du déluge sous le signe de l'alliance, symbolisée par l'arc en ciel. Selon le texte, l'Eternel contracte avec l'homme Noé une alliance de non extermination, après s'être antérieurement résolu à devoir détruire l'homme antédiluvien.  Il fallut détruire cet homme, parce qu'il conduisait le monde à la perversion généralisée, parce qu'il rendait impossible par ses actes la poursuite de l'aventure humaine.

Le personnage Noé n'est pas l'initiateur du monothéïsme, il n'est que celui dont la conscience morale peut commencer à annoncer ce qui adviendra, ce qui ne mûrira qu'à l'issue de dix générations.

Le personnage Noé essaie de mener sa vie, et par conséquent de mener le monde en tentant de se comporter selon le "tsélem", à l'image de Dieu, en conservant visage humain.

La section permet de le regarder comme le nouvel homme, qui est bien moins barbare que ceux d'entre qui il a été sauvé, comme l'homme du vingtième siècle, ou mieux encore l'homme du vingt et unième siècle, qui sont incomparablement plus évolués que les primitifs du moyen âge, qui brûlaient les hérétiques sur les bûchers.

Mais la même section relate aussi l'épisode de la tour de Babel, où l'humanitė moderne met sa modernité et sa technologie à contribution pour faire mieux que les barbares de qui elle se prétend supérieure. Les hommes de la tour de Babel ne rappellent-ils personne aux survivants de la shoa que nous sommes ?

Quel souvenir ont-ils de cette alliance contractée par Noé, si peu de temps après qu'elle ait été signėe ?

La circoncision qui ne sera initiée dans la Torah que par le personnage Avraham, dix générations après Noé et le déluge, n'est une pratique barbare que si on choisit de la comparer à cette barbarie inventée par l'homme qu'est l'excision. Elle n'est une pratique à interdire que si on fait abstraction de son caractère d'alliance. Elle n'est négative que selon un certain regard, peut-être précisément ce regard dont la vision des hommes de la tour de Babel est l'archétype.

Le judaïsme repose sur ses merveilleuses conceptualisations dont l'individu peut se nourrir, à travers l'étude des multiples ouvrages qui ont été écrits, ou bien repose-t-il sur ces maîtres, parfois êtres exceptionnels, qui savent trouver les mots pour enseigner ces perles, mais le judaïsme tient aussi à ses pratiques.

Fomenter des lois qui vont pousser à définir certaines de ces pratiques hors la loi consiste avant tout à détruire ce judaïsme, est le premier acte d'une nouvelle forme - moderne, éclairée - de la trop antique et récurrente expulsion-persécution des juifs par laquelle l'Europe s'est tristement illustrée vingt siècles durant.

Les juifs doivent trouver les mots qui existent et qui leur permettent de verbaliser ces pratiques jugées barbares par les babeliens d'aujourd'hui. Le juif a les outils de cette verbalisation, de cette conceptualisation qui permet de faire apparaître le côté plus moderne que moderne, plus humain qu'humain de ce qui pourrait évoquer la barbarie et ils se doivent de s'approprier ces outils. Leurs interlocuteurs, et surtout leurs contradicteurs, quand ils ne sont pas ouvertement intentionnellement contre le judaïsme, sont des babéliens qui ne sont - comme les babeliens - que la forme modernisée du personnage antédiluvien : il est lui-même perverti et corrompu jusqu'à ses entrailles mais il se targue de sa culture et de son modernisme et cache derrière ces derniers sa barbarie.


Les juifs d'Europe se doivent d'ouvrir les yeux, de déceler les prémisses de ce qui sera le prėtexte à leurs peut-être prochaines et imminentes nouvelles persécutions, et de savoir prendre les décisions qui seront les plus saines.

Mais, à la différence d'autres époques où les décisions se prenaient dans le noir, il est possible aujourd'hui d'allumer les lumières. Il est impératif d'utiliser les outils pour pouvoir regarder cette réalité européenne non uniquement avec des yeux et des oreilles, mais aussi avec des textes, avec des enseignements, avec des références auxquelles se raccrocher.

jeudi 12 septembre 2013

Associations autour de la forêt, du passé, de la Pologne et de Kippour.



"En mémoire de la forêt" de Charles T. Powers  est un excellent livre. Comme l'envers du miroir d'un livre d'Appelfeld, "Pologne, verte terre" par exemple.

Si dans ce dernier, Aharon Appelfeld met en scène un adulte israélien juif qui est comme aimanté par la Pologne où il n'a jamais vécu mais d'où sont partis ses parents, aimanté par les polonais non-juifs, les personnages d' "En mémoire de la forêt" sont ces mêmes polonais, et les uns comme les autres se mesurent depuis chacun sa lorgnette au même sujet : "où ont tellement disparu les juifs de l'histoire de la Pologne- au point qu'il semble ne subsister d'eux - dans bon nombre d'endroits - presque aucun souvenir, aucune trace?", et en corollaire de cette question : "quel lien rattach/ait les juifs à la Pologne/aux polonais?" Et à l'inverse. 

Ce sont des questions tragiques. Tragiques par leur fin : les juifs de Pologne ont connu l'éradication, même - et parfois surtout quand ils ont survécu à la shoa ( voir pogrom de Kielce survenu juste au lendemain de la deuxième guerre mondiale, perpetré à l'encontre de juifs qui avaient tenté le retour en Pologne). Les forêts polonaises ont été souvent le lieu de ces massacres, qui les ont souillées à long terme. 

Les juifs pourraient bien ne jamais avoir été considérés par les polonais/non juifs comme des polonais.

Dans "en mémoire de la forêt", l'auteur illustre ceci de la métaphore de l'arbre du coin du jardin, que l'on veut abattre des années durant, et que l'on découvre détruit au détour de l'incendie qui a ravagé la grange. L'incendie est négatif, mais, au passage, il a enlevé l'arbre. Ainsi les polonais et les juifs, ou ainsi que Claude Lanzman le trouvait et le faisait entendre dans la bouche d'un des polonais interviewés dans Shoah : "la guerre a été terrible pour la Pologne, mais elle nous a débarrassé des juifs."

Les juifs, pour les non juifs, sont mieux dans la forêt. Morts ou vivants. Dans la bourgade, leur prėsence pèse.

Dans ce livre est posée cette question fondamentale : " pourquoi dit-on "les habitants" en parlant des polonais qui habitent une ville, et " les juifs", en parlant des habitants juifs de la même ville alors que les juifs ont habité l'endroit depuis des siècles, alors qu'en plus, il est clair que leur présence a été bénéfique pour l'économie ou même le développement local?

C'est une question fondamentale de l'antisémitisme, et ce livre ainsi que ceux d'Appelfeld sont pétris de cette question. Pourquoi l'antisémitisme? Pourquoi cette haine récurrente ? Pourquoi des ouvrages comme le "protocole des sages de Sion" ? Pourquoi des mythes comme le meurtre rituel ?

C'est une question que probablement énormément de juifs se posent, c'est une question qui se rattache à Yom Kippour, en tout cas pour ma subjectivité "quel sorte de juif suis-je ?" "comment mon état de juif est-il perçu par ceux qui m'entourent ?", mais, je me sens quant à moi tout autant interpelé par une autre question qui serait comme tissée à travers la précédente : "comment gèrons-nous, juifs comme non-juifs, cette particularité de l'humain, qui est d'être tellement réactifs à l'autre? À celui que nous cotoyons comme parent, enfant, frère ou soeur, mais aussi comme voisin, comme différent, comme ami, comme ennemi?". Comment gérons-nous tous ces liens au long d'une existence ?

Certains ainsi avancent, se construisent au fil des évènements de leur vie, laissent derrière eux les liens passagers, ceux de l'enfance, ceux de l'école, créent de nouvelles  relations, et paraissent vivre comme si ces liens du passé ne comptaient plus, s'étaient effacés. Ceux-là vivent leur vie comme dans une forêt. On doit y trouver son chemin, on doit avant tout faire le maximum pour survivre. ceux-là comptent sur la forêt pour effacer les traces des massacres qu'elle a connus

Certains autres fonctionnent autrement, conservent en eux les liens, les amours, les rancunes, et sont animés comme les héros d' "en mémoire de la forêt" ou de "Pologne, verte terre", du feu de conserver ou trouver les liens du passé, qu'il s'agisse d'amour, qu'il s'agisse de conscience (la Conscience. Celle de Victor Hugo), qu'il s'agisse de vengeance. .

Pour ces derniers la vie est peut-être plus pesante, plus dense et ainsi, plus lourde à traîner, quand les premiers paraissent mieux réussir à alléger leurs épaules de poids superflus.

Et si les premiers n'existaient pas ? 

Et si être humain se caractérisait, non uniquement par la capacitė à tisser des relations interpersonnelles, mais aussi par l'incapacité de s'en abstraire ?

Et si ce sujet n'était pas au centre (ou proche du centre) de ce Yom Kippour, où chacun fait son examen de conscience, et au sujet duquel il est écrit que ne sont pardonnées par l'Autorité d'en haut que les fautes qui ont d'abord été pardonnées par l'autorité d'en bas, c'est à dire dans l'interpersonnel?

J'ai l'impression d'être habité en permanence de la quête de mon passé. Je suis constamment suivi par la question de savoir où sont maintenant ceux que je ne vois plus, ceux de qui je n'entends plus parler, ceux qui affectent de ne pas s'interesser à moi - même quand je leur manifeste mon interêt à leur égard, ou tout simplement ceux qu'il est impossible de retrouver, même alors que nous disposons des moyens les plus perfectionnés, même alors qu'internet sera bientôt accessible depuis le plus profond endroit du globe.

J'ai le sentiment que Yom Kippour est entre autres dédié à aider l'individu à gérer cette question dont les obsessions et Altzheimer sont les deux extrèmes, dont le sexuel - et ses limitations - est une facette, dont le lien aux lieux de vie du passé est parfois comme le centre.

La lecture, l'après-midi de Kippour du livre de Jonas, semble traîter incidemment de cela. Il est question dans cette histoire principalement de techouva, de prophétie, de relations entre le Créateur et les crėatures, en articulation avec la techouva, mais il est aussi énormément question d'interpersonnel, de relations humaines, de lieux de vie et de lieux de visite, et même de possibilité d'antisémitisme ( dialogues Jonas-les marins ).

Avancer dans la vie est très connexe aux thèmes de la digestion, de la rumination, de la nostalgie, de la mémoire et de l'oubli, et ainsi la techouva est très rattachėe à cela.

Faut-il oublier pour avancer ? Faut-il se dépasser, voire s'auto-modifier pour avancer ? Faut-il se souvenir, marquer le souvenir ou faut-il métaboliser le passé comme notre organisme le fait avec les aliments ? 

Et quand bien même faut-il ceci ou cela, au nom de la halakha, au nom de la santė mentale, au nom de la volonté de progresser, quelles sont les limites de ce qui est rėellement possible ou impossible?

Les deux livres dont je parle ici sont l'illustration de cette impossibilité, sont comme un message adressé à ceux qui tentent d'enfouir le passé, comme ces polonais qui ont utilisé comme pierres de soubassement les pierres tombales des cimetières juifs qu'ils avaient détruits, et qui voient soudain émerger ces énormes témoignages de ce qu'ils ont tenté de se débarrasser. Allez détruire des pierres !

Et donc, ne pas rester prisonniers de ce système binaire : mémoire ou oubli. Apparemment, on n'efface pas. Freud disait que l'acte automatique n'est pas l'oubli mais au contraire le souvenir. Le cerveau conserve tout, même quand l'individu s'acharne à oublier ou à effacer. Dans "en mémoire de la forêt", le grand-père du narrateur, en parallèle - et en réaction - de ceux qui sont effrayés par le spectre du retour des juifs, érige dans la forêt un monument en leur mėmoire, en mémoire des atrocités commises. Peut- être en tant qu'ancien partisan, ayant été contraint un temps de vivre caché, dans la forêt, comprend-il mieux le peuple juif ?

Il faut donc apparemment mieux travailler à métaboliser. Et peut-être Kippour est-il un jour de jeûne précisément pour nous montrer qu'il n'est pas de digestion qu'alimentaire. 

On souhaite en hébreu avant Kippour non "jeûne facile", mais "jeûne efficace" (צום מועיל). Efficace pour la gestion du passé, et entre autres dans sa dimension interpersonnelle.

mercredi 21 août 2013

. Wissous chapitre 4 - De la roue comme source d'inspiration

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Le texte se trouve à la page "retrospective", en quatrième chapitre de la section "Wissous".


mercredi 31 juillet 2013

Huit sources d'une carrière d'enseignant.



Les souvenirs les plus immédiats qu'évoque en moi ma scolarité à l'école « La Fontaine » de Wissous ne sont guère brillants. Je me souviens surtout d'avoir ressenti de la fierté à avoir passé deux ans dans la classe de madame Simi sans recevoir même une seule gifle, et je me souviens de ce directeur dont je tairai ici le nom par considération pour ses enfants, qui liront peut-être ces lignes, pour sa triste spécialité dans mon souvenir, celle d'attraper les garçons par les quelques cheveux de devant l'oreille. La grimace de l'élève ainsi tenu ne laissait pas d'ambiguïté sur la douleur que celui-ci ressentait. L'enseignant, lui, n'avait pas mal. Deux enseignants qui auront surtout laissé en moi le souvenir de leur sadisme, mais, peut-être pire encore, n'auront laissé en moi aucun souvenir d'un quelconque enseignement qu'ils eurent dû me laisser.

Triste constat. 

A quoi aspirent l'instituteur moyen, le professeur de collège, ou de lycée ? Cherche-t-il à déceler parmi ses élèves qui est promis à un brillant avenir ? Aspire-t-il à faire atteindre aux autres le maximum de leurs possibilités ? A-t-il un projet éducatif ?  Certains livres, ou films, décrivent de telles situations, racontent quelques vocations incarnées chez tel ou telle jeune enseignant/e.

Je ne crois malheureusement pas que les enseignants que je côtoyai - finalement énormément de temps - cinq jours par semaine, neuf mois par an, se soient élevés même à réfléchir une fois à de tels thèmes.

Me reste de l'école le vif souvenir des accessoires, encrier, ardoise, table à deux places avec banc incorporé et système d'accrochage du cartable, tableau, craie, carte de France au mur mais dans sa version authentique, tenue soigneusement roulée dans le porte cartes jusqu'au moment où elle était cérémonieusement déroulėe et accrochée au tableau. 

Et le souvenir des ordres lancés par l'adjudant de service, ou la dictée quotidienne -ou presque - durant laquelle il se promenait dans les rangs d'un air soupçonneux.

Vraisemblablement la cour, avec le foot, occupaient une bien plus grande place en moi, mais demeure floue la raison de telles répartitions d'investissements ? Comme on dit en hébreu, on peut faire tel ou tel choix par attraction, ou par répulsion de son contraire. On peut aimer la cour pour la cour, pour ses jeux, son activité, ou parce qu'elle est le moment où on est libéré de la phase dite d'enseignement.

Étais-je d'emblée programmé à étudier sans effort, à être très porté sur la vie sociale, à avoir de l'énergie à brûler en quantités industrielles, et donc à être beaucoup plus porté sur la récréation et la sortie de l'école ? Ou la piètre qualité des enseignants, et donc du système scolaire dont la France et les français sont tellement fiers est-elle la cause de telles orientations d'esprit ?

Ai-je préféré la récréation en tant qu'elle-même ? Ou en tant que refuge ? En tant que permettant d'échapper à la routine scolaire ?

J'ai quelques souvenirs diffus de quelques résumés de nos livres de classe, j'ai quelques souvenirs écrans de quelques dates, de quelques récitations, de quelques fables qu'il fallait savoir par coeur, mais je crains que cela n'aille pas plus loin. 

J'ai probablement appris le calcul, l'orthographe et la grammaire, si je juge aux résultats, mais je crains que l'école n'ait été pour cela que le lieu de mise en pratique de capacités qui étaient miennes, et qui étaient par ailleurs encouragées par la maison.

Je me souviens de notre professeur de maths au lycée, en classe de 1ère, dont le principal effet avait eu de me persuader que j'étais nul en maths, ce qui pour elle n'était que la preuve que je devais être nul, point. Je me souviens de ce professeur de physique que j'avais en terminale et qui prenait visiblement plaisir à amener l'élève qu'il y avait fait venir, à donner à un moment ou à un autre la réponse : "zéro", ce qui lui permettait de répondre d'un ton mielleux : " c'est votre note ?". 

Je crains de ne décrire ici  sinon tout un système scolaire érigé sur le sadisme, au moins un système dans lequel le bien être de l'élève n'est en aucun cas de la préoccupation de l'enseignant. 

On disait en riant que l'enseignant moyen avait - à cette époque où la rentrée scolaire était le 15 septembre - trois motivations à l'exercice de sa profession : juillet, août et septembre. Je ne sais pas combien il s'agit d'une blague.

Combien d'enseignants auraient-ils fait leur le principe lévinassien du dialogue éthique, en vertu duquel je suis responsable de ce qu'entend mon interlocuteur ? En vertu duquel sa motivation, son image de lui-même, ses résultats dépendent énormément de mon attitude, moi l'enseignant, à son égard ?

Je crains que monsieur Barbier, notre malheureux professeur de latin de 4ème, n'ait souffert de son métier et de ses élèves de telle manière que sa carrière - sa vie ? - n'a pu que lui être un enfer. Je suis très triste qu'une telle situation se soit produite, je suis même confus d'avoir apporté ma - minime -contribution à cet enfer, mais je plaide non coupable.

J'avais 13 ans et ne faisais que "subir" ce non-enseignement. Où - par contre - étaient l'administration, l'inspection, les services psychologiques attenants au système scolaire ? Je crains qu'il n'aient été nulle part. 

Il faut quand même rappeler quelques souvenirs positifs, quelques enseignants dont je garde un plutôt bon souvenir, telle Mme Colmez, mme Cagnon, mon professeur de français de classe de Seconde dont le nom ne me revient malheureusement pas et qui nous parlait de Camus avec émotion.



En ce qui concerne l'école primaire, il semblait que Wissous s'enorgueillait de cette école Jean de La Fontaine, dont le souvenir qu'il m'en reste est effectivement d'un lieu esthétique et neuf. 


Je me souviens qu'au début de ma scolaritė, il y avait encore un champ en face de l'école, au-delà du trottoir du "chemin de la Vallée", sur lequel passait l'autobus 297 sur son trajet retour vers Paris. J'ai quelques souvenirs diffus de batailles d'épis, ou de paille dans ce champ, probablement après la moisson, mais cela a forcément dû se produire...après la moisson , c'est à dire l'été, bien après le début des grandes vacances. Je me souviens aussi d'avoir été attristé de la construction d'une éspèce de hangar à la place de ce champ, quelques annėes plus tard.

J'ai aussi comme le souvenir d'un match de football dans la cour de récréation, comme il y en avait tous les jours, mais alors que j'avais la jambe dans le plâtre, et que je jouais quand même, malgré les reproches des enfants autour de moi. Je m'ėtais cassé la jambe en essayant une manoeuvre avec un ballon à moitié dégonflė sur lequel je trébûchai et me fracturai le peronné. Cela se passait à La Troche, peu avant la rentrėe et bien que plâtré pour un mois, je ne supportai visiblement pas d'attendre le retour à la normale et me livrai à l'activité principale de ma scolarité dans le déni le plus total de ma condition, mais, encore une fois, sans qu'aucun enseignant ne soit intervenu, se soit préoccupé de quoi que ce soit en relation avec cette situation.

En ce qui concerne ma scolarité des premier et second cycle, l'essentiel des souvenirs est résolument extra scolaire, les amitiés et les premières amours tenant le devant de la scène, l'éveil à la conscience sociale et politique, le second plan.

Il semble que j'ai bėnéficié d'un très bon et chaleureux enseignement à l'école maternelle, où Mme Lopata vouait un véritable interêt à ses élèves. Et je n'ai retrouvé cela que 12 ans plus tard, chez mon professeur de maths de Terminale, mr Jollis, qui arborait fièrement au revers de son veston des palmes académiques qui ne lui avaient pas été remises vainement.

Ces deux dernièrs auront probablement été les deux seuls enseignants qui m'ont communiqué ce qui ressemblait à un goût pour la profession.

C'est un goût dont j'ai l'intense satisfaction de pouvoir dire que je l'ai eu et longtemps, en bouche et ailleurs. Surtout ailleurs en vérité, car il n'est pas ici question de palais, mais d'échange. De situation où celui qui reçoit est celui qui donne. Il ne reçoit pas une quelconque monnaie de pièce par lui donnée, mais il reste enrichi de ce qu'a laissé en lui, pour la vie souvent, celui ou celle qu'il a côtoyé du fait de cette situation d'enseignement.

Dans un autre texte j'expliquerai en quoi ce thème me parait être le thème central du livre du Deutéronome, appelé en hébreu "les paroles", le thème de la si particulière résonance que le face à face d'enseignement procure à la parole. 

Aussi profond que je puisse fouiller, et malgré le titre donné à ce post, je ne parviens pas à trouver ni à l'école « La Fontaine », ni au lycée d'Antony, de quelconques sources de ce qui fit de moi un enseignant. Il me faut donc les chercher ailleurs. J’ai quelques hypothèses, certaines remontant à des expériences positives, aux Eis où j’eus la première occasion de devoir « éduquer » (même si le mot est peut-être fort)


, ou lors de mises en situation précoces, d’autres rattachées a contrario à cette critique -  si ce n’est cette révolte - que ce système scolaire éveilla en moi. Le total additionné de toutes ces sources, négatives et positives, ferait-il huit ?   


lundi 15 juillet 2013

Huit sources et un confluent.



L'article est à la page "retrospective", chapitre deux de la partie "Wissous".

vendredi 28 juin 2013

Huit sources en Essonne (retour aux ?)



Le texte se trouve à la page "retrospectivee, dans le chapitre "Wissous".

jeudi 13 juin 2013

sur Yahav, vahev et le sefer Bamidbar


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Et si récits de victoire, chants de hauts faits guerriers n'étaient autres que pâles retranscriptions de batailles internes entre nous et notre pire ennemi qui ne serait autre que nous mêmes ?

De qui pourraient bien parler les poètes ? Ils louent très certainement le Créateur de toutes choses, qui leur donne de fantastiques sources d'inspiration, ils chantent les beautés de ce bas monde qu'elles soient vivantes ou inanimées, immobiles et figées ou emportées par le rythme et le mouvement. Ils font ainsi vibrer leur amour et leurs émotions, ils les font se poser sur telle femme, tel souvenir.

Mais de qui ces muses seraient-elles l'élément déclenchant sinon de l'individu lui-même ? Avant d'être inspiré, ne se sera-t-il pas senti déssêché ? Au cours de son exercice de production de son ouvrage, n'aura-t-il pas maintes fois presque succombé au découragement, n'aura-t-il pas été comme déchiré ? Compressé, angoissé comme pris dans l'infractuosité de la roche, comme enserré au creux du défilé et sans espoir ?

C'est à de pareils stades de la lutte interieure que l'espoir peut se muter en fardeau, que ce qui donnait de la force il y a peu, parait à nouveau plus lourd que le plus pesant des fardeaux.

Avant que ne réussisse à nouveau la sècheresse à se transformer en source vive, avant que ce qui était comme prisonnier se libère et coule comme un torrent furieux.

Et si le séfer Bamidbar, qu'il est licite de nommer "Nombres" en français, puisque le recensement des israélites y apparait quand même par trois fois, ne recelait pas un autre sujet, dissimulé dans ce premier mot signifiant du livre ?

Si ce désert dans lequel ont peut-être vraiment vécu nos ancêtres pendant 40 ans ne pouvait-être par ailleurs la métaphore de la gestation de cette parole qui s'y est trouvée émise mais non encore entendue, acceptée avant d'être reçue, source d'acte antérieur à la réflexion et cependant acte réfléchi ?

Si c'était ainsi de cette parole qu'il était principalement question dans tout ce livre, qui pourrait alors être vue comme encore une autre facette de ce qu'est cette Création. Création d'un univers, création d'une mosaïque de peuples, création de ce qui va forger une identité collective, mais aussi création de la parole.

Création par la parole mais principalement création d'un être parlant.

Création comme installation des éléments à travers lesquelles s'exprimera cette parole. Voeux, ferveur, suspicions, accusations, revendications, supplications, récrimination, médisance, bénédiction, argumentation, discours, et aussi prophétie, poésie, et même parole qui sort d'où il est le plus inattendu, parole qui ne sort pas et à la place de laquelle c'est un coup qui est donné, parole qui laisse la place au silence. Tous ceux-ci sont les scènes et les actes successifs de ce théâtre dont la scène est ce désert, dont le nom signifie "parole".

Celle qui vient de naître, au coeur de la période où le peuple du livre lit chaque année ce livre semaine après semaine, sourit déjà beaucoup mais ne parle pas encore.

Son nom est dissimulé au centre même du livre, aussi caché que ne l'est la parole au milieu du désert. 

Lieu particulier ou lieu essentiellement signifiant ? 

Vahev n'est autre que Yahev.  Et il n'est autre que ce qui est le paradigme de cette parole.
Aussi magistralement donnée que le passage de la mer rouge (mer des joncs, Yam Souf en hébreu, mais aussi souffa, tempête ) ou le don de la Torah . 

"Et' Vahev beSouffa veèt' hanekhalim Arnon".

Aussi potentiellemnt jaillissante que ne l'est la source qui se transforme en torrent tumultueux (éched), mais sujette à étranglement,  susceptible de parfois disparaître (Ar).

"Veéched hanekhalim acher nata lechėvet Ar".

Disparaître ou être dissimulée, appuyée sur sa provenance, sur sa paternité.

Mais de là  apparaîtra la source. "Oumicham beera".

Et se matérialisera le don , et ã partir de lui,l'accès à la scène (bima) . Et de là  l'ascension, jusqu'au faîte (roch hapisga)..

"Oumimatana Nahaliel, ouminahaliel bamot, umibamot haguaï acher bissedéh Moav roch hapisga".

Puisse la parole de Yahav se matérialiser, se faire entendre aprēs avoir été retenue, jaillir, et se refléter comme la splendeur dans les eaux de la mer de Galilée, puisse-t-ell être porteuse d'espoir, être recours et non fardeau, mais être au contraire légère, paisible et délivrée des conflits et des combats intérieurs, autant que l'aura étė ce bébė.

"Venichkafa al pné hayechimon".


על והב, על יהב ועל המדבר.


ואם לא היו סיפורי מלחמה, קרבות, תבוסה או נצחון שבספר במדבר אלא מטפורות למלחמותינו הפנימיות בינינו לבין עצמנו ?

על מי ידברו משוררים ? לבטח הם מהללים לבורא העולם, לבטח הם מתארים את הבריאה, את גולות ואיופי היצירה, מן הדומם ומן הצומח או מן החי, הם משוררים את הנע ואת הנד, את העומד ואת ההולך, את האי-מוביליות ואת התהליך. דרך תיאורים אלה הם מבטאים את רגשותיהם, את אהבותיהם, ואז משליכים אותם על אישה זו, על זכרון זה כלשון הפסוק בתהילים פה :  {כג} הַשְׁלֵךְ עַל־יְהוה יְהָבְךָ וְהוּא יְכַלְכְּלֶךָ לֹא־יִתֵּן לְעוֹלָם מוֹט לַצַּדִּֽיק׃ 
 אבל למי פועלות המוזות האלה אם לא לאדם עצמו ? מי היה יבש לפני שפרצה בו מעין אם לא בן האדם ? לא דומים חבלי היצירה להר זה שנדמה שאף פעם לא נגיע לפסגתו, לא נינצל מנקרותיו ?

בשלבים אלה, בהם יבשה המעין, בהם התיבש הנחל, נדמה שהכל אבוד, הכל עול, הכל משא, ללא תקווה, ללא יעד. 

אולי זהו סודו של ספר במדבר, הסוד המסתתר מאחורי הפשט. בו בזמן שהפשט מתאר מסע, תלתלאות, סיפור אודות עם שלם שמתרחש על פני ארבעים שנה, אולי יש לספר במדבר עוד משהו לספר.

אולי, במקביל לזה שספר בראשית מספר את בריאת העולם, תפקידו של ספר במדבר לספר היבט אחר, פרספקטיבה אחרת של בריאה זו ?

זו הרכה שלפני שבוע נולדה טרם מדברת, אך דיבורה טמון בה, כפי ששמה מסתתר בתוך הפרשה. יהב בתוך והב.

אולי אין כאן מדבר אלא כדי שיהיה דיבור ? מדבר ? אולי מתאר לנו ספר במדבר את בריאת האדם כמדבר, ובגלל זה מוצאים אנו בו כמעט כל הוריאציות על תמת הדיבור : נדר, חשד, ברכה, טענה, הוצאת דיבה, דיבור פנים אל פנים, ועד לנבואה או לשירה.

כי פרשת חוקת ניחנת במיוחד בקטעי השירה שבה. ואולי מטרת שירה זו הינה לשיר את גדולות ה׳, ואת נצחונות ההליכה במדבר, או אולי מדברת שירה זו לא פחות על נצחונות האדם במאבקיו שלו עם עצמו, ועם דיבורו.

״את והב בסופה״ אינו מספר על מקום ושמו והב בלבד, אלא שהוא גם מתאר את אשר נתן (יהב) ה׳ לא בסופה אלא בים סוף, או שזה בשעת הסופה, כשהיו בני ישראל באמצע הסופה.

"את והב בסופה" אינו מדבר על מקום ספציפי אלא שהוא אולי מצביע על מקום סימבולי. כמו למשל על המקום בו יוצא-ייצא המעין הפנימי, לאחר הפנמת תהליכים קודמים, לאחר ששלטה שתיקה על האדם.

אולי ״אשד הנחלים אשר נטע לשבת ער״ אינה אלא עדות לכך שערירי זה לא ישאר כזה לעולם, אלא שיום מן הימים ייצא ממנו  אשד, כאשד הנחלים.

״ומשם בארה. באר, חפרוה שרים כרוה נדיבי ההעם במחוקק במשענותיו. וממדבר מתנה״ 
דיבור האדם, ניזון מן הבאר הזאת, אותה תורה של המחוקק, שעליה יפה להישען. היא לו כמתנה, ודרכה יירש הוא האל.

״ומנחליאל במות ומבמות הגיא אשר בשדה מואב ראש הפסגה״
כי אז יקבל אדם זה את הבמה לה הוא ראוי ואיתה יטפס אל ראש הפסגה, ימשיך את דרכו, יממש משאלותיו, יצליח באמצעות דיבורו להביע את רזי לבו.

״ונשקפה על פני הישימון״

מי יתן ותזכה יהב זו הרכה שדיבורה ייצא ויישמע ללא מלחמות מיותרות, וכך שתתבטא התקווה ששמה נושא ורומז עליה, כאוצר הזה אשר מתגלה לעיני המביט אל ים הכנרת.