dimanche 9 avril 2017

Pessah' - sortie d'Egypte, sens de notre identité, lecture de la hagadah et consommation de matsah.



Le premier soir de Pessah', nous faisons le seder, nous racontons la sortie d'Egypte, nous consommons de la matsah, ainsi que du maror...et nous faisons un repas familial et extra familial, "quiconque le souhaite vienne passer Pessah' avec nous".

Nul doute que les sages du peuple juif se sont intensément penchés sur la question qui travaille chaque juif à chaque génération : "mes enfants, mes descendants seront-ils encore juifs ? Que doivent-ils faire pour le rester et que dois-je, que puis-je faire pour influer dans le bon sens?"

Cela parait être le premier souci des rédacteurs de la hagadah, ce texte que l'on lit lors de cette réunion familiale extraordinaire paraissant l'outil dédié à cette tâche : Il y a les juifs de kippour et les juifs de Pessah'. Ceux que Pessah' est l'occasion annuelle de les "attraper", de leur faire goûter  (à tous les sens du terme) ce qu'est être juif.

Et cela induit une préoccupation psycho-pédagogique. Comment maximaliser cette occasion ? La hagadah est tout entièrement orientée selon l'axe questions-réponses. On lit des questions, on fait une mise en scène destinée à susciter les questions, et on répond aux questions, par le récit.

C'est une première résolution : on ne fera pas rester les enfants juifs par la voie de la réflexion philosophique. Il faut raconter, re-raconter. Un peu comme ce livre fétiche que nous avons tous, "que nous revenons lire fois après fois", après que, enfants, il y avait l'histoire fétiche, celle qu'il nous fallait l'entendre racontée par le parent de service tous les soirs avant de s'endormir.

Les récentes découvertes scientifiques sur le cerveau font que l'on ne parle presque plus de ces quatre ou cinq zones (frontale, occipitale, temporale, pariétale), depuis que semblent avoir été identifiées quelques 180 zones du même cerveau humain, chacune activée dans telle ou telle situation. Il parait ainsi que ce n'est pas la même zone qui est activée selon que nous entendons une conférence sérieuse et intellectuelle ou une histoire qui nous est racontée.

Mieux encore, ces mêmes recherches ont démontré que le cerveau se régénère et la question est de trouver ce qui le fera se régénérer le mieux, ce qui entretiendra au mieux les diverses fonctions du cerveau.

Il y a les fonctions avancées, celles qui permettent de passer le bacc. , et il y a les fonctions qui créent l'identité. Une identité qui parait ne pas tant être cognitive et fruit de l'étude adulte mais bien plus ancrée dans des expériences précoces et primordiales, des expériences qui sont loin de n'être que cognitives, des expériences dans lesquelles l'affectif, le relationnel, l'attachement parental occupent la première place, comme si ce type d'expériences était en amont du cognitif, voire était ce qui prépare au cognitif et le rend possible.

Les sages de notre tradition n'avaient pas lu les résultats de ces récentes découvertes scientifiques, mais ils paraissent avoir cherché à faire passer à Pessah' ce qui est en amont du cognitif, ce qui va enraciner l'individu dans son judaïsme,

Et c'est ainsi qu'ils ont fait un choix narratif bien particulier : les grands noms de l'histoire juive ne sont pas occultés  (on trouve ainsi Avraham, Itshak, Yaakov, Noé, Moshé, Aaron, mais chacun apparaît dans la hagadah une fois seulement, comme pour bien clarifier qu'ils ne sont nullement les piliers de cette préoccupation.

Pas de mise en avant de l'un ou de l'autre. Le sujet est "sortie d'Egypte" dont les hébraïsants savent que cette dernière est le prototype de l'angoisse, de l'enfermement (le mot mitsraïm est construit sur la racine verbale qui signifie "étroit", le singulier de mitsraïm - mot pluriel - est "métsar" qui signifie geôle, ou angoisse).

Il faut sortir de l'enfermement dans lequel on se trouve par rapport à sa relation au monde social, il faut reconquérir la possibilité, la légitimité, et l'interêt à ce que signifie être juif.

Pour cela, on pourra lire, pratiquer les mitzvot, étudier l'histoire de nos ancêtres et réfléchir avec le talmud, mais il faut commencer par s'extraire et se rattacher.

S'extraire de ce qui fait obstacle à notre rattachement. Obstacles internes et externes.

Pour cela, nous faisons le séder, en famille, plusieurs générations réunies, et nous posons des questions, et essayons des réponses.

Pour cela aussi, nous mangeons de la matsah. Et m'a été donnée hier (grâce à un dvar Torah prononcé par Jacques Bing) l'occasion de parfaire la réponse à une vieille question au sujet de cette matsah : en Genèse 19, Lot reçoit les anges venus détruire Sodome et Gomorrhe et leur sert...des matsot. Et Rachi, imperturbable, de commenter :" c'est parce que c'était Pessah'". 

Quel Pessah' peut-il ainsi être fêté quelques 250 ans avant la sortie d'Égypte ??

Manitou enseignait que les fêtes juives ont un caractère historique mais qui est associé à un caractère extra historique, qui a précédé l'occurence historique leur correspondant. 

Mais j'ai quand même toujours eu un peu de mal à accepter cette préscience dont auraient bénéficié les patriarches, surtout si elle doit être dans les moindres détails. Et ainsi la question subsistait en moi. Un peu comme ce Rabbi Eleazar ben Azaria de la hagadah qu'une question préoccupait au fil des années. 

Et voici que je pense mieux comprendre ce que voulait dire Rachi, et ce qui fait que Lot a servi des matsot : les matsot sont l'aliment qui correspond à la situation dont Pessah' est le paradigme : une situation d'urgence, dans laquelle le fait d'être juif/différent est bientôt si ce n'est déjà menacé.

C'est exactement la situation de Lot, qui vit une sortie d'Egypte privée. 

C'est le sens de ce que nous disons le soir du seder, que chaque juif doit non tant se remémorer la sortie d'Egypte collective historique et officielle que se sentir comme si lui-même sortait d'Egypte.

Nous avons tous, à toute époque (même si certaines époques sont en résonance plus ou moins forte avec le paradigme), cette convocation du printemps, cette occasion de nous rattacher à notre judaïsme, à surmonter les obstacles internes ou externes qui sont sur notre route, et à effectuer notre sortie d'Egypte, entre autres en mangeant des matsot.

Pessah' cacher vesameah' lekol am Israël.