vendredi 17 novembre 2017

Foxtrot - un singulier pas de danse.




La danse est présente dans ce film bien au-delà de son titre.

Et le film parle en réalité de sujets qui sont bien au-delà et bien plus lourds que la danse.

A moins qu’il ne s’agisse d’une autre danse ? La danse au sens figuré, la danse de la vie...

Foxtrot est donc un film. Un film joué par d’excellents et attachants acteurs, et dans lequel un chien et un chameau tiennent des rôles non mineurs, tant par leur démarche que par leur présence. Au point qu’on se demande quelle formation, puis quel cachet ils ont reçu.

Le film raconte une histoire, une histoire intéressante, qui parait de prime abord être avant tout israélienne. Une histoire qui se passe presque essentiellement à l’armée et autour de l’armée, une histoire dont le décor est une société dans laquelle l’armée tient le rôle central, une société qui marche (qui danse?) au rythme de l’armée.

Et pourtant on sort du film en ayant vu bien plus qu’une histoire brodée sur le thème de la danse, bien plus qu’une histoire israélienne.

Le film n’est pas si facile à voir que cela. Il est très bien filmé, par le mérite d’un excellent photographe de plateau, qui montre de belles images mais aussi qui filme avec créativité, entre autres sous des angles inhabituels. Mais la façon dont il est filmé, et la bande-son créent une tension.

On n’est pas seulement tenus en haleine du début à la fin, ce qui est un des critères pour qu’un film soit bon, on participe émotionnellement à l’histoire, et ce n’est pas pour passer un « bon moment ». C’est du sérieux.

Et les pas de danse, scènes de danse très esthétiques, qui sont parsemés au long du film, ne parviennent pas à le transformer en « bon moment ».

C’est un film dans lequel le silence du personnage principal tient aussi un peu le rôle central. C’est un silence lourd, tendu, émaillé de rage et de douleur.

Sa femme, de laquelle il se sépare en cours de film, lui dit qu’elle sait qu’il tait un secret.

Et il raconte. Et le spectateur découvre que le film ne raconte pas seulement une histoire, mais une histoire qui reproduit partiellement une ancienne histoire, his story, et ce qui est conté dans le film résonne soudain comme le produit de ce secret.

On découvre ainsi - ce que l’on sait déjà, intuitivement ou du fait de l’expérience - que les secrets familiaux ne sont que de polichinelle. Tant qu’on ne les révèle pas, ils passent « autrement », d’un individu à un autre, d’une génération à une autre.

Et cet « autrement » n’est pas une meilleure alternative à la parole. Cet « autrement » a la triste propriété d’amplifier le traumatisme que l’on tentait de tenir secret, et par là, que l’on tentait d’effacer.

C’est à l’image du logement des quatre soldats, que l’on pourrait prendre pour juste anecdotique. Leur caravane repose apparemment sur un terrain meuble, qui la fait chaque jour pencher un peu plus et s’enfoncer un peu plus.

Est-ce du fait du terrain uniquement ? La société israélienne est-elle ainsi menacée d’être engloutie par les sables mouvants ? Ces sables sur lesquels seuls les vaisseaux du désert, les chameaux, sont à l’aise et savent « marcher »...

Le film traite incontestablement de bavures militaires, et du poids moral que ceci fait peser sur la population, ou plus exactement sur les populations, puisqu’il y a ici la population juive, par laquelle sont ainsi envoyés les soldats garder au bout du monde un endroit par lequel passent princialement des chameaux , et il y a aussi la population arabe, ou ennemie, ou potentiellement ennemie, et ce que paient ses ressortissants de l’angoisse que cette qualité d’ennemi fait peser sur les soldats.

Et ainsi, le film montre quelques scènes qui illustrent combien un soldat de vingt ans n’arrive pas à s’élever facilement au dessus de ses frustations et de ses angoisses, ce qui lui permettrait d’épargner à des innocents de faire les frais de ces frustrations, mais il me semble que ne juger le film que sur ces scènes, ou prendre le film seulement comme témoignage d’une facette de la réalité judéoarabe consiste à rétrécir par trop le champ de vision.

C’est bel et bien ainsi à mes yeux le sujet de la transmission intergénérationelle du traumatisme qui est le vrai et le plus profond sujet de ce film.

Ce n’est ainsi pas seulement l’histoire d’un couple à qui parvient - par erreur - la tragique annonce de la disparition de leur fils soldat, qui est ici mise en film, c’est l’histoire d’un individu à qui cette annonce sonne avant tout comme la répétition de sa propre histoire, un individu que le fait d’être soldat a déjà traumatisé et mis en contact avec la mort. Cela l’a traumatisé au point qu’il a tout fait pour éloigner ça de lui, au point de ne même pas révéler les détails à sa propre femme.

C’est le sujet central de cet important film : la situation géopolitique dans laquelle vivent les israéliens ( et encore d’autres nationalités dans le monde ) et qui provoque un surplus de confrontation à la mort, au traumatisme. Et la méthode intuitive de l’individu est trop souvent de tenter d’enfouir, de se dissocier de pareilles choses, dans le vain espoir que cela les fera disparaître.

C’est une variation moderne sur le thème du silence des rescapés de la shoah. Ils tentent de maintenir secrète leur expérience, entre autres parce qu’ils n’ont pas la force de trouver les mots et les situations pour la raconter, et la tentative est couronnée d’échec.

C’est un film qui vient plaider la fin de la belligérance au nom de la santé mentale. C’est un avis que les politiciens, mûs par la « raison d’état » n’aiment pas entendre.

vendredi 3 novembre 2017

Le judaïsme de la 621ème mitzva.





Le judaïsme est défini par la notion de mitzvot, qui sont des valeurs intégrées et converties en devoirs.

Avraham aurait donc été le premier à répandre cette façon d’être, son histoire se trouvant rattachée à une alliance avec le créateur, alliance transmissible à qui entérinera ce message avant tout moral.

Les années et l’histoire ont accompli leur oeuvre et s’est développé petit à petit « le judaïsme » du double fait de la mise en place d’une descendance distincte et organisée en famille puis en peuple, et du message écrit et porté par ce peuple, nommé Torah en premier temps puis enrichi au fil des années de toute une littérature.

Le troisième pendant à cette identité est son rattachement géographique à la terre d’Israël, en trois temps, temps des patriarches, temps des hébreux puis époque du sionisme.

Des intellectuels comme le rav Kook, grand rabbin de Palestine jusqu’en 1935, et grand contributeur moderne au bagage juif, ont ainsi conceptualisé le judaïsme comme pourvu de trois composantes peuple d’Israël, Torah d’Israël et terre d’Israël.

En parallèle de cela joue un rôle majeur le lien aux autres familles de la terre, que cela soit quand Israël se trouve sur sa terre, ou quand il en est chassé et exilé.

C’est une dynamique de compétition, de jalousie, de rivalité, dont les juifs trouvent l’origine dans les liens familiaux des pères fondateurs de la nation, encore avant l’epoque des trois patriarches mais surtout depuis lors.

Le christianisme qui se met en place peu après la destruction du temple de Jerusalem par les romains en 70 de notre ère, et qui se développe à partir de Rome et de l’Europe, où se sont trouvés exilés bon nombre de juifs, proclame son identité comme « verus Israël », autrement dit le véritable descendant et héritier du message biblique, les juifs, ne reconnaissant pas Jésus comme le messie ayant de ce fait fait fausse route et ayant ainsi provoqué leur propre perte.

Les rabbins du talmud, préoccupés de la survie du judaïsme même en situation de totale dispersion de ses membres, font passer le judaïsme d’une phase nationale à une phase a-géographique et mettent en place tout un système de pratique des mitzvot, comptabilisant celles mentionnées dans la Torah, et ajoutant encore quelques unes, pour aboutir à un nombre de 620.

Être juif, jusqu’à l’émancipation consiste à rester rattacher génétiquement au peuple et à pratiquer ces mitzvot.

La rivalité avec le peuple juif devient chronique et donne lieu à deux mille ans de tribulations et d’épisodes d’antisémitisme plus ou moins discriminatifs, plus ou moins sanglants.

Les choses prennent une nouvelle tournure avec Hertzl et la naissance du sionisme, né de cet antisémitisme et des restes de l’attachament multiséculaire à Jérusalem, mentionné par les juifs pratiquants plusieurs fois par jour (quatorzième bénédiction de la amida dite trois fois par jour, sans compter les différentes fêtes du calendrier dans lesquelles Jerusalem a toujours une place).

Cette nouvelle tournure est celle d’un renouveau incontestable et massif et fulgurant du judaïsme.

Cent ans après le premier congrès sioniste réside déjà en Israël un peuple de plusieurs millions d’habitants, composés de juifs de toutes les provenances, cent vingt ans après (c’est à dire de nos jours),le pays compte déjà plus d’habitants que plusieurs pays d’Europe, plus de juifs qu'en dehors du pays, et est le lieu d’un énorme élan démographique, technologique, scientifique, culturel et intellectuel.

Une petite partie des habitants, mais dotée d’un très fort poids démographique reste farouchement rattachée à la pratique antérieure au sionisme, niant même ce dernier pour bon nombre d'entre eux, le gros du peuple vit une vie de modernisme sans se sentir trop concerné par la place à donner au judaïsme dans leur quotidien, tandis qu’une autre partie des habitants de ce même pays voient dans son organisation, son développement, le lieu privilégié de la mise en place de ce qui est contenu dans les livres, de ce qui a été pensé et réfléchi sans discontinuer au fil de plus de trente siècles.

Cet « agenda » s’articule en termes de politique tout autant qu’en terme de recherche au sens académique du terme mais fait déboucher sur un très fort clivage du monde juif.

Tandis que les juifs d’Israël vivent un judaïsme quotidien qu’ils le souhaitent ou non, et ont à leur porte la possibilité de participer à son épanouissement, les juifs de diaspora se retrouvent pour leur énorme majorité complètement relégués dans le sillage d’un batiment qui avance de plus en plus vite et avec lequel la distance ne cesse de s’accroître.

Ils ne dominent pas la langue, et surtout perdent pour ainsi dire chaque jour du terrain, leur quotidien ne croisant le judaïsme que très occasionnellement. En fait, la plupart d’entre eux sont confrontés à leur judaïsme presque uniquement par le biais de l’antisémitisme et de ses vagues. Certains s'accordent même le luxe d'être farouchement "anti', qui "antireligieux", qui "antisioniste", n'ayant nullement conscience du caractère hautement nocif de leur attitude.

Tandis que les habitants d’Israël, nullement débarassés de la menace de l’antisémitisme s’y mesurent de façon structurée, diplomatique et militaire principalement, ce qui ne met plus ni le judaïsme en danger, ni ses membres tant que l’équilibre militaire est en leur faveur, les juifs de diaspora se retrouvent involontairement à avoir presque changé d’identité, à vivre un judaïsme inféodé principalement à la question de cet antisémitisme : le combattre, y résister, le subir, le mesurer, veiller sur la profanation des cimetières, à la création de lieux du souvenir (jardins, musées, monuments), et à celle de l’assimilation. Le premier combattant agressivement, et le second en douceur, mais non moins violemment pour ce qui est des résultats.

Leur judaïsme est celui de la 621ème mitzva, celle de la préservation de..

De quoi en fait ? La plupart d’entre eux ne savent déjà plus répondre à cette question