dimanche 24 août 2014

Drame ou tragédie ?


La dramatique - sinon tragique - situation actuelle dans laquelle nous nous trouvons, habitants d'Israël, est en train de clarifier des choses que, même si elles sont connues, n'en restent pas moins vraies et apparemment difficiles à comprendre et à accepter.

Cette situation démontre que ni la guerre ni les armes ne résolvent les problèmes. En général elles créent les problèmes, elles les enveniment. Elles ne les résolvent pas.

Cette situation crie à la face du monde que ce ne sont ainsi pas les militaires sur lesquelles on peut (et encore moins doit-on) compter pour trouver des solutions aux problèmes, et que ce ne sont pas non plus les politiciens qui sont capables de mieux faire.

Les militaires creusent les trous de boue dans lesquels les politiciens donnent l'ordre d'enliser militaires, civils et situations.

Cette situation nous montre - et pourtant on le savait ! On le sait aussi bien que quand cet enfant de 6 ans m'avait dit en classe :  "je n'ai pas besoin que la Torah me dise de ne pas mentir. Je le sais ", cette situation nous montre que  même si nous savons que cela ne sert à rien de dire : "je tue l'autre parce qu'il m'y contraint", nous devons encore une instance qui sache vienne nous aider à trouver une meilleure réaction que celle, tripale, qui nous pousse à tuer...PARCE QU'IL NOUS EST INTERDIT DE TUER, et apparemment d'autant plus que nous sommes le peuple juif.

Le monde ne se formalise pas des centaines de milliers de morts tués en Syrie, ou des massacres commis par l'EI , ou par Boko Haram, ou par les barbares, pas parce que le monde est antisémite. Parce que le monde s'attend à ce que nous ne soyons pas des barbares. Pour toutes les raisons de la terre.

Parce que nous avons reçu la Torah, parce que nous prenons sur nous de nous comporter en fonction de la Torah, et aussi parce que nous ne pouvons nous permettre de commettre des massacres, du fait précisément que nous avons subi des massacres.

Et l'opinion nous montre cela noir sur blanc. Et elle nous la montre d'autant plus quand des nitsolė shoah des Etats Unis manifestent pour dénoncer les massacres de Gaza.

C'est un art très difficile auquel il faut apparemment tenter de devenir experts : ne pas tomber dans le jeu des plus prompts à l'auto critique, qui en ont les yeux aveuglés au point de ne pas voir qu'ils ne font que fournir de l'eau au moulin de nos ennemis, mais ne pas plus rester agrippés pathologiquement aux branches les plus élevées d'un arbre dont on ne peut descendre.

J'étais étonné de la sérénité et de la sagesse avec laquelle Bibi semblait mener cette opération. J'étais étonné en particulier du fait que je n'avais jamais apprécié ses manières, ni quand il répétait à l'envie :"qu'ils donnent! Puis ils recevront" parce qu'il aurait fallu être sourd comme un pot pour ne pas entendre que ça cachait -mal - derrières ces paroles les prétextes ã ne rien faire avancer, ni en regardant rétrospectivement ce qui précisément a toujours été l'emblème de sa politique : l'immobilisme absolu.

J'étais étonné parce que j'avais toujours eu le sentiment que les discours des forts à bras qui parlaient des arabes de façon péjorative, et raciste, à coup de "ils ne comprennent que la force", ne nous emmèneraient nulle part, ou en tout cas en aucune direction dans laquelle je me sens prêt à les accompagner.

Et j'avais de quoi être étonné : dans l'état actuel des choses, nous (l'armée de défense – yaani. Ne menaçons-nous pas nous-mêmes ce nom en nous embourbant dans cette guerre d’usure improductive? - d'Israël)  n'en finissons plus de "porter des coups terribles" , de " faire payer le prix maximal", de porter "lourdement atteinte" aux capacités militaires du hamas....

Et tout ceci semble ne servir à rien d'une part, et à accumuler morts et critiques très lourdes contre nous d'autre part.

Parce que quand tu as tué deux mille deux cents personnes, dont des civils, des femmes et des enfants, tu pourras répéter jusqu'à la fin des temps que c'est la faute de quelqu'un d'autre, c'est quand même toi qui les auras tués.

Et tu peux t'offusquer que l'opinion réagisse à ces deux mille alors qu'elle ne réagit pas aux millions tués par les turcs (c'est pour ne pas répêter le mot barbare, j'emploie un synonyme..), c'est quand même toi qui les a tués, et c'est donc ta collectivité à toi qui devras en rendre compte.

Et c'est ce que nous souhaitons !!!

Nous sommes Israël non du fait de la couleur de notre sang, qui n'est plus bleu qu'aucun autre, mais du fait que nous devons agir au nom de la Torah !

Et donc, catch 22.

Le hamas ne veut pas discuter ni marchander avec nous mais nous exterminer, et il n'y a pas à discuter avec quelqu'un qui ne veut que ta disparition. C'est vrai. Mais ça ne nous dispense pas de chercher comment résoudre le problème, et ça ne nous autorise pas à accumuler les morts et les décombres dans le camp adverse.

C'est ici que les militaires et les politiciens doivent se rappeler qu'ils ne sont que des militaires et des politiciens, c'est à dire des éléphants dans les magasins de porcelaine.

Ils doivent faire appel non uniquement aux spécialistes de la diplomatie, des ministères des relations extérieures (surtout quand ils sont de la trempe de Lieberman, D. Préserve..), mais à des penseurs.

Tant que la place n’aura pas été faite comme il se doit à ceux-ci, tant que ceux-ci n’auront pas assumé leur rôle, leur devoir, il faudra continuer à entendre les discours d’immobilisme, de critique antisioniste/antisémite, ou les discours fascistes

Et il y a des penseurs ! même une fois que Leibovitz, Lévinas ou Hartman sont morts.

Il y a ici un problème à résoudre. 

Non uniquement un ennemi à vaincre au bras de fer et en faisant couler des litres de sang ! la différence entre le drame et la tragédie tient à l’issue.

Ce qui a un aboutissement est le drame, et nous pourrons supporter, avoir de la patience si nous sommes pris dans un drame. Ce qui ne mène nulle part est la tragédie et cette dernière est insupportable.

Les situations ne sont tragiques que selon la vision grecque du monde. Elles ne le sont pas si on regarde autrement, nous a-t-on toujours enseigné.


Il est temps de regarder autrement.

mercredi 20 août 2014

Discernement


Vous savez-bien ? Celui dont on remercie chaque matin le Créateur de l'avoir donné au coq, celui au nom duquel est nommėe en hébreu (en araméen en fait) la grenouille.

Pas la qualité la mieux distribuée dans l'humanité en général. En temps de guerre et de surchauffe émotionnelle en particulier.

Pas la qualité la plus représentée ce dernier mois,

Entre les blogueurs/journalistes/hommes politiques/activistes/militants qui chevauchent telle monture véhémente parfois au détriment d'un examen plus impartial/attentif de la situation, 

Les manifestants qui se retrouvent dans la rue à proférer des invectives sur des sujets qu'ils comprennent à peine,

Les acharnés il y a peu à soutenir les opposants à Bashar  el Assad, avant de découvrir que ces derniers sont encore pires que celui qui tente de les éradiquer,

Et les hommes/femmes de la rue -israélienne ou palestinienne ou française - ou issus des meilleurs universités, qui virent à l'extrémiste, pour ne pas dire au f.....e, probablement au delà de ce que leur conscience leur enseignerait de dire si leurs enfants ne se trouvaient pas en danger de mort.

Ce discernement serait bien difficile à atteindre, puis à conserver, et en route, à contrôler.

On en deviendrait jaloux du coq et de la grenouille qui l'auraient reçu au "biberon" si je peux m'autoriser cette déviation.

A la vérité, je n'ai jamais été impressionné ni par l'intelligence du coq ni par celle de la grenouille, mais c'est peut-être parce qu'à la différence du roi Salomon, ou d'Orphée, je ne les ai pas assez fréquentés.

Puisqu'on parle de lui, c'est précisément un roi Salomon qui nous fait en ce moment défaut.

Un talmudiste qui sache aider à trancher le sort de ce bébé dont deux femmes se disputent la maternité, ou de ce vêtement trouvé sur la voie publique et dont deux personnes se disputent l'ENTIERE propriété.

La paracha de la semaine s'appelle "vois". Regarde. Fais fonctionner ton discernement. Tu l'as reçu. Peut-être pas aussi performant que celui du coq mais utilise ce que tu as, ça suffira peut-être.

Rappelle-toi qui tu es, peut-être avant de détester l'autre, avant de chercher à le qualifier, à te focaliser sur la haine que tu devrais lui porter.

Rappelle-toi ces commandements qui seront le seul support sur lequel édifier ta présence sur cette terre. Rappelle-toi ce que toi, juif, peut ou ne peut pas manger, peut ou ne peut pas adorer, a le droit ou n'a pas le droit d'adopter comme comportement.

Rappelle-toi que le silence est parfois préférable à la parole, par exemple si tu es journaliste et que tu penses que tu dois interpréter les paroles de telle ou telle personne encore avant qu'elle ne les ait prononcées (un journaliste interprétait déjà les conséquences pour les palestiniens de la survie ou de la mort de Def. Ferme-toi la bouche et attends ! Ton rôle est-il de leur servir les arguments ? On a déjà assez de problême comme ça avec les interprétations qu'ils trouvent eux-mêmes, pas besoin de leur en rajouter)

Manitou enseignait que le rôle du sage est de diagnostiquer son époque. C'est à dire , d'avoir le discernement suffisamment aiguisé, par l'intelligence, par l'étude, par la pratique des mitzvot, pour comprendre ce qui se joue sous nos yeux.

Ça manque un peu de sages, je trouve, dans ce vacarme médiaticopolitique.

Où sont les têtes ? C'est pas qu'on n'en entende pas. Ou plutôt, on a l'impression que des choses intelligentes se disent aussi, parmi toutes les conneries, tous les excès, tous les extrémismes, ...mais on ne jurerait pas qu'elles soient entendues.

Quelqu'un va dire que le risque n'est pas seulement d'une deuxième opération terrestre mais d'un embrasement qui s'étende à - beaucoup - plus que deux belligérants ?

Quelqu'un va prendre les décisions au nom de cette amplitude de danger ? Dans une situation où les chiens aboient mais où rien n'arrête la caravane..

Vois. Je mets devant toi la berakha ou la kelala, la bénédiction ou la malédiction. 

Le ballon est dans notre camp. On le sait depuis longtemps.

Le camp d'un monde qui est en train de ne pas se rendre compte qu'il s'est peut-être déjà engagé dans une nouvelle échéance dont il faudrait non des jours ni des mois, mais des années pour se sortir. 

Le discernement ? C'est la différence entre le hakham et le navon. Le second sait ne pas entrer dans les situations desquelles le premier sait assez bien se sortir.


Réussira-t-on à limiter les pertes ? 

lundi 11 août 2014

Israel 11 aout 2014.


Quelles news ?

Les principales news à mon sens sont les écarts.

Ecart entre ce que vivent les habitants de la zone tout contre la frontière, dont le quotidien continue d'être d'une roquette à l'autre, à un rythme variant entre 50 et 100 par 24 H, et entre le reste du pays qui est revenu à une vie entièrement normale.

Ecart entre l'angoisse intense vécue pendant trois semaines par les parents des quelques 100 000 soldats concernés par cette action et dont la vie était en danger, et le soulagement depuis une semaine, depuis que les troupes sont sorties de là bas.

Ecart entre ce que dit le monde journalistique pour et celui contre. Non seulement sur l'interprétation des évènements et les manifestations de sympathie, mais aussi sur les faits eux-mêmes : combien de femmes et d'enfants réellement touchés face à ce qui est annoncé par le hamas?

Ecart entre ce que l'israélien moyen vit et pense de la rue europėenne et ce que voit et pense cette dernière de la situation ici.

Écart enfin entre un été de vacances et l'été 2014 entre le Jourdain et la méditerranée (et je n'oublie ni les kurdes ni les africains ni les ukrainiens mais c'est d'ici seulement que je peux donner des news).

Les enfants de nos amis sont tous rentrés et tous sont soulagés. Ce n'est bien évidemment pas le cas des parents des 64 qui ont trouvé la mort, et dans une moindre mesure, de ceux qui ont maintenant qui un fils qui un mari qui un frère qui un père moyen ou grand blessė.

Le plus surréaliste est le phénomène de ce film de propagande du hamas, qui a ici été tourné en ridicule et est devenu "le tube de l'été". Cela illustre le mépris dans lequel les israéliens tiennent le hamas. 

Cela n'annonce pas vraiment une paix pour bientôt entre Israël et le monde de l'islam. 

Je pense que les israéliens n'ont rien contre la vie aux côtés des arabes, et que par contre ils n'ont que le dos à présenter aux débordements islamistes (ou des frappes et de la destruction si ceux-ci agressent).

Sauf aux yeux de l'extrème extrème gauche ( Michel Warshawski, copain de cette coqueluche de Sibony), devenue ultra minoritaire, personne en Israël n'est prêt à gober le baratin du blocus, de la prison à ciel ouvert, blocus dont Israël devrait être incriminée. 

Tout Israël est regroupé derrière ce que répètent un après l'autre depuis 2005 les responsables du gouvernement, de Netanyahou à Barak : il n'y a aucun blocus humanitaire, il n'y a qu'un blocus à l'armement (lequel a d'ailleurs royalement été contourné - voir les tunnels) et celui-ci est justifié à 100% et il est en fait surtout blocus à l'islamisme.

Même durant l'opération les camions ont livré denrées et énergie à Gaza, et pour les israéliens, ceci est purement humanitaire - et superflu : les israéliens souhaitent se passer complètement des habitants de Gaza. Ils ont choisi le hamas qui a une charte dont l'élément majeur est qu'il oeuvre pour la destruction totale d'Israël ? Personne ne parlera avec eux et qu'ils aillent travailler et s'approvisionner ailleurs.

Notre armée a renvoyé de grandes parties de Gaza à l'âge de pierre et j'en suis fort triste, mais je crains que cela n'ait qu'été une situation que nous avons tout fait pour éviter (pour ce qui est de la période de juillet - je partage par contre les analyses qui accusent les Netanyahou et consorts d'avoir participé à créer cette situation par l'immobilieme derrière lequel ils se sont réfugiés durant des 10 dernières années. Mais je ne dis quand même pas que la situation actuelle est la faute de Bibi. Elle est la faute de l'islamisme et du crédit qu'il a reçu de crétins européens).

Je crains que ma position ne soit celle du consensus national. Faut-il s'en inquiéter ?

Le prof. Zeev Sternhel s'en inquiète, y voit la fin de la démocratie israélienne, y voit le spectre du fascisme, celui d'une societé de la parole unique. Je suis quant à moi moins inquiet que lui. Il a 75 ans et analyse le présent moyen oriental avec les outils du passé occidental. Je comprends - et partage quant à moi, et le consensus national et cette position.

Quelqu'un qui a un conflit territorial avec toi, tu dois lui parler. Quelqu'un qui veut ton anihilation, tu n'as aucun dialogue ni possible ni justifiable avec lui. 

Cela renvoie à ce que j'écrivais dans cette lettre ouverte qui n'a vu presque aucune réponse : ceux qui soutiennent le hamas sont prisonniers de l'extrème. Ils sont volontiers apparentés à l'extrème gauche et ils ne se rendent pas compte quel fascisme, quelle barbarie, quel antisémitisme ils cautionnent. Et oui  un fêlé du bocal, juif antisioniste de l'ufjp, Yaacov Cohen, participe à un meeting de soutien à la palestine organisé par Dieudonné, et il s'assied à sa gauche : j'ai vu de mes yeux la scène.

J'ai d'énormes difficultés à comprendre les positions d'un Michel Warshawski ou d'un Menachem Klein, parce que je les trouve aveuglés, mais ils ne sont rien à côté d'une Sibony ou d'un Salingue qui, eux, sont tout simplement antisionistes et donc pro palestiniens par principe. A leurs yeux, tout ce que feront les israéliens sera un scandale, à leurs yeux, les palestiniens sont des agneaux, et surtout à leurs yeux les palestiniens sont très malheureux du fait de l'existence même des israéliens qu'il est impératif de condamner, museler, juger...et ils choisissent de ne pas se rendre compte que leurs paroles sont utilisées pour renforcer ceux qui souhaitent non condamner ni juger mais éradiquer.

Ils ne comprennent rien à la situation et n'ont que critique, et condamnation aux lèvres. Ils manifestent aux côtés des antisémites et je partage l'opinion de Bibi que ce faisant, ils participent à prendre un billet pour avoir à faire face eux-mêmes à ce choléra à court ou moyen terme.

Le talmud raconte  ( berakhot,10a) les positions différentes de Rabbi Méïr et de sa femme Bruria face aux brigands de leur quartier. Tandis que lui souhaite leur disparition au nom du verset "itamou hataïm min haaretz"(Psaumes 104, 35), elle le reprend et lui fait remarquer que le mot "hataïm" peut être tant le pluriel de "fauteurs" que celui de "fautes". Elle, plus humaniste, plus sereine, plus mesurée, souhaite la disparition des fautes, souhaite que les fauteurs se repentent un jour. lui, plus excessif, souhaite leur mort.

Le hic est que le même talmud s'applique à souligner en un autre endroit, et concernant apparemment un tout autre contexte - comme en clin d'oeil - que Brouria est en fait perdue par sa naïveté, au point d'y perdre la vie ( avodah zarah 18b)

Beaucoup d'israéliens étaient "brouristes", et se sont ralliés aux opinions de Rabbi Méïr.

C'est comme le mot d'esprit qui demande la différence entre l'optimiste et le pessimiste, et qui répond que le pessimiste n'est en fait qu'un optimiste avec expérience.

On préfèrerait que l'expérience transforme le pessimiste en optimiste, mais cela ne marche que rarement comme ça. On préfèrerait que comme Rabbi Akiva, le spectacle du temple dévasté et hanté par les renards nous soit le signe que toutes les prophéties finissent par se réaliser, tant les prophéties de malheur que les prohéties de reconstruction, mais il faut pour être Rabbi Akiva réussir à s'élever à des hauteurs que la réalité empêche le plus souvent d'atteindre.

Souhaitons déjà longue vie à ce nouvel essai de cessez le feu.

lundi 4 août 2014

cette année, les soldats sont dispensés de jeûner


Nous sommes le 8 av, ce soir est le jeûne annuel du 9 av, pour lequel le peuple juif jeûne depuis des millénaires, déjà , à en croire le midrach, antérieurement à la destruction du premier temple ( le midrach rapporte que les Bné Israël creusaient chacun sa tombe le 8 av, chaque année des quarante ans du désert, puisque les 15000 qui mouraient chaque année mouraient ensemble ce même jour. Même s'il est vain d'essayer de prendre ceci à la lettre, l'idée exprimée est que ces trois semaines qui précèdent le 9 av sont une période de deuil, et comment aurait-on pu l'illustrer plus clairement que par les évènements de cette année ?

Nous lisons cependant le texte des Lamentations de Jérémie, écrits du fait de la destruction du premier temple, et nous lisons les prophéties d'Isaïe sur ce que doit vivre Israël, du fait de son comportement.

Loin de justifier ce que fait le hamas du fait de notre éventuel comportement collectif, il est cependant incontournable de nous interroger en ce jour, au lieu de seulement nous défendre et contre attaquer.

Le texte des Lamentations s'appelle en hébreu « eikha », et le mot signifie : « comment? ». Comment se fait-il ? 

Ce mot s'écrit aussi « Eikhakha » dans un autre texte, et sa signification est alors : « cela doit-il être ainsi ? »

Ce mot eikha est par ailleurs l'anagramme de la question adressée à Adam par D. Après la faute de la consommation du fruit, « aïeka? » Où es-tu ?

Comme si la question « comment est-ce possible? » Devait obligatoirement entraîner en nous la question : « où suis-je ? ».

C'est une question de solitude, et cela se rattache au mot « levad » qui accompagne le mot eikha deux fois au cours de son occurrence.

Les situations de catastrophe, de guerre, d'angoisse, nous font ressentir la solitude. Solitude de l'individu mais aussi, dans notre contexte, solitude du peuple, face aux nations.

Le rav Daniel Epstein enseignait ce shabbat que cette solitude trouve sa solution non tant dans la solidarité ( laquelle n'est quand même superflue en rien) mais dans la pérennité.

Adam est le paradigme de la solitude, quelqu'un qui est en deuil croule sous la solitude, et nous nous sentons en ce moment accablés de solitude, tant en tant que juifs israéliens qu'en tant que juifs parmi les nations.

De quelle pérennité doit-il s'agir ? Certainement pas de celle du temple, qui pourrait presque prétendre lui être le paradigme de la discontinuité et de la destruction.

Le Rav Epstein citait cette phrase que nous intercalons dans la amida les jours de fête quand nous prions pour que notre prière soit prise en compte au même titre qu'un sacrifice fait au temple.

Là est la pérennité, là est la continuité du judaïsme, dans les mots. Dans les mots par lesquels ne s'expriment ni haine ni vindicte ni même victoire (même si il est des temps et des situations où c'est ce qui sort de notre tête et de notre bouche), mais mots par lesquels s'exprime ce qui est l'identité d'Israël au fil des siècles.

Non tant être Israël par filiation génétique, mais être Israël par affiliation aux enseignements de patriarches puis des rabbanim, puis des sages, affiliation à l'identité de « rakhmanim bné rakhmanim », identification à une prière qui n'est pas la prière pour que soit exterminé l'autre mais qui est une prière : « eikha ? Aïeka? Eikhakha? ».

Une prière focalisée sur moi-même et non sur la culpabilité d'un autre, une prière centrée sur ce que j'ai à comprendre des évènements que je me trouve en train de vivre, et une prière qui ne dispense pas de se demander ce que je peux bien avoir comme responsabilité dans ce que je suis en train de vivre, une prière qui demande comment je pourrais agir de manière à ce que ma réalité soit autre. 

La prière est peut-être une des postures les plus difficiles à adopter, surtout quand on est agressé, quand on craint directement pour quelqu'un, quand on est polarisé contre un ennemi, et peut-être là est le fonds de ce jour de jeûne, qui n'est pas yom kippour mais qui pourtant y ressemble beaucoup, qui est un jeûne paradoxalement consécutif à cet qu'un autre vient de commettre contre nous.

D'aucuns ont du mal avec ce que je suis en train d'écrire, trouveront cela mièvre, ou apparenté au triste "tendre l'autre joue". 

Il ne s'agit pas de cela. Le judaïsme semble n'abandonner nulle part la composante guerrière. Il est un devoir de se défendre et même d'attaquer dans certains cas. Mais, de même, le judaïsme ne nous dispense jamais de jeûner à tishea beav et de nous interroger sur les composantes de la situation dans laquelle nous nous trouvons.

Après le meurtre de Rabin, un groupe de gens dont j'étais a pris l'habitude d'aller s'asseoir par terre non à la synagogue ou à la maison, mais sur la tombe de Rabin. Afin de rattacher les évènements du présent de notre peuple à ceux du passé, afin de chercher dans le jeûne de tishea beav non uniquement une source dans une histoire ancienne, afin de ne pas invoquer en ce jour seulement une reconstruction mythique d'un temple, mais une reconstruction spirituelle, la reconstruction sur sa terre d'un peuple qui se revendique avant tout d'un message.

Cette année plus que de nombreuses années, le jeûne de tishea beav doit nous interpeller, nous mobiliser, et d’autant plus que les soldats sont dispensés de jeûner. Il n'y a pas trop d'efforts à faire pour l'intégrer sans notre actualité, cela se fait de soi-même.