mardi 6 novembre 2018

Sur quelques « segoulot » de la langue hébraïque.





Un exemple de la façon par laquelle l’hébreu est expression d’une certaine conception du monde.

Adam, dit la tradition, est « segoulat haboreh », c’est à dire qu’il en descend, comme le représente graphiquement la voyelle « ségol », en forme de grappe, ou d’entonnoir, de quelque chose qui transmet vers le bas ce qui vient du haut.

Selon Yehouda Halévi, c’est ainsi qu’est né le judasme, par une transmission, de génération en génération, depuis Adam jusqu’à Moshé, faisant hériter le bas, le peuple, de notions émises, transmises depuis le haut.

De la même manière, les mots vocalisés avec deux ségols (melekh’, yeled), ou un ségol et un h’olam (boker), ou deux patah’ (naar), sont tous accentués « mileél », c’est à dire sur la syllabe antépénultième, ou littéralement « d’en haut ».

Le séguel est l’équipe dirigeante, et « lessaguel » veut dire « former à », « lehistaguel », "se former à", ou "s’adapter", c’est à dire se situer sur l’axe vertical, entre ce de quoi vient l’injonction, ou le savoir, ou le pouvoir, et ce qui ne les a pas encore reçus.

Ce qui est « segouli» est « rapporté à» : le mishkal segouli d’un matériau est son poids relatif à celui de l’eau. La valeur « segouli » de quelque chose n’est pas sa valeur absolue, mais sa valeur relative.

En cela, ce qui est « segoula » est ce dont la fonction est de faire ceux du bas en liaison avec ce qui vient du haut. Cela les élève, les sublime, les métabolise, les transforme.

C’est après que D. leur ait dit qu’ils lui sont « segoula » que Adam fait techouva puis, s’étant senti nu, se voit revêtu des peaux, peau du serpent précise rabbi Eliezer, celui du fruit. Se revêtir de ce par quoi la faute a été commise revient à se dépasser, à transformer ce qui en nous nous égare par ce qui nous élève. C’est la sublimation.

Est-ce en rapport avec cela que la couleur « ségol » est la couleur de l’extrémité du spectre, celle qui marque la frontière entre ce qui n’est pas visible et ce qui le devient?





C’est en tout cas du fait de toutes ces vertus que ce qui est « segoula » est précieux, choisi, élu, trésor.

Le peuple juif serait ainsi dénommé « segoula » non tant du fait d’une élection arbitraire, mais du fait de capacités qu’il veut/peut ou non endosser, mettre en application, comme faire ou non le shabbat, faire ou non la havdala, deux paramètres qui, dans ce chapitre des pirké de rabbi Eliezer, précèdent l’introduction du mot « segoula ». Ne pas tant être élu, que séparé, non séparé par essence mais par façon d’être.