dimanche 11 août 2019

Voyage aux sources polonaises. Clotûre


Jeudi 25.7
Aujourd’hui commence en fin de compte le voyage en Pologne, mais est-il tellement différent des passages à ulica Karmelicka, au cimetière de Varsovie, à la rue Chlodna de Varsovie, à Pulawy ?
Nous nous rendons à Kasimir Dolny, considérée comme étape touristique. C’est effectivement un village estival sur les bords de la Vistule, dans lequel il y a aussi une vieille synagogue désacralisée, transformée en librairie et lieu d’exposition et dans laquelle on trouve beaucoup de belles photos en noir et blanc du vieux judaïsme de Pologne, il y a un cimetière profané semi-restauré et avec une impressionnante sculpture/stèle...et il s’est mis à faire très chaud.



Le trajet jusqu’à l’étape suivante est une balade à travers la Pologne profonde, où nous passons par pléthore de petits villages dans lesquels on peut sans cesse se demander s’il y avait ici ou non des juifs.

A mi chemin du trajet vers Krakow, on s’arrête à l’initiative de Suzanna dans une petite ville, Chmielnik, dans laquelle ne subsiste qu’une synagogue désacralisée, transformée par les polonais locaux en salle d’exposition, dans laquelle ils ont créé une bima ..en verre ! La seule au monde est très fier de nous dire le guide local...ils ont aussi fait une sorte de ohel zikaron dans le terrain attenant, dans lequel il prétend qu’ils ont écrit les noms de familles de tous les douze mille juifs qui étaient sur place avant la shoah..et ont tous disparu.




Il nous projette aussi un très intéressant morceau de film tourné par des polonais qui avaient émigré aux USA et sont revenus à Chmielnik dans les années d’entre les deux guerres. Un témoignage unique de ce qu’était le paysage humain juif en Pologne à cette époque, qui contient quelques interviews de femmes polonaises non juives au langage complètement nostalgique..

Le mystère de la relation juifs-non juifs - avec ses aspects de haine réciproque, mêlés de relation amicale interconfessionnelle - persiste.

Arrivée en fin de journée à Krakow où nous recevons un appartement en plein quartier juif, au troisième étage d’un vieil immeuble aux plafonds hauts..ce qui les fait compter pour 5 si à en juger au nombre de marches..et assez joliment installé...mais dans lequel il manque pour ainsi dire une pièce. D’une part cela nous contraint Marianne et moi à dormir dans le salon, d’autre part ce salon royal avec lustre et canapés en faux cuir vert foncé permet de recevoir tout le groupe pour la super réunion de fin de voyage (le dimanche se passe en formation éclatée) le shabbat en fin de journée.



Le vendredi matin, visite en groupe, de niveau de guide relativement moyen, mais elle me montre - au groupe synagogue-cimetière du Remah près - des choses que je n’avais pas vues (la synagogue haute, la maison d’Helena Rubinstein, le musée de Galicie, et la rue où logeait - et où a été tournée une partie du film - Oskar Schindler).

L’après-midi, tandis que les Friedson partent pour encore une étape-visite dans les mines de sel pluricentenaires de Wieliczka aux alentours, nous nous rendons chez un luthier, Matthiew Farley, dont j’ai découvert l’existence, et avec lequel la rencontre est super interessante. Il s’agit d’un américain qui s’est en fin de compte retrouvé luthier en Pologne par une succession peu ordinaire de hasards...ayant commencé son périple hors des USA pour retrouver une française qui l’a plaqué à son arrivée à Paris...ce qui l’a conduit à reprendre contact avec de vagues connaissances polonaises...de quoi est sortie une relation avec une nana qu’il a suivie à Rome, où il a enseigné l’anglais entre autres à un étudiant qui était régulièrement couvert de copeaux de bois...ce qui éveilla sa curiosité...et le conduisit à s’intéresser puis à apprendre la lutherie.
Quelques années plus tard il quitte l’enseignement et s’installe comme luthier, spécialisé en violes de gambe...qui parait un instrument dans lequel est exigée énormément moins d’exactitude que pour les violons...ce qui est une lueur d’espoir...même si il ne me parait pas l’individu le plus exact et le plus porté sur les finitions. Mais il raconte s’être créé une notoriété et avoir des commandes..très sympa en tout cas.





Dimanche 28.7.
Visite paisible de la grande place, le musée national (avec en particulier le tableau de De Vinci de la jeune fille à l’hermine, qui provient du musée Kartorycky de Pulawy),



 consommation d’excellente limonade à la framboise écrasée chez iqos, et des extérieurs du chateau Wevel, à l’entrée duquel se dresse la statue équestre de Tadeusz Kosciusko, le héros polonais qui organisa une insurrection contre la domination russe et prussienne en 1794....suite à laquelle la Pologne disparut de la carte de l’Europe jusqu’en 1918...avant d’être envahie en 1939 par les nazis..puis « libérée" en 1945 par Staline...ce qui décrit le tragique de la nation polonaise...apparemment trop dominée par la vodka et l’église pour ne pas encore et encore tomber dans le ridicule.

Dimanche 11 août.
Et, en fin de compte, sans l'avoir plus prévu que son commencement, une fois revenus, avoir raconté, s'être à nouveau retrouvés, avoir repris contact avec le pasteur de Pulawy, s'achève ce voyage avec le 9 av.

Un voyage "pour retrouver comment avaient vécus mes ancêtres" et qui a quand même été frappé continuellement du sceau de la shoah. 

Peut-on aller en visite en Pologne ? sans y rencontrer la shoah ? Je m'y suis pourtant promené en permanence avec la kipa sur la tête sans ressentir le moindre regard hostile, ou même critique. Beaucoup plus facilement qu'en France d'aujourd'hui..

Le judaïsme renaît aujourd'hui en Pologne ( où réapparaissent deplus en plus d'enfants du silence qui re découvrent leur lien au judaïsme), en Allemagne vers laquelle les israéliens sont attirés comme les abeilles par le miel, et en parallèle, l'antisémitisme aussi réapparait.

Il est possible de lire les textes de tichea beav avec un regard relativisant : aux textes sur la destruction de Jérusalem présente quand même un singulier contraste la Jérusalem d'aujourd'hui, capitale de l'état d'Israël où vivent près de 9 millions d'habitants dans d'excellentes conditions de niveau de vie, de niveau de société n'en déplaise aux détracteurs et aux éternels Cassandre, une Jérusalem plus que rebâtie, dans laquelle n'ont jamais étudié autant de juifs, dans laquelle l'hébreu n'a jamais été une langue aussi vivante.


Et pourtant, comme on dit en hébreu justement "toute personne dont les yeux sont à leur place sur la tête" ne peut que voir comment tichea beav n'appartient pas au passé.   

jeudi 8 août 2019

voyage aux sources polonaises - 4ème volet


De cette date commença le déclin de la présence juive à Pulawy dont notre famille contient l’illustration et l’éventail : Israël Avraham Tauber naquit en 1880 à Pulawy (en fait, ici subsiste une petite enigme : lui et ses enfants du premier mariage naquirent apparemment à Kurow, bourgade toute proche, je ne comprends pas ce détail), alors Nova Alexandryi parce que sous domination russe , épousa Matl Rozenson et mit au monde Hazkel en 1998, puis Rachel en 1900, Etl en 1901, Eva en 1903 et Nahman en 1906. Puis elle mourut et Israël se remaria avec Hanna la fille de Moshe Mayer Teitelbaum, de qui il eut Slava, Lonia, Yaïr, Arnold et Shlomo.

Israël tenait la graineterie qu’avait ouvert Yankeleh, Moshe Mayer était actif dans le commerce de la farine, possédait des moulins et vendait dans toute la région...mais sa journée se déroulait entièrement dans le bet hamidrash, aux côtés de Yankeleh son ami que tous surnommaient « rabbi Tarfon ». Même le jour où mourut Ytel sa femme, il fit le hesped depuis le bet hamidrash mais n’alla pas jusqu’au cimetière. Ses enfants ne restèrent pas des hassdim. Son aîné Hazkel se laissa cependant marier à la mode hassidique avec une cousine, mais servit dans l’armée, s’installa à Lublin et vécut en juif hiloni. Rachel refusa de se laisser marier, exigea de partir à Varsovie où elle rencontra Salomon, alors que les deux étaient hilonim. Lonia, Yaïr, Slava et Arnold fréquentèrent les groupes sionistes qui se développaient à Pulawy. Slava rencontra Yehoshoua Milrad, lui aussi de Pulawy, Eva rencontra Bernard Borenszteijn, lui aussi de Pulawy.
Rachel et Salomon étaient partis en Palestine en 1925. Salomon était parti le premier, avait stationné six mois à Trieste puis ayant réussi à atteindre Haïfa, avait envoyé un visa à Rachel. Lonia a raconté comment les hassidim de Pulawy l’ont accompagnée à la gare en chantant : « elle partait pour eretz Isroel ! ».
Rachel et Salomon se marièrent à Tel Aviv en 1926 ( à rosh hodesh Iyar) mais émigrèrent pour Paris en fin1926/début 1927. Les y rejoignirent Slava et Yehoshua, Eva et Bernard, puis Lonia suivie de Yankeleh Frydman, aussi de Pulawy, qui l’épousa à Paris. Arnold ne quitta Pulawy qu’en 1935, Yaïr ne quitta/fuit qu’en 1939, et Israël Avraham, et sa femme Hanna, et leur fils Shlomo firent partie de ceux parmi les juifs de Pulawy qui finirent leurs jours déportés à Sobibor.

Il semble qu’ainsi que cela apparait sur la photo de groupe en 1935, lors du voyage de Rachel accompagnée de ses deux filles Mathilde et Irène, alors qu’elle tentait sans succès de leur faire quitter Pulawy, n’étaient plus hassid qu’Israël et sa femme. Alors qu’il a encore le couvre-chef typique et est boutonné droite sur gauche, et sa femme la tête couverte d'une perruque, tous les autres sur la photo sont vêtus à l'occidentale.



A Pulawy 1935.


Mais ils habitaient encore la « cour » du rebbe, telle qu’elle est décrite dans le livre de Pulawy...et nous découvrons cette cour dont j’avais cru avoir lu qu’elle avait été détruite en même temps que la synagogue.!!

Extrait du yzker buch Pilev (édité en 1964, écrit par un collectif, dont Yehoshua Milrad. Traduction Michèle Tauber) :


La shil, les kley-qoydesh (fonctionnaires de la vie religieuse),
et les shamossim
(p. 86-87)
La grande cour de la synagogue faisait trois cents mètres de long et était délimitée au sud par la Lubliner Gass (rue de Lublin) et au nord par ce qu’on appelait le zamd, le Sable.
Du côté sud il y avait trois accès étroits : 1) à côté de la boutique de Velvl Tsukerman, l’entrée « paradner » : l’entrée « d’honneur », dont le sol était bétonné, 2) à côté du shoykhet Mendl Kutner, 3) à côté de Yitskhok Honigstein. Dans les deux derniers accès s’écoulaient au milieu du chemin des caniveaux…
Voici les habitants de la cour de la shil :
1) Velvl Tsukerman
2) Itamar Rubinstein
3) Yisroel Rubinstein
4) Menukhè Rubinstein
5) Rayzl Rossèt
6) Mordkhe Regerman
7) Hayim Tugentraikh
8) Mendl Kutner
9) Arn-Mayer Edelstien
10) Khanè Shayndl
11) Gdaliè Feder
12) Khayè Rubinstein
13) Yisroel-Avrom Toyber (Tauber)
14) Noyekh fin der teyvè (Noé de l’Arche !)
15) Moyshé Foygl
16) Tankhum Tenenboym
17) Avromtshè Hershman der melamed
18) Yidl Sokhatshevski
19) Yankl Vlostovitser
20) Yankl Borenstein
21) Yitskhok Honigstein
22) Avrom Tshujè
23) Sholem Grinberg et d’autres…..

photo extraite du livre édité par Jaroslav Bator, pasteur à Pulawy


Le bâtiment qui longe encore aujourd’hui la route d’accès à Pulawy, qui s’appelait alors Lubelsky, est le batiment de 300 m de long décrit dans le yzker buch, qui abritait le bet midrach et les maisons des proches du rebbe, dont Yankele, Israël, Moshe Mayer et les autres.


photo prise par moi le 25 juillet2019

Il a encore le fronton triangulaire qu’on voit sur les photos de l’époque, dont le pasteur nous montre un exemplaire. Nous ne trouvons trace d’aucune mezouza, mais il y a encore les entrées vers la cour intérieure. 





À certains endroits, subsiste un pavage ancien, du côté intérieur subsiste l’aspect d’époque,


la cour hassidiaque vue de l'intériieur. Juillet 2019


 d’une autre maison aussi en briques, que je croyais avoir été détruite par les allemands et qui est face à nos yeux. 
Il est loin d'être impossible que cet appentis soit d'avant-guerre.
  Tandis que Jaroslav parle, un habitant sort sur le balcon au premier étage et me lance un « shalom » spontané et ému (je suis en kipa). Nous échangeons des signes d’amitié.


photo magnifique, extraite de la page facebook de JBator, années 20. Il y a dessus Tévié le laitier, le porteur d'eau, des enfants que mes grands oncles et tante et grand-mère ont connus..et l'agneau du sacrifice..




La rue Piaskowa, perpendiculaire à cette rue, voie centrale d'accès à Pulawy depuis Lublin, est celle qui était appelée alors "le sable".

Jaroslav nous emmène encore au « nouveau » cimetière, en bordure du cimetière catholique, où seule une pierre monument atteste de la présence jadis d’un cimetière juif. Il ne reste rien, et il précise que ce sont les nazis qui ont détruit, mais les soviétiques communistes qui ont ensuite accompli le travail et nettoyé la place. Il nous montre l’endroit où était enterré le kozker, nous voyons le creux dans lequel les allemands ont abattu ceux des juifs qui n’ont pas été déportés à Sobibor, en compagnie des polonais qui avaient été jugés traitres et avaient tenté de combattre l’occupant, et nous voyons les quelques tombes juives parmi les soldats natifs de Pulawy tombés au front. Il raconte qu’il sait avec certitude où était le cimetière et les tombes parce que c’est un ami à lui qui a acheté le terrain pour en faire un garage, et quand il a creusé pour aménager, il a trouvé des ossements, qu’il a enterrés, Jaroslav disant le kaddish, le rabbin n’ayant pas daigné honorer la cérémonie de sa présence.


Puis il nous emmène dans la dernière partie de la visite, au « vieux » cimetière, qui est aujourd’hui rien moins qu’un cimetière de carrosserie..rien ne permet de distinguer qu’un jour il y eut là un cimetière, alors qu’il nous indique de la main où était la bet tahara, et les limites du cimetière. Il est inquiet, demande que l’on s’en aille avant que quelqu’un ne vienne lui chercher querelle, peut-être nous prendre à parti...tandis qu’il raconte encore comment les pierres tombales ont servi à faire la rue attenante, et comment certaines ont été trouvées par la suite par des ouvriers de terrassement, tandis qu’en creusant, des habitants ont trouvé des ossements. Il nous montre deux photos de pierres tombales qui ont un jour été exposées dans le musée de Pulawy, aujourd’hui fermé.

seul souvenir visible du cimetière juif. On remarquera que le texte "hébraïque" sur le monument est....en "gibrish".


Sous cette butte aurait été enterré l' admor de la hassidour Pilev.



Cette émouvante rencontre s’achève au café qui appartenait jadis aux deux frères juifs qui tenaient une fabrique de vinaigre, et nous nous séparons avec la promesse de rester en contact, de l’accueillir s’il vient en Israël, et de contribuer à la cérémonie commémorative-exposition qu’il a l’intention d’organiser pour les 80 ans de la tragédie, le 28 décembre prochain.

mardi 6 août 2019

Voyage aux sources polonaises - 3ème volet


Mercredi 25.7.

Le matin se déroule très rapidement au musée juif, qui requiert au moins le double des trois heures que nous avons à lui consacrer. Il est très intéressant, retrace toute l’histoire du judaïsme polonais, on suit l’exposition dans le sens chronologique, l’accompagnement audio à l’oreille. Le ton est récurrent, constant et rappelle de façon atténuée le message actuel du gouvernement polonais : les juifs ont trouvé en Pologne le paradis. Plusieurs personnages notables, rois ou princes, ou autres nobles leur ont accordé à diverses phases de l’histoire toutes sortes de droits, les ont protégés, leur ont permis de s’institutionnaliser, de se développer, et tout ceci justifie l’interprétation du nom Polania : ici réside la chekhina.
Ce n’est pas à cause des polonais que tout ceci s’est achevé tragiquement, mais à cause de l’église, ou des diverses invasions qu’a subies la Pologne. Les turcs, les russes, les autrichiens et en fin de compte les nazis puis les soviétiques. Tous ceux-là ont, qui envahi et massacré, qui conquis et imposé leur loi, qui restreint les droits qui avaient été donnés aux juifs, et c’est ainsi que furent abolis les droits et même les privilèges dont ont bénéficié les juifs entre 1200, date estimée de leur arrivée, et 1800.

Ce ton est un peu révoltant, même s’il repose sur la réalité historique et géographique de la Pologne, qui a toujours été faible politiquement, en étant installée en étau entre l’ouest et l’est, entre de puissants empires, qui l’ont sans cesse envahie, se la sont partagée et ont causé tous les torts, dont la shoah n’a été que l’apothéose, à cause de la folie hitlérienne.

On n’entend pas de tout ce discours ce avec quoi j’ai été élevé, c’est à dire l’énorme méfiance, teintée de rancune à l’égard des polonais, qui m’a baigné, tant du côté Fliederbaum (Varsovie), que du côté Tauber (Pulawy), mais ce discours était inclus dans le message venant du côté « tata Renée »(Wajnberg) et du côté « Jack Fliderbaum ». Eux gardent de bons sentiments à l’égard de la Pologne, tandis que l’autre côté dit : « si un feu prend à une frontière et ravage toute la Pologne jusqu’à l’autre frontière, je n’appellerai pas les pompiers » (Salomon Fliederbaum).

Nous quittons le musée à la salle des débuts du sionisme ( c'est-à-dire en n'atteignant pas la rue de Varsovie reconstituée…ce dont je reste triste) et il est possible que nous ne complèterons jamais cette visite, au cours de laquelle nous retrouvons le récit de la richesse de Shmul Zabitkouber (Jacubovitch), dont le fils Berek Sonenberg créa le cimetière juif de Varsovie et est l’ancêtre d’Henri Bergson, nous découvrons celui de la trop courte vie de Maurycy Gottlieb, peintre fort narcissique ( inclus en selfie dans grand nombre de ses tableaux, et non uniquement dans l’ultra célèbre du jour de Kippour) mais fort talentueux, surtout quand on réalise qu’il est mort à 23 ans ! et nous rencontrons Suzanna Rogojinsky, notre nouvelle guide et chauffeure, venue nous rencontrer à 13h00 face à la gigantesque sculpture de Nathan Rappaport représentant un regard très soviétiquement inspiré sur le ghetto et sa révolte.





Avec elle nous quittons Varsovie après avoir de façon éclair « complété «  la visite : nous passons devant Mila 18, où est erigé le monument en souvenir de la révolte du ghetto, devant les piles de métal érigées en souvenir du pont de ulica Choldna mais nous ne nous arrêtons pas...et bien nous en prend.

Suzanna est d’un calibre « hors calibre ». Petite nana souriante à la belle chevelure dorée, aux yeux bleus et au grand sourire, elle explique rapidement comment elle sait l’hébreu grâce aux six mois d’oulpan qu’elle fit à Haïfa suite à son alyah...une alyah qui dura six mois, après lesquels elle fuit littéralement Israël à cause de la chaleur (!). Elle est interprète de formation mais essentiellement guide de tioulé shorashim depuis deux ans, monitrice de ski en Italie l’hiver, étant native de Zakopena, et elle pilote de main de maître même dans les rues les plus étroites son Opel vivario de neuf places.

Elle a pris contact avec notre hôte de Pulawy, le prêtre protestant Yaroslav Bator (dont Katarzyna a découvert puis m’a donné les coordonnées) qui nous attend à 16:30 au bord de la rue principale d’accès à Pulawy.


C’est un gros bonhomme au crâne rasé, vêtu de noir, d’une cinquantaine d’années, circulant en scooter, ne parlant que le polonais, et qui fait plutôt fruste. Il est pasteur, mariée à une pasteure, père de quatre enfants, est né à Pulawy...et a un passé de néo-nazi qui s’était même fait tatouer le sigle ss...jusqu’à avoir commencé à lire la Bible et le nouveau testament. Depuis quelques bonnes années, il œuvre à faire connaître l’histoire des juifs de Pulawy (ainsi que de Kurow, d’après sa page facebook, mais il ne sera pas question de Kurow au cours des quatre heures que nous passerons en sa compagnie. D’après le musée, l’histoire du judaïsme est plus courte à Pulawy qu’à Kurow...mais c’est Pulawy notre sujet).




La visite débute au bord de la route, au pied de la toute petite pierre gravée et ornée d’une plaque et d’un Magen David, située au haut d’un monticule fleuri et entretenu (aux frais de la mairie précise-t-il. Cette pierre a été érigée...puis profanée, et est restée en l’état, recouverte de peinture, jusqu’à ce que lui-même vienne la frotter et la restaurer), et alors qu’il nous retrace l’histoire de l’invasion nazie, il confirme ce que les lectures m’avaient appris : les nazis arrivèrent à Pulawy dès début septembre 1939, bombardant et incendiant les deux synagogues en bois encore le 6 du mois, installant le deuxième ghetto en date de toute la Pologne encore au cours de ce même mois. Ce ghetto fut fermé le 28 décembre 39 quand les juifs furent transférés-regroupés dans d’autres ghettos...et l’histoire du judaïsme à Pulawy s’arrête brutalement et définitivement à cette date. Michèle et moi savons par les récits historiques familiaux que la famille n’était pas dans ce ghetto mais qu’ils avaient fui à Baranow, village (très – trop…) proche. Quand tous ceux du ghetto furent conduits à Sobibor, cela incluait aussi ceux qui avaient fui à Baranow et dans peut-être d’autres villages-bourgades environnants. Bator raconte comment ce 28 décembre , il faisait moins 30 et comment les juifs ont été contraints quand même à marcher, ceux qui n’en avaient pas la force étant enfermés dans la synagogue, où ils moururent de froid. Ces récits se trouvent dans le livre « yskor buch Pilow ».

Mais la visite se poursuit. Ou plutôt commence.

De là, il nous montre d’un geste un peu évasif que se trouvaient à proximité la synagogue et le mikveh...mais rien de cela n’est à voir : ces bâtiments ont été détruits et ont été construites d’autres choses à leur place. A ce stade, la situation parait être qu’il n’y a que cette stèle à voir avec les yeux à Pulawy, et que le seul habitant qui conserve le souvenir de la présence juive à Pulawy se trouve face à nous.

Nous marchons cependant, en direction de la Vistule tandis qu’il nous raconte comment dans ce qui est la maison où habitait le rav Mendel Naj (le dernier rabbin de Pulawy), lui et le petit groupe qui l’accompagne dans ces actions vouées au souvenir au judaïsme de Pulawy, ils se sont soudain aperçus de l’existence d’une soucca ! dit-il avec excitation. Nous nous trouvons à ce moment dans une petite rue parallèle à la grand-rue, alors qu’il nous désigne du bras deux immeubles d’habitation récents en disant « ici était la synagogue, ici le mikve » alors que nous ne pouvons rien en voir, mais nous continuons à marcher 20 mètres, et découvrons sur la gauche une vieille maison de briques rouges, d’environ 60 mètres de long, sur deux étages, inhabitée....et dont il nous explique qu’ici vivait le rav Naj.





 A une extrémité, au premier étage, un balcon sur lequel se trouve comme un mahsan en bois et c’est, dit-il, la soucca. Le mahsan ainsi que le balcon sont couverts, la toiture les incluant et les couvrant entièrement, et après quelques secondes d’hésitation, je lui explique qu’une soucca doit être ouverte sur le ciel pour en être une. Il répond que le bâtiment a vécu des jours difficiles, a été d’abord utilisé par les allemands, qui y ont entreposé toutes sortes de choses, une écurie entre autres, il sait ce que je viens de lui répondre sur la soucca, et répond que le toît n’est pas celui qui existait du temps du rav Naj. C’est la première maison, le premier signe tangible que nous découvrons.




Ce sont des signes d'autant plus impressionnants qu'ils sont inattendus. Ces découvertes sont néanmoins impersonnelles, ne nous touchent qu'indirectement : ma grand-mère, le père de Michèle ont quitté Pulawy bien avant ces évènements..

Nous revenons en direction de la grand-route, et il nous montre sur le trottoir d’en face deux maisons dont il dit qu’elles étaient des maisons juives, tandis que nous continuons à deviser et que je crois constater que j’en connais un peu plus que lui sur l’histoire du judaïsme de Pulawy : lui connait surtout la tragédie (à cause des allemands - encore une fois) de la seconde guerre mondiale. Il semble n’avoir pas conscience de la différence entre hassidim et mitnagdim, et ne sait pas que le judaïsme de Pulawy avait d’abord deux versants (mitnagdim venus de Lithuanie en fin dix-huitième siècle, puis hassidim fin dix-neuvième) puis plusieurs encore (toute la gamme de la haskala et des mouvements d’inspiration sioniste). Voici ce que je crois savoir : Le rav Naj était le rav officiel de la ville, et en parallèle de sa communauté s’est installé en 1895 le rebbe Haïm Israël Morgenstern, petit fils du Menahem Mendel Morgenstern, « saraf miKotzk » et premier Kotzker Rebbe. Avec son installation à Pulawy, se créa la hassidout Pilev (nom yiddish pour Pulawy), qui attira de nombreux juifs (et en particulier Yankeleh Tauber, père de Israël, qui passa pour cela de Szydlowiecz à Pulawy) et avec elle se développa non seulement la présence juive mais aussi l’importance socio-économique de toute la bourgade. Ce rebbe est l’auteur du « shalom Yeroushalaïm », premier livre hassidique sioniste avant le « em habanim semekha » et dans lequel il prône l’achat de terres et l’installation des juifs en Palestine. A sa mort en 1906, lui succéda le Moshe Mordekhaï Morgenstern, son fils, deuxième admor de la hassidout Pilev...qui quitta Pulawy en 1914 pour Varsovie, vraisemblablement du fait de la guerre, pour finir ses jours en 1939 et être enterré au cimetière juif de Varsovie, là où nous vîmes hier sa tombe, son ohel. 

A ce stade de la visite, nous ignorons encore que nous attend bien mieux..

vendredi 2 août 2019

Voyage aux sources polonaises - 2ème volet

Lundi 22 juillet

Arrivée sans encombres, et récupération de l’appartement (chmielna 73) dans un complexe d’immeubles d’un laid accompli, d’inspiration soviétique. Une énorme cour entourée d’une dizaine d’entrées identiques le tout sur environ sept étages. L’appartement est propre et installé comme il faut, et correspond complètement à nos besoins, Marianne, Michèle et moi.




La première étape du voyage est la cérémonie en souvenir de la déportation à Treblinka de tous les juifs du ghetto, qui debuta le 22 juillet 1942 (qui s’avère avoir été ...le 8 av de cette année) et s’accomplit en quelques semaines, déportation vers la mort de quelques 380000 juifs du ghetto.



La cérémonie, située à la humshlagplatz, d’où partaient les trains, entièrement en polonais, et réunissant quelques deux mille personnes, incluant « el male rahamim », couverte par une forte présence policière bienveillante, est suivie d’une marche dans les rues du ghetto,



la première étant karmelicka que nous descendons, non jusque l’endroit où se trouvait la boutique Heinsdorff (au 11 de la rue, au coin de la rue Nowolipie) dans laquelle travaillaient pépé et mémé, firent connaissance l’un avec l’autre et commencèrent l’histoire familiale à laquelle nous appartenons. Je quitte le défilé (j’étais en train automatiquement d’écrire le convoi..!) quelques minutes le temps d’aller photographier ce coin de rue...qui n’a bien entendu aucun rapport avec l’aspect qu’avait l’endroit en 1923 : nous sommes dans le ghetto entièrement rasé en 1945 suite aux bombardements, cf film « le pianiste » de Polanski.
Et à propos complètement détruit, la marche, après être passée par la rue Chlodna (sur le trottoir de laquelle on voit clairement les limites du mur du ghetto, dessiné sur le sol)






s’achève à l’endroit où existent encore deux maisons, derniers vestiges de ce monde disparu. Cette marche a lieu tous les ans et est chaque année dédiée à un personnage. Cette année, il s’agit d’un poéte, non juif, Wladyslaw Szlengel, dont les fenêtres (dans la maison qui précisément subsiste) donnaient sur le ghetto, et qui écrivit poèmes et chansons sur cela.


La journée s’achève par un repas chez Katarzyna et David, de catering cachère, en compagnie de Bella Shwartzman- Zarnota, traductrice et écrivaine polonaise, née en 1947 à Waroslav, 


                                      


et qui nous raconte sa vie, comment la période 45-48 a été relativement emplie d’espoir de réinstallation, ombragée si ce n’est complètement obscurcie par le pogrom de Kielce, suivie d’une période laïque jusqu’à l’arrivée du communisme en 1968. Le retour collectif au judaïsme date de la fin du communisme en 1991, avec depuis, l’ouverture de l’institut d’histoire juive, la réparation de la synagogue Nozykov seule ayant survécu à la guerre, et le retour de de plus en plus de juifs au judaïsme. Cette Bella, qui semblait dans les premiers temps d’après guerre être attachée uniquement à un judaïsme laïque composé essentiellement de yiddish, a progressivement fait elle-même un retour vers la Torah, étant active dans la mise en place de gans pour enfants, d’écriture de livres de paracha, en marge de son activité de traductrice du français au polonais, qu’elle a progressivement converti en traduction du yiddish en polonais, activité pour laquelle elle vient de recevoir un prix, (de l’institut Yivo de recherche sur la culture yiddish) que nous fétons en levant un verre. Elle vit à Varsovie, en compagnie de son mari,non- juif, mais incite ouvertement sa fille à partir en Israël, à ne pas faire sa vie en Pologne

Mardi 24.7.


Après une petite marche dans une Varsovie grise et fraîche, très parve/moche, arrivée au cimetière juif où les choses ne se passent pas comme je pensais.
Je pensais que comme m’avait été localisée la tombe du trisaïeul, j’y irais rapidement le matin en arrivant, avant la visite groupée.
En fait nous avions rv à 10:00, y arrivons tout juste avant...pour découvrir que le cimetière est fermé et n’ouvre...qu’à 10:00.
Ensuite, le Przemyslaw Szpilman, directeur du cimetière, qui m’a localisé la tombe est loin de chercher à engager la conversation, et c’est notre guide, Vitek, qui s’avère au long de la visite être une véritable encyclopédie sur pieds, et qui est un spécialiste accompli de ce cimetière, ayant contribué pendant quatre ans à travailler jour après jour au recensement et à l’inscription en ligne des tombes, qui m’explique que je n’ai aucune chance de trouver seul cette tombe, mais il m’assure que nous y passerons.




Il nous emmène ainsi dans une promenade de trois heures dans ce cimetière gigantesque qui est surtout une véritable forêt. C’est touffu d’arbres certains très hauts, et on marche dans le limon. Il y a quand même des chemins. On passe par quantité de tombes dont il nous raconte l’histoire, tombes sculptées, tombes vénérées, tombes méprisées, celle du fondateur du cimetière, Zonenfeld qui se fit appeler Berek Son...qui devint Bergson, et dont Henri Bergson était le descendant, tombe magnifiquement sculptée, 


                                                 
celle de ce traître, ayant travaillé pour les allemands, dont le corps a été déterré en cachette et laissé aux chiens et devant la tombe duquel les survivants du ghetto ne passaient pas sans cracher, celle de Y.L. Peretz, celle de Zamenhof inventeur de l’esperanto, celle du rebbeh de Slonim, celle du Moshe Mordekhaï Morgenstern, le kotzker qui quitta Pulawy en 1914 s’installa puis mourut à Varsovie, 


                                           
la cachette dans laquelle s’est caché Avraham Carmi....encore pléthore d’autres, et la tombe du trisaïeul Avraham Ytshak ben Kalman Fliederbaum, dont la découverte est émotionnellement très chargée : la tombe est parfaitement lisible, est couverte d’un texte élogieux, elle est en bordure de rangée dans un des endroits les plus reculés du cimetière...

 

La suite de la journée quoiqu’incluant la visite aux restes du mur du ghetto, 




en passant par la place où une des maisons ayant tenu et ayant été rénovée se tient à côté d’une encore tristement en état, place qui fut le haut lieu de la délinquance juive ayant inclus la traite des femmes, quoiqu’incluant la visite de la synagogue et une très intéressante rencontre avec Stas, le rabbin d’Etz Haïm, la partie réformée de la communauté de Varsovie, le suite de la journée m’est bien plus terne que cette visite du matin.

La journée s’achève par un repas d’une partie du groupe chez nous dans une très sympathique ambiance.