jeudi 21 mai 2015

Le lyrisme et la prophétie. Pour Chavouot.



Les pages du midrach Shmuel sont en contact très étroit avec le chant, et le sentiment s'impose que c'est du livre Shmuel lui-même que provient l'élan.

Dès son commencement, le livre de Shmuel annonce la couleur avec la prière de Hanna, morceau magistral de prophétie (qui le mettra en musique ?), dont le premier mouvement est un silence (la première prière - silencieuse - de Hanna), et dans lequel Eli joue alors le rôle de celui qui applaudit entre les mouvements de la symphonie, au moment où le silence est de rigueur, fait partie de la musique.

Le deuxième mouvement est un morceau d'anthologie sur la prophétie, dans lequel Hanna montre combien sa vision du monde est large, couvre les générations, envergure qui parait reprendre le thème d'une histoire du monde représentable par l'allégorie du tissu, d'un tissu dont la tenture du Sanctuaire serait comme une concrétisation, un tissu qui serait tissé par les générations l'une après l'autre.

C'est cette image que vient enrichir le mot de Daniel Epstein qui rappelle que le mot hébraïque que l'on traduit par "traîté" (massekhet) est le mot qui désigne aussi sur le métier à tisser, l'endroit où s'élaborent la trame et la chaîne, ce sur quoi se tisse un tissu, les sages du talmud, les "talmidé khahamim" pouvant ainsi être appelés "apprentis sages", eux qui se livrent à l'étude du texte, à son apprentissage, à moins que l'on préfère écrire appren tissage.

Au chapitre 3 les évènements prennent une tournure dramatique : les enfants d'Eli ayant agi par corruption, celui-ci se voit écarté. Il lui est annoncé que l'Histoire ne se poursuit plus à travers sa descendance, condamnée à ne plus mériter le vieillissement.

Le midrach a conscience que le thème majeur du livre 
Shmuel est la transmission, est le redressement de l'Histoire d'Israël après l'égarement de la période des Juges, est la première renaissance de l'Histoire juive (il y en a d'autres, certaines mineures comme l'apparition d'Othniël Ben Kenaz, le premier Juge, certaines plus marquantes comme celle ouverte par le roi Ouzia), et les questions qu'il pose sont celles de la continuité.

Y a-t-il un sens à l'histoire ?

Comment voit-on ce qui permet de donner une réponse à la question ? 

Quel signe de prophétie doit-on chercher, doit-on attendre ?

L'homme est naturellement porté sur le cinéma et ce à quoi il se prépare à s'attendre, ce qu'il préfèrerait voir, est la version sans cesse modernisée des "Dix commandements" de Cecil B. de Mille.

Il y a une nostalgie universelle de ces grands moments. Le midrach l'exprime quand il dit que la plus humble des servantes qui aurait assisté à l'ouverture de la mer lors de la sortie d'Egypte dépasse le plus grand des prophètes, aura vu mieux que le prophète Ezechiel qui reçoit la vision du chariot céleste.

Et donc la question est posée par le midrach : "quel signe faut-il s'attendre à observer ?". La réponse - qui n'est en aucun cas la seule vraie réponse. S'il y avait une seule bonne réponse, on ne serait plus dans le midrach - est que le signe ne viendra pas de l'extérieur mais de l'intérieur de toi-même. Le signe viendra de l'expérience que tu auras de la situation.

Voici une réponse existentialiste 1500 ans avant la naissance de l'existentialisme !

Puis le midrach suit le texte et se penche sur la situation qu'il décrit : la Présence Divine va s'adresser au jeune Shmuel qui dans un premier temps ne l'entendra pas, ou plutôt ne saura pas qui lui parle.

Le midrach n'en finit plus de s'extasier. Il chante la beauté d'un monde dirigé au-delà de la capacité visuelle de l'homme. 

Cette biche, nous dit-il dans une envolée lyrique ne parvient pas à mettre bas, et la Providence lui envoie un serpent qui la pique et provoque l'ouverture du col. Puis, la même Providence suscite le développement de la plante qu'elle va brouter pour que cicatrise la plaie. 

Un monde dirigé mais dont l'homme ne voit pas le mouvement, comme l'ignorant de la musique qui est au concert et ne sait pas quand se taire ou applaudir.



Un monde d'une continuité qui échappe à notre discernement, un monde qui n'obéît pas aux lois de la monarchie où le fils succède au père, où l'aîné a le premier rôle, mais un monde dont Ephraïm, le fils chéri, quoique numéro deux, est le symbole. Un monde dans lequel Le Créateur s'est préoccupé que le tissu ne soit pas troué mais dont l'homme ne voit pas le mouvement du tissage dans lequel il est lui-même inclus. 



Certains personnages, comme Hanna, ont le secret de pouvoir prendre de l'altitude et de comprendre le mouvement. D'autres, ont le privilège d'entendre la voix qui s'adresse à eux et de suivre ses injonctions.

Shmuel n'entendra la voix que si Eli réussit à surmonter sa douleur et à lui dire : ce que tu entends est une parole divine à toi adressée. 

Une fois que le grand show du Matan Torah est passé - et même encore en cours de show - la voix ne passe de D. à l'homme que par l'intermédiaire de l'homme.

Nous sommes à la veille de l'anniversaire de cet autre évènement magistralement représenté par le même cinéaste.

Faut-il la mise en scène du Sinaï pour donner la Torah ? Très probablement. Par contre, nul n'est besoin d'y assister pour recevoir la Torah. 

Celle-ci se transmet désormais - et depuis toujours - d'homme à homme, même - et du fait qu'ils ne sont plus prophètes.

Et surtout, cette parole n'est pas seulement un contenu verbal, elle est aussi musique.

Deux morceaux sont ainsi joints à ce texte, deux morceaux de choix de ce que le peuple d'Israël d'aujourd'hui sait exprimer de son expérience du passé, comme l'illustration vocale d'une certaine continuité, ou d'une continuitė certaine.


dimanche 17 mai 2015

En l'honneur-malmené- de Jérusalem et de ceux qui l'honorent de leur présence.



Dans notre quartier, du sud de Jérusalem, il y avait hier soir une soirée typiquement israélienne, entamée par un office et prolongée par une séance de chants, en plein air, dans le merveilleux air d'une soirée de printemps, où le climat est en train de se mettre au chaud, où l'ambiance est chaleureuse, bon enfant, conviviale.

Sur ce terrain de sport du centre communautaire, quelques cent cinquante personnes de tous âges, sont assis sur des chaises, et le regard tourné vers l'écran où défilent les paroles, chantent des chansons que tous paraissent connaître par coeur, accompagnés par deux musiciens qui alternent divers instruments.


Les chants ont tous un même thème : Jérusalem, les paroles proviennent pour l'un du réservoir inépuisable de la poésie populaire israélienne des cent dernières années, pour l'autre de tel texte biblique, pour encore d'autres de tel texte issu de la poésie juive du moyen âge, de l'âge d'or, ou de la liturgie.

C'est Yom Yerouchalaïm, anniversaire de la réunion de Jérusalem.

Une fête nationale ? Nul ne sait trop le dire. Demain, presque tous dans le pays travailleront, tandis que presque tous à Jérusalem fêteront, participeront à tel ou tel évènement public.

Cela aura-t-il lieu en dehors de la ville ? Probablement non.

Et l'évènement est-il majeur ? Que non ! 

Drôle de situation que celle-ci, d'un évènement qui est de l'ordre du tabou. 

On lit sans cesse, depuis que l'on ne fait plus d'amalgames, qu'untel n'est pas antisémite...tant qu'il n'est qu'antisioniste..!

On n'a pas eu de mal ces dernières années en occident à enteriner que le sionisme est une bavure de l'histoire, un crime, un apartheid, même pire que celui qui a donné son nom au monde. 

Ne manquent pas, et ne surprennent plus ceux qui associent sans lever le moindre sourcil sionisme et génocide.

Alors, venir clamer haut et fort qu'on fête un évènement que l'on ose appeler "fête de Jérusalem " pensez !

Il y a quelques jours se tenait - à Jérusalem - un forum  universitaire des plus sérieux sur la question et son titre était fait d'un néologisme qui disait en un mot en quoi Jérusalem est tout à la fois réunifiée et encore divisée.

Le tabou n'est pas seulement européen, mondial, il est aussi 
Israélien, et même hyérosolimitain. 

Et qu'en sait l'européen lambda ? Celui qui n'est ni acquis à la cause du fait de sa naissance ou de son ascendance, celui qui n'est jamais venu voir de ses yeux ? Celui qui ne dit pas "amen" sans vérifier, à tout ce que vont dire tous les détracteurs confondus de la cause sioniste, qu'ils soient musulmans, dieudonistes, extrème gauchistes ou tout simplement politically correct ?

Il est grand temps que ceux-ci viennent voir par eux-mêmes. 

Les changements de la carte géopolitique de ces derniers temps, qui font que les mercenaires de Daesh ont massacré en un jour et dans l'indiffėrence totale de la rue européenne presque autant de palestiniens que pendant toute la guerre de l'été dernier entre le hamas et Israël, qui font que le monde commence à oser enfreindre l'interdit turc vieux de cent ans et à dire à voix haute le génocide arménien, qui font entendre au grand jour les déclarations d'appel à la destruction pure et simple de l'état d'Israël par la "république" iranienne, qui désignent la France et Rome comme cibles potentielles d'une certaine folie islamiste, ces changements ne pourraient-ils pas être l'occasion de se re-faire une opinion ?

Hier soir, entre deux chants, a été invité à prendre la parole un octogénaire que l'on présenta comme le "juge Fraenkel". Il venait raconter ses souvenirs de ces jours de juin de l'année 1967, alors qu'il n'était encore que jeune soldat, où selon cette thèse coupable, Jérusalem aurait été réunifiée. Il parla avec émotion et tint à rappeler que les combats n'eurent alors pas lieu pour une quelconque réunification, une quelconque conquète, mais pour se défendre, pour tenter de rester en vie. Il tentait de rappeler à un public dont une grande partie n'étaient alors pas nés combien ce qui menaçait Israël en juin 1967 était d'être vraiment anéantie. Il venait rappeler combien l'entrée dans la partie est de la ville (interdite aux israéliens depuis la création de l'état en 1948) fut vécue comme une surprise, y compris par les militaires et les politiques eux-mêmes, tandis que les religieux - et pas seulement eux - y voyaient un évènement pré messiannique. 

Il ne rappelait pas ce que tous les chants - et la foule qui les connaissaient par coeur un après l'autre - exprimaient chacun à sa manière, et qui est l'attachement multi millénaire du peuple juif à cet endroit. 

Il eut été aussi incongru de le dire, que n'est tabou en Europe de mentionner cela.

Alors que la liste de chants arrivait à son terme, l'organisateur a pris la parole pour remercier le public d'avoir été présent, d'avoir chanté, et de s'être associé à ce qui n'était qu'une manifestation pacifique et pacifiste, à laquelle était invitée à s'associer l"'autre population", celle des arabes qui vivent à cent mètres à vol d'oiseau de l'endroit où nous nous trouvions, celle des arabes pour lesquels la situation actuelle n'est pas un mythe ou un discours politique mais une réalité.

Il ne venait pas ajouter que ce 17 mai est aussi l'anniversaire de la mort des 4000 juifs éthiopiens qui ont trouvé la mort dans leur attachement à cette même Jérusalem. Ceux-ci sont un tiers (UN TIERS !) des juifs éthiopiens qui n'ont pas réussi à surmonter les obstacles physiques et humains à leur exode il y a vingt ans et moins.

Les juifs éthiopiens sont le plus récent témoignage de cet attachement multi millénaire à Jérusalem. Qui n'a rien à voir avec la cause palestinienne, qui ne vient en obstacle à la cause palestinienne qu'au nom du discours politique de leurs dirigeants ces trente dernières années, relayés par un public qui ne sait rien de ce qu'il soutient ou combat, en tout cas concernant cette histoire.

J'ai lu ces derniers jours le journal d'un juif français qui raconte la deuxième guerre mondiale, qui se finit pour lui par le passage de la frontière franco-espagnole puis le départ pour ce qui n'était encore que la palestine, en juillet 44. Son récit fait se dresser les cheveux sur la tête (Jacques Samuel 1939-1944. Ed. Le manuscrit 2014).

Ce passage en Espagne, en juin 44, qui ne coûte "que" deux morts (un d'épuisement, un de blessure par chute mortelle dans la neige à plus de 2000 m d'altitude) au groupe de 50 malheureux affamés et éperdus dont il relate l'expérience, ce passage qui a coûté la vie à trois membres de ma famille proche, qui, eux se sont faits intercepter par les allemands et envoyer à Auschwitz, est la phase avant-dernière de ce qu'ont vécu les juifs éthiopiens. 

C'est la même horreur d'un peuple dont Jérusalem est, dans de multiples cas tout au long de l'histoire du monde, le seul espoir, la seule destination, quand on les exile de Jérusalem il y a deux mille cinq cents ou deux mille ans, quand on les exile d'Espagne il y a 1500 ans, quand on les expulse de multiples fois de France, d'Allemagne, d'Angleterre ou d'ailleurs.

Jérusalem n'est ainsi pas seulement mentionnée dans la littérature juive de tous les temps, elle n'a pas seulement été un espoir, un mythe, elle a aussi été un lieu que certains ont pu atteindre tandis que d'autres laissaient leur vie en route.

Jérusalem aujourd'hui est l'antithèse absolue, et de la ville divisée, et de l'apartheid, et de l'injustice, et de la honte.

Jérusalem est une des plus belles villes du monde, au propre comme au figuré.

Il ne saurait être tabou de mentionner cette fête en son honneur. 
Elle n'est certes pas encore apaisée, demeure l'objet de vieux comptes et de conflits territoriaux, et n'est en fait pas vraiment réunifiée. 

Elle est par contre un endroit où la vie et le tourisme sont des plus agréables, où se cotoient juifs et arabes, religieux et non religieux, juifs, chrétiens et musulmans. 

J'invite quiconque voudra le vérifier, le discuter, l'expérimenter à me contacter, par écrit pour dialoguer, sur place pour s'y promener ensemble.

J'invite tous à ne pas se laisser entraîner à la tacher par un tabou aussi inadéquat.

Addendum

se tenait hier soir dans ce haut lieu de la nouvelle culture de Jérusalem qu'est la "première station de train" une rencontre oecuménique où devaient (ont) prier(é) ensemble et en trois langues juifs, arabes et chrétiens. On devrait dire juives, arabes et chrétiens. 

L'évènement est rare. Il se produisait pour la deuxième fois et il représentait pour bon nombre des présents la bouffée d'oxygène dans le vécu israélien de ces 48 (ou 67) dernières années, la première étincelle d’espoir qu’une paix serait un jour possible. 

C'était effectivement impressionnant, même si la population (environ 350 personnes je dirais) était essentiellement minoritaire. Il y avait peut-être trente arabes, un peu moins de chrétiens, et les juifs qui étaient là n'étaient pas moins une minorité : ils représentaient la mouvance new orthodox/conservative/reformée du sud de Jérusalem. Minorités de chez minorité. 

Autant dire que ce ne sont pas ceux-là qui vont changer la face du monde.

Et si pourtant ?

Et si ça n'était précisément que du fait de tels minoritaires que les choses pourront un jour changer ?

Il ne demeure pas moins que pour participer à cet évènement,il faut être à Jérusalem, c'est à dire accepter de se rendre dans la pseudo capitale du pays voyou, et j'ajouterai que pour que cet évènement ait lieu il y a une autre condition incontournable : il faut que la ville soit tenue par des juifs.
Ils sont les seuls à laisser aux autres le droit de vivre en leur présence, même s'ils ne le font pas forcément aussi bien que tous souhaiteraient.