jeudi 18 avril 2013

Tsomet 90 - impressions en vrac.



Quelques impressions en vrac après ces quelques semaines de visites intensives de la page FB « tu te souviens que tu as été EI quand… », et après le rassemblement Tsomet 90 de Yom Haatsmaout 2013 à Mikveh Israël.

Bien sûr, et avant tout, énormément d’échauffement émotionnel suite aux échanges « retrouvailles », tant par l’écran qu’en « live », suite à l’apparition de toutes ces « nouvelles » anciennes photos.

Hier, je « tenais », puissamment assisté par Philippe, et aussi Evelyne Grand, un atelier télécharge de photos, qui a permis de mettre en phase ces deux aspects, de la rencontre au présent, aujourd’hui, où on retrouve quelqu’un qu’on n’a pas vu parfois depuis plus de 30 ans ( Manou Saadia par exemple…), et où, avec lui on regarde des photos de l’époque où on était en activité. On a reçu, traité, puis mis en lignes..non sans difficultés, plus d’une centaine de photos, d’une bonne quinzaine de personnes, qui avaient fait l’effort d’apporter leurs albums.

Peu sont arrivés munis de la clé USB sur laquelle ils avaient eux-mêmes numérisé puis chargé leurs photos. 

Pour un atelier comme celui-ci, aucun doute que le médium informatique est incomparable, le médium FB extrèmement confortable (enfin, c'est vite dit, je peine necore à surmonter les obstacles techniques). C’est un atelier qui n’avait aucune existence possible du temps de l’argentique et des albums papier, on n'aurait pas ainsi convié la foule à venir voir et apporter des photos.

Je fais des albums du passé depuis des décades, et j’ai beaucoup d’affection et d’attachement pour le papier. Y compris jusqu’à être attristé de sa presque disparition, mais je ne peux pas ne pas voir les acquits de ce nouveau monde.

La chaleur d’une séance de shabbat après-midi où on regarde en famille un album familial pourrait être considérée incomparable, mais les moments d’hier après-midi sont d’une richesse qui n’a rien à envier au premier cas, et même les achanges FB, qui sont d’un troisième type ne manquent pas de saveur.

C’est un nouveau pas dans la lutte contre les distances, distances géographiques, distances temporelles.

Hier, un ami, lecteur de ce blog, m’apprenait tout d’abord qu’il l’était (ce qui me comble d’aise, et c’est dit sans ironie), mais aussi me racontait se sentir tenté par le médium, mais un peu effrayé, un peu largué au plan technique.

Mes parents ainsi, ne sont jamais passé à l’informatique, continuent à déplorer que les albums soient devenus virtuels. Il ne leur manque pas d‘arguments « contre », contre ces pseudos réseaux d’amis, qui sont « ridicules », qui ne sont que un autre signe de la décadence…

Je ne dirais pas que je ne partage pas leurs difficultés. Je perds aussi énormément de temps, et je souffre devant mes constats - généralement provisoires - d'incapacité, à me battre avec ces nouveaux programmes et leurs perfections…

Oliver Sachs écrivait il y a plus de 20 ans « des yeux pour entendre », un livre qui traite des effets collatéraux de la surdité. La première partie du livre relate les cas de ces enfants célèbres, enfants « loups » (Victor de l’Aveyron), ou sequestrés (Jenny, Mathéo, Gaspard Hauser), enfants qui ont grandi dans un environnement lacunaire, et chez lesquels se sont installés des troubles neurologiques immuables. Dr Ithard n’arriva jamais à enseigner le langage à Victor au-delà du stade nominal. La deuxième partie du livre raconte le cas d’une université américaine pour non entendants, dans laquelle la surdité est un mode de vie et non un handicap. Ils sont par principe contre l’appareillage ( en tout cas à l’époque où a été écrit le livre).  

On ne sait pas si Prof. Feuerstein aurait fait mieux, lui qui réalise de véritables miracles de réinsertion ou de développement d’enfants qualifiés irrémédiablement bloqués par d’autres, on ne sait pas si Peto, docteur hongrois partisan et initiateur d’une méthode presque choquante tant elle est basée sur l’exigence et la fermeté, mais qui elle aussi, fait faire de réels bonds à de grands infirmes moteur cérébraux, aurait pu faire avancer Jenny,  on ne sait pas si les nouvelles découvertes sur la plasticité du cerveau vont permettre ainsi de repousser les limites de l’incapacité, mais on sait dans quelle continuité d'effarement le progrès place la population.

Ce film, « labyrinthe dans le désert » dont j’ai déjà parlé deux fois sur ce blog, et qui décrit le calvaire de cette famille dont l’enfant né non entendant puis implanté, appareillé, et qui « n’entend » cependant toujours pas, décrit très bien la réaction psychologique de l’individu, autant que la réaction physiologique de son cerveau devant la nouveauté.

L’enfant « n’entend pas » bien qu’implanté et appareillé tant que son cerveau n’a pas enregistré le changement, la nouveauté. Mais la nouveauté ne s’est-elle produite que dans son cerveau du fait des électrodes qui y sont maintenant placées ? le film raconte comment cette famille est la seule de tout ce village à avoir accepté de tenter l’opération, et encore, tout en étant ravagée par le doute et la crainte. Tout le village est convaincu qu’il est préférable d’être sourd qu’entendant (le film montre de nombreux exemples).

Il se passe deux ans entre l’implant et le premier mot prononcé par l’enfant. S’agit-il du délai « normal » et incontournable nécessité par le cerveau pour enregistrer la différence entre l’état de naissance et l’état induit par l’opération ? Je suis convaincu du contraire. Que les parents aient réussi à laisser leurs doutes au vestiaire et le délai aurait peut-être pu être réduit de moitié.

Combien de temps nous faut-il pour réaliser qu’apprendre à piloter un ordinateur est pratiquement plus simple, et en tout cas moins dangereux, qu’une voiture ? Cela dépend apparemment de notre âge, âge civil, âge social.

Combien faudra-t-il de temps aux « réfractaires à FB », « par idéologie » vous disent-ils, pour essayer si ça ne mord pas ?

A voir.    

mercredi 3 avril 2013

La mise en abyme du narcissisme


Le narcissisme, travers-attribut-qualité-source de vie, est mal distribué à l'écran. Il y en a à la fois trop et pas assez.

S'il est très facile - surtout pour un enseignant de psychopathologie qui utilise le cinéma à ces fins - de trouver des borderline (en pagaille), des obsessionnels, des autistes, des psychopathes, des psychotiques, des post traumatiques, et même encore bon nombre de pathologies moins courantes mais non moins cinégéniques ( ce post est un appel à suggestions : je suis toujours à la recherche de nouvelles mises à l'écran...), on trouve très rarement du narcissisme sous sa forme majeure.

C'est pas – loin s’en faut -  qu'on ne trouve aucun narcissisme à l'écran. On trouve beaucoup de films à miroir (même sans aller jusqu'à Tarchovski, ou "la double vie de Véronique" de Kishlovski) , on trouve de ci-de là un personnage faiblement ou même puisssamment narcissique, mais un film consacré à un vrai narcissique, à un vrai trouble narcissique de la personnalitė dans son aspect le plus malin, difficile de trouver....jusqu'à "Alceste à bicyclette".

A ne surtout pas confondre avec le Alceste du petit Nicolas, qui n'a rien d'un narcissique.

Alceste, ou Le misanthrope. Je me suis en fait assigné pour tâche de relire la pièce, afin d'y découvrir comment Molière peignait le personnage. Il faut juste que je retrouve le texte...

Mais pour le Alceste (magistralement) interprété par Fabrice Luchini, aucun doute ne subsiste. 

On peut sortir du film effaré, ou interpelé, par la "philosophie" du personnage. On peut y trouver par exemple des justificatifs : le bellâtre -jeune premier qui vient lui proposer le rôle a vraiment un compte de jalousie à régler avec lui. Il est l'incarnation de ceux dont Alceste se plaint, qui ont pu le laisser plonger dans la dépression sans même aller lui rendre une fois une visite, il justifie à lui tout seul la misanthropie d'Alceste, un Alceste qui dirait : je ne me suis retiré dans mon antre qu'à cause des perversions de l'humanité.

Mais, ce serait passer à côté du véritable personnage incarné par Luchini. Ce serait ne pas accorder tout le poids qu'elle mérite à la rage narcissique telle qu'elle est si magnifiquement présente dans les traits même ainsi que les réactions du personnage.

Alceste étouffe de rage quand le téléphone portable de Philinte-Gauthier sonne trois fois, ou même quand il fait lui-même le plongeon dans l'eau de dessus le vélo sans frein. Ceci n'est pas la rage narcissique. Ce sont des sautes d'humeur, des accès presque sains de rage normale.

La rage narcissique est cette rage glaciale que l'on ne ressent que à contretemps, que « a posteriori ». C’est celle qui caractérise vraiment le trouble et que l’on ne voit que plus rarement à l’écran. 

L'arrivée de Gauthier (lambert Wilson) chez Serge (Fabrice Luchini) est la première manifestation de cette rage. Luchini réussit à être plus froid que la glace. Il réussit ainsi au long du film quelques regards, quelques mimiques de ce qui caractérise tant celui que la littérature psychanalytique dépeint comme le narcissique incurable, celui chez qui la rage a pris toute la place, celui dont le narcissisme est décrit par Heinz Kohut par le terme (malin) par lequel on décrit le cancer.
Luchini est alors apparemment indifférent, manifeste surtout de la froideur, comme s'il était occupé à autre chose et que venait d'arriver in visiteur peu aimé. Une froideur qui masque, mais montre les véritables sentiments du narcissique. Ce dernier est en fait perpétuellement en compte avec quelqu'un et il lui faut lui faire payer cette dette, il lui faut à tout prix l'humilier.

Au moment précis de cette entrée en scène est mise sur le feu la marmite dans laquelle il plonge Gauthier à la dernière scène du film, quand il lui lâche en public tout le barillet des cartouches qu'il a en magasin et qui vont le mettre knock out sans retour.

Alors que le profane pourrait voir du narcissisme précisément chez Gauthier, petit acteur de séries télévisées, poudré et à l'affût de compliments à répétition, il ne voit pas combien ce dernier est petit joueur en matière de narcissisme, combien Gauthier ne souffre que du narcissisme bénin des acteurs ou des professionnels de l'écran, il  a juste le narcissisme qui le fait se préoccuper de sa mise, se sentir jaloux de Serge, qui le pousse à venir lui proposer le second rôle alors que lui, suprême vengeance, jouera le premier. Ce faisant, Gauthier a juste la dose de narcissisme suffisante à le faire se placer juste dans la ligne de mire de Serge.

Le petit narcissique vient se faire assassiner par le grand sans même se rendre compte qu'il a déjà perdu la partie encore avant qu'elle n'ait commencé. Gauthier ainsi ne voit dans la chambre d'ami que Serge lui propose qu'un lieu trop inconfortable pour lui, qu'un signe des conditions d'ermite dans lesquelles s'est replié Serge. Il ne voit pas le fiel qui accompagne la proposition. Il commence à ouvrir les yeux quand Alceste lui prête un vélo dépourvu de freins, mais boit quand même la tasse.

Le narcissique est à la fois tributaire et prisonnier des miroirs qu'il aime tant il n'y voit que lui-même, ne cherche qu'à s'y contempler, sourd aux appels d'Écho la belle.

C'est l'abîme dont il est ici question. L'abîme dont la forme ancienne s'écrit "abyme" et que l'on utilise en littérature à la description de ces effets d'optique tel celui de la boucle d'oreille de la vache qui rit sur laquelle est dessinée la même vache affublée infiniment des mêmes boucles d'oreille. Cette "mise en abyme" est l'installation du trou sans fond, cette succession infinie de miroirs par laquelle est hypnotisé Narcisse.



Il ne lui reste que cet abîme dans lequel il choît, qu'il ait assassiné ou non ses ennemis, qu'il soit devenu une belle fleur ou non.

Tous les narcissiques sont-ils misanthropes ? Certainement. Ils ne peuvent aimer autrui, à peine s'ils supportent sa présence. Tous les misanthropes sont-ils narcissiques ? À voir.